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Géfar, 8rinconfolàble de lamort dec'e grand général.
Oftave, guidé par fon ambition, rejetta des confeils
avoués par la prudence : mais quoiqu’il portât dès-
lors l’efpoir de fes deffeins jufques fur le trôné,
fon ame parut toujours dans le plus grand calme.
On n’apperçut en lui aucun de ces mouvemens
qu’excitent d’ordinaire les grandes pallions 8c l’efpoir
des grands -fucçès. 'Réfolu de palier en Italie,
il fit fonder les difpolitions delà garnifon de Brinde ;
ayant vu qu’elle étoit affectionnée au parti de
Cé far, il s’en fît un appui. Après l’avoir remerciée
de fon attachement pour la mémoire de fon grand-
oncle , 8c avoir facrific aux dieux -en fa préfence,
il fe déclara héritier de Géfar , 8c fon fils par
adoption-, &;-ce fut alors qu’il changea Ton-nom
de Caius OCtavius en celui de Caius Julius 'Géfar 1
Oétavianus. '“V •’ ‘ '*
Cette première démarche donna la plus haute idee
de fon courage, & infpira la plus grande confiante
à fes partifans. La fermeté que ce prince fit paroître
au milieu des difcordes civiles, nous feroit penfer
que s’il parut moins fouvent à là tête des armées,
ce fut moins une preuve de cette pufillanimite
qu’on lui reproche, qu’un effet de la prudence qui
ne permet pas à.un homme d’état de mettre toutes
fies efpérances dans le deftin d’une bataille. Des
qu’il fe fut affuré de l’affeâion de la garnifon de
Brinde, qui lui livra toutes les munitions de guerre
& de bouche deftinées pour l’expédition contre les
Parthes, il forma la réfolution dé fe rendre à Rome
toujours flottante entre la fervitude & la licence.
Oftave ne tarda point à s’appereevoir des deffeins
d’Antoine. Le regardant dès-lors comme fo'n plus
redoutable riv a l, il feignit de fe jetter dans le parti
de la république. Cicéron, auparavant les délices'
de Rome , étoit retiré à la campagne où il vivoit
en homme privé, faifant des voeux pour fa patrie
qu’il .n’étoit plus en état de fauver. OCtave feritit
quelle confidération cè fage donneroit à fon parti. Il
alla lui rendre vifite à Cume , 8c l’affura que, quoiqu’il
fe portât héritier de Géfar, fon projet n’étoit
pas d’affervir fes compatriotes ; & qu’il n’avoit
d’autre deffein que de travailler à rétablir le calme
dans la république , 8c à l’affeoir fur fes anciens fon-
demens. Cicéron d’autant plus facile' à perfuâder,
qu’il nourriffoit contre Antoine une haine invincible ,
fie laiffa féduire. Cette première conquête attacha une
foule defénateursau parti d’OCtave qui ne balança
plus à entrer dans Rome. Le peuple idolâtre pour
le nom de Céfar qu’il avoit pris, alla le recevoir
au-de-là des murs, 8c lui décerna une efpeee de
triomphe. Tous les anciens amis de Céfar imitèrent
cette ivreffe; Antofnefeul parut mécontent de fon
arrivée, il ne lui rendit aucun honneur. Octave, trop
clairvoyant pour ne pas deviner la caufe de cette
tiédeur, feignit de ne pas s’en appercevoir ; & lorf-
que fes courtifans s ’en plaignirent, c’eft à moi, leur
répondit-il, qui ne fuis qu’un jeune homme, à prévenir
une perfonne qui m’eft fupérieure par fon âge,
fies fervices 8c le rang qu’il occupe dans la république.
Cette déférence apparente rendoit ce conful odieux,
& augmentoit le crédit de fon jëüne rival. Oétavien
fie plia à toutes les foumiflions qu’on exigea de lui.
Ayant fait ratifier fon adoption, il fe rendit aux jardins
de Pompée. Antoine les avoit eus des dépouilles
de cet -homme célébré. Augufie attendit long-tems-
l’audience du conful qui vouloit l’accoutumer de
bonne heure à l’air d’autorité qu’il Vouloit prendre ;
Cependant il en fut reçu avec beaucoup de civilité ;
lorfqu’on l’eut introduit, Oétavien entama la conv
en t io n : il fe plaignit d’abord, mais avec un ton
de modeftie, de l’acte de pardon qu’Antoine avoit
fait paffer en faveur des conjurés qu’il auroit pu
châtier au (fi féveremeat, difoit-il, & d’une maniéré
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àuffi arbitraire .qu’il avoit châtie Amatius. fl lui rappela
enfuite dans les termes les plusobligeans, ra*
mitiçdont Céfar l’avoit honoré, 8c les grands fervices
dexè dièateur auquel il étoit redevable de fa fortune.
