
d’être admifes dans cette affociation, dont le but étoit
de maintenir fa liberté, fans attenter à celle dés autres.
La Macédoine feule intéreffée à arrêter les progrès
de cette république fédérative, étoit agitée
de troubles domeftiques. Elle étoit trop àffoiblie
pour fupporter le poids des guerres étrangères'.
Ainfi les Achéens auroient rendu à la Grèce fon
ancienne fplendeur s’ils, avoient eu des prêteurs
d’un courage affez élevé pour rappeller aux Grecs
le fou venir de leur gloire & la honte de leur dégradation
aftuelle : mais au lieu de former des généraux
& de cultiver les vertus militaires , ils n’exèrcerent
que des vertus pacifiques, & firent cOnfifter leur
gloire à n’être que citoyens.La défiance qu’ils avoient
d’eux-mêmes étoit plus propre à infpirer le dédain
que l’admiration des Grecs plus faciles à éblouir
par des exploitsmilitaires que par de paifibles vertus.
Ils avoient befoin d’un chef qui élevât leur courage,
ils le trouvèrent dans Aratus, qui après avoir affranchi
Sycione, fa patrie , du joug des tyrans, la fit
entrer dans la confédération. Pour prix de fes fervi-
c e s , il n’exigea aucune diftinftioo, ne fe refervant
que le privilège de donner l’exemple de l’obéiffance
' aux loix. Les Achéens , charmés de fa modération,
l’éleverent à la prêture, qu’il exerça fans collègue
& qui fut pour lui une magiftrature perpétuelle.
C ’étoit un fpe&acle bien refpettable qu’un chef
fans ambition, qui ne prenoit les armes que pour
affranchir les villes du Péloponefe de la domination
des tyrans, & pour mieux affurer leur indépendance
, ils les affocioit aux privilèges de là confédération.
Toute la Grèce faifie de l’enthoufiafme
de la liberté, n’alloit plus former qu’une feule république
, lorfqu’Athènes & Sparte , qui confer-
voient leur ancienne fierté fans"avoir aucune dé
leurs anciennes vertus, murmurèrent hautement de
voir YAckaïe occuper la première place qu’ils
croyoient nfurpée. fur eux. Aratus avoit befoin de
toutes les reffources de fon génie pour conjurer
l’orage. Ce grand homme, fi propre à gouverner
une république , à manier les pallions de la multitude
, fi fage dans fes projets , fi aftif dans l’exécution
, étoit fans talens pour la guerre ; & quoique
la Grece'fût couverte de les trophées * on
doit moins attribuer fes vi&oires à fes connoiffances
dans l’art militaire, qu’à l’incapacité des généraux
qu’il eut à combattre. Convaincu lui-même de la
mefure de fes talens, il n’en fit ufage que pour
négocier. Les Achéens avoient un ennemi redoutable
dans le roi de Macédoine. Aratus pour fe
faire un rempart contre fon ambition , rechercha -
l’alliance des rois d’Egypte & de S y r ie , qui fe
regardoient comme les fuccéffeurs d’Alexandre,
quoique les rois de Macédoine prétendiffent avoir
feuls des droits à Ce riche héritage. Il profita de
cette rivalité pour obtenir la proteâion des rois
d’Egypte & de Syrie : Y A ch. aïe,. avecun tel appui,
fut refpe&ée par Antigone & Démétrius, fon fils ;
mais lorlqu’ils furent attaqués par Cléomene, roi
de Sparte, ils éprouvèrent la différence des deux
rois leurs alliés, qui n’avoient intérêt de les défendre
que contre les Macédoniens dont ils redoutaient
l ’agrandiffement, & non contre les Spartiates, plus
belliqueux & plus propres à défendre la liberté de
la Grece, que la ligue des Achéens , qui n’avoient
que des inclinations pacifiques. Aratus , convaincu
de l’inutilité de leur alliance , fut forc é , par les
évenemens, à recourir aux Macédoniens. Cléomene
étoit fur les terres des Achéens, & plufieurs
villes, étoient déjà foumifes à fa domination. Antigone
charmé de l’occafion de s’immifcer dans les affaires de
la Grece , parut à la tête de vingt mille hommes
de pied & de quatorze cens chevaux. Les deux
armées en vinrent aux mains près de Sélacie, avec
un courage opiniâtre. La phalange Macédoine s’avançant
, piques baillées, fur les Spartiates , les met
en défordre, & de fix mille Lacédémoniens, il n’y
. eut que deux cents qui fe dérobèrent au carnage.
