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 viûimes  : les  fatigués  que Q.  Pædiifs fe  donna pour  
 faire  ceffer le  tumulte &  l’incéndie,  occafionnerent  
 fa mort. 
 Tandis qüe  Rome  étoit  en proie à  ces allarm.es  ,  
 les triumvirs s’avancèrent à  la tête de leurs troupes ;  
 ils  entrèrent  dans la  ville  pendant  trois  jours  con-  
 fécutifs ; O&avien  le  premier  jour,  Antoine  le  fécond, 
  Lépide le  troifieme ; ils étoient dans l’appareil  
 le plus formidable  : chacun d’eux  étoit  accompagne  
 de Ta cohorte prétorienne &   d’une  légion.  Comme  
 leur intention étoit, non d’abolir les lo ix, mais feulement  
 de  s’élever  au-dèffus ,   ils firent  confirmer par  
 le  peuple  l’autorité  qu’ils  yenoient d’ufurper  ,  &  
 dès  que  cet afte fut  pafîe,  on continua  le  maffacre  
 des  profcrits»  Comme  l’argent  provenu  des  dépouilles  
 de  tant  de malheureux  ne  montoit pas  encore  
 à  deux  cens  mille  talens  qu’ils  avoient  jugés  
 nécéfîaires  pour  la guerre,  ils  exigèrent  une  taxe  
 énorme  fur  quatorze  cens dames romaines, meres,  
 femmes  ou  filles  des  profcrits.  Ce  fut  dans  cette  
 occafion  que  la célébré Hortence,   fille de l’orateur  
 de ce  nom , qui  difputa fi long-tems  contre  Cicéron  
 la  palme  de  l’éloquence,  fe  rendit  au  tribunal  des  
 tyrans ,  fuivie  d’un nombreux  cortege  de  dames ;  
 elle  leur  repréfenta  avec  une  noble  fermeté,  la  
 cruauté de  ces  taxes  arbitraires ,  &   leur  re-procha  
 d’avoir  franchi  les  bornes  oh  s’étoient  arretés  les  
 tyrans qui les  avoient précédés  :  la noble  hardieffe  
 de  cette  femme excitant l’indignation des triumvirs ,  
 ils  Ordonnèrent  à leurs  licteurs  de  l’écarter,  ainfi  
 que  toute fa  fuite. Cependant  le peuple ayant murmuré  
 de l’injufe faite au fexe, ils réduifirent les 1400 ,  
 dames  à 400 ;  mais  la  tyrannie  ne  fit  que  changer  
 d’objet  ;  plufieurs  familles furent taxées  arbitrairement  
 ;  on  les  força  de  payer  fur  l’heure  la  quinzième  
 partie  de  leurs biens, avec le  revenu  entier  
 d’une année; les foldats, chargés de la levée dès taxes,  
 fe  livrèrent à des cruautés  inouïes : le  conful voulut  
 en vain  arrêter  leurs  excès, -ce  magiftrat déchu  de  
 fon autorité  première, avoit appris à trembler. 
 Les triumvirs ayant  fait  couler fous la hache des  
 bourreaux,  le fang  le  plu? pur des  Romains , convoquèrent  
 le fénat,&  annoncèrent à cette compagnie  
 confternée &  tremblante, la fin du maffacre. Antoine  
 fe déclara l’ami de  ceux  auxquels il  avoit permis de  
 vivre,  &  Lépide  , cet  imbécille  qu,e  nous verrons  
 rentrer dans la dafie du peuple, couvert d’opprobre  
 &   d’ignominie,  entreprit  de  juftifier  les  fureurs  
 auxquelles  ils  venoient  de  fe  livrer ; il  affura  les  
 peres confcrits  qu’il vouloir  vivre  dans la  fuite  en  
 citoyen : Oâavien, toujours altéré de fang, déclara  
 hautement  qu’il  fe  réfervoit  encore  la  liberté  de  
 punir.  Après  ces  détails ,  pourrons-nous admettre  
 les éloges que fon fiecle lui a prodigués ? &  comment  
 des écrivains,  parmi nous,  fe  font-ils  élevés  avec  
 tant  de  paffion  contre  le judicieux critique qui  met  
 ce  prince fur la  même  ligne  avec Néron?  celui-ci  
 le  furpaffa  en débauches,  mais  il  ne  l’égala  pas  en  
 .  cruautés : ce n’eft encore qu’une légère  ébauche des  
 excès auxquels  il  s’abandonna. 
