verfes maniérés. Tantôt ce n’eft qu’in di r eft'e'men t
& en paflant; quelques mots ajoutés à l’idée abi-
traite lui donnent une détermination qui ne peut
convenir qu’à un être aérif ; c’eft ainfi qu’un prophète
a dit : devant lui marche la pejle. Tantôt c’eft
d’une maniéré direéle : on revêt la notion abftraite
d’un corps parfaitement déterminé , fur lequel le
poète fixe pour quelque tems nos regards ; tel eft
l’exemple fuivant d’Horace : ( Ode I. j p . )
Te fempèr anteit fàv'a jieceffztas ,
Clavos trabales & eitneos manu
Geflans aktna , ntc feverus
U nous abejt, liquidumque plumbum.
Tantôt , enfin , on prête à ces perfonnages allégoriques
des rôles entiers & fuivis , on les introduit
dans l’épopée , &c même dans le drame , polir
les faire agir avec des*perfonnages réels. C ’eft ainfi
que la difcorde, ïa renommée, l’amour, & tant
d’autres êtres allégoriques font, fouvent perfonni-
fiés chez les poètes tant anciens que modernes. On
peut encore rapporter en quelque maniéré à ce
genre les êtres purement fabuleux', les fylphes, les
gnomes, les dryades , les faunes , &c. On a fi fou-
vent blâmé , juftifié , excufé & loué les poètes fur
ce fujet, qu’on peut mettre Pufage qu’ils font de
ces images au rang des artifices équivoques de la
poiifie.
Nous parlons dans un autre article de l’ufage de
ces perfonnages allégoriques dans la peinture. Il e.ft
vra femblable que c’eft des tableaux qu’ils ont paffé
dans la poëfte ; ou peut-être aufli celle-ci les a-t-
él'le pris des hiéroglyphes. Ce qu’il y a de très-probable,
c’eft que la plupart des divinités du paga-
nifme & plufieurs héros de la Mythologie étoient
dans leur origine des perfonnages allégoriques. On
ne trouve dans Homere aucune différence effentiellé
entre les perfonnages purement phantaftiques qu’il
allégorife, tels que la renbmmée, l’aurore, 1’iris*,'
îès heures , les fonges , &c. & les dieux , auxquels ii
doit fuppofer une exiftence plus réelle. Il femble
même que ce poète prend quelquefois Jupiter &
Junon pour des perfonnages fîmplement allégoriques.
La première remarque qui fe préfente à l’efprit
fur ces êtres allégoriques , c’eft qu’ils different de
T allégorie propre , en tant qu’ils font la chofe lignifiée
elle-même, revêtue d’une forme corporelle ,
& non une fimple fubftitution d’une image à la placé
de l’objet repréfenté; ce n’eft pas le ligne, c’eft la
chofe. Cependant ces %res perfonnifiés peuvent
avoir toute l’énergie de l'allégorie , lorfque la
figure dont on les revêt exprime d’une maniéré
plus parfaite la nature de la chofe défignée. Le
meilleur exemple à citer en ce genre, c’eft l’image
allégorique que Milton a tracée du péché. Le poète
nous y peint une figure q u i, fans avoir de réalité,
peut néanmoins être conçue par l’imagination, &
dont l’afpeét excite en nous, mais plus promptement
& avec beaucoup plus de vivacité, la même
horreur , le même dégoût & les mêmes idées que
la contemplation réfléchie du mat moral auroit produit
avec, plus de lenteur & beaucoup moins de
force. De ce genre eft encore l’image de la Difcord
e , qu’Homere a tracée d’un coup de pinceau au
quatrième livre de l’Iliade (v. 440.). Les poètes anciens
& les modernes fourniroient divers exemples
de femblable s fictions.
Mais il y a une efpece plus commune d’images
allégoriques , qui éft inférieure en énergie à celle
dont nous venons de parler. L’Aurore aux doigts
de rofe s, qui revient fi fouvent dans Homere, l’ Iris
au vol rapide ; l”Amour, l'es Vénus & les Cupidbn's
de Tibulle, font un effet beaucoup plus foible en
poëfie qu’en peinture ; ce ne font fouvent rièn de
plus que des noms moins vulgaires & plus fono-
res que le mot propre ne l’éft.
