
autorité qu’ils croyoiertt n’appartenirqu’au corps de
la n a t i o n ; - : : -
Leur adminiftration étoit trop paffagere pour les
rendre refpeâables. Armés du glaive de la lo i, la
-pointe en fut émouffée dans leurs débiles mains.
A peine avoient-ils appris à gouverner, qu’on leur
donnoit desfucceffëurs fans expérience, qui në pôrt-
voient auffi que faire Un court effai de leurs tâléns
pour le gouvernement» fans-avoir le tems dé les
développer. Le peuple le plus infttuit, fut le plus
mal gouverné-: l’excès du mal fitfonger aux moyens
d’y appliquer le remede. On fentit la néceffité de
fixer les principes du gouvernement qui jufqu’alors
avoient été arbitraires; & qui font toujours fans
vigueur; quand -ils n’ont pas le fceaii du chef' & de
la nation. Àthenes emportée jufqu’à cette époque
parles événemens Sc les pallions » jetta les yeux
fur un des -archontes » nommé Dracon , dont, la
-vertu dure & farouche étoit plus propre à réprimer
l ’indocilité des efclaves -, qu’à façonner des citoyens
à l’obéiffance des loix; Il falloit que les Athéniens
fulfent bien corrompus j puifque leur légiflateur
infligea peine de mort pour les fautes les plus lé--
geres & pour les crimes les plus atroces ; il condamné
au même fupplice le malheureux qui n’avoit
: fait qu’une chute, & le fcélérat vieilli dans l’habi*-
îude du crime. Il falloit une grande férocité pour
difter des loix li barbares. Peut-être auffi ne confondit
il la foibieffe avec le crime , que parce qu’il
connoiffoit l’excès de corruption de fes concitoyens
, & qu’il valoit mieux être barbare qu’indulgent
, pour prévenir la tentation dés maux dont
il étoit lé témoin. Les droits de l’humanité réclamèrent
contre une. légiflation fi meurtrière , qui
ne fit que multiplier les défordres qu’ellè s’étoit
.propofée de réprimer. La loi parut un joug ;& il
falloit une réglé; Tout frein fut rompu; & l’on re*-
tomba dans lé cahos de l’anarchie. Le peuple fatigué
lui-même d’une indépendance licentieufe , s’a'dreflà
à Solori pour lui donner des loix. Il falloit Une
main habile pour guérir tant de maux : trois factions
avoient des. vues différentes; les habitans des
montagnes vouloient que la puiffance fouveraine
réfidât dans le peuple ; ceux de la plaine penchoient
vers l’ariftocratie. Les plus fages demandoient un
gouvernement mixte pour mettre une balance entre
la tyrannie des magiftrats & là licence du peuple.
Solon appellé au trône par les voeux de fa nation,
•préféra le titre de légiflateur à celui de. roi. Les
fa étions qui divifoient Athènes -, ne lui permirent
point de donner à fes loix ce dégré de perfection
qu’elles àuroient pu recevoir dans des tems moins
orageux ; comme il lui fut impoffible de faire tout
le bien dont il étoit capable, il pallia les maux qu’il
ne pouvoit extirper ; & quand au lieu'de remede,
on ne donne que des adôuciffemens , on augmente
. les maladies politiques ; -il eût bien voulu le pro-
pofer Licurgue pour modèle ; mais il avoit à maî-
îrifer un peuple dominé par une imagination ardente
-, qui confondoit le beau avec le luxe , 8c toujours
prêt à s’élancer au-delà "des limites d’une liberté
raifonnable. Le goût des voluptés avoit épuifé
lés plus grandes fortunes : des peres dénaturés ven-
doient léurs enfans pour fê dérober aux pourfuites
de leurs créanciers ufuraires. Lès meres & les filles
proftituoient leur honneur pour arracher leurs époux
& leurs peres des prifons ; d’autres s’expatrioient
pour trouver chez l’étranger des moyens dé fubf-
fifter. Les campagnes reftoient incultes & les villes
défertes. Le peuple ébranlé par l’exemple de Sparte,
où il n’y avoit ni pauvres , ni riches, ni mécontens,
demandoit, avec des cris féditieux, le partage des
terres. Solon craignant de tomber -, en précipitant
fa marche} commença par publier une remile des
dettes ; & pour en faciliter le paiement", il augmenta
le prix de la monnôie. La mine qui n’étbit eftimée
que foixante 8c quinze dragmes , en vahit cent.
