
*lu Mexique, eft un roman pour le moins aüfli gromef,
•que les. fixions rapportées par Eiien ( Hiß. diverf.
lib. H L ) , au fujet d’un pays imaginaire , tout rempli
d’or , 8c qui « paru avoir la plus parfaite conformité
avec le Pérou aux .yeux de plufieurs favans, ■ dont le
jugement étoit très-borné. Quoi qu’ait pu en dire
Voffius, dans fes commentaires fur Mêla, 8c M. Huet,
dans fon traité du commerce des anciens, où il cite
les annales £ O rmus, que perfonne ne connoît, il eu
certain que les .Chinois n’ont pas fait des voyages de
long cours ; & en 1430 ils n’avoient aucune notion
fur-Pile Formofe qui n’eft qu’à dix-huit lieues de
leurs côtes.-S’ils avoient été dans l’ufage de faire des
voyages de long cours, leur ignorance en Geographie
ne feroit pas 'auffi prodigieufe qu’elle l’elt encore
a&uellement, au point qu’ils n’ont jamais été en état
de lever la carte de la Chine; & quand ils ont voulu
avoir une carte de la Chine, ils ont du y employer
des Européens, dont nous connoiffonsle travail, qui
eft encore bien éloigné de ce que-la Geographie pofi-
tive pourroit exiger au fujet d’une fi vafte région de
rAfie.
S’il y a un peuple en Europe-qui ait effectivement
fréquenté quelques côtes dé [’Amérique feptentrio-
nale avant l’époque des navigations dé Colomb 8c de
Vefpuce, ce font les Iflandois 8c les Norvégiens;
puifqu’on ne fauroit difconvenir que les uns & les
autres n’aient fâit'avant le x v fiecle des établiffemens
au Groenland , qu’on doit envifager aujourd’hui
comme une, partie du nouveau continent. Mais il eft
effentiel d’obferver ic i, qu’on ne feroit jamais parvenu
à découvrir le centre de V Amérique, fi l’on
n’avoit pas trouvé d’autre chemin pour y pénétrer
que celui du Groenland , où*, les glaces empêchent
qu’on ne voyage fort ayant dans les terres, 8c ou
les glaces empêchent encore qu’on ne navigue .-fort
avant vers ;le pôle. D’ailleurs j e danger de . ces parages,
i’exceffive rigueur du climat, le défaut de,
toute efpece .de fubfiftance, 8c le peu d’efpoir d’y
trouver, clés tréfors, euffent fuffi pour rebuter les
navigateurs les plus déterminés. Chriftophe Colomb
au contraire découvrit en 1491 une route ai fée \ 8c
quand on l e v o i t , s’élever jufqu’au x x y degré de
latitude nordV p.our faifir ce vent d’eft qui regne
ordinairement; entre, les tropiques , 8c aller enfuite
prefque .en droite ligne- à Iule de' Saint-Domingue,
.on feroit tenté de croire qu’il favoit cette route
d’avance ; aufîi les Efpagnql?y;par une ingratitude
véritablement monftreufe , ont-ils voulu priver ce
grand homme, qui n’étoit pas.né en Efpagne , de
la gloire de fa; découverte, en débitant à cette occasion
des fables püériles 8c.,contradictoires. La vérité
e f l , que Colomb a été guidé par un de fes freres,
nommé Barthelami, qui étoit géographe; 8c en fa-i-
fant des mappe-mondes, telles qu’on pouvoit en
faire alors, il ;ne ceffoit de, s’étonner que de trois
cens foixante degrés de longflude, on n’en connut
que cent,quatre-vingts tout.au plus ; de forte qu’il
reftoit autant à découvrir du globe qu’on en avoit
ftécouyert 4 8c comme il ne lui /paroiffoit pas probable
que l ’Océan put couvrir tout un hémifphere
fans aucune interruption-, il foutint qu’en allant toujours
des Canaries à l’oueft, ou trouveroit.ou des
îles ou un continent. Et en effet on trouva d’abord
des. îles 8c enfuite un-continent, où tout étoit dans
une déïolation fi grande, qu’on ne peut y réfléchir
fans étonnement. Nous ne nous fommes point pro-
pofé de fuivre ici les anciennes relations, où l’on a
joint .à la crédulité d’un enfant les délires d’un vieillard.
