femmes qu’il feroit avantageux que toutes les con-
noiffances utiles 8c les erreurs même, fufl'ent consignées
dans ce dépôt publie, afin* que , dans l’oc-
cafion,on pût y trouver les unes pour en profiter,
& les autres pour les éviter.
Nous proteftons d’avarice , que notre intention
n’ eft pas de critiquer ou de blâmer : car nous Sommes
convaincus que ceux qui préfèrent F artillerie
des puiflances étrangères à la nôtre, croient y trouver
des avaritages réels, fans quoi ils renonceroient
bien vite à leur opinion. Nous ne fournies d’ailleurs
que rédacteurs, 8c nous ne préfentons dans cet article
, que ce qui a été dit pour & contre les deux
fyftêmes : nous aurons foin de citer en conféquence
les fources où nous aurons puifé.
Confidérer l’artillerie comme l’arme unique effen-
tielle qui doit feule gagner lés batailles, ou la regarder
comme inutile dans les combats, font deux excès
également blâmables & qu'il faut éviter : la comparer
aves les armes de jet des anciens 8c donner
la préférence à celles-ci, comme l’ont fait le chevalier
Follard & quelques-uns de fes feCtateurs § eft
une opinion qui paroîtra inloutenable à tous ceux
qui voudront examiner 8c juger fans partialité.
Quelle différence , en effet, dé ces machines compliquées
auxquelles il falloit des chars pour les
voiturer , 8c qu’on ne mettoit en batterie qu’avec
peine ; des machines dont les -montans 8c les bras
donnoient tant de prife aux batteries oppofées ,
qu’on ne pouvoit mettre en aftion qu’à force de
leviers, de cordages, de moufles, de treuils, auxquelles
on oppofoit des tours de charpente qui
réfifioient à leurs efforts pendant des tems infinis :
quelle différence , dis-je , de ces machines à nos
bouches à feu, qui fe chargent aifément 8c qui fe
mettent en batterie fur l’affût même qui fert à leur
tranfport ? Quelle différence dans la longueur &
la jufteffe des portées, dans la force des mobiles
projettés & dans la rapidité des effets ! Voyez ces
boulevards détruits & réduits fi promptement dans
un monceau de décombres , des fronts entiers de
fortification que le ricochet force à abandonner, des
retranchemens ouverts 8c renverfés, des files entières
de cavalerie 8c d’infanterie emportées , le
feu , l’effroi , l’épouvante, la mort portée à des
diftances incroyables , par la force inexplicable du
fluide élaftique de la poudre , mis en aétiori par
l’inflammation fubité : comparez ce reflort avec
celui des machines anciennes, & jugez ( <z).
Saris entrer ici dans une plus longue difeuflion
qui nous paroîtroit déplacée , nous regarderons la
queftion comme décidée en faveur de Fartillerie,
& nous obferverons d’abord, que les militaires en
général, font un peu prévenus pour Fefpece de
fervice auquel ils fe font dévoués : la cavalerie ne
fait pas grand cas de l’infanterie , celle-ci regarde
à fon tour les troupes à cheval avec affez d’indifférence
; 8c l’un 8c l ’autre croient qu’on pourroit fort
bien fe paffer d'artillerie dans la guerre de campa-
gnè. Pour nous qui n’avons aucun intérêt à faire
valoir une arme aux dépens d’une autre, qui n’avons
ni pallions, ni efprit de parti, nous croyons qu’il
feroit aufli injufte de dire que l’artillerie n’a aucune
influence dans les batailles, que d’établir qu’elle doit
feule les gagner. Le fort des combats dépend de la
tête du général, d’une armée inftruite, difeiplinée
8c aguerrie, dont il a mérité la confiance, d’une marche
, d’une pofition, d’un ordre de bataille, 8c enfin
du mélange bien combiné des différentes efpeces
d’armes. C ’eft par cette combinaifon bien entendue
que François I. triompha à Marignan, & c’eft pour
l ’avoir négligée 8c arrêté l’effet de fa batterie dans
(à) Effai général de Taâique »page 13ƒ,
le parc, que la vi&oire lui-, échappa des mains à
Pavie (£). L'artillerie contribua beaucoup au fuccès
d’Henri IV. à Ivry, à Coutras, & fur-tout à Arques
où ce monarque, engagé' dans un combat extrêmement
inégal, dut Ion triomphe inefpéré à quatre
pièces de canon , dont un brouillard épais avoit
rendu l’effet inutile au commencement de l’aâion.