Sparte1 ouvrit fes portes aux vainqueurs , qui abolirent
les loix établies par Lycurgue. C ’étoit trop
la punir , puifqu’on étouffoit le germe de fes vertus.
Les Achéens triomphans n’eurent point à fe féliciter
de leur vi&oire : en fe procurant un allié fi
puiffant , ils fe donnèrent un maître-. 11 mit des
garnifons dans Corinthe & dans Orchomene, qu’ils
furent obligés de foudoyer. Les ftatues des tyrans
rerivéffées par Aratus , furent rétablies par Antigone
; la crainte qu’il infpira les fit defcendre dans
la plus baffe adulation, & dans le tems qu’ils com-
mençoient à le détefter, ils fe dégradèrent jufqu’à
lui offrir des facrifices. Ce fut par cet aviliffe-
ment oü’ils conferverentleur gouvernement, leurs
loix oc leurs magiftrats. S’ils s’étoient montrés plus
magnanimes, on auroit moins refpeâté leurs privilèges.
Les Achéens, épuifés par la guerre , ne fon-
gerent qu’à réparer leurs pertes. Les Etoliens ,
inftruits de leur foibleffe, firent des incurfions fur
leurs terres. Ce peuple féroce , après avoir porté
la défolation dans tout le Péloponefe , taille en
pièces les Achéens commandés par Aratus. Philippe,
jeune roi de Macédoine, eft appellé au fecours de
la Grece : il entre dans l’Etolie, oh il s’empare
de plufieurs places importantes, & il eût pouffé
plus loin fes conquêtes, files Etoliens humiliés n’euf-
fent demandé la paix aux Achéens. Philippe, que
tout fyffême pacifique rendoit moins puiffant, auroit
bien defiré continuer la guerre ; mais fes alliés
s’étoient épuifés pour en loutenir le poids. Ch io ,
Rhodes & Byfance, fe joignirent aux Achéens pour
le faire confentir à mettre bas lés armes. La paix
fut conclue, &c chaque parti garda les places dont
il étoit en pôffeflion.
Philippe , né avec toutes les qualités qui forment
les grands ro is , étoit capable de relever de deffous
fes débris l’empire conquis par Alexandre. Son
efprit naturel étoit orhé des plus belles connoiffances.
Ennemi de l’injuftice ambitieux de la gloire ,
il tempéroit par fes maniérés affables & populaires
l’envie que fait naître la fupériorité des talens. Ses
alliés n’eurent point d’inquiétudes de la rapidité de
fes fuccès, parce qu’il ne fembla vaincre que-pour
eux. L’aurore de fa vie fut pure & brillante, mais
cet éclat difparut dans fon midi. Entouré de lâches
corrupteurs, il fe laiffa perfuader qué celui qui peut
tou t, a droit de tout enfreindre. L’ivreffe de la fortune
égara fa raifon , il s’érigea, en tyran de fes
alliés. Aratus eut l’intrépidité de lui remontrer que
fi la Grece avoit befoin de lui contre les étrangers,
il avoit également befoin d’elle pour affurer fa
grandeur, & que s’il petfévéroit à la regarder comme
fa conquête, il la forceroît d’appeller les ("barbares
pour fe venger de fon opprelfion. Les tyrans ,ne
font jamais plus furieux que quand on leur démontre
qu’ils ont tort. Philippe ne vit plus dans Aratus
qu’uncenfeur importun, & pour s’en débarràffer
il le fit empoifonner. Les Achéens & les Sycioniens
fe difputerent la gloire de lui ériger un tombeau -,
& d’être les dépofitaires de fes cendres. " On lui fit
des funérailles dignes du libérateur de la patrie,
& pour mieux honorer,fa mémoire , on lui fit des
facrifices. L’édifice que ce grand homme avoit élevé
fut foutenu par Philopoemen, le dernier que pro-
duifit la Grece qui fût digne d’elle. Formé à l’école
d’Arcéfilas, il avoit appris que la véritable gloire
confiftoit à fervir fon pays. Ses premiers penchans
fe déclarèrent pour la guerre. Les exercices militaires
furent les jeux de fon enfance, & les momens
qu’il leur déroboit étoient confacrés à la chaffç
& à l’agriculture. Son application à la philofophie
n’avoit point pour but de fatisfaire une curiofité
fiérile-; il étudioit les moyens de gouverner une
république en lui dpnnant des moeurs, & le goût