Cet édit ne fit que des -mécontens : lé pauvre qui
n’avoit point inlpiré affez- dé Confiance pour contracter
des dettes, ne trou'voit aucurtfôulagemènt;
le riche qui avoit retranché dé fon néceffaire pour
augmenter fa fortune ,’ èut droit de fe plaindre : il
n’y eut que lés diffipateurs qui gardèrent le filënce ;
parce' que , fens devènir plîiS riches'Jsils n’éùrënt'
plus à redouter les pourfuites dèleuïs créanciers.
Ce début fit connoître-à .Solon qu’il d'evôif conformer
lès'principes de foii gouvernement au caractère
de fes concitoyens ; ainfi convaincu lui-
même des vices de fa légiflation , il difoit : Us loix’
que je donne aux Athéniens, ‘ne font pas les meilleures
qu'on puiffe établir ; tuais ce font les meilleures quils
foient capables de recevoir; 8c qrtand on les Comparoit
aux toiles d’araignées, oùil n’yavoit que des mouches
qui puffent fe laiffer prendre , il répôndoit qiioïi
fe foumettôit, fans tnûrmurer, à des loix qu'on n avoit
aucun intérêt de violer, & que les Jiennès étant établies
pour Vutilité"de tous les concitoyens, ils trouyeroieni
plus d'avantages à Usgffbfefver qu'à les enfreindre.
Solon n’avoit poûjjü^ comme Licurgue, l’avantagé
d’une haute naïfifnce ; il n’employôit point,
comme lui , l’autorité iirtpofântè de la divinité ,
ni l’impofture des prêtres pour confacrer fes infti-
tutions; il n’avoit que cette confiance qu’infpire la
vertu toujours trop fimple pour être refpeÛable
à la multitude ; ainfi » quoique fupérieur par fes
talens au légiflateur Spartiate , il n’eut paS un li
glorieux fuceès, parce qu’il fe vit fans ceffe arrêté
dans fa marche : il fut obligé d’abandonner au peuple
la puiffance légiflative , le droit d’élire les magistrats
, de contracter des alliances , de faire la
paix Sc la guerre. Les citoyens furent diftribués eri
différentes claffes ; • 8c perfuadé que l’indigent conf-
titué en dignité, elt lë plusacceffibleà la vénalité
& à lâ corruption, il ordonna de ne conférer les
changes qu’à ceux qui retireroient art moins de
leurs terres cinq cens mefures de froment , d’huilë
8c de vin ; mais , pour confoler les pauvres de
Cette exclufion à la magiftrature, il leur; donna
droit de fuffrage dans les âffemblées publiqües.
C’étoit avilir les magiftrats que de les foumettré
aux caprices de la multitude , qui pouvoit ànnuller
fes arrêts ; c’étoit foumettre les décifionS des per-
fonnes inftruites à une affemblée tumultiïeufe d’i-
'gnorans , 8c toujours fufceptibles de vénalité ou
de féduûion ; c’eft ce qui fit dire à Ànachàrfis
que dans Athènes C’étoit les fages qui délibéroient,
8c que c’étoit les fous qui avoient le privilège
de décider.
Ce fut pour prévenir l’abus que le peuple pôu-
voit faire de fort autorité , qu’il établit un fénat
compofé de quatre cens citoyens' choifis dans les
quatre tribus qui formoient le Corps de la nation ;
ils étoient chargés d’examiner les affaires avant de
les expofer au jugement de l’affemblée qui feule
avoit droit de décider. Cette inftitution eût été excellente
, fi ces deux autorités bien combinées,
euffent pu fe balancer , fans fe détruire : ces af-
femblées étoient trop multipliées pour ne pas engloutir
tout le pouvoir. Le fénat devoit les convoquer
quatre fois en trenïe-fix joiirs. Tout raa-
giftrat 8c tout général d’armée avoit encore le
droit d’en demander d’extraordinaires ; ainfi c’étoit
un corps toujours fubfiftant, 'devant lequel tout
citôyen âgé de cinquante ans avoit droit de haranguer.
