déchirent leurs ennemis en lambeaux en fucent le fang
& ont toujours des ennemis ; car la guerre eft parmi
eux éternelle, 8c leur vengeance ne connoît point de
borne : les Efpagnols, qui les fréquentent, ajoute-
t-il , deviennent infenfiblemënt auffi pervers, auffi
médians, auffi atroces qu’eux ; foit que cela arrive
par la Force de l’exemple, foit que celîr arrive par
la force du climat : Adeo corrumpuntur illic mores >
fiv è id accidat exemplo incolarum , fiv é cali jiciturâ.
Mais il n’ÿ a nulle apparence que le climat influe en
tout ceci ; puifque nous avons déjà oblerve que dans
les pays les plus chauds , comme fous 1 equateur &
dans les pays les plus froids , comme fcu-delà du
cinquantième dégré , on a également vu «des barbares
manger leurs prifonniers, 8c celebfer par d horribles
chanfons la mémoire de leurs ancêtres , qui
fe trouvèrent comme eux à des repas femblables. Il
faut que Lullus & les théologiens, dont il eft iciquef-
tion, aient abfolument ignore que l’anthropophagie a
auffi été très-commune parmi les anciens fauvages de :
notre continent; parce que , quand les fciences n e*
clairent- point l’homme, quand les loix n’arrêtent ni
fa main, ni fon coeur, il tombe par-tout dans les :
mêmes excès. Mais nous répéterons encore en fi- :
nifl'ant cet article, qu’il fera a jamais étonnant qu’on
n’eût encore aucune idée; des fciences dans tout un
hémifphere de notre globe en 1492. ; de forte que
l’efprit humain y étoit retardé de plus de trois mille
ans. Au jourd’hui même il n’y a point dans tout le j
nouveau-monde une peuplade Américaine qui foit
libre , & qui penfe à fe faire inftruire dans les lettres;
car il ne faut point parler des Indiens des
millions; puifqüé tout démontre qu’on en a fait plutôt
«des efclaves fanatiques, que dés hommes. (D. P.')
Recherches géographiques & critiques fu r la pojiiion des
lieuxJeptentrionaux de C Am e r i Qu e .
Je commencerai par pofer quelques axiomes ou
maximes-, qui me ferviront de guides dans ces recherches.
. ; v ’ .
i°. On ne'peut fixer la pofition d’un pays que fur
lé rapport de perfonnes qui, l’ayant v u , en ont donné
une relation circonftanciée.
20. Les relations font plus ou moins authentiques,
félon les perfonnes & les circonftances. Les anciens
n’ont donné fur les régions éloignées, que des connoiffances
vagues ,* d’après lefquelles on a dreffé des
cartes auffi bien qu’il a été poffible, en attendant
des témoignages plus fûrs & mieux circonftanciés;
,. 30. Quant aux perfonnes., il y a une grande différence
dans le dégré de crédibilité qu’elles méritent.
C’eft ce qu’il faut examiner avec attention, & pefer
foi#neufement. Souvent on donne une relation anonyme
; tantôt on la préfente fous le nom d’une personne
dont l’exiftence n’ell pas conftatée, ou bien
on la lui attribue fans raifon fuffifante; d’autres fois
elle eft d’un voyageur regardé comme plus ou moins
véridique ; il y en a qui ont pour garant tout un
équipage de vaiffeau, ou même plufieurs ; enfin
d’autres ont été publiées d’après des voyages entrepris
par ordre d’un fouverain ou d’une compagnie,,
auxquels ceux qui ont été à la découverte ont fait
leur rapport. De ces relations , quelques-unes ont
été imprimées 8c connues dans le tems que les découvertes
ont été faites,; ou peu de tems après;,
d’ autres n’ont paru que très-long-tems après cette
époque. Les unes .ont été contredites par d’autres
& quelques autres ont été reçues comme avérées-,,
dans le tems qu’on enauroit pu prouver la fauffeté,
s’il, y avoit eu lieu au moindre foupçon. Toutes,
ces circonftances doivent être mûrement examinées
& en général; il ne faut point ajouter foi à celles qui
pechent contre la vraifemblance, à moins qu’elles
ne foient appuyées par d’autres marques .cara&éri-
: fliquès. d’authenticité.