D ’autres efpece s encore d’êtres perfonnifiés n’ont
aucune, figure dé t e r miné e ; i ls fe p r é fe nt e n t à l'imagination
ions la forme d’êtres vivans, mais dont Je
caraétere n’eft pas bien décidé , ou dont on ne
fauroit même fe faire une notion déterminée ; tels
font les fleuves, le’s villes , les provinces perfonni-
fiées, les génies des hommes & des nations, les
nymphes, 6ç tant d’autres êtres fantaftïques.
On perfonnifie ces êtres ou dans la feule vue de
rendre fenfiblês des notions abftraites ; ou pour mettre
du merveilleux dans l’aérion ; ou enfin pour
s’en fervir comme des machines qui forment l'intrigue
, ou le dénouement.
Quant au-premier ufage, il paroît fuffifamment
légitimé par l’autorité de la plupart des poètes anciens
& modernes. Sous ce point de vue, ces images
retombent dans la claffe de l’allégorie propre,
& ne different de celle-ci qu’en ce que le poète au
lieu de puifer dans les trois iources que nous avons
indiquées ', puife dans fa propre imagination. Ainfi
il eft aifè d’appliquer ici tout ce que noirs avons
obfervé et - deffus fur l’ufage, la diverfité , & ' la
nature de l'allégorie. Mais s’il faut déjà une grande
fagacité, pour tirer de la nature oit des arts une
allégorie énergique ; quel feu poétique, quel génie
créateur ne doit pas joindre à cette fagacité le poète
qui entreprend de donner un corps , & de nous
préfenter fous une figure vifible, les produirions de
fon cerveau? de perfonnifièr, comme Homere &
Milton la difféntion & le péché ?
Les images de l’efpece plus commune , tracées
d’une touche moins forte, lorfqu’on fait les employer
à propos , fervent à animer le fujet, & à y répandre
de l’agrément, ou à le rendre plus touchant ;
le langage du poète en prend une teinte d’enthou-
fiafine, qui lui. donne plus d’intérêt. Mais on n’obtient
ces avantages qu’à l'aide d’un goût bien délicat.
La profopopée, comme toutes les figures oratoires
, doit naître -ou d’une paflion -véhémente qui
dans fon trouble invoque lès montagnes, parle aux
rochers", & croit que toute la nature l’écoute Sc
s’attendrit.; ou elle doit naître d’une imagination
très vive qui , à chaque idée, donne un corps ,
& à chaque: corps , une vie & une ame-. Un coup-
d’oeil v if devient alors une fléché qui pénètre juf-
qu’au fond du coeur ; & titre troupe de petits amours
fe promènent fur un beau fein. Mais en vain un poète
médiocre nous montre-t-il les Amours & les Cu-
pidons, il n’en eft pas moins infipide.
Quant à .l’ufage des êtres allégoriques, confédérés
comme des perfonnages qui entrent dans l’action
principale , les fenrimens des critiques font
partagés. Cet ufage a principalement été introduit
par les modernes ; on n’en trouve du moins que
bien peu d’exemples chez les anciens, & s’ils s’en
font fon d, ce n’e ft , pour ainfi dire , qu’en paffant.
Il n’y a qu’Efchyle & Ariftophane qui ont introduit
dans leurs drames , l’un Mars, l’autre les Furies.
Mais ces perfonnages étoient des êtres réels dans la
religion du peuple qui afliftoit à ces fpe61acl.es. Les
anciens ne fe faifoient point de fcrupule, il eft
vrai , d’employer des êtres allégoriques dans la
fable , cependant un ancien même parle de cet
ufage comme d’une chofe peu naturelle ; Prifco illo
dicendi & horrido modo , dit Tite Live (/iv. / / ,
chap. J2.). Il eft très-poflîble que la barbarie du
goût qui régnoit encore, il y a deux frecles, ait introduit
ces êtres allégoriques parmi nous. On fait
que c’étôrént les principaux perfonnages des mau-
vaifes farces qu’on donnoit dans ces tenis-là. Milton
en a fu tirer parti en homme de génie ; & bien que
M. de Voltaire n’approuve pas la hardiefle dur poète
Anglois,. il n’a pas fait de difficulté de donner .à la
Difcorde un perfonnage allégorique dans, fa Hen-
riade.