des talens utiles. Il fit de grands progrès dans la
taôique ; & quand dans la fuite on l’èleva au com-
' mandement, .il introduifit un nouvel ordre de bataille
&c une difcipline militaire plus exafte. Le luxe
des villes fut réprimé , mais il introduifit dans le
camp une certaine magnificence qui fembloit ne-
ceffaire dans ces tems orageux oh tout citoyen était
foldat : & perfuadé qu’un militaire etoit fans courage
fous les livrées de l’indigence , il tourna les penchans
vers la pompe de l’équipage de guérre. Onvitnaître
l’émulation d’avoir les plus beaux chevaux & les
plus belles armes. Les cottes furent brodées, &
les panaches des cafques furent teints de différentes
couleurs. Philopoemen, qui avoit pris Epaminondas
pour fon modèle, fut le feul qui conferva la fim-
plicité des moeurs antiques, & c’étoit par ce dédain
du luxe qu’on le diftinguoit dé l’officier fubalterne
& du foldat. Dès qu’il fut nommé général, il vifita
les ville s, leva des troupes , marcha contre les
Spartiates ,. qu’il vainquit à Mantinée. Cette victoire
, qui coûta quatre mille hommes aux vaincus,
ne fut point meurtrière pour les Achéens,
qui érigerent une ftatue de bronze à leur général.
Il étoit deshonorant pour les Achéens d’être les
artifans de la grandeur de Philippe ; être fes alliés ,
c’étoit fe rendre les complices de fes fureurs. Ce
prince aigri par fes revers, devint le tyran le plus
abhorré & le plus digne de l’être ; cruel dans la
vi&oire, il réduifoit les villes en cendres avec leurs
habitans. Les temples étoient profanées & détruits ;
les ftatues des dieux & des bienfaiteurs delà patrie
étoient renverfées, Les villes qui’lui ouvraient leurs
portes n’étoient pas plus épargnées que celles qu’il
prenoit d’affaut. Il parut indifférent de l’avoir pour
ennemi ou pour alliés Abyd ps, ville fituée fur
l’Hélefpont, aujourd’hui les Dardanelles , fi.it af-
fiégée par terre & par mer. La réfiftance fut opiniâtre.
Les habitans voyant leurs murailles fapées ,
demandent, à capituler. L’inexorable Philippe ne
veut les recevoir qu’à difcrétion, Les Abydoniens
refufent de foufcrire à l’arrêt de leur mort, en
fe Soumettant à un vainqueur qui ne favoit pas
pardonner. Il leur Semble plus doux de mourir les •
armes à la main. Ils conviennent enfemble qu’auffi-
tôt que Philippe ferait maître de, l’intérieur de la
muraille , cinquante des plus anciens citoyens égor-
geroient leurs femmes & leurs enfans dans le.temple
de Diane, qu’on confumeroit par les flammes
les effets publics, & qu’on jetteroit dans la
mer tout l’or .& l’argent. Après s’être engagés par
ferment à ce barbare facrifice, ils s’arment Sc montent
fur la breche, réfolus de s’enfevelir fous fes
ruines ; & tandis qu’ils combattent avec cette intrépidité
qu’infpirer le défefpoir , deux citoyens parjures
livrent la ville aux afîiégeans. Les habitans
s’abandonnant à la férocité, égorgent leurs femmes
& leurs enfans. Philippe: veut en vain arrêter ce
carnage. Tous fe tuent aux yeux du vainqueur.
Le défaftre de cette ville fouleva toute la Grece..
Les Achéens honteux d’avoir Philippe pour allié,
fe détachèrent de fes intérêts. Ils s’unirent aux Etoliens
& aux Athéniens pour délivrer leur commune:
patrie de ce fléau de l’humanité. Mais trop.foibles
pour fe. fouftraire à fes fureurs, ils implorèrent
^ ^ ^ ance des Romains, qui faifirent cette occafion
detre les arbitres de la Grece. Philippe,- fans, amis
oc fans alliés, fuccomba fous les coups de tant d’en-
nenus, & vaincu dans la Theffalie., il fut obligé de
loulcrire aux conditions que le vainqueur daigna, j
lui impofer. Le général-Romain fe rendit aux jeux
1 Ifthmiques pour en faire publier les articles dont
le plus intéreffant déclaroit libres tontes les villes
de la G rece, & les autorifoit à fe gouverner par
leurs loix & leurs ufages.