40. Si le caraftere d’authenticité s’y trouve ,
qu’elles foient de deux cens, de cent, ou de dix ans
■ feulement, ces relations doivent toujours être tenues
pour inconteftables', quand même depuis ce
tems- là oh n’en auroit point eii d’autres de ces
pa ys, & de leur fituation ; puifque la vérité refte
conftamment la même , quelque ancienne qu’elle
•foit. Mais fi de nouvelles relations ; données par des
voyageurs dignes de foi qui auroient été fur les
lieux, contredifoiënt & corrigeoient les anciennes ,
il eft manifefte que les témoins plus récens mérite-
roient plus de creance.
50. Si des relations d’une authenticité égale fé
contre difent , il faut comparer les degrés d’àutHenti-
cité, les circonftances, la probabilité , la poffibilité
même de tout, & fe décider là-deffus, fans cependant,
dans Ces Cas, donner le fyftême adopté pour
indubitable , mais feulement pour probable , en attendant
de nouvelles lumières plus certaines.
6°. Si les, .plus anciennes & les , plus nouvelles
découvertes .s’accordent entr’elless.en tout ou en
partie, il ne faut pas héfiter un moment de les préférer
à tout ce que les hommes même les plus fa*
vans auroient écrit de contraire..
7°. Si un voyageur donne une relation dont on
doute, parce qu’il eft le premier qui en ait parlé ,
& que cependant elle ait été publiée fans qu’on l’ait
contredite, ou qu’une.partie en ait été enfuite peu-
à-peu confirmée par des.relations plus modernes ,
je penfe qu’on doit la.recevoir toute entière comme
telle., jufqu’à. ce que le témoignage d’autres voyageurs
auffi véridiques conftate.la fauflèté des autres
faits qui n’ont pas encore été pleinement confirmés.
•
: 8°. Lorfqu’iVn’y a abfolument point de relation
fur un pa ys, il eft permis de recourir aux conjectures
, en rapprochant 8c en combinant les relations
des pays voifins, leur fituation-, 8c toutes les cir-
èonftànces qui peuvent contribuer à former un
fyftême raifonnable, en attendant que dés faits certains
puiffent mieux nous, inftruire.
90; On ne doit point conclure, qu’une première
relation eft fabuleufe, parce - que les noms que les
anciens voyageurs ont donné à certains pays 8c à
certains peuples, different de ceux qui leur ont été
donnés enfuite. Je ne parle pas feulement des noms
que les Européens ontimp.oféaux pays, caps, baies,
rivières, &c.; on fait que chaque nation a pris la
liberté de donner tels noms qu’elle a voulu , & que
les Efpagnols même fe font plû à varier ces noms
par un pur caprice. Si Ton. prend la peine de con-
fulter les cartes des côtes de la Californie , par-
exemple, oh y trouvera prefque par-tout de la variété
dans-la dénomination des mêmes lieux. Il en
eft de même des rivières, qui font au fond de ce
golfe, de fes côtes, 8c des endroits fitués dans l’intérieur
du pays. Tout a changé ( excepté la.réalité )
par rapport aux noms, comme fi c’étoient.des pays
entièrement différens; je.parle même des noms que
les peuples voifins leur donnent. Nous favons que
tous ces noms font fignificatifs, 8c qu’il y a une infinité
de langues diverfes 8c de dialedes chez les
nations Américaines. Si donc dix nations différentes
indiquent le nom de leurs voifins , il eft poffible
qu’il y ait dix noms différens.. Ce qui eft nommé
Teguajo, Apaches , Mo,qui, Xumanes, &c. au nouveau
Mexique eft nommé tout autrement par les
Miffouris, les Panis, les Padoucas , les Chriftinaux,
les Sioux , les Affinipoels , &c.,. fans que pour
cela il s’agiffe d’autres nations ou cTautres pays.
io ° . Toutes les cartes géographiques doivent fq
fonder fur de pareilles relations authentiques, fans
quoi elles ne prouvent rien ; chacun en peut dreffer
d’après fes idées ; on peut en copier de fautives qui
ne font fondées fur aucune relation. Souvent on fuit
celles-ci en quelque point, & on les contredit dans
le refte ; ce n’eft pas affez : on en doit rejetter tout
ce qui n’eft pas prouvé, ou qui eft inférieur en dégre
d’authenticité.
