Les puiflances avec lefquelles nous femmes le plus
Communément dans le cas d’avoir la guerre, ayant
unè nombreufe artillerie &c extrêmement légère , on
crut devoir faire comme elles,fouspeine d’être battus,
comme l’ont imprimé les partifans de Y artillerie nouvelle.
'« Quoique les petites pièces attachées aux ré-
gimens Hanovriens , Heffois , Anglois, Pruffiens,
euffent fait peu d’effet contre nous à la bataille d’Af-
tembek que flous avons gagnée, à celle de Crevelt,
qui fut indécife , à celle de Minden que nous n’aurions
peut-être pas perdue, li nos batteries du centre
n’avoient pas été éteintes contre toute raifon ,
à Rosback, qui ne fut qu’une déroute, à Bergen ,
journée fi glorieufe à M. le Maréchal de Broglie, à
l ’attion du 2.5 août 176 1 , qui couvrit de gloire le
Prince de Condé , & à plufieurs autres affaires heu-
reufes ou malheureufes (&) ». Comme les puiffan-
ces étrangères avoient des petites pièces à la fuite
. des régimens , on voulut en avoir comme elles. En
conféquence de ce nouveau fyftême, on fe détermina
à multiplier notre artillerie & à l’alléger con-
lidérablement : on fe flatta qu’en diminuant nos pièces
de campagne de longueur & d’épaiffeur, onper-
droit très-peu fur la longueur & fur la régularité de
leurs portées, & qu’ainfi allégées , elles pourroient,
traînées par des hommes , fuivre le mouvement des
troupes, & fe combiner facilement avec toutes les
difpofitions. On réduifit conféquemment à ce nouveau
plan, les pièces dé 1 2, de 8 & de 4 , à la longueur
d’ame de 17 fois le diamètre de leur boulet,
depuis le fond de l’ame jufqu’ à la bouche , ou 18
diamètres depuis la plate-bande de culaffe jufqu’à la
bouche , pour leur longueur extérieure , au lieu de
24 diamètres de fon boulet qu’avoit l’ame de la
piece de 1 1 , de 25 qu’avoit l’ame de la piece de 8,
& de 2.6 diamètres de fon boulet qu’avoit l’ame delà
piece de 4 ( V . C a n o n de bataille, Sup. ). Il fut quef-
tion de s’affurer par des épreuves, que les pièces de
campagne, dans ces nouvelles dimenfions, rempli-
roient les objets auxquels elles font deftinées, & réu-
niroient tous les avantages de celles auxquelles elles
fuccédoient. On apporta fans doute à ces épreuves
toutes les précautions & la bonne-foi qui accompagnent
toujours le defir fincere de s’éclairer fur des
objets très-importans : mais lorfque les réfultats
en furent publics, les opinions qu’ils auroient dû
réunir, fe partagèrent ; & la queftion refta tellement
indécife, que l’auteur de ŸEJfai général de Tactique,
imprima 8 ans après ( chap. de Ûartillerie. ) : « Puiffe
feulement le gouvernement exciter le génie fur cette
branche importante du militaire, comme fur toutes
les autres, & en même temps contenir les inquiétudes
des novateurs , ne pas rejetter fans examen
& ne pas adopter fans épreuve ! Puiffent les épreuves
qu’il ordonnera , n’être pas ce que j’ai ouï dire
qu’elles étoient trop fouvent, des affemblées , dont
le réfultat eft connu avant qu’elles ne fe tiennent,
foit parce que l’autorité des officiers qui y préfident
entraîne & couvre toutes les opinions, foit parce
que chacun y apporte fa prévention, plutôt que l’impartialité
qui veut voir avant que de juger » !
On fît de nouvelles épreuves, dont les réfultats ,
différens de ceux des premières, furent plus à l’avantage
des pièces anciennes : les deux parties s’en
prévalurent & chacun conferva fon opinion. Pour-
fuivons & continuons le détail de ce qui s’eft fait &
dit pour & contre l’un & l’autre fyftême, en prévenant
de nouveau, que nous ne fommes que rédacteurs
■: peut-être que ce choc d’opinions jettera quelques
lumières fur l’objet important que nous traitons
dans cet article.
