On difputa, on Te battit, on s’égorgea ; Sc l’ efprit
de fureur rendoit comme impoflible le goût d’une
vie douce Sc tranquille. Cependant l’attention du
gouvernement à protéger VAgriculture dans ces tems
malheureux , éclate dans les ordonnances de nos
rois, auffi favorables à ce premier de.tous les arts,
que les loix des Romains 8c des autres peuples.
François premier, ordonnance de 1580 ; Charles,
IX , ordonnance du 8 oftobre 1571 Henri I I , ordonnance
du 16 mars 1585 ; Henri I V ., édit du 12
Janvier 1599, ont fucceHivernent encouragé leshabi-
tans de la campagne par des réglemens avantageux.
Tous ont fait défenfe de faiftr les meubles, les
beftiaux Sc les inftrumens du laboureur: loix qui ont
été, confirmées par leurs fuccefleurs. Au milieu des
horreurs des guerres c i v i le s le fameux chancelier
de l’Hôpital , génie né pour le bonheur des François ,
S’ils euffent été plus vertueux, vouloit garantir pour
jamais la nation des difettes 8c de la famine, en obligeant
toutes les villes 8c les communautés à avoir'
des approvifionnemens 8c des greniers d’abondance.
Voye%_ ce dernier mot.
Un Dijonnois fut l’un des principaux auteurs du
Tetabliffement de Y Agriculture , fous le minifier e du
grand Sully, par les exceliêns préceptes fur S Agriculture
, qu’il donna dans fa Maifon Rujlique. Jean
Liébault, né à Dijon, médecin de la faculté de Paris,
ë tuai oit dans cette capitale, lorfque Charles Etienne
lui trouva aflez de mérite., pour lui donner en mariage
Nicole Etienne fa fille, diflinguée par fa fcience.
Liébault travailla avec fon beau-pere à faire con-
noîtroles ouvrages des Autores rd rujlicez, 8c il donna
de concert avec lu i, le livre fuivant : Y Agriculture &
Maifon rujlique de MM. Charles Etienne Sc Jean
Liébault,Doéleur en Médecine, 1572, i/z-40. Liébault
augmenta considérablement dans la fuite la Maifon
Rujlique, qui a été traduite en Allemand, en Anglois
ÔC en Flamand.
Dans le même tems , un payfan de Saintonge ,
' nommé Bernard Palifly , qui favoit à peine lire ,
comme il nous l’apprend lui-même, donna deux ouvrages
d’Agriculture, fi naturellement éloquens , fi
forts de raifons 8c d’expérience , qu’ils auroient dû
fervir de modèles à ceux q ui, de nos jours, ont
parlé de labourage : le premier eft intitulé, Recette
véritable , par laquelle tous les hommes de France peuvent
apprendre d multiplier & augmenter leurs tréfors ;
la R ochelle, Berton, 1563, //z-40. Le fécond efl un
Difcoùrs fur la nature des eaux, 8c un Traité de la
marne ; Paris, Martin, 1586, z7z-8°.'Ce payfan, qui
étoit vraiment un grand homme, vint à Paris fur la
fin de fes jours. Lacroix Dumaine dit qu’il y donnoit
des leçons de fa fcience 8c profeffion ; il l’appelle
Philofophe naturel, 8c homme d'un efprit merveilleufe-
ment prompt 6r aigu.
Le royaume ne tarda pas à fe reflentir, fous le
miniftere du grand Su lly, des encouragemens qu’un
bon roi 8c un miniflre éclairé donnèrent à Y Agriculture,
après la fameufe paix de Vervins. Efl-il quelqu’un
qui n’ait verfé des larmes fur la mémoire de
Ce bon r o i, qui vouloit, difoit-il, voir un jour fes
payfans en état de mettre une poule au pot les jours
de fête. Mot célébré 8c annobli par l’humanité 8c
la tendreffe, dont il /to it l’expreffion fimple 8c peu
recherchée. Le récit des dix dernières années d’Henri
I V , & de tous les établiflemens faits fous fon régné ,
en faveur de Y Agriculture, feroient peut-être le morceau
le plus touchant de notre hifloire, s’il étoit fait
de main de maître. On peut juger des progrès de
Y Agriculture dans ce court intervalle, par lafituation
de la France à fa mort , 8c par l’état brillant des
finances 8c de la population. Le Théâtre d’ Agriculture
, qu’Olivier de Serres , fire de Pradines, dédia
au Roi en 1606, efl encore une.preuve des.progrès
de Y Agriculture en ce fiecle... Ce livre efl encore le
meilleur , 8c le.plus complet de ceux qu’on a faits
fur le même fuje t, depuis qu’il a paru ; il dit au Roi
dans fon épître , « Sire -, parler d'Agriculture à votre
» majeflé , c’efl l’entretenir de fes propres affaires,
» parce que votre royaume, étant terre, fujette à cul-
» titre, mérite d’être cultivé avec art 8c induflrieI
» pour lui faire reprendre fon ancien lufire 8c fplen-
» deur, que les guerres civiles lui ont ravis . . . Il efl
» dit dans l’ecriture que le Roi conjîjle, quand le champ
» efl labouré; d’oîi s’enfuit que,, procurant la culture
» ae la terre , je ferai le fervice' de mon prince ; ce
» que rien tant je ne defire-,afin qu’en abondance de
» profpérités, votre majeflé demeure long-tems en
» ce monde , 8c que, par ce moyen , fon peuple
» demeure en fûreté publique fous fon figuier, culti-
» vant fa terre, comme à vos pieds, à l’abri de votre
» majeflé qui a à fes côtés la juftice 8c la paix ».