Il le conjura par la mémoire dé fon ami -, de
leur commun bienfaiteur, de l’aider à venger la mort
de Céfar , ou au moins "de ne lui oppofer aucun
obflaele dans une entreprifé fi digne de les louanges.
Tout dans ce difcours flattoit Antoine, qui dans de
nouvelles profcriptions voyoit de nouveaux biens
à acquérir: mais lorfqu’ii lui demanda les tréfors
qu’il avoit fait enlever du palais de Céfar, fon zele
le réfroidit tout-à-coup : « 8c Comme cèfte fomme,
ajouta Oétavien, n’èft pas fuffifante pour acquitter
les obligations duteftament de Cé far, j’éfpére que
vous ne balancerez pas à m’aidér de vos tréfors,
ou au moins que vous engagerez les quelle lira à
m’ouvrir ceux de la république, aux offres que
je fais de rendre ce que je pourrai emprunter pour
un fi noble deffein; quant aux meubles, je "vous
en fais de bon coeur le facrifîce, C’ell un gage de
plus qui doit vous attacher au parti de mon pere :
mais à l’égard de l’argent, j’en ai befoin, & j’exige
qu’on me le remette fans, délai ». Antoine d’autant
plus offenfé dé la hardieffe de ce jeune homme ,
qu’il ne doutoit pas que ce ne fût pour acheter la
faveur du peuple , lui fit un refus qu’il accompagna
de paroles très-dures. Ils fe féparerent en ennemis.
Oétavièn mit aufli-tôt en vente toutes les maifons 5c
toutes les terres qui lui revenoient de la fucceffion
du diétateur. Il fit publier en même tems qu’il ne
confentoit à l’aliénation de ces grands biens, que
pour empêcher Antoine de priver tant de familles
des effets de la libéralité de?Céfar : mais le conful
lui donna la mortification de s’oppofer à cette vente ,
en engageant- quelques particuliers à réclàmer les
terres , comme ayant fait partie du patrimoine de
leurs ancêtres que le diétateuf avoit dépouillés pendant
la guerre civile. D’un autre côté , les qûefteurs
excités par Antoine, formèrent des prétentions fur
une partie de ces terres, comme ayant été confifquées
au profit du public: jCes procédés étoient injuîles;
mais Oétavien, au lieu de s’adreffer au fénat qui eût
pu lever ces obftacles, mit en venté fon propre patrimoine
, ainfi que les biens de fa mere-& de fon
beau-pere qui firent ce généreux facrifîce pour favo-
rifer fes deffeins. "Du provenu de fies ventes Augufie
acquitta les legs que Céfar avoit faits au peuple ; 5c
cette feinte libéralité manqua d’entraîrtér la ruine
d'Antoine* La populaée dont le coéur s’ôtivre toujours
à l’intriguant qui fournit le plus d’alimens à fa
cupidité, parlok.de le mettre eri pièces. Une nouvelle
dilpute élévée à l’oecafio.n de la chaire 8c de la couronne
de Céfar q ui, ffuivant un décret du fénat,
dévoient être placées dans tous les fpeétâcles , mit
le comble à leur méfintelligence. Oétavien fait prendre
cette chaire 5c cette couronne, 8c lès fait placer
au milieu de l’amphithéâtre, malgré les déclamations
d’Antoine qui le tnenaçoit de le faite traîner en pri-
fion. Cette fermeté acheva de lui gagner la faveur
du peuple. Profitant de cet enthoufiafme, il monte
à la tribune ;'alors apoftrophant Antoine comme s’il
eût été pr'éfent, « çonlul injufte , implacable ,
s’écria-tril, faut-il que ta haine contre moi s’étende
jufques fur lë grand Céfar? Tu foules avec mépris
les cendres de ce héros dont ta fortune efiî l’ouvrage.
Tu prétendois venger fa mémoire, 8c tu cherches à
la flétrir, tu te profternois autrefois à fes pieds,
tu lui offrois le diadème , aujourd’hui tu lui refufes
jufqu’auX honneurs que le fénat lui à déférés. Sacrifie-
moi à ton coupable reffentiment, mais au moins
épargne les mânes d’un grand homme. Tout en toi
fait la cenfure de ton ingratitude. Rends à tes concitoyens
des biens qu’il n’avoit réfervés que pour
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eux; j’abandôtme le refte à ton in fa fiable Cupidité:
je me croirai affez riche fi je puis m’acquitter envers
ces généreux défenfeurs de la patrie ».