Les partifans de l’ancienne artillerie, convien-
(0 Réponfe de l’auteur de l’Eflai fur l’ufage de 1'ariilltrif à
celui du livre intitulé : Artillerie nouvelle ,page 4.
nent qu’il feroit fans doute bien avantageux d’avoir
des pièces de canon afl'ez légères & affez mobiles
pour être traînées à bras d’hommes, fans le fecours
des chevaux, qui s’effraient & des charretiers qui,
fouvent effrayés eux-mêmes, font hors d’état de les
conduire, pour fuivre & accompagner les troupes
dans toutes leurs évolutions & leurs manoeuvres,
& pour être ainfi portées fucceflivement & avec rapidité
dans les-différentes pofitions oit leur effet de-
viendroit plus utile, depuis le commencement d’une
affaire jufqu’à la fin. L’avantage feroit complet fi
l’artillerie, allégée à cette intention , pouvoit con-
ferver toutes les qualités qui font propres aux pièces
bien proportionnées : mais comment ofer s’y attendre
, puifque l’expérience a montré combien les ef-
pérances qu’on avoit conçues à cet égard , étoient
peu fondées? •
On a effayé, ajoutent les partifans de l’ancien fyftême
, de faire marcher ou plutôt courir avec nos
bataillons, des pièces nouvelles de 12 & de 8.; mais
quoiqu’allégées autant qu’il eft poflible, & même
au-delà; quelque belles & unies quefuffent les plaines
où l’on a fait ces expériences , quelque beau
tems qu’on ait choifi pour les tenter , les canonniers
attelés à ces pièces , étoient hors d’haleine en arrivant
fur leur terrein & aur.oient été incapables d’exécuter
leurs pièces. Que feroit-il donc arrivé dans des
terreins inégaux, ou dans des terres labourées 8c
détrempées par les pluies ? On s’eft réduit à ne faire
traîner à bras d’hommes, fur les aîles des bataillons ,
que des petites pièces de 4 : mais quelque légères
qu’elles foient , pourront-elles fuivre dans toute
forte de terrein, les mouvemens de l’infanterie fans
les retarder & faire perdre, par ce retard, tout
l’avantage qui pourroit réfulter de leur célérité ?
Pourront-elles, s’il eft poflible de les tirer ainfi en
courant, produire quelqu’effet utile, avec des coups
néceffairement auflï incertains ? Et quel avantage
pourroit-on fe promettre de ces pièces , dans la
néceflité de' tirer toujours devant elles, fans pouvoir
prendre une pofition favorable 8c ajufter à
l’objet ? Quel inconvénient ne réfultera-t-il pas de
leur recul ? qu’arrivera-t-il fi quelqu’obftacle arrête
ou retarde leur marche , foit en avant, foit en retraite
? Le corps auquel elles appartiennent s’arrêtera
t-il pour les attendre ? Quelle influence ce '
retard d’un corps de troupes ne peut-il pas avoir
fur le fort d’une affaire engagée ? S’il ne s’arrête pas ,
elles gêneront la marche de ceux qui fuivent , *
n’arriveront pas à tems & ne ferviront à rien. Mais
en fuppofant qu’aucun des accidens que nous venons
de rapporter, n’aura lieu , les voitures de munitions
néceffaires à ces pièces, pourront-elles les fuivre
par-tout ? « Il n’y a , ( lifons-nous dans la lettre en
réponfe aux obfervations, page 56'.') qu’à fe rappeller
ce qui eft arrivé à M etz, dans les derniers fimulacres
de bataille. Ne fut-on pas obligé de prendre de grands
détours pour des pièces de régiment ? Un année auparavant
n’a-t-on pas eu le déplaifir de voir tomber
une de ces petites pièces dans un foffé d’où elle
ne fut retirée qu’avec peine ? Comparons ces manoeuvres
de paix avec celles qu’il faudroit faire pour fuivre
tous les mouvemens des régimens dans une bataille
réelle,& l’on fe défera de la fauffe idée que,partout
où les chevaux peuvent paffer, on y fera palier
une petite piece du nouveau fyftême : maisjquand ces
petites pièces de régiment pafferoient, fera-t-on fuivre
les voitures de munition, pour le moins auflï
pefantes qu’autrefois ? O r , que font les pièces légères
fans munitions ? elles embarraffent. Il y a plus
de fanfaronnade encore à promettre qu’où les chevaux
ne pourront avoir accès , les canonniers enlèveront
les pièces avec une facilité finguliere. Si le
terrein eft rempli de broffailles, fangeux, labouré
nouvellement & humide , les plus vigoureux canonniers
fuffiront à peine à traîner quelques pas les pièces
de régiment & feront même fouvent dans l’im-