Ces orateurs turbulens foumettoient la
fageffe du magiftrat à leur éloquence infolente 8c
féditieufe , plus faciles à fe laiffer corrompre qu’à
arrêter la corruption , ils furent les artifans des
troubles
troubles 8c les moteurs des diffentions ; & quoique
la plupart de ces démamogues fuffent lés moins
•intéreffés aux défaftres 8c aux profpérités publiques,
ce n’étoit que par leur impulfion que les
flots de la multitude étoient agités.
Solon ,' pour tempérer des défordres dont il
étoit dans l’impuiffance d’extirper les racines r rétablit
l’aréopage dans fa première dignité. C’étoit
dans cet augufte tribunal que la divinité fembldit
di&erfes arrêts par l’organe des hommes qui étoient
fon image : ces intelligences pures & fublimes pré-
fidoient aux deftinées publiques & particulières.
Leur incorruptibilité & la fageffe de leurs décifions
infpirerent tant de confiance, que les rois & les
particuliers, les Grecs & les Barbares foumettoient
à leur tribunal les affaires les plus intéreffantes &
les plus compliquées. C ’étoit dans les ténèbres qu’ils
écoutoient. les plaidoyers & prononçoient leurs
arrêts : les faits étoient expofés avec fimplicité ;
les réflexions pathétiques dévoient en être bannies.
L’éloquence févérement proferife ne prêtoit point
' au menfonge lés couleurs de la vérité : ces juges
incorruptibles àuroient fuffi pour maintenir l’ordre
dans une république vertueufe; mais le pouvoir
étoit entre les mains d’une multitude igno-,
rante & corrompue. Les loix de Dracon qui avoient
été abolies , furent remifes en vigueur ; on ne fit
qu’adoucir la févérité des peines infligées aux coupables
, pour ne pas laiffer fubfifter un abus qui
confondoit les foibleffes paffageres avec les crimes
d ’habitude. '
Solon ne pouvant atteindre Licurgue pour mettre
une parfaite égalité entre tous les enfans de
la patrie, rapprocha du moins l’intervalle qui fé-
paroit les citoyens ; il fut permis à tout le monde,
d’embraffer la défenfe .de l’offenfé ; & quoiqu’on
ne fût point léfé perfonnellement , on, pouvoit
citer au tribunal des loix tout auteur d’un délit.
Cette inftitution affocioit tous les citoyens aux
injures, & accoutumoit à la fenfibilité des maux
d’autrui ; il fit une autre loi qui avoit de grands
avantages , 6c qui puvroit la porte à de grands
abus ; il ordonna que tout citoyen , dans les diffentions
civiles, fe déclarât pour un parti ; ceux qui,
par une lâche politique, reftoient dans l’indifférence,
furent condamnés à un exil perpétuel & à la perte
de leurs biens. Le motif de cette inftitution eft
fenfible ; tous les citoyens ayant la patrie pour
mere commune , tous doivent contribuer à en entretenir
la fplendeur. Dans les divifions domefti-
ques , la juftice eft toujours d’un côté ; & c’eft
la trahir que de ne pas fe déclarer pour elle :
c’eft être infidèle à l’état que de refter dans l’inaction,
de peur de-compromettre fa fortune ; & il
arrive fouvent que ceux qui ont le plus à perdre,
font toujours arrêtés par une circonfpedion timide
& baffement intéreflée. Voilà quels étoient les avantages
de cette loi : voici quels en étoient les abus.
Dans la chaleur des difeordes nationales , les deux
partis s’élancent au-delà des limites ; il eft avantageux
qu’il y ait des citoyens calmes & exempts
de partialité pour être les arbitres des factions à ,
la fin de l’ivrefl'e. Ce ne peut • être que les fpec-
tateurs oififs & indifférens , qui peuvent infpirer
la confiance ; quand on embraffé un parti, on devient
naturellement fufpèft : il peut encore arriver
que des faélions armées foient également repréhen-
fibles ; alors cette inftitution rendoit tous les citoyens
coupables.