 Antoine,  voyant Brutus  étendu  fur la pouffïere,  
 pleura fur le corps de cét illuftre défenfeur du parti le  
 plus  jufte ,   &  punit un de fes affranchis, pour avoir  
 négligé la pompe  de  fes funérailles. O&avièn ne fut  
 pas  capable d’une pareille magnanimité ; implacable  
 dans  fa  haine,  il  ne  put  cacher  fon  lâche  dépit  
 &   fit  féparer  la tête  du  Corps  qui  excitoit  la douleur  
 généreufe de  fon collègue.  Sa  conduite envers  
 les prifonniers  eft plus horrible encore ; avant d’immoler  
 à fa haine les plus illuftres d’entr’eux, il fe faifoit  
 un  cruel plaifir d’infulterà leurs malheurs. Un de ces  
 infortunés lui  demandant pour grâce les honneurs de  
 lafépulture,  dans peu  lui  répondit-il, les  corbeaux  
 prendront  ce  foin.  Un .pere  demandant grâce pour 
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 fon fils,  &   le  fils pour fon pere, au lieu  d’êtrë*fen-  
 fible  à ce combat de générofité,  il  leur  ordonna par  
 un  excès  de barbarie  inconnue  parmi les nations les  
 plus  féroces  ,  de  combattre  l’un contre  l’autre ;  le  
 pere  ne  voulant  pas  furvivre  à  fon  fils,  ni le  fils à  
 fon  père  ,  il  les  vit  fe  donner  réciproquement  le  
 coup mortel. Audi les prifonniers lorfqu’on les ame-  
 noit  devant  Antoine  &   devant lui,  le.ehargeoient  
 de mille imprécations,  &   donnoient  à Antoine  le  
 glorieux  nom  d’Imperator  (  général  victorieux ')  ;  de  
 ce  nombre fut le fameux  Favonius qui, fur le point  
 d’être  égorgé,  lui  reprocha tous  fes  crimes avec la  
 liberté  d’un  philofophe,   que  la mort  va affranchir  
 de  toute  fervitude. 
 Des  plaines  de  Philippe,  Augufle  fe  rendit  en  
 Italie  ;  ce  fut alors  que  peu fatisfait  du  partage dè  
 l’autorité ,  il  conçut le projet  de dépouiller.fes  collègues; 
   Fuivie ,  femme  d’Antoine,  s’en apperçut ,  
 &   lui  oppofà quelques  obftaeles. Augufle s’en vengea  
 ,  en  répudiant Claudia  fa  fille, après  avoir  déclaré  
 avec  ferment,  que,  quant  à  lu i,  elle  étoit  
 encore  vierge.  Cet affront public  ,  cette  diftinâion  
 injurieufe  mettant Fuivie  en  fureur ) elle harangua  
 les  vétérans qui avoient  fervi  fous  Antoine  ,  &  les  
 exhorta à prendre les  armes contre  un collègue 'affez  
 ingrat  pour prétendre  récueillir  tout  le  fruit  de  la  
 vi&oire de Philippe,  lui  qui  n’avoit  pas  même  eù  
 affez  de  confiance  pour  foutenir  le  fpeâacle  d’une  
 -  armée  rangée  en bataille ;  il eft  vrai  que  l’hiftoire  
 reproche à Augufle de  s’être caché dans des rofeaux „  
 &   d’avoir  feint  une  maladie lors  de  cette  célébré  
 journée.  Fuivie  fut fécondée par Lucius,  fon beau-  
 frere :  cette  divifion occafionna  de fanglans débats,  
 dont le fuccès fut toujours contraire à Lucius &  Fuivie. 
  Lucius fut obligé de demander grâce , &   ce fut  
 encore à cette occafion  Augufle ht paroître toute  
 la  cruauté  de  fon  ame ;  quoiqu’il  eût  promis  un  
 pardon  général,  il  fe  fit livrer  trois  cens  des  principaux  
 de Péroufe, qui s’étoient  déclarés  contre lui  
 &   les  fit  immoler  au  pied  de  la  ftatue  de Céfar :  
 leur  ville  fut  livrée  au pillage.  Antoine  eût pu  remédier  
 à  ces  défordres',  &   réprimer  les  injuftes  
 deffeinslde fon ambitieux collègue ; mais ce triumvir,  
 affervi  à  la  plus  crapuleufe  débauche  ,  s’enivroit  
 des plaifirs que lui offroit la voluptueufe Cléopâtre. 