poflibilité de le faire. Ceci n’eft pas dit au hafard ;
& fi la promeffe des novateurs eft au moins imprudente
à l’égard des petites pièces de 4 , comment
la nommera-t-on, relativement aux pièces de 12
& de 8 » ? '
» Il me refte à dire un mot (lifons-nous dans VEJfai
général de Tactique ) du fyftême que nous avons
adopté depuis la paix , de ne manoeuvrer nos pièces
une fois entrées en aâion ou prêtes à y,entrer, qu’à
bras d’hommes. Ce fyftême , qui eft une fuite de
l ’allégement de notre artillerie , a certainement de
grands avantages. — Il ne faut pas pourtant s’imaginer
que cette maniéré de manoeuvrer Xartillerie
puiffe s’employer par tout. i°. Toutes les épreuves
qui fe font faites à cet égard , dans nos écoles , fe
font paffées fur des furfaces planes, folides & fur
lefquelles le canon, mené à bras, rouloit fans effort.
O r , la guerre offrira fouvent des terreins difficiles,
efearpés , détrempés par les pluies, où la manoeuvre
deviendra trop lente & trop pénible pour des
canonniers, q u i, après avoir mis les pièces en batterie
, ont enfuite befoin de force & d’adreffe pour
les exécuter.
20. J’admets la manoeuvre à bras pour tous les
mouvemens de proche en proche. Il y en a une
infinité d’autres où il s’agira de fe mouvoir rapidement
, ou depareourir des diftances conlidérables,
comme pour porter de 1'artillerie en renfort, d’une
colonne ou d’un point à un autre , pour faifir à toutes
jambes un plateau avantageux, pour retirer Vartillerie
d’unp'oint où elle eft en prife , fi>c. Là il faut
néceffairement fe fervir de chevaux. N’embraffons
donc point de méthode exclufive fur cet objet ».
On voit parles paffages que nous venons de citer,
qu’il faut un peu rabattre des avantages qu’on s’étoit
promis de la légèreté des pièces du nouveau fyftême.
On ne doit pas raifonner ici de piece à piece en particulier
, mais relativement à la maffe totale de Vartillerie
d’une grande armée , à fes marches , à fon
ufage , à fon exécution raifonnable, à fon véritable
effet.
Premièrement nous avons vu , par l’exemple de
cinq ou fix campagnes, par le témoignage encore
fiibfiftant de plufieurs officiers d'artillerie très-ref-
peûables, & par l’autorité du maréchal de Saxe ,
que ces avantages, tant exagérés aujourd’hui, n’ont
pu foutenir le régné de la piece à la fuédoife , contre
îufage de la piece de 4 ordinaire. Voilà ce me femble,
un préjugé bien défavorable aux pièces courtes de
8 & de 12.
En fécond lieu les nouvelles pièces de 8 pefent
plus que nos pièces de 4 ordinaires, & celles de 12
courtes prefqu’autant que nos anciennes pièces
de 8. Cependant le projet eft de mettre au parc prefqu’autant
de pièces nouvelles de 8 , qu’il y avoit de
pièces de 4 ordinaires à l’équipage de 1748 , & plus
de pièces courtes de 12, qu’il n’y avoit de pièces
longues de 8.Les partifans du nouveau fyftême n’ont
donc réellement à s’applaudir que fur un très-petit
nombre de pièces de 12 anciennes. Si le parc eft
un peu allégé par rapport à quelques pièces de 12 ,
combien n’eft-il pasfurchargé par les munitions qui,
en général, font plus embarraffSntes à conduire, à
placer, à conferver que les pièces mêmes? Le
nombre des pièces nouvelles étant fuppofé triple
de celui des pièces anciennes dans les équipages de
campagne , le calibre reliant le même , il faudra un
approvifionnement triple en boulets , poudre, pièces
de rechange , &c. On accordera aux petites pièces
plus de célérité d’exécution , autant que l’échauffe-
jnent des pièces, la néceflité d’éviter les accidens
qui accompagnent cette rapidité , celle de diriger
(es coups, & enfin autant que la poflîbilité d’avoir
des munitions fuffifantes, peuvent le permettre :
mais fi l’on fe contient prudemment dans ces juftes
bornes, les pièces longues peuvent encore tirer
trop vîte. Suppofons que la piece courte tire trois
coups contre deux de la piece longue, & qu’il y
ait trois fois, plus de pièces courtes qu’on n’en
emploie de longues : le poids des munitions des
pièces courtes, fera à celui des munitions des pièces
longues , comme 9 eft à 2. De-là l’augmentation
indilpeniable de chevaux & de voitures, & par
conicqtient un fnreroît d’embarras.