Les critiques q u i, fans rejetter l’ufage des êtres
allégoriques & l’invocation des, mufes , eftiment-
néanmoins que cet ufage doit être reftreint dans
des bornes très-étroites , appuient leur fentiment
fur des raiforts fort plaufibîes ; il ferüi't abfurde
de défapprouver un ufage qui eft reçu même dans
le difcQurs ordinaire. Ne dit-on pas tous les jours :
la mort a furpris un tel ? Et combien d’autres ex-
pre fiions n’a-t-on pas , dans- lesquelles on attache
conftamment quelque chofe de corporel & de fen-
fible aux notions les plus abftraites? Ces métaphores,
pourvu qu’on n’y appuie pas trop long-tems, n’ont
rien qui révolte ; mais l’illufion ne fe foutient que
par le progrès rapide des penfées : dès qu’on s’arrête
un peu trop , elle fe détruit , on appef-çoit
l’abfurdité de la fuppofition ; la prudence veut- donc
qu’on ne montre ces êtres allégoriques qu’en paflant,
& qu’on les fa fie difparoître avant que l’illufion
puifle être difiipée. Si le rôle qu’on leur affigne eft
. court, & qu’il foit conforme à l’image que ndus
nous en faifons^ dans ce moment, rimagination en
eft agréablement frappée , & elle en devient plus
vive.
Mais, fi le poète s’appefantit fur ces êtres imaginaires,
s’il entre dans le détail de leurs aérions,
s’il y joint encore diverfès circo&ftanGes étrangères,
qui faffent fentar l’impoflibilité de la fiétion, il court
rifque de révolter fon leéleur ; tant de longueurs
laiflent à celui-ci le tems de fortir de l’illufiôn qu’il
eft fi indifpenfable de ne point perdre. Il faut avouer
qu’il y a des imaginations fi glacées-, que la plus
légère métaphore peut les choquer ; & fi la raifon
veut analyfer froidement ce qui n’eft fait que pour
frapper l’imagination , il faudroit renoncer aux figures.
les plus fimples ; mais aufli l’imagination la
plus échauffée ne foutient pas long-tems la vue
d’un perfonnage allégorigue, q u i, à force de fe
montrer par trop de côtés , lui laiffe appercevoir
qu’elle navoit faifi qu’un phantôme^
.On cherche à la vérité à juftifier l’ufage de. ces
êtres allégoriques, par la nécefiité qu’il y a de mettre
du merveilleux dans un poème. Les anciens , dit-
on, pouvoie'nt y employer leurs divinités ; aujourd’hui,
comme il feroit indécent d’impliquer l’être
fuprême dans des aérions profanes , le merveilleux
qui fait l ’eflence de l’épopée , n’a plus d’autre
fource que les êtres imaginaires. Mais, quand on
accorderoit tout ce la , ce qui ne paroît cependant
point devoir être concédé, il en réfulteroit Amplement
que les perfonnages allégoriques peuvent
être tolérés ; mais On n’en pourroit pas conclure qu’il
donnent de la beauté au poème. Le grand & le
merveilleux de l’Iliade ne naît certainement pas de
Punique aflbci&tion des dieux aux héros d’Homere;
& Ofîîan dans fes épopées, ri’a ni divinités-, ni êtres
allégoriques.
Les fylphes, les génies & autres êtres de pure
invention , n’appartiennent pas à la claffe des êtres
allégoriques, ils font de la mythologie ; ils ne font
proprement allégoriques que dans les arts du deflin.
yoye^ ci-après ALLÉGORIE ( Peinture.) ( Cet article
ejl tiré de la Théorie générale des beaux-arts de M.
Su l z e r . )
_ Allégorie , (Belles Lettres.) On n’a pas a fiez
diftingne; Xallégorie d’avec l’apologue , ou la fable
morale.
Le mérite de l’apologue eft de cacher le fens
moral, ou la vérité qu’il renferme, jufqu’au moment
de la conclîifiori qu’on appelle moralité.