 Cependant  les  clameurs  de  Fuivie  arrachèrent  
 Antoine  des  bras de  l’infidieufe  reine d’Egypte ,  &   
 le  déterminèrent à faire un  voyage  en  Italie.  Il  dirigea  
 fa  route  par Athènes  où  l’attendoit  Fuivie  ,  
 qui  n’eut  point  à s’applaudir de  la  réception de cet  
 epoux infidèle ; aveugle fur les deffeins d’Oftavien,  
 il  la  blâma  hautement,  la  regardant  comme  l’auteur  
 des  troubles;  mais il ne  tarda  pas  à  être  dé-  
 fabufé; on  lui apprit qu'Augufle s’étoit  rendu maître  
 de  la Gaule  tranfalpine,  contre  les  loix d’un  traité  
 conclu  après  la  journée  de  Philippe.  Ce  procédé  
 fut regardé comme  une  déclaration de guerre ; ainfi  
 i  mettant  en  mer  fans  délai,  il  fit  voile  vers  l’Italie  
 ;  mais ayant  eu  envie de vifiter la ville de Brin-  
 des,  la garnifon  lui en ferma  les portes ,  fous prétexte  
 qu’il  avoit  dans  fon  armée un  ami  d'Augufle.  
 Cet aûe  d’hoftilité manqua  de  changer  encore une  
 fois  la face  de  Rome ,  &  de  la  livrer  aux  fureurs  
 d’une. nouvelle  faftion,  qui  fe  fût  vengée  fur les  
 partifans de  Céfar, des  coups  que ceux-ci avoient  
 portés  contre  le  parti  républicain  :  cette  faôion  
 étoit  celle  de  Pompée, qui  fe  foutenoit  en Sicile,  
 dans  un  fils  de  ce  grand  homme.  Pompée,  invité  
 par  Antoine,  fe  rendit en  Italie,  &   prit plufieurs  
 villes le  long  de la côte ; Oûavien, craignant  pour  
 les  fuites de  cette  guerre,  fe rendit  aufli-tôt à l’endroit  
 où  étoit  le  danger; mais les  vétérans, admirateurs  
 de la  valeur d’Antoine, ayant réfufé de combattre, 
   il  fut obligé  de  recourir  à  la  négociation; 
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 L’accommodementfe fit par l’entremife de Cocceus,  
 de  Po'iion  &   du  fameux  Mécene,  miniftre  dont  
 le  nom  fera toujours  cher  aux  fàvans ; il favoit  les  
 récompenfer, &   ce  qui  leur  eft  plus  flatteur, les  
 honorer.  Les  légions ,  pour  rendre  cette  alliance  
 durable  ,  demandèrent  qu’elle  fût  cimentée  entre  
 leurs  généraux  par les liens du fang, &   propoferent  
 le mariage d’Antoine &  d’O&avie ; Antoine confen-  
 tit  par  politique  à  une  ùnion  que  réprouvoit  fon  
 coeur, toujours épris  pour Cléopâtre ,  amante perfide  
 , qui devoit l’immoler  à  fon  inconftance ;  dont  
 elle  fut  elle-même  la  viftime.  Le  mariage  fut  célébré  
 en  préfence  des deux armées  :  il y   eut quelque  
 tems après un traité auquel  eut partS.Pompée.  
 O cia vien fit  dans  cette  occafion une  démarche  qui  
 s’accordoit  peu  avec  fa  défiance  ordinaire  ;  il  accepta, 
   ainfi qu’Antoinè ,  un repas  que Pompée,leur  
 offrit fur fa galere  amirale  : c’eft  ainfi qu’ils fe  con-  
 fioient  l’un  &   l’autrè  à  la  foi  d’un ennemi qui leur  
 devoit  de  grandes  vengeances.  Cette  confiance  de  
 la  part  des triumvirs  , fait  honneur  à  Pompée ,  &   
 rend  croyable  un  trait  rapporté  par Appien :  fui-  
 vant cet  auteur, Menas, fon lieutenant,  s’étant approché, 
  lui  dit  que  s’il  le  vouloit,  il  alloit  le  défaire  
 de fes rivaux , &  le rendre  maître  de l’empire;  
 mais ce romain avoit des principes de vertus, contre  
 lefquels toutes  les  promeffes  de  la  fortune  étoient  
 impuiflantes.  Menas peut  manquer à fa parole ,  ré-  
 pondit-il âufli-tôt, mais  cette perfidie n’èft pas digne  
 du  fils  de  Pompée  :  quelle différence  entre ce  vertueux  
 romain, dont on  parle à  peine  ,  &  cet  Augufle  
 dont  les  plus  grands  rois  fe  font  gloire  de  
 porter  le  nom ! 
