Les calculs ont deux avantages fur la méthode
des anciens. Ils foulagent infiniment l’attention par
les fymboles qu’ils emploient ; & ils ne demandent
que la connoiffance d’un petit nombre de
théorèmes pour réfoudre les problèmes les plus
difficiles. Ils font pour les fciences ce que lès métaux
font pour le commerce ; ils représentent fans
embarras & procurent fans peine les vraies richeffes.
Il me femble cependant qu’on tireroit encore plus
de parti des calculs, fi l’on faifoit plus d’ufage de
quelques théorèmes que les anciens nous ont laiffes.
Tels font fur-tout, à mon avis, ceux qui font contenus
dans le livre des Data d’Euclide. Il ne renferme
que quatre-vingts & quinze theoreme's ; Pappus,dans
fa préface , n’en compte que quatre-vingt-dix).
De ces théorèmes, au moins quarante font connus
au moindre géomètre. Il fuffiroit de charger fa mémoire
de quarante ou quarante-cinq proportions de
plus. Pour en voir l’utilité, corifidérons rapidement
la nature de ces Data. Je tâcherai de me mettre à '
la portée de ceux même qui ne font pas géomètres.
Quand on . commande par exemple , une table à
un menuifier, ce n’eft pas affez de dire qu’on veut
une table; il faut fixer la matière, la figure, les
dimenfions. Quand on propôfe un problème à un
géomètre, il faut déterminer certaines chofes. Il
ne fuffit pas de dire qu’on veut un triangle ; il faut
déterminer ou la longueur de chaque côté de ce
triangle ou celle de deux côtés & la grandeur de
l’angle que ces deux côtés forment, ou la longueur
d’un côté, ôc la grandeur des deux angles qui iont
fur ce côté , &c.
Dans cet exemple, les côtés & les angles, en
général toutes les chofes qui font déterminées par
celui qui propofe le problème , s’appellent des données
ou des data , d’un mot latin que les géomètres
François ont adopté. Je les appellerai des données par
convention. Car chaque choie qui eft donnée de
cette maniéré eft néceffairement accompagnée d autres
données , qu’on ne découvre qu’avec quelque
attention; par exemple les trois côtés d’un triangle
étant donnés de longueur, lés angles ; la furface du
triangle, la perpendiculaire tirée du fommet d’un
angle fur le côté oppofé &c. font auffi donnés.
C ’eft ainfi qu’ayant preferit au menuifier la forte
de bois & les dimenfions de ma table , je lui ai auffi
preferit le poids. J’appelle données en conséquence
les données de la fécondé forte, pour les diftinguer
de celles de la première.
Euclide réduifit fous certains chefs tout ce qui
peut être donné par convention en Géométrie , & fit
voir les données en confiéquence qui néceffairement
accompagnent chaque donnée par convention. C’eft
ce que contient fon livre des Data. Les propofitions
qu’on y trouve, fervent d’abord à faire voir quelles
conditions d’un problème font fuperflues, parce
qu’elles font néceffairement renfermées dans les autres.
En fécond lieu , les mêmes propofitions font
utiles à réfoudre plufieurs problèmes géométriques
fans peine & fans calcul, & à Amplifier le calcul né-
ceffaire à la folütion de nombre d’autres.
Cet article n’eft fait que pour les commençans ;
c’eft pourquoi je donnerai un exemple fimple &
facile de la fecoride utilité des data d’Euclide, en
réfolvant par une feule propofition de ce livre les
problèmes 4. 5. 6. 7. 8.r9‘. 10. de Y Arithmétique universelle
de Newton. Quand je la commentai, je ne
vis pas ce.tte folütion. Je n’avois pas affez préfens
à l’efprit les data que je n’avois lus que fort tard.
Mon exemple doit engager les jeunes gens qui fe
deftînent aux mathématiques à étudier ce livre de
bonne heure , & à fe le rendre familier.
La propofition dont je fais, ufage, eft \t 67 de
ce traité. L’auteur la démontre en quatre maniérés
différentes. Voici la troifieme avec un léger changement,
néceffaire pour faciliter la conftru&ion des
problèmes. La propofition d’EucliçJe eft.
S i un triangle a un angle donné, /’excès du quarté
de la fomme des deux côtés qui Sorment Cangle donné,
Sur le quarré de la bafie, efl au triangle en raifion
donnée.
Dans le triangle A B C (Plane, de Géom. Suppl,
fig. z . 3 . 4, ) foit donné l’angle A B C ; prolongez le
côté A B, que pour épargner la multiplicité des cas
& des figures, je fuppofe le plus grand des deux
côtés qui forment l’angle donné; & prenez B D égale
à B C; donc la droite A D eft égale aux deux C B ,
B A énfemble. Du point C tirez fur la droite A D
la perpendiculaire C E.
Avant d’entamer la démonftration, je remarquerai
:
i°. Que.pour cette propofition j’ai fait trois figures
: la première pour l’angle B aigu ; la fécondé
pour l’angle B obtus ; la troifieme pour le même angle
droit , afin de démontrer tous les cas de cette propofition
importante.