Dans, cesrelations tout eft merveilleux, & rien
n’y eft approfondi ; il faut donc tâcher de donner au
le&eur-des notions plus claires 8c des idées plus
juftes.. ,
Parmi.les peuplades répandues dans les forêts 8c
lesfolîtudeâ de cè monde qu’on venoit de découvrir,’T
il n’eft pas poflible d’en nommer plus de deux, qui
euffent formé [une efpeGe de fociété politique ,
c’étoit les Mexicains 8c les Péruviens , dont l’hi-
ftoire eft encore remplie de beaucoup de fables.
D’abord leur population a du être bien moindre
qu’on l’a dit, puifqu’ils n’avoient point d’inftrumens
de fer pour abattre les bois, ni pour labourer les
terres ils n’avoient aucun animal capable de traîner
une charrue , 8c la conftruûion de la charrue même
leur étoit inconnue. On conçoit aifément que, quand
il faut labourer avec des pelles de bois, & à force
de bras , on ne fauroit mettre beaucoup de terres
en valeur: or fans une agriculture régulière où le
travail des bêtes concourt avec celui de l’homme, -
aucun peuple ne fauroit devenir nombreux dans quelque
contrée du monde que ce foit. Ce qu’il y a de
bien furprenant, c’eft qu’au moment de la découverte
, l’Amérique ne poffédoit prefque aucun animal
propre au labourage : le boeuf 8c le cheval y
manquoient de même que l’âne, qui a été anciennement
appliqué' à la. culture-par quelques nations de
notre continent, comme dans la Bétique 8cla L ybie,
où la légèreté des terres, dit Columelle, Çde R&
Ruß. lib. R II.) fait que cet animal a pufuppléer le travail
des cheVaux & des boeufs. On croit communément
que le bifon de l’Amérique auroit pu y fervir
à labourer ; mais comme le bifon a un inftinét très-
revêche, il auroit fallu auffi le dompter par une
longue fuite de générations, pour iui infpirer par.
dégrés le goût de la domefticité. Or voilàce que perfonne
n’avoit même imaginé en Amérique, où les.
"hommes étoient fans comparaifon moins induftrieux»
moins inventifs que les habitans de notre hémifphere,:.
leur indolence &leur pareffe ont fur-tout frappé les
observateurs les plus attentifs 8c les plus éclairés. Enfin
la ftupidité,' qu’ils témoignent en de certains cas, eft
telle qu’ils.paroiffent viv re , fuivant l’exprefîion de
M. de la Condamine -, dans une éternelle enfance,
i Foyagt fur le fleuve dés Amazones, y
Cependant on n’a rien remarqué d’irrégulier dans
l’extérieur de leurs membres, fi l’on en excepte le défaut
prefque abfolu de la barbe, 8c de ce' poil follet,
que les individus des deux fexes devroient y avoir
après le.terme de la puberté; 8c on ne fauroit dire
toutefois que le germe de ce poil foit détruit ou déraciné
: puifqu’en un âge fort avancé, il leur en croît
par-ci parrlà quelques épis, qu’ils s’arrachent ordinairement
avec des pinces de coquilles. Leur taille ne-
différoit point de celle des autres hommes répandus
dans les zones tempérées: car au-delà du cercle boréal
, la peuplade des Eskimaux ou des Innuits, quoi-.
qu,e de race Américaine, ne comprend que des fu-
jets fort petits ; parce que l’action extrême du froid
s’y oppofe au développement des membres : 8c il
en eft à-peu-près de même dans le Groenland ,
qu’on fait auffi avoir été primitivement peuplé par.
des hordes de race Américaine ;,8c le plus parfait
accord du langage des Groenlandois avec celui des
Eskimaux, ne laiffe fubfifter à cet égard aucun doute.'