 Lépide, Antoine  &   Pompée  ne fongeoient  qu’à  
 maintenir  dans  l’obéiflance  les  provinces  dépendantes  
 de  leur  gouvernement ;  mais  il  n’en  étoit  
 pas  de même  d’Oâàvien.  Son  ambition  ne  devoit  
 s’arrêter qu’après  avoir  rangé  l’empire  entier fous  
 fes  ’loix.  Il  commença  par  la  ruine  de  Pompée,  
 qui  maître  de  la  fertile  Sicile  ,  tenoit  en  quelque  
 forte  fous  fa  dépendance, les  Romains  dont  cette  
 île  fortunée étoit depuis long-tems  la principale ref-  
 fource dans les tems  de difette  :  le  Péloponefe  fer-  
 vit de prétexte à cette  guere.  Cette  province  avoit  
 été  cédée  à  Pompée fans  aucune réferve ; Oâavien  
 prétendit  que  les  ;taxes  dévoient  appartenir  aux  
 triumvirs. Leurs  prétentions réciproques n’ayant pu  
 fe  terminer  à  l’amiable,  ils  en vinrent plufieurs fois  
 aux  mains ; mais  la fortune  d’Oftavien,  &   la  valeur  
 d’Agrippa, fon  général,  le rendirent maître de  
 la  Sicile,  &   de  toutes  les  forces  de  fon  ennemi.  
 Pompée  traînant  les  débris  de  fon armée , paffa en  
 A fie ,  où  il  périt après  avoir  inutilement  tenté  de  
 relever fon  parti  :  Rome perdit  en lui  le  dernier  
 de  fes  plus  vertueux  citoyens.  Le  vainqueur  ne  
 parut  en Italie  que  pour  y   chercher  de  nouvelles  
 vi&imes;  &   fur le  plus  léger  prétexte,  il  déclara  
 la  guerre  à Lépide  qui,  ayant  été  trahi  &   abandonné  
 ,  abdiqua  le  triumvirat,  &   rentra  dans une  
 obfcuriré,  oh la  foibleffe  de fon efprit  lerappelloit  
 fans  eeffe.  Ces" fuccès  éleverent  Oûavien  au  plus  
 haut dégré  de  gloire  &   de  puiffance ; il  fe  voyoit  
 à  la  tête  de  deux cens mille légionnaires ,  de vingt-  
 cinq  mille  hommes  de  cavalerie, de  cent  foixante  
 mille  hommes  armés  à  la  légère,  &   de  fix  cens  
 vaifleaux  du premier rang, fans compter un nombre  
 infini  de  bateaux  de tranTport. Cette  haute  fortune  
 étoit  encore  au-deflous  de  fon  ambition ; le fénat,  
 fx cependant on peutappeller de ce nom un corps dégradé, 
  lui rendit les plus magnifiques honneurs, &  lui  
 déféra  le  triomphe  de  l'ovation  :  l’adulation  fut  
 portée à un point,  que la pudeur du  triomphateur,  
 qui n’étoit  rien moins que modefte, en  fut offenfée.  
 On  lui  érigea  une  ftatue  d’or au milieu de la place  
 Tome  I. 