Le légiflateur ne voulant pas que le mariage fût
un trafic mercénaire, mais, une union formée par
une tendreffe réciproque , retrancha du contrat
tout ce qui pouvoit allumer la cupidité. Il fut ordonné
que les filles qui n’étoient pas uniques, n’auroient
• Tome I.
pour dot que trois robes & quelques meubles d’une
mince valeur. Ses ■ loix pour maintenir la pudeur
des mariages , les peines infligées aux adultérés,
furent des freins puiflans contre la lubricité. La
légiflation la plus vigilante échoue toujours , quand
elle entreprend de combattre le penchant d’une
nation.
La loi ne confultant que l’ordre de la nature,
avoit jufqu’âlors pro.fcrit la liberté de tefter : il fut
permis aux mrturans de difpofer de leurs biens ;
c’étoit un attentat contre un peuple libre , que de
le forcer à laiffer fon héritage à d’indignes parens,
tandis qu’on livroit à l’indigence des amis vertueux,
que la reconnoiffance oblige oit de récompenfer ;
mais cette liberté ne s’étendit point fur ceux qui
laiffoient des enfans ; quoiqu’ on n’en dût pas prévoir
un grand abus , on crut qu’il étoit de la dér
' cence de les priver des moyens d’outrager la nature.
Il n’établit aucune loi contre le parricide : ce
crime lui parut fi affreux , que c’eût été en faire
naître l’idée que de le défendre ; il prononça des
. peines féveres contre ceux qui calomnioient les
morts , quoique leurs déréglemens euffent mérité
une jufte cenlure : on les tenoit pour facrés; & la
religion s’en déclaroit la protectrice. La licence d’en
médire auroit éternifé les haines : ceux qui difoient
des injures dans les temples étoient traités de profanateurs
; on puniffoit auffi ceux qui, dans les tribunaux
, dans les âffemblées publiques & dans les
théâtres , donnoient des feenes de violence & d’emportement,
parce que le public affemblé eft tou^
jours refpectable , & qu’il faut avoir un fond de
férocité pour violer les égards qu’on lui doit. Les
récompenfes décernées aux vainqueurs des jeux de
la Grece, avoient dégénéré en profufions. Solon
défendit d’épuifer le tréfor public pour enrichir des
athlètes & des. luteurs , tandis qu’on laiffoit languir
dans l’indigence les défenfeurs de l’état ; &
ces largeffes parurent mieux employées à nourrir
les enfans de ceux qui étoient morts les armes à
la main , ou qui avoient fervi avec intégrité la
patrie dans des emplois pacifiques.
Les manufactures, les arts ôc les métiers furent
ânnoblis. L’inutilité ne fut plus le privilège de la
naiffance. Solon chargea l’aréopage de s’informer
des moyens dont chacun ufoit pour fubfifter. 11
fçavoit que l’indigence pareffeufe faifoit de mauvais
citoyens ; c’étoit donc pour bannir l’inutilité
& les vices, qu’il tira tous les arts méchaniques
de leur aviliffement. Un fils -fut difpenfé de nourrir
fon pere, s’il ne lui-avoit fait apprendre un métier :
lès enfans nés d’une courtifanne jouirent du même
privilège qui étoit plutôt une flétriflùre , puifqu’elle
éternifibit l’infamie des auteurs de leurs jours. La
confidération attachée aux arts les plus vils à nos
yeux prévint la contagion des mendians qui déshonorent
les villes, & qui font la cenfure de leur
police. A peine cette légiflation fut - elle établie ,
qu’il s’éleva trois faftions qui confpirerent à la détruire:
Pififtrate riche , magnifique & populaire , fit
fervir fes tréfors à corrompre les âmes vénales ;
& Solon eut la honte de voir la tyrannie s’élever fur
les ruines de fon gouvernement qui ne dura que
vingt-quatre ans.
Pififtrate, tyran paifible, étoit d’autant plus, dangereux,
qu’il paroiffoit n’ufert de fon pouvoir que
pour la félicité publique. Ses maniérés infinuantes
àuroient façonné les Athéniens à l’efclavagè , fi
les deux autres fa&ions ne les euffent fait fouyenir
qu’ils avoient été libres, & qu’ils avoient un maître.
Pififtrate détrôné deux fois, rentre deux fois triomphant
dans fa patrie ; il ne fut repréhenfible que
par les moyens qu’il prit pour s’élever. Sa douceur
& fa modération légitimèrent fes prétentions ; 8c
QQqq