Le mérite de l’allégorie eft de n’avoir pas befoin
dfoxpliqtier là vérité qu’elle enveloppe, & de la
faire fentir à chaque tra it, par la jufteffe de fes
rapports.
L’apologue , par fa naïveté, doit reflembler à
un conte puérile , afin d’étonner davantage lorf-
qu il finit par etre une grande leçon. Son artifice
confifte a^ deguifer fon deflein, & à nous préfenter
des vérités utiles, fous l’appât d’un menfonge frivole
& amufant. C’eft Socrate qui joue l’homme
fîmpley au lieu de fe donner pour fage.
L'allégorie y avec moins de fineflë, fe propofe,
non pas de deguifer, mais d’embellir la vérité, ôc
de la rendre plus fenftble. C’eft, comme on l’a très-
bien d it, une métaphore continuée. O r , une qualité
effentielle de la métaphore eft d’être tranfparente;
il falloit donc auffi donner pour qualité diftinérive
à Y allégorie , cette clarté, cette tranfparence qui
laiffe voir la vérité & qui ne' l’obfcurcit jamais.
Les détours , comme je l’ai dit, font convenables
à l’apologue : fans perdre fon objet de v u e , il feint
de s’amuler &: de s’égarer en chemin ; il fait même
quelquefois femblant de s’occuper férieufement de
détails qui n’ont aucun trait au f e n s moral qu’il fe
propofe ; ê’eft le grand art de la Fontaine.
Il n’en eft pas de même de Xallégorie ; on la voit
fans ceffe occupée à rendre fon objet fenfible, écartant
comme des nuages , tout ce qui altéré la juf-
tefle de l’allufion & des rapports.
Quelquefois, dans l’apologue , la juftefie des rapports
eft aufli précife que dans l’allégorie j mais
alors, en fe rapprochant de celle-ci, rapologue
s’éloigne de fon vrai carâétere , qui Confifte à faire
un jeu d’une leçon de fageflë, Sc à ne laifîèr apper-
cevoir fon but qu’au moment qu’on y eft arrivé.
L’allégorie eft quelquefois aufli une façon de présenter
avec ménagement une vérité qui offenforoif
fi on l’expofoit toute nue ; mais elle la déguife
moins. C ’eft un confeil diferétement donné, mais
dont celui qu’il intéreffe, ne peut manquer à chaque
trait de fentir l’application. L’ode d’Horace tant de
fois citée,
O navis, réfèrent in mare te novi jluclus, &c.
en eft l’exemple Sc le modèle. Entre un vaiflëau
& la république, entre la guerre civile & une mer
orageufe, tous les rapports font fi frappans , qué
les Romains ne pouvoient s’y méprendre; & la vérité
n’eut jamais de voile plus fin , ni plus clair.
C’eft ainfi que Y allégorie, parla jufteffe de fes
rapports , doit toujours laiffer entrevoir la vérité
qu’elle enveloppe. Son objet eft manqué, fi l’efprit
, fatisfait d’en appercevoir la furface, ne defire
pas autre chofe , & ne pénétré pas le fond.
C’eft ce qui arrive toutes les fois que Y allégorie
peut être elle-même une vérité affez intéreflante,
pour laiffer croire que le poète n’a voulu dire que
ce qu’il a dit. Car rien n’empêche alors l’efprit de
s’y arrêter, fans rien foupçonner au-delà ; & c’eft
pourquoi il eft fouvent fi difficile de décider fi la
fiélion eft allégorique , ou fi elle ne l’eft pas.
Que de l’exemple d’une aérion épique, il y ait
quelque vérité morale à détruire (ce qui arrive naturellement
fans que le poète y ait penfé), le pere le
Boflti en inféré que la fable du poème épique eft
une allégorie , un apologue. 11 va plus loin : il
veut que la vérité morale foit d’abord inventée,
qu’àprès cela on imagine un fait qui en foit la
preuve & l’exemple, & qu’on ne nomme les perfonnages
qu’après avoir difpofé l’aérion. Aflurément
ce n’eft pas ainfi qu’Homere 6c Virgile ont conçu
l’idée & le plan de leurs poèmes.
Plutarque a raifon de comparer les Sérions poétiques
aux feuilles de vigne , fous lefquelles le
raifin doit être caché; Mais, toutes les fois que le