Turenne qui poffédoit fi éminemment toutes les
parties de la guerre , ri’iguoroit pas le parti qu’on
pouvoit tirer de l’artillerie, & ayant appris la veille
de la bataille des Dunes, que le canon des Efpa-
gnols ne devoir arriver que dans deux ou trois
jours, il fe décida à fortir de fes lignes , à prévenir
l’ennemi, 8c à l’attaquer le lendemain matin ( c ).
Le chevalier de Follard, qui ne faifoit pas grand
cas de Xartillerie, 8c fon témoignage eft d’autant
moins fufpeft, raconte qu’au combat de Caffano ,
l 'artillerie débarraffée des équipages qui l’a voient
long-tems mafquée , ayant faifi des emplace-
mens favorables, emportoit des files entières, 8c
que des pièces , placées en oblique , firent encore
un plus grand meurtre , enforté que les ennemis
ne purent tenir contre un feu fi prodigieux & fi
continu (</). Notre hiftoire militaire nous fournirent
beaucoup d’autres faits qui concourroient à
prouver qu’une artillerie bien dirigée , peut. avoir
une grande influence dans les affaires de campagne :
mais pour ne pas entrer dans des détails fuperflus ,
il nous fuffira de nommer Dettingen 8c fes heureux
commencemens, Foritenoy & la redoutable colonne
Angloife,prefque maîtreffe du champ de bataille,
arrêtée par quelques pièces de canon: Raycoux,
Lawfelt, dans la partie où le canon fut employé ,
Aftembeck , Bergen, &c.
Il eft vrai que l'artillerie ne feroit qu’un furcroît
d’embarras ,. qu’une maffe qui appefantiroit 8c retar-
deroit les mouvemens des armées", fi elle étoit trop
nombreufe, mal conduite 8c mal dirigée ; maisilfaut
pdur qu’elle faffe tout l’effet dont elle eft capable ,
que le général qui la commande, 8c les officiers
'chargés de fon exécution fous fes ordres, aient des
connoiflances beaucoup plus étendues que ne le
foupçonnent peut-être ceux qui n’ont pas examiné
d’affez près cette importante partie de l’art militaire.
Si Fon croyoit que tout confifte à faire arriver X artillerie
à tems & à tirer devant foi , on feroit dans
Ferrëur. Il faut que le général qui la commande ait
l’efprit v if & fécond en reffources , pour trouver
promptement des remedes aux accidens imprévus,
beaucoup de fang-froid pour les ordonner &
les appliquer, fans infpirer.d’inquiétude à ceux qui
l’environnent, quel que foit le fuccès d’une affaire :
une connoiffance générale du théâtre de la guerre,
8c très-exaéle du champ de bataille , le coup-d’oeil
v if & sûr pour faifir fur le front 8c. les ailes de la
bataille, les polirions les plus favorables aux era-
placemeris du canon ; ces emplacemens peuvent
changer dans le cours d’une affairé, fuivarit les circon-
ftances heureufes ou malheureufes , lefquelles exigent
par conféquent de nouvelles combinaifons 8c
de nouveaux mouvemens : ceS môùvemèns font
d’autant plus difficiles à exécuter , qu’il faut, autant
qu’il eft poffible , qu’il ne nuifent point à ceux des
troupes, mais qu’ils lesfavorifent 8cles protègent,
au contraire, par un feu ftiivi 8c bien dirigé. Il faut
donc que les commandans de l'artillerie connoiffent
les évolutions & les manoeuvres des troupes, qu’ils
foient aftifs & prompts pour fe porter par-tout où
leur préfence eft néceffaire, 8c où les changemens
S Effai fur l’ufage de l'artillerie, pages 1, / / & 12.
A defeription oftke maritime paris of France , &c. London-,
1761.
'' (d) Follard, Tome IU,pages 33 j 6* 33.6.
qui arrivent dans les difpofitions de l’ennemi, obligent
de changer celles' dés batteries. Les affaires
dans les montagnes , dans -les plaines découvertes,-
dans les pays coupés & couverts, les attaques 8c
défenfes de. rètranchemeris 8c de poftes, les paffa-
ges des rivières, l’offenfive ou la défenfive , font
autant de- circonftancès particulières’ qui exigent
des préparatifs, des manoeuvres , des mouvemens,
des emplacemens, des fyftêmes différens. Pour les
fieges , nouveaux talens-y foit dans l’attaque 8c la
dérenfe des places; nouveaux détails pour les appro-
vifionnemens dans l’un ou l’autre; cas; fcience des
mines, art des ponts , des eonftru&ions-d’affuts ,
de haquets, de voitures de toute efpëce , les petites
manoeuvres, c’eft-à-dire l’art d’employer avec
avantage 8c promptitude • les- leviers”,;' les treuils ,
les poulies , & c . Les grandes manoeuvres, c’eft-à-
dire l’art de fuppléer à toutes ces machines, lorfqu’on
en eft dépourvu : tout cela eft du reflort d’un
bon officier d’artillerie, 8cles connoiflances qu’il doit
réunir , &' que nous ne faifons qu’indiquer rapidement
, font, comme on v o it , très-étendues ;• mais
ces derniers objets font-étrangers à cet article,
où il n’eft queftion que de l'artillerie de campagne ou
de bataille, 8c del’efpece de pièces qu’on y emploie.