Ce difcours artificieux mit le peuple en fureur'
contre Antoine ,; fes gardes même cenfufoient fa
conduite. Rome alloit devenir une arène , lorfque
des vues pqlèiiques réunirent ces deux rivaux. Lè
confitlat d’Àntoinê étoit prêt d’eXpirer ; 1a crainte
que fa grandeur ne s’édi’pfât avec fe magiftrarure-,
l ’engagea à fe réconcilier avec Oétavien. 11 ambi-
tionnoit le gouvernement des Gaules; convaincu
que l’injure faite à l’héritier de Céfar, n’étoit pas
un titre pour avoir les fnffrages du peuple , il fit
les premières démarches ; 8c Oétavièn fenfible à
cette déférence , consentit à laidief de fon crédit.
Ce fut fans doute une faute de ce grand politique :
ii fembla oublier que C’étoit dans Cette contrée que
Céfar avoit trouvé des armes pour affetvir Rome.
Cette réconciliation ne pouvoit être de longue durée
entre ces deux ambitieux. Dès qù’Antoine eut pris
poffeffion de fon gouvernement, il traversa toutes
les mefures d’Oétavien. Le fénat qui voyoit en
eux deux tyrans plus terribles que celui qu’il avoit
fait périr , fomeotoit cette défunion dans l’efpoir
de les détruire l’un par l’autre. Cette politique alloit
réuffir , mais les amis d’Antoine s’apperçurent dit
piege qui leur étoit tendu , & le forcèrent de refter
uni avec GéfcaVien. Brutus vivoit encore, 8c la liberté
ne pouvoit s’éteindre tant qu’il lui refteroit un
fouffle de vie. « Votre fureté , lui difoient-ils , 8c la
nôtre , exige la ruine des conjurés. Si leur parti
l’emporte, nous ferons perfécutés, profcrits comme
fauteurs de la tyrannie. Redoutez Brutus & fes
partifans farouches, & fongez que nous ne pouvons
nous maintenir que par notre union avec le
jeune O&avien ( Augujîe entroit pour lors dans fa
19e. année ). Aidez-le donc à exécuter fes généreux
deffeins , en vengeant de concert la mort de Céfar.
Que nous n’ayons pas à vous reprocher que le
meilleur ami du diélateur ait empêché fon fils de
châtier fes affaflins. Antoine défiroit avec autant
d’ardeur que fes officiers de détruire les conjurés ;
mais il ne vouloit pas qu’Gâavien en eût la gloire.
Il le connoiffoit trop bien pour fe laiffer abufer fur fes
deffeins; mais comme on infiftoxt fur une entrevue ,
il y confentit, & fit une efpeee de traité qui fut
rompu prefqu’auffi-tôt que conclu. Antoine fit traîner
en prifon plufieurs fôldats accufés d’avoir voulu
l’affafïiner de la part d’Oftavien. Cette lâcheté à
trouvé un panégyrifte dans Cicéron, aveugle dans
fa haine contre Antoine. Les partifans de la république
crurent qüe c’étoit un incident adroitement
„ménagé pour avoir l’un & l’autre un prétexte de
faire des levées ; mais la fuite fit clairement con-
iioître que chacun d’eux afpiroit à perdre fon rival,
& à refter feul à la tête du parti contraire à celui
des conjurés. Tous deux s’apprêtèrent à foutenir
leurs prétentions les armes à la main. Antoine envoya
des ordres à fon frere pour lui amener les
légions de Macédoine. Il comptoit fur l’amitié de
Lepide qui commandoit quatre légions en Efpagnè ;
& fur celle de Plancus qui en commandoit trois
dans les Gaules. Augufie pour conjurer l’orage ,
alla dans la Campanie où il leva dix mille vétérans
dont Céfar avoit récompenfé la valeur , en leur
donnant des terres dans cette partie de l’Italie. Ces
troupes ne lui parodiant pas fuffifantes , il corrompit
à force d’argent deux des légions d’Antoine ,
& s’en attacha deux autres qui tenoient auparavant
pour le parti de la république. Cet fut alors qu’il
prit le chemin de Rome qui s’apprêtoit à voir
reparoître les feenes fanglantes de Mariùs 8c de
Sylla ; s’étant arrêté à deux lieues de la ville , il
.feignit de n’y vouloir entrer qu’avec l’agrément
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du peuple. Un tribun qu’il -avoit mis dans fes