Il n’y a qu’un amour aveugle du merveilleux qui
ait pu Faire répandre des fables auffi révoltantes que
le font, toutes celles qui parlent d’une efpece gigan-
tefque, trouvée aux terres Magellaniques, qu’on eft
aujourd’hui dans l’ufage de nommer la Patagonie. Les
voyageurs les plus raifonnables, comme Narbrough
( Voy. tothe fouth fed ), qui aient communiqué avec les
Patagons, nous lesrepréfentent de la taille ordinaire
de l’homme, vivans par petites troupes dans des contrées
immenfes , où les Anglois qui ont traverfé ces
contrées d.ans toute, leur longueur, depuis le cap
Blanc jufqu’à Buenos-aires, n’ont pas vu un pouce
de terrein cultivé, ni aucune ombre de labour ; de
forte qug. la difficulté de trouver la fubfiftance a dû
T
y être très-grande avant le tems de là découverte;
8c lorfque les chevaux n’y exiftoient pas encore ;
puifque la chair de ces animaux fert prefque unique^
ment, aujourd’hui à nourrir les Patagons qui occupent
le centre des terres entre le fleuve de la Plata,
8c le 45e dégré de latitude fud. Tel eft l’excès de la
pareffe dans ces fauvages , ils mangent les chevaux
parle moyen defquels ils pourraient défricher leurs
déferts, 8c finir enfin ce genre de vie miferable
qui ne les met pas au-deflùs du niveau des bêtes-gui-
dées par leur-inftinft. , • . ■
Nous ne compterons pas ; comme on l’a fait ju f qu’à
préfent, parmi les races particulières. 8c diftin-
ftes , ces Blafards qu’on rencontre en allez petit
nombre à la côte Riche 8c à l’ifthme du Darien ;
( Warffer’s defcript. o f the ijlhmus ofAmer. & Coréal
V o y .t .l.) puifque c’eft une maladie , ou une altération
accidentelle dans le tempérament des pareils
qui y produit ces individus décolorés qu’on
fait avoir une grande analogie avec les negres-blancs
ou les Dondos de l’Afrique, 8c avec les Kakerlakes
de l’Afie. L’indifpofition d’où réfultent tous ces fym-
ptomes, attaque plus ou moins les peuples noirs ou
extrêmement bafanés dans les climats les plus chauds
du globe. Les Pygmées , dont il eft parlé en une
relation traduite par M. Gomberville de l’académie
Françoife, les Himantopodes ou les fauvages , qui
ont l’inflexion du genou tournée en arriéré , les Eftoi-
landois qui n’ont qu’une jambe, doivent être rangés
avec lès. Amazones 8c les habitans de la ville d’Or
du Manoa, au nombre de ces abfurdités que tant de
voyageurs ont ofé croire , 8c qu’ils ont'ofé écrire..
Tous les' hommes monftrueux, qu’on a vus au nouveau
monde, étoient monftrueux par artifice ; comme
ceux'qui ont la tête parfaitement fphérique, 8c
qii’on nomme tètes de boule, comme ceux qui l’ont
applatie , 8c qu’on nomme plagiocéphales, comme
ceux enfin, qui l’ont conique on alongée., 8c qu’on
nomme macrocéphales. Chez les peuples nuds, où les
modes ne fauroient affeâter les vêtémens, elles affectent
le corps même, 8c produifent toutes, ces difformités
qu’on a eu lieu de remarquer parmi les
fauvages , dont quelques- uns fe raccourciffoient
le cou ,fe perçôient la eloifon du n ez, les levres, les
pommettes des joues, 8c dont d’autres s’alongeoiènt
les oreilles ou fe faifoient enfler les jambes par le
moyen d’une ligature au-deffus delà cheville.
On ne fait point, 8c il fera toujours difficile de
favoir au jufte quelle a pu être la véritable caufe
du mal vénérien, dont tant d’Américains étoient
atteints., aux Antilles, aux Caraïbes, dans la Floride
, dans le Pérou 8c une grande partie du Mexique
: on a hafardé à cet égard beaucoup de conje&ures
rares par leur ridicule. On a prétendu que la chair
du poiffon enivré avec le cururu-apé, 8c que la
chair du gibier tué avec des fléchés envenimées avec
l ’expreflion de la liane woorara, y avoit produit
cette contagion. Mais les anciens peuples fauvages
de notre continent ont empoifonné tout de même
leurs armes de chaffe , fans qu’il en ait jamais réfulté
le moindre inconvénient par rapport à leur fanté ;
& on fait par expérience , que le poiffon qu’on
affoupit dans les étangs avec la coccula Orientais
offîcinarum ,■ Ik. que les poulets qu’on tue dans quelques
cantons des Alpes avec des couteaux frottés de
fuc de napel, donnent une nourriture très-faine;
D ’ailleurs à l’îl,e de S. Domingue où le mal vénérien
feviflbit beaucoup, l’ufage des traits envenimés n’é-
toït pas en vogue comme chez les Caraïbes 8c parmi
plufieurs peuplades de la terre ferme. Il n’eft pas vrai
non plus que la piquûre d’un.ferpent ou d’un lézard
de la ^ elaffe des iguans, ou que la chair humaine
mangée par les anthropophages ait engendré ce poi-
fon vérolique dans le fang des habitans du nouveau
Tome /»
monde. L’hypothefe de M. Aftruc, telle qu’elle eft
• expofée dans la dérniere édition de fon grand ouvrage
de Morbis venereis, s’éloigne bien moins d'e là
vraisemblance, que les, opinions bifâïrës dont on
vient de parler : cependant il s’en faut dé beaucoup
que cette hypothefe de M. Aftruc foit généralement
adoptée. Nous dirons ic i, que le mal vénérien a pit
être une affeûiôn morbifique dû tempérament des
Américains, comme le fcorbut dans lès contrées du
nord ; car enfin , il ne fa.ut pas s ’imaginer que cette
indifpofition. ait fait les mêmes ravages en Amérique
, qu’elle fit en Europe quelque tems après
fa tranfplantation.