J’ai cru devoir citer quelques paflages de cette épître,
comme des traits de la véritable éloquence du coeur,
indépendante de toits ces ornemens de f ly le , qui lui
font fouvent étrangers. J’ai.aufli voulu, en citant ces
anciens ouvrages, où l’pn retrouve la plupart des
obfervations que l’on a voulu donner de . nos jours
comme nouvelles', détromper ceux qui pourraient
croire que nos ancêtres étoient aufli ignôrans fur
l’art de Y Agriculture , qu’on le leur reproché dans
les ouvrages modernes. Il faut cependant convenir
que les progrès de cet art étoient bien médiocres ,
en comparaifon du point de perfection oit on les a
portés fous le régné de Louis le bien-aimé:, comme
on le verra plus bas.
Les guerres civiles, qui recommencèrent foiis
Louis XIII , 8c au commencement du régné de Louis
X IV , mirent de nouveaux obftacles aux progrès que
Y Agriculture avoit faits fous Sully. Le cardinal de
Richelieu, cet homme fi dur, éfoit-il.fait pour favo-
rifer Y Agriculture, lui qui penfoit que la difpojîtion
a Cobèiffance naiffoit de Vaccablement du peuple ; principe
affreux-, qui,.pour l’honneur 8c l’amour,:de l ’humanité
, ne devoit pas être mis en avant , quand
même il feroit vrai ( dit l’illuftre Montefquieu ) , 8c
qui doit encore moins y être mis, lorfqu’il efl faux.
Enfin le beau fiecle de Louis XIV. épura nos moeurs
8c notre goût, tput y atteignit la perfection, 8c fut
l’époque de notre gloire. Le roi ht plufieurs réglemens
en faveur des laboureurs ; il renoiiyella la loi
de fes prédéceffeurs, qu’on ne • pourrait faifir les
beftiaux & les inftrumens du labourage (ordonnance
de 1667). Il accorda des .privilèges & des exem-
ptions-pour les défrichemens 8c les deflechemens des
marais du royaume. A l’exemple de Pertinax , qui
avoit ordonné qiie lé champ laifle en friche appar-
tiendroit à celui qui le cultiveroit ; que ce cultivateur
feroit exempt dlimpofitions pendant dix ans ; 8c que
s’il étoit efclave, il deviendrait libre , Louis XIV.
animé du même amour pour Y Agriculture, permit
de mettre en valeur les terres abandonnées, fans être
tenu de rembourfer le propriétaire ; il infligea de
grandes peines à ceux-qui feroient du dégât dans les
terres, ou qui voleraient les grains 8c les fruits,
8cc. Voye^ l’édit de juillet 16 56 , 8c la belle ordonnance
du 11 juin 1709, qui fut donnée dans un tems
de difette Sc de malheurs, dont on verra l’affreux
tableau au mot Disette, dans ce Suppl.
C.es réglemens ne produifirentpas alors tout le bien
qu’on en pouvoit attendre; il régnoit encore en France
de trop grands préjugés contre Y Agriculture. D u tems
d’une cour polie , le goût fauflement délicat d’un
• courtifan plongé dans la mollefTe, méprifoit tout ce
quin’avoit point l’empreinte de ce luxe fin qui faifoit
le caraûere du fiecle ; rien n’étoit plus ridicule qu’un
campagnard ; rien n’effrayoit plus la nobleffe, que la
; trifte néceflité de fe retirer à la campagne, pour y
planter des choux. On ignoroit encore alors que le
travail dé la terre eft l’occupation la plus noble, puif-
que c’eft la plus ùtilé.