D ’après ces maximes de critiqué, en fait de géo-
graphie, nous allons rechercher les découvertes les
moins douteufes de la partie feptentrionale de 1 \A-
mèrique, depuis le Mexique , ou plutpt depuis le
trentième degré jufqu’au pôle : nous fuppléerons à
ce qu’elles pourront avoir d’incertain, par des relations
fondées , nonTur des contes contredits par
d’autres, mais fur des relations des fauvages , qui
ne foient pas en contradi&ion. Nous renverrons
pourtant à l’article C a l i f o r n i e , S u p p l, ce qui
regarde cette prefqu’île , 8c tout ce qui fe trouve à
fon oueft jufques vis-à-vis de l’Afie, & même toutes
les anciennes découvertes de ces contrées.
Le Groenland ne mérite pas ,qu’on s’y arrête jufqu’à
préfent, fa conquête n’a point excité de guerres ;
ce qu’il y a de remarquable le placera de lui-même
à fa place dans le cpurs de nos recherches.
Chacun connoît les découvertes de Davis, de
Baffin, de Thomas Smith, de Lancafter, de Button,
8c fur-tout de Hudfon, de même que tous les voyages
qu’on a faits depuis ce tems. dans la baie de ce
nom ; Ellis en donne la relation , 8c on aura occasion
d’en parler ailleurs.
Depuis le fort Nelfon, autrefois Bourbon , on a
commencé à fe procurer des connoiffances de l’intérieur
du pays. M. Jérémie, homme a&if 8c intelligent,
a lu profiter du long féjour qu’il y a fait en
qualité de gouverneur, pour prendre des informations
exa&es qu’il a communiquées au public. Il a
fuivi les relations des fauvages -, qui à . la vérité
n’ont pas de théorie, mais qui ont des connoiffances
pratiques, qui ont vu 8c entendu: ce qui vaut beaucoup
mieux.
Ce que M. Jérémie nous apprend, par la. bouche I
des fauvages, des nations les plus reculées au nord,
regarde-les Plats-côtés des chiens qui viennent du
nord, un peu nord - oueft, de trois à quatre cens
lieues loin, toujours par terre, 8c ne connoiffent
dans leurs environs ni mer ni rivières.
L’exiftence du lac des Affinipoels, aujourd’hui
Michinipi ou grande Eau, me paroît conftatée,.
comme on peut le voir a l’article A s s i n i p o e l s ,
dans ce S-uppl. .
Il y a , difent les fauvages, des pygmées 8c des
çfprits qui habitent les parties les plus occidentales
& feptentrionales de VAmérique. Ce font ceux qui.
habitent au nordoueft de la baie d’Hudfon, & les
alliés des Sioux , qui en parlent. Plufieurs auteurs
rapportent qu’on a vu des hommes de très-petite
ftature amenés prifonniers de Ces.contr.ées, leiquels
n’étoient étonnés ni des vaiffeaux, ni de plufieurs
meubles & uftenfiles des Européens, difant qu’ils;
en avoient vu chez une nation voifine de leur pays.
Il faut obferver que ces gens venoient d’üne contrée
à-peu-près la même que celle que les habitans de la
baie d’Hudfon difent être éloignée d’eux de plufieurs,
mois de chemin. Si ceux qui les ont amenés font,
comme il y a toute apparence, les fauvages nommés
Plats-côtés des chiens, qui, félon M. Jérémie, vien-,
nent quelquefois de quatre cens lieues loin ves le
nord-oueft , on peut les placer, entre, le foi-
xante-cinq & le foixante-dixieme dégré de latitude :
alors on ne fera pas furpris fi à la même latitude devers
Toueft, un peu oueft-fudroueft, il y a des
nations de petite taille , comme le.s Samojedes, les
Lappons, &c. Voilà les pygmées. Les écrivains de.
Tome f i
l’antiquité étoient imbus de cette idée, que vers lé
pôle il y en avoit des nations entières,
Si les prétendus Patagons de huit pieds font nommés
gèans, on peut bien nommer pygmées ces petits
hommes du nord, de quatre pieds-. Myritiüs les
nomme Pygmoeos bicubitales.