Le défaut prefque abfolu de la culture , la grandeur
des forêts, la grandeur des landes, les eaux des
rivières épanchées hors de leurs bafîins, les nraraié
8c les lacs multipliés à l’infini, 8c l’entaffement des
infe&es qui eft une conféquence de tout cela , ren-
doient le climat de Y Amérique mal fain dans de certains
endroits, 8c beaucoup plus froid qù’iln’auroit
dû l’être , eu égard à la latitude rèfpe&ive des contrées.
On a évalué la différence de la température
dans les deux hémifpher es fous lès mêmes parallèles,
à douze dégrés > 8c on pourroit même , par un calcul
rigoureux, l’évaluer à quelques dégrés de plus»
Or toutes ces caufes réunies ont dû influer fur la con-
ftitution des indigènes, ôc- produire quelque altération
dans leurs facultés : auffi n’eft-ce qu’à un défaut
de pénétration qu’on peut attribuer le peu de progrès
qu’ils avoient faits dans la métallurgie , le premier
des arts, 8c fans lequel tous les autres arts tombent
comme en léthargie. On fait bien que la nature n’avoit
pas refufé à Y Amérique les mines de fe r , 8c
cependant aucun peuple de Y Amérique, ni les Péruviens,
ni les Mexicains ne 'poffédoient le fecret de
forger ce métal ; ce qui les privôit de beaucoup de
Commodités, & les mèttôit dans l’impoffibilité dé
faire ■ des 'abattis réguliers daris les bois, 8c de contenir
les rivières dans leurs lifS.’" Leurs haches dé
pierre ne pouvoient entamer le tronc dès arbres,'
que quand ils y appliquoient en même tems le feu;
de forte qu’ils emportoïent toutes les parties réduites
en charbon, 8c empêchoient la flamme de gagner
le refte. Leur procédé étoit à peu-près lé même ,
lorfqu’il s’agiffoit de faire des barques d’une feule
piece, ou des chaudèrons de bois dans lefquels ils fai-
foient cuire leiirs viandés eri y.jettant e.nfaite des
cailloux rougis : car il s’en fàiit de beâucdup que tous
les fauvages connuffent l’art dé former des vafeS
d’argille. Plus ces méthodes s’éloignoient de la per-
fecfion j 8c plus elles èxigéoient de tems dans la
pratique : auffi a-t-on vu dans le fud dè Y Amérique ,
des hommes occupés pendant deilx mois à àbattré
trois arbres. Au refté, on croira aifément que les
peuplades les plus fêdentàirës, comme les Mexicains
8c les Péruviens * avoient, malgré le défaut du f é r ,
acquis un dégré d’induftrie bien fupériêur aux con-
noiffances méchaniques que poffédoient les peuplades
difperfées par famiîles , cômrbe les Worrons, où
les nommes n’ont pas allez de reffource, dit M. Ban-
croft-, pour fe procurer la partie la plus nécefl’airé
du vêtement, 8c ce n’eft qu’avec le réfeàu qu’ori
trouve dans les noix de cocos , ou âvec quelques
écorces d’arbres, qu’ils fe couvrent les organes de la
génération. ( Naturgefchichtè von Guiana. )
Il ne faut pas s’étonner après tout cela, de ce qué
•le nouveau monde ebnténoit fi peu d’hâbitans ail
moment de là découverte : caria vie fauvagè s’op-*
pofe à là multipiication de l’efpece au-delà de ce
qu’bn pourroit fe l’imaginér; 8c moins les fauvages
cultivent de terre , 8c plus il leur faut de terreirt
pour v ivre. Dans le nord de Y Amérique , on a par- •
couru des contrées de quarante lieues en tout îenS
faris rencontrer une eabâne ; fans ap'percevoir lé
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