. il en eft de même dans les fciences oii l’on a cherché
le brillant, l’agréable 8c l ’e x t ra o rd in a ir e avant
que de fonger à l’utile. Ce ri’eft que depuis environ
iin fiecle:, difent les Auteurs du Journal Encyclopédique
, que la Phyfique , là Chymie, l ’H i fto ir e Naturelle
, la Botanique, &c. fe font rapidement développées,
& que quelques-unes' d’entre elles ont ete
portées à leur plus haut degré de perfeaion , grâces
âux expériences multipliées Sc rendues publiques,
ainfi qü ’ à .la jufteffe & à la multiplicité des obfervations.
Il reftoit encore une fcience Sc la plus utile
dé toutes à affranchir dés entraves que l’ignorance
lui avoit impofëes', une fcience abandonnée à dès
méthodes fans principe , à une vicieufe pratique
étayée d’une' vieille routine , à des hommes privés
prefquè dé to u te intelligence', remplis de préjugés.,
rejettés dans la derniefe c la fle des citoyens Sc découragés
parleur état d’abjeftion autant qu’ils étoient
rebutés, par l’indigence SC la mifere dans laquelle on
ïës laiflbit languir. \JAgriculture , en un mot, étoit
entièrement négligée'; Sc fi elk produifoit encore
fa fiibfiftancé des propriétaires ingrats , ce n’étoit
plus que par la fertilité du fo l, que la plus mauvaifé
dés cultures n’avoit pu to ta lé n ie n t éteindre : mais
c e s temps d’ignorance Sc de préjugés font pâlies.
Oh a fenti enfin combien il importoit de porter la
lumière dans le fe in des tënebrès que tant de fiecles
avoient fi fort épaiflies ; aufli n’eft-ce que depuis
e n v i r o n q u in z e années, du moins en France, q u e
l’Agriculture t r o p long-tems'négligée , eft fortie de
là langueur SC de l’éfpece d’ o p p r e f f io n dans lefquelles
elle étoit retenue : Sc depuis cette heureufe époque
, elle a fait tant de progrès, qu’on diroit qu’elle
touche pféfqtië à Ton plus haut degré de perfeélion:
ce n’eft plus aux foins mercéhai'ré's de q u e lq u e s
laboureurs fans intelligence qu’elle eft confiée ; ce
font les Botaniftes., les Phyficiens , les Chymiftes ,
l'es O b f e r v a té u r s Sc les Naturaliftes ; ce font les
loçîétés établies uniquement pour cet objet ; c e font
enfin, les foc'iétés littéraires Sc les académies qui
s’empreflent de-concourir à éclairer les pratiques
de l’art de cultiver la terre :art heureux , dont l’é-
fude agréable , utile Sc curieufë fait la plus grande
occupation, Sc les délices même de la plupart des
citoyens inftruits.
• Ce n’eft donc què fous le régné de Louis le Bien-
Aimé, Sc depuis environ une quinzaine d’années, que
le public éclairé par les excellons ouvragés fur YA-
griculture, parut revenir de fes injuftes préventions
contre Y Agriculture ; les philofophes s’occupent de
YAgriciiliure, Sc les grands favorifent leurs recherches:
aidées d’ailleurs par les nouvelles découvertes
faites dahs.ce fiecle en Phyfique, en Botanique Sc
en Hiftoire naturelle. S’il étoit permis de fe citer
foi-même , je pourrois renvoyer le. leéleur à un
petit ouvrage latin, imprimé à Dijon en 1768, fur
lés principes phyjiques de VAgriculture & de la végétation.
On y verroit l’utilité de la Phyfique Sc de
la Botanique appliquées à Y Agriculture ; on le fè'nti-
roit encore mieux dansle grand ouvrage latin dont
celui-là n’ eft que le précis , Sc dans lequel tous les
nouveaux fyftêmes d'Agriculture font appréciés, ainfi
que les découvertes des modernes. Mais je n’ofe-
rois rifquer la publicité d’un ouvrage écrit dans une
langue prefque inconnue de nos jours : on en verra'
quelques paflages traduits au mot Bleds , Sc dans
tous ceux qui traiteront de Y Agriculture , fi mon état
nie donne le loifir de remplir mes engagemens à
cet égard , Sc fi je n’étois pas arrêté par l’efpece de
ridicule qu’on commence à répandre à pleines mains
fur les Agriculteurs de cabinet. On a même écrit des
Tome I.
pnfervatifs contre Üagromanie , pour empêcher fans
doute la multiplicité d’ouvrages en ce genre dont
on eft accablé ; mais c’eft ici que l’on peut aflurer
que l’abondancè n’eft jamais nuifibJe , Sc qu’il y a
toiijôuts à profiter dans le plus médiocre ouvrage
d '.Agriculture , à plus forte raifon dans ceux où l’on
prènd la phyfique Sc l’obfervàtion pour guide , Sc
dans la compofition defquels on ne cite que des auteurs'
accrédités.