intérêts, lui applank tous les obftacles , en prononçant
une harangue, dans laquelle il fit croire au
peuple qu’il n’avoit d’autre projet, en entrant dans
Rome, que de défendre fes concitoyens contre les
attentats d un conful ambitieux. Plufieurs fénateurs
eurent la foibleffe de le penfer , 8c Cicéron toujours
guidé par fon averfion contre Antoine ,■ tra-
vaïlloit de tout fon pouvoir à étendre le bandeau
dé l’illufion. Brutus, qui portoit lui feul tout le
fardeau de la république , ëerivir plufieurs lettres
pour défi'lier les-yeux de cèt orateur. II finit par
lui reprocher que fa haine étoit contre le tyran ,
8c non contre là tyrannie. En effet Cicéron avoit
perdu cette fierté républicaine , 8c fembloit n’ambitionner
que le trifte avantage de fe choifir un
maître. L’Italie entière étoit dans la plus grande
agitation : on voyoit déjà l’étendart de la guérrè
Civile. Augufie n’avoit point encore de titre; 8c d'èS
qu’il fut qu’Antoifle s’approchoit à la tête d’uné
armée, fes foldats lui offrirent celui de propréteur,
fans attendre les ordres du fénat. Trop (âge pour
offenfer cette compagnie dans dès conjonctures aufli
délicates, Augufie refufa de l’accepter ; 8c lorfque
fes amis les plus intimes lui demandèrent les raifons
de ce refus : « Le fénat , leur répondit-il , s’eft
déclare pour moi moins par affection qüe par la
terreur qu’Antoine lui infpire. On ne prétend m’em*
ployer que pour fa ruine, afin de me faire périr
moi-même par les affaflins de Céfar. Diffimulons
encore. Il y auroit dé l’imprudence à paroîtré percer
les odieux myfteres de cette fombrè politique , cé
que jè ferois à coup sûr fi j’avors l’indifcrétion de
prendre le titre que l’armée veut mé.faire accepter.
Ma déférence engagera les pères confcripts à mè
l’offrir ». L’événement jüftifia le Üifcôûrs à'Augufie;
8c alla bien au-delà de fes efpérances; Non-feulement
les fénateurs lui accordèrent lè titre de pro*
préteur, ils firent encoreyiin décret par lequel il
lui étoit permis d’être conful dix ans avant l’âgé
fixé par les lôix. On lui érigea dès-lors une ftatuë ,
8c il eut rang parmi les fénateurs.
Cette politique avoit un effet trop certain, trop
prompt pour y renoncer; Cicéron tout-puiffant danà
le fénat, lui en affuroif tous les membres. Oftavien
fut encore fe concilier l’efprit des nouveaux confuls
C. Vibius-Panfa 8c- AuIüS-Hiftius. Il les abufa ait
point qu’ils propofetent aux peres confcripts les
deux que fiionsfüivantes ; fa voir , quelles réeom-
pénfes méritoient les deux légions qui avoient
abandonné Antoine -, pour fe ranger fous fes èftî-
feignes , 8c de quels moyens il falloit ufer pour
forcer Antoine à fe défifter du proconfulat dès
Gaules? Le fénat--fît auffi-tôt un décret qui auto*
rifoit les confuls à récompenfer les légions à ieüir
gré , 8c à prendre toutes les mefures qui leur fëm-
bleroient nécëffaires pour dépOfféde? Antoine qui,
fur de nouvelles déclamations de Cicéron, fut dé*
claré ennemi de la patrie. Augufie reçut aufli-tôt
des ordres de fe joindre aux confuls 8c d’agir dé
côncert avec eux contre l’ennemi commun. Il fut
revêtu d’une autorité égale à la leur, chofeiriouiè
jufqu’alofs ; 8c comme fi ces honneurs euffent été
au - deffous de fes fervices, lë fénat prononça un
décret, en vertu duquel, lès vétérans qui étoierità
fort fervice , auroient chacun plufieurs arpens dè
terre , dès que la guerre feroit terminée, avec urtè
exemption de toute charge. C’eft ainfi que les chefc
de la république couroient eux-mêmes au devànt
du joug que leur préparoit ce jeûné a’mbitieuX.
Antoine qui fe voyoit inférieur par le nombre dfe
fes troupes, au parti de Brut'uS 8c dé celui à'Augufie,
qui s’étoiènt réunis , tente la voie de la négociation.
Ce fut inutilement ; après plufieurs combats
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