20. Qu e, comme cette propofition fe démontre
par la comparaifon des rectangles & des quarrés,
je me fers des lignes algébriques. Dans ces cas
le raifonnement des anciens ne différé du calcul
des modernes, qu’en ce que le fécond s’exprime
d’une maniéré beaucoup plus courte que le premier.
Les~principales, opérations de l’algebre font démontrées
dans le fécond livre d'Euclide ; & tout ce
qu’on prouve par ce fécond livre , eft prouvé algébriquement,
auffi bien quand on fe fert des mots que
l quand on fe fert de lignes.
Démonftration'»
On fait que
A D - A~b '+ i A B x B D + ÎTïfiïk A B +
2 A B x B C + B C parce que l’on a fait B D
égale à B C. On fait auffi que A B - \ -B C — C A i
2 A B X B 6 y
ou il faut prendre le figne 4- pour la fig. 1. dans
laquelle l’angle A B C eft. aigu ; & le ligne 7^'pour
la fig. z , dans laquelle l’angle A B C eft. obtus ;
donc
 ~ D = C  X+ i A B ( D B Z B E ) i
ou bien,
ï f iA — A C - z A B x E D ;
mais
2 A B x E D : z A B x E C z = .D E : E C
& 2 A B x E C eft égal à quatre fois la furface d«j
triangle A B C : donc l’excès du quarré de la fomme
des deux côtés d’un triangle fur le quarré du troifieme
côté ( D A — A C = Ç A B B C)1— A C 2 )
eft à la furface du triangle A B C , comme D E à
la quatrième partie de E CV
Cette raifon eft donnée lorfque l’angle A B C
eft donné ; parce que , dans ce cas , l’angle A D C,
qui en eft la moitié , eft auffi donné ; c’eft pourquoi
le ttiangle re&angle C E D eft donné d’efpece ,
la raifon de D E à E C eft donnée. C. Q. F. D.
J’ajoute qu’au ffi C excès du quarré de la bafie fiur
le quarré de la différence des côtés qui forment Vangle
donné , eft au triangle en raifon donnée.
Prenez la partie B F égale au côté B C , &
joignez la C F ; donc A F eft la différence de_s
côtés A B i B Ç,
d’alford . b
J F + z A B x B F = Â B + T f - A B + B C =
C~AZ(z A B X B E ;
donc
- C ~ A - A F — z A B (F B + B E ) = z zA B x E F ;
mais
2 A B x E F : 2 A B x E'C = F E : E C ,
& l’angle B F C , moitié de l’angle donné C B D >
eft donné , aonc le triangle F E C , rectangle en E ,
eft donné d’efpece ; & la raifon de F E .à £ Ç eft
donné , auffi - bien que celle de F E au quart de
E C ; & la derniere eft la même que celle de l’excès
du quarré de la bafe du triangle fur le quarré de la
différence des deux côtés qui forment l’angle donné,
de C A r t {A B — B C)2 à là furface du triangle ;
donc cette raifon eft donnée.
Cette démonftration s’applique fans peine à lafig. 3.
En termes trigônômétriques, la premiere raifon
eft celle de la cotangente de la moitié de l’angle
donné au quart du ra y on , & la fécondé eft celle
de là tangente de la moitié de l’angle donné au
-quart du rayon. Parce que fi C E repréfente le rayon,
E D rèpréfente la cotangente de l’angle C D E ,
moitié de l’angle donné C B A ; mais F E repréfente
la cotangente de l’angle E F C y moitié de
C B D , fupplément de l’angle donné.
Obfervez que l’angle D c F1 eft d roit, puifque les
angles C D F ; D F C enfemble font un droit, étant
la moitié des angles A B C ; C B D qui enfemble
valent deux droits. Ou bien parce que le demi-
cercLe décrit du centre B &c de l'intervalle? B D ,
paffe par les points C, & F , puifque les droites
B D ; B C ; B F font égales , donc D E : E C —
C E : E F .
Nous avons vu que. le premier excès eft au quadruple
de la furface du triangle, comme D E à E C ;
que le fécond excès eft au quadruple de la même
furface , com me F E à E C ; &c que D E eft h E C
comme C E à E F. Il en réfulte que le quadruple
de la furface d’un triangle eft moyen proportionel
entre l’excès du quarré de la fomme de deux côtés
furie quarré du troifieme côté , & l'excès du quarré
du troifieme côté fur Le quarré de la différence des
deux autres côtés. Nous, montrerons dans la fuite
que ce- corollaire renferme,une propofition trigo-
nométrique importante , que les modernes démontrent
d’une maniéré fort embarraflèe.
De cette propofition réfulte auffi que, fi la raifon
de l’excès du quarré- de la fomme de deux .côtés
d’un triangle fur le quarré du troifieme côté au
triangle, ou. celle de l’excès du quarré du troifieme
côté fur le, quarré de la différence de deux côtés
au même triangle eft donnée , l’angle E D C , ou
E F C1, & par conféquent l’angle A B C eft donné.