Malgré les écrits' fans nombre qui ont paru
dans Ces'derniers tems fur Y Agriculture Sc l’économie
champêtre, on peut dire qu’il nous manque encore
un corps complet <£Agriculture. Les autres nations
jouiffent de cet avantage. Le corps complet d’Agriculture
d’Efpagne a été fait par Jean Ferrera, par
ordre du.cardinal Ximepès : cet habile écrivain1 y a
joint un recüeil confidérable d’objets importans,
concernant Y Agriculture, qu’il a puifés. dans tous les
ouvrages anciens.Sc modernes. Ses obfervations particulières
& les expériences qu’il avoit répétées depuis
long-tems , y ont également eu1 place. L’Etat
de Venife a adopté les ouvrages de Camillo Tarello
fur Y Agriculture, St a magnifiquement recompenfé cet
auteur Sc fa poftérité. Les mémoires de Stockholm
feront un monument éternel de l’efprit patriotique
de tout ce qu’il y a de grand Sc d’illuftre parmi cette
nation magnanime. L’ouvrage immortel de Vallerius,
Agriçulturce fundamenta chemica, eft un chef-d’oeuvre
en ce genre, il eût été à fouhaiter que l’âuteur lui
eût donné plus d’étendue. Les Mémoires de la fociété
économique de Berne , renferment tout ce qu’il y a
de plus important & dé plus curieux fur les,détails
imménfes de l’économie ruralé ; Sc jamais on n’a
fait un plus, beau préfent à la république des lettres'
que' la publication de ces mémoires en françois. Le
Cotps complet d?Agriculture de Ü Angleterre a été.publié'
en 1750, par une fociété de personnes célébrés en:
France'; Pou vrage intitulé : le Gentilhomme cultivateur,
contient la traduction d’une partie de ce corps à’Agriculture'.
Mais malheureufement le traducteur, au lieu
de publier cet ouvrage excellent dans fon genre
tout Amplement, a cru devoir y faire entrer différentes
obfervations Sc mémoires qui ont embrouillé
fi fortement ce même ouvrage anglois , qu’il n’eft
plus poflïble d’y puifer ce qu’on avoit établi d’utile
Sc d’admirable dans l’original. Une fociété de gens
de lettres a voulu nous donner, fous le titre dé Agronomie,
un corps complet d’Agriculture Sc d’induftrie.
Le plan de cet ouvrage , excellent d’ailleurs, étoit
trop vafte pour être fidellemertt rempli dans toutes
fes parties. On a voulu y donner les principes Agriculture,
du commerce Sc des arts : entreprise immenfe
qui exigeoit un nombre infini de volumes ; ceux qu’on
nous a donnés , font remplis de la phyfique la plus
abftrufe ; ces principes commencent par le débrouillement
du cahos. Nous avons encore èn France le
Journal économique , livré qui eût été utile fi l’auteur
eût rempli fon titre , Sc s’il n’eût pas fait d’excurfions
fur toutes fortes de matières étrangères,pour remplir
un livre quidoit paraître régulièrementfous les mois.
J’ai donc eu raifon d’avancer qu’il nous manque encore
un corps d'Agriculture, réduit Sc approprié au
climat de la France. J’ai ofé rifquer cette entreprife
fous le titre àéelementa Agriculture phyjico-botanica,
& c. en latin Sc en françois. J’y ai joint un calendrier
d’Agriculture, tant pour les laboureurs que pour les
vignerons, dans lequel j’ai raflemble tous les précep-<
tes de pratique des anciens Sc des modernes les plus
accrédités. On en verra plufieurs morceaux ifolés '
fous cet article , Sc dans cêux de ct ' Supplément,
qui auront rapport à l’économie champêtre.
Pour revenir à ce qui concerne l ’hiftoire de Y Agriculture
en France , depuis le . dernier régné jufqu’à
préfent, l’exemple des Anglois, les travaux multipliés ■
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