Pour détruire enfin le reproche de trop de pefan-
teur qui ne peut raifonnablement tomber que fur les
pièces de 12 , & relever, en paffant, l’épithete de
paralitique, qui a été donnée à notre ancienne ar-
tiller'u par les partifans de la nouvelle , nous en
appellerons au témoignage de tous les militaires
kqui ont fait la guerre , & qui ont été à portée d’en
voir les effets. Ils n’auront pas oublié , pour ne citer
qu’un fait, qu’à là bataille de Raucoux, non-feulement
les pièces de 12 , niais même celles de 16,
précédèrent les troupes à l’attaque & à la pour-
fuite des ennemis. ( / )
Ayant donc été reconnu que les nouvelles pièces
de 12 & de 8 , & même celles de 4 , dans bien
des occafions , étoient encore trop pefantes pour
accompagner les troupes dans leurs marches rapides,
étant traînées à bras d’hommes; une longue
expérience ayant d’ailleurs prouvé que nos pièces
de campagne, dans les dimenfions fixées par l’ordonnance
de 1732 , avoient toujours été portées à
tems, dans les emplacemens qu’elles dévoient occuper
, & que par conféquenr, elles ne méritoient
pas le reproche qu’on leur a fait , relativement à
leur poids ; examinons maintenant lefquelles des anciennes
pièces & des nouvelles , méritent la préférence
, relativement à leur portée & à la jufteffe
de leur direction. Prenons le journal des épreuves
faites à Douai avec une piece de 4 longue , 8c
une piece de 4 du nouveau fyftême ; il auroit été
à fouhaiter que ces épreuves comparatives euffent
été faites en même tems avec les pièces de 12 8c
de 8.
« Le but des épreuves exécutées à D ouai, (lifons-
nous dans ce procès-verbal, pages 23 & fuivantes ]
pour la comparaifon des pièces de 4 longues, &
des pièces de 4 courtes du nouveau modèle, étant
d’apprécier le mérite des deux efpeces de pièces
pour la guerre ; on infiftera particuliérement fur
les portées horizontales , ou celles qui en approchent
lé plus , parce que les coups tirés fous des
angles trop élevés; n’agiffent que par leur chiite &
par plongée , à la maniéré des bombes dont ils n’ont
pas les éclats ; par conféquent lès coups tirés de
cette maniéré ne peuvent frapper une ligne de trois
hommes de profondeur , que par le plus grand hafard;
de plus , dans,la confidération des portées,
on fera entrer les ricochets ; i° . parce que les boulets
ne partant point fous l’angle donné à la piece,
à eaufe des battemens, les portées de volée font
une indication peu exaâe de la force communiquée
aux boulets, 8c que les ricochets font un complément
à cette indication, puifqti’ils fe font en vertu
de la force qui n’a - pas été employée avant la première
chûte ; z°. parce que fous l’horizontale &
aux environs, qui doivent être les dire&ions d’u-
fage à la guerre, les ricochets s’élevant peu, feront
autant de mal à l’ennemi que les coups de volée,
& lui cauferont plus de frayeur 8c de défo'rdre. Or
(m) Supplément à l’Eflai fur l’ufage dè 1*artillerie, page 29 &
30 ; & le procès-verbal des épreuves faites à D ou ai, page 30,.