Quand le hérault fit fa proclamation, tous les
G re cs, faifis de joie , ne favoient fi c’étoit un
fonge ou une réalité. Ils prient le hérault de répéter
l’article qui faifoit d’un peuple affervi un peuple li-
bre.Tout retentit alors d’applaudiffemens.Les Grecs,
toujours extrêmes , font éclater des tranfports de
joie qu’on eut plutôt pris pour les vapeurs de l’ivreffe
que pour des témoignages de reconnoiffance
envers le général Romain : chacun s’empreffoit de
lui baifer la main & de le couronner de fleurs. On
ne pouvoit concevoir qu’il y eût un peuplé affez
généreux pour traverfer les mers , pour immoler
fon repos , & facrifier fes richeffes, fans autre motif
que de rendre à l’humanité fon indépendance & fes
prérogatives naturelles. La même proclamation fut'
faite aux jeux Néméens. La juftice fut réformée dans
toutes- les villes , les bannis furent rappellés. Cette
‘ politique bienfaifante étendoit.la gloire des Romains
, & préparoit leur puiffance. Leur modération
s’étendit, jufques fur Nabis , tyran de Lacédémone,
& fur les Etoliens, également déteftés dans la,Grece.
Mais le fyffême de la république Romaine , étoit
de laiffer leurs vices aux peuples qu’elle vouloit
affervir ; & dans le tems qu’elle donnoit à chaque
ville fa liberté, elle leur défendoit de former des
alliances enfemble , afin qu’étant divifées par l’intérêt
elle pût fe fervir des .unes pour faire la loi
aux autres. Rome, enrichie des dépouilles-de Carthage
, s’en fervit pour acheter des traîtres.qui de-i
vinrent les artifans des fers de leur patrie. Tous
les différends furent fournis, à la décifion de ces fiers
tyrans , qui, fous le titre de protefteurs des Grecs,
les, aceoutumoient à les reconnoître pour arbitres.
Les Achéens conferverent encore quelque tems unè.
ombre.de liberté ; mais on craignit qu’en les laiffant
plus long - tems jouir de leurs prospérités , ils ne
fiffent fouvenir la Grece de fon ancienne indépendance
, & leur exemple contagieux âllarma les Romains,*
accoutumés à traiter leurs alliés en fujets ;
comme c’étoit le feul peuple à qui il reffât des
vertus, il parut fufpeft. Les Achéens s’apperçu-
rent trop tard que pour fe venger d’un ennemi dont
ils pouvoient balancer la puiffance, ils s’étoient
donné un maître à qui il falloit obéir. Perfée ,
monté fur le trône de Macédoine , laiffa concevoir
à la Grece l’efpérance de fe relever de fa chûte.
Mais ce* prince, affez. ambitieux pour former de
grands projets, & trop foible pour les exécuter ,
fervit d’ornement au triomphe de Paul - Emile. La
Macédoine , dominatrice autrefois de l’A fie , fut
réduite en province Romaine. Ses habitans difperfés
firentcraindre aux Grecsune pareille deftinée , s’ils
ofoient réclamer leurs droits. Les Achéens, feuls
libres & vertueux, en voulurent ufer pour réprimer
les.Spartiates, oppreffeurs de leurs alliés. Rome
leur ordonna de mettre bas les armes , & de ne
plus- troubler -la , tranquillité de la Grece. .Cet
ordre étoit un attentat contre un peuple libre. Les-
Achéens aigris par les clameurs féditieufes de Dieu s.
& de Critolaiis, fe diflimulerent leur foibleffe,
pour n’être fenfibles qu’aux atteintes données à leurs
privileg.es.' Rome, ayant befoin de toutes fes forces
contre Carthage, leur parut peu redoutable. Mé-:
tellùs ufa de la plus grande modération pour leur,
infpirer des fentimens pacifiques. Ils crurent qu’ils
étoient craints , parce qu’ils fe virent recherchés.
Métellus -, réduit ,à la .néçeflité de combattre , les
joint dans la Locride , & leur fait effuyer. une hon-
teüfë défaite. Critolaiis perdit la vie. Diéus , fon
collègue, raffemble les débris de fon armée , &c