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 publique,  avec  cette  infcription  :  à  Céfar,  vainqueur  
 fur  terre  &  fur,  mer.  Le  jour  oh  il  avoit  
 vaincu Pompée ,  fut  mis  au  nombre  des  fêtes fo-  
 lemnelles.  Comme il  méditoit  la  ruine  d’Antoine  ,  
 il-  ne  négligea  rien  pour  s’infinuer  de  plus  en  plus  
 dans  la  faveur  du  peuple ;  l’ayant  convoqué  dès,  
 le  lendemain de  fon  ovation,  il diminua  les  taxes,  
 &   remit  à  tous Ceux  qui  avoient  loué des maifons  
 du  public,  ce  qu’ils dévoient  au  tréfor;  &   fur  les  
 plaintés  que  les  voleurs  infeftoient  Rome  &   les  
 campagnes voifines , il créa un  lieutenant de police,  
 prefeclus vigilium ;  des  maréchauffées ,  des  compagnies  
 du  guet  furent  établies,; on  tranféra  en  Italie  
 tous  les  bleds  de Sicile ;  ainfi l’on .vit fuccéder l’ordre  
 à la confufion,  la  fureté  publique  au  vol  &  au  
 brigandage,  &   l’abondance à la  difette4  Toutes les  
 villes  d’Italie,  oubliant les précédens  ifiaflacres, ne  
 l’appelloient que leur commun bienfaiteur; on porta  
 la  reconnoiflance  jufqu’à  lui  ériger  des autels.  Un  
 procédé  vraiment généreux,  mais  qui  ten&it  plus  
 à  fa  prudence, qu’à  la  bonté de  fon  coeur,  mit  le  
 comble  à  cette  ivreffe  populaire;  Pompée  dans  
 une  fuite  précipitée ,  n’avoit  pu  mettre  à  couvert  
 fes  papiers ,  parmi  lefquels il  y   avoit  une  infinité  
 de  lettres  qui  lui  avoient  été  écrites  par  le-parti  
 républicain; ces papiers ayant été remis à O&avien ,   
 il  les  fit  brûler  dans  la  place  publique,  preteftant-  
 qu’il  ne  vouloit  pas  même  connoître  fes ennemis,  
 &   qu’il  étoit  charmé  de  trouver  cette  occafion  de  
 facrifier  fon  reflentiment  particulier  au  bien  de  la  
 patrie.  Mais  un  trait qui doit  être  regardé  comme  
 le chef-d’oeuvre de  la  politique  , c’étoit de  renoncer  
 au titre  odieux  de  triumvir , &  d’en  réferVer  toute  
 la  puiffance ,  fous  une  dénomination  révérée  du  
 peuple.  Il fe fit déférer  le  tribunat  à  perpétuité,  
 promit d’abdiquer le triumvirat au retour d’Antoine ,  
 qu’il  prétendoit  engager  à  en faire autant,  fans l ’af-  
 focier  aux  honneurs  de  fa  nouvelle dignité. On fait  
 quelle  étoit  l’autorité des tribuns ; placés  à  la  tête  
 du  peuple,  comme  des  furveillans  contre  les  en-  
 treprifes  du  fénat,  ils  étoient  vraiment  rois ;  ils  
 avoient  droit  de  révifion  &   d’oppofition  :  toutes  
 les loix, propofées  par le fénat,  dévoient  leur  être  
 déférées ; ils  y   donnoient la  fanélion ,  ou  les rejet-  
 toient à  leur  gré.  Il  eft vrai  que  dans  certaines oc-  
 cafions ,  ils  dévoient  confulter  le peuple ;  mais  ce  
 peuple  aveugle  pour  fes  patrons ,  qu’il  révéroit  
 comme  fes  idoles,  n’alloit  jamais  contre  ce  qu’ils  
 avoient  décidé.  On fent  bien  qu ’Augufle,  ce tyran  
 impitoyable,  qui  venoit de faire  trembler tous les  
 ordres  de  l’état,  une  fois  revêtu  de  cette  charge,  
 pouvoit  aifément  en  augmenter  les  prérogatives ;  
 cependant  comme  il  y   avoit  toujours  eu  plufieurs  
 tribuns,  il étoit à craindre qu’Antoine  n’entreprît de  
 fe  faire  déférer  le  même  titre  à  perpétuité  : cette  
 confidération  l’engagea  à  le  rendre  odieux  &   mé-  
 prifable ;  attentif à toutes  les  démarches de ce  concurrent  
 , il en dévoiloit toutes les foibleffes. Antoine ,  
 viéHme  de  fa  paffion  pour  les  femmes  &  pour  la  
 table, fourniffoit une ample carrière à la médifance ;  
 prodigue de fes biens, ilufoit de même des domaines  
 de  la  république  :  l’artificieufe  Cléopâtre  venoit  
 d’en  obtenir  la  Phénicie,  là Celé-Syrie,  Chypre  ,  
 la  Judée  &   une  partie  de  l’Arabie.  Les  Romains ,   
 naturellement jaloux d’une domination vafte, virent  
 avec indignation qu’un, de  leurs chefs les  dépouilloit  
 de  ces  riches  provinces”,  pour  une  reine  dont  ils  
 avoient  toujours  eu  le  nom  en horreur : un affront  
 que reçût Antoine de la part des  Parthes,  augmenta  
 l’averfion qu’infpiroit  fa  conduite.  L’artificieux  tribun  
 ,  voyant  les  efprits  échauffés  par  fes déclamations  
 ,  chercha  tous  les  moyens  d’en  venir  à une  
 rupture ouverte. Le mécontentement d’Oétavie, qui  
 voyoit  a v e c   u n   fécret dépit qu’Antoine  prodiguoiî