C ’eft par cette propofition qu’on réfout fans: peine
les problèmes de Newton rendus généraux. Ils fe réduisent
à décrire un triangle , étant donnés.
i° . Un.angle, le périmètre, & la perpendiculaire
tirée de l’angle donné fur le côté oppofé. C ’eft le
probl. IV de Y Arithmétique univerfielle.
20. Un angle, le côté oppofé à l’angle donné
& la fomme des deux côtés qui forment l’angle-
donné & de la perpendiculaire tirée-de l’angle donné
fur le côté oppofé & donné. C ’eft le problème
V.
- 3°- angle, la fomme des côtés qui le forment
, & la perpendiculaire tirée de l’angle donné;
fur le côté Oppofé. C’eft le probl. VI.
40. Un angle , la fomme des 'côtés qui le forment,
la fomme de la bafe & de la perpendiculaire
Tome I.
tirée de l’angle donné fur le côté oppofé. C ’eft le
probl. VII. - 11
5°. angle , la furface, & le périmètre. C ’eft le
probl. VIH.
, 6° - La bafe la perpendiculaire élevée fur la bafè,
& la lomme des deux côtés. C’eft le probl. IX.
H Un angle,-la.femme des câtés qui le forment
& te cote oppofé. C’eft le probl. X.
1°. Soit donc:A B - f B C + C A = 5 C E = [,'
A 'B = .r ; donc B C + C A = a — .r , (jufqu’ia
comme Newton:).-, ( B C + C .-!)' = a- — x a — t x ' ;
(B C + C A ) 1 — B A = a-~ 1 a x ; S cA B x B C— b x.
Maïs , par la propofition précédente , la raifon
4e - « te à 1 b x eft donnée. Soit donc
2 * X' : .1^ 5 — c,.- é , donc,«1 — 2 n.v r= j. ex ;
a?— r + ---- 2-— -, — x. '
2°, Soi t ,A C + Ç B + C E - e.;'AB=zbsCE=:xs
par conféquent A C - \ -C B = a - * , comme dans
Nnyton. Mats ( A C + C B)'- L - x a x + x
( A C -p C B y ~ A B = a1 — 2 a x t x 1 — b1 ;
A B X C E = b X ; & par la propofition précédente,
. 1
à1 2 a x 4- x x b1 : z b x = e : b ;
donc
a *~fr: x 7,v- z b '— 2 ex ; & à1 — 2 a x 4-
2 5 x — x 2.
n e..w t. o n r. f ? r angle donné. Car dans ce
cas là tangente de ta moitié de l’angle droit e f t = b
dans ces. deux problèmes.
, 3°. Soit A C 4- C B = 'a ; C E b ; A B — x ,
comme Newton dansAz fécondé folütion. Ici ÇA C 4-
ù B y = ** ; ( a c + c b ) 2 - b g? — m
A E x C E = b x ; .& a- - x 2 : z b x —. c b ; par
l conféquent a\ - x 2 = z e x , comme Newton.
-. 4-°. Soit A C 4- C B = . a ; A B 4- C E = b •
A B —y. Donc (A C 4. C B )2 — A. B ~ a- - y\ •
C E ■ = b — y ; C Ê x A B — b y — y 1. Mais
arP-yz -: 2 b y - z y 2 m e : b ■ : donc ar - yVs=é
Cette équation , quand l’angle eft droit, & par
conféquent e — br devient à2 ~ z b y —y 1, équation
que Newton auroit trouvé, fi, au lieu d’exterminer
y , il ayôit exterminé x.
\ 50. Soit A l’angle donné, & A C + CB 4- B A — a;
A B x C E = 2 b2; B C—y ; donc B A-\- A C— a —y ;
(B A 4-A C ) 2z= a2 — z a y 4- y 2; (BA -\ - A C)2 —
B C2 = a2 — 2 a y ; &
a2 — z a y : 4 b 7 = e : b; donc a2 — z a y — 4 b e9
• ,6°. Soit C E a; A B = 2 b ; B Cft-C A — z e ;
B C — C A = z 1 ; donc (B C 4- CÙf)2. — A B —
4 c1 — 4 b2. La furface du.triangle = — - — = a b;
A B — (JB C — C A ) 2 — 4 bz — 4 g . Mais par le
théorème,
4 e2 — 4 b1 : 4 a b — 4 a b : 4 £*• — 4 J ;
donc
•> —^ - = b1 — 71 ; & r = b2 — —-, comme
e2---b2 f —? b2 7
Newton.
. 7®. Enfin foit C l’angle donné A C + C B = z b ;
A B = a ; C £ = y (A C 4- C B)2- ~ A B - 4 b2 - a2
A B X C E = a y ; mais 4 b2 — a2 : 2 a y = f i : a ;
donc 4 b1— a2 — zfiy»
C c c ij