Pour les efprits, il ne faut pas prendre cette
expreffion à la lettre.. On voit, par la relation du
P. Hennepin 8c de plufieurs autres , que les fauvages
donnent ce nom, 8c avec beaucoup de jugement,
aux Européens, parce qü’en toutes chofés ils mani-
feftent plus d’efprit que les fauvages, qui n’ont
voulu indiquer par-là qu’une nation civilifée 8c ingé-
nieufe qui cultive les arts ; ce qui s’accorde merveil-
leufement avec la relation de ceux qui parlent des
hommes barbus, dans le même éloignement, Comme
d’une nation civiliféei
Plus loin vers Toueft, a cette latitude, on ne fait
rien de ces pays, pas même par les fauvages, finon
que cette étendue, eft immenfe ; qu’ils parlent les
uns de cent jours , de trois, quatre à cinq mois dé
chemin, d’autres de mille lieues, ce qui fait à-peu-
près la même diftance ; que ces pays font fort peuplés
de nombre de nations toujours en guerre entre
elles , ce qui à tendu inutiles tous les efforts de Mi
Jérémie pour s’en procurer une connoiffance plus
exa&e. On voit pourtant qu’il n’y a rien négligé ;
8c fitôt que ces fauvages, les feuls qui en peuvent
avoir une connoiffance quelconque, 8c qui n’ont aucun
intérêt d’en impofer aux Européens, nous four-»
niffentdes idées fort probables , qui ne contredifent
pas. d’autres relatiohs dont on manque- abfolument,
le bon-fens veut qu’on les adopté, jufqu’à ce qu’on
puiffe leur oppofet d’autres relations authentiques.
Si nous defcendons vers le fud, à la latitude du
lac fupérieur du Huron, du Michigan, de l’Ontario,
de l’Errié, vers la partie fupérieure du Miffiffipi, 8c
la demeure des Sioux de l’eft, ou Iffats, nous trou-
verons.une grande étendue de pays , jufqu’à ia longitude
d’environ 2 «todégrés que je fuppofe à-peu-près
celle du Michinipi j ou des montagnes qui empêchent
que ce lac ne foit connin Cette étendue eft
en général fi bien conftatée , qu’on peut la regarder
comme avérée. Les découvertes de M . Jérémie,
depuis la baie d’Hudfon , celles dés officiers François
, rapportées par M. de Buache, adoptées par
les Anglois , 8c qui peuvent être conciliées avec la
defeription, quoique groffiere, du fauvage Oua-
gaçh, concourent à les faire recevoir comme telles;
Vers Toueft ,,par contre, nous avons quelque
chofe de plus que des relations vagues. La principale
particularité eft Celle que le pere Hennepin
rapporte des alliés des Iffats, qui avoient fait plus
de 500 lieues en quatre lunes ; cela nous donne déjà
une belle étendue de pays, dont Texiftence devient
indubitable ; ajoutons ce que Ces mêmes fauvages
lui dirent, (avoir : que les nations qui habitent plus
à Toueft , ont un pays de prairies 8c de.,campagnes
immenfes ; coupées de fivieres qui viennent du
nord ; qu’ils n’ont paffé aüCun grand la c , &c. que
les Affinipoels demeurent à fix ou fept journées dé
chez eux , ou des Iffats, &c. Tout ceci ne s’accorde-
t-il pas avec les plufieurs mois, les mille lieues à fairé
du côté de Toueft ; environ d’autant qu’uhe rivieré
court à Toueft, &c. Après cela On né devroit plus
douter que Y Amérique ne s’étende bien plus loin que
les nouvelles cartes ne le marquent. Suppofons ces
SiouX au 280* degré dé longitude, ce que prouv
e le Técamioneft , depuis lequel on peut faire
iùoo lieues par eau ( y compris , fuivârit le raifon-
nement très-fondé de M. Buache , des portages ,
fur-tout aüxdîtes montagries vers le Michinipi, ou
de l’autre Côté, fuivànt toute apparence, ce fleuve
de Toueft doit commencer) ; combien de dégrés cela
v .. ::