L ’objet de l’artillerie de bataille eft non-féuiëment
d’empêcher ou de retarder la formation des trou-
p.es ennemies, ou de les rompre, lorfqu’ellesfont
formées ; de porter le défordre dans les bataillons
8c les efeadrons , en faififlant les -emplacemens les
plus avantageux pour les battre de front, d’écharpe
8c de revers, de détruire les batteries ennemies, &c.
mais aufli d’ouvrir les retranchemens., les abattis,
les murs même de certains poftes qui coûteroient
bien du fang pour les infulter 8c les prendre de vive
force, fans le fecours du canon. Mais quelque convaincu
que nous foyons de Futilité de Xartillerie,
nous fommes bien éloignés de penfer qu’il faille la
multiplier exceflivement dans les armées , ainfi que
l’ont fait prefque toutes les puiflances de l’Europe.
« Les Romains aguerris 8c disciplinés, pour tout dire
en un mot, les Romains de la république , n’avoient
'point d’armes de jet à la fuite de leurs légions : peu-
à-peü on en eut quelques-unes pour battre les retranchemens,
pour occuper les points principaux
dans les ordres de bataille ; cette petite quantité
relative 8c fuffifante à l’objet propofé , pouvoit
être regardée comme un progrès de Fart militaire :
on en accrut fucceflivement le nombre : la ta&ique
déchut, les courages dégénérèrent ; alors l’infante-'
rie ne put plus réfifter à la cavalerie, il fallut de
groflès machines de jet pour l’appuyer : on en traîna
jufqu’à trente par légion, on en couvrit le front des
armées ; les combats s’engageoient par là , fouvent ils
finiflbient avant qu’en en fut venu aux mains : ces
tems furent ceux de la honte 8c de la ruine de
l’empire.
Suivons l’hiftoire de nos fiecles, nous y verrons
pareillement les nations placer leur confiance dans
la quantité de leur artillerie, en raifon de la diminution
du courage 8c de l’ignorance des vrais principes
. de la guerre. Les Suiffes qui humilièrent la maifon
de Bourgogpe, ces Suiffes dont François I 8c Charles
V fe difputoient l’alliance , dédaignoient le canon ,
ils fe feroient crus déshonorés de s’en fervir ; c’étoit
une étrange préventioneffet de leur ignorance, qui
caufa leur défaite à Marignan : encore cet excès
valoit-il mieux que celui où l’on a donné depuis ; il
fuppofoit du courage, 8c celui dans lequel nous
fommes tombés ne fait honneur ni à notre courage,
ni à nos lumières.
Où commença,l’ufage des trains énormes artillerie?
Ce fut.chez les Turcs, chez les Ruffes. Les
Czars Jean 8c Bazile menoient avec eux 300 pièces
Tome I, \
de,canon dans leurs guerres contre les Tartares. Ges
retranchemens de Narva , que Charles XII emporta
avec 8000 Suédois, étoient garnis de 150 bouches
à feu. Pierre le Grand difeiplina fa nation, 8c diminua
cette quantité d'artillerie; après lui, elle reparut
dans, les armees. Ruffes : on les v it , la guerre dernière1,
traîner à leur fuite jufqu’à 600 pièces de
canon, 8c certainement l’armée Ruffe n’étoit pas,
dé toutes celles qui fe battoient alors en Europe,
la plus favante 8c la plus manoeuvriere ; fes mouvemens
fe reffentoient de fa pefanteur: elle reçut
des batailles fans en favoir donner; elle en gagna
fans en pouvoir profiter, toujours obligée d’abandonner
fes fuccès pour fe rapprocher de fes inaga-
fins.jLes Autrichiens■ eurent, à Finftar des Ruffes,
une artillerie nombreufe 8c formidable ; ils firent la
guerre relativement à cette quantité ; ils. tâchèrent
de réduire tous leurs combats à des affaires de
pofte : on ne; vitude leur côté ni les grands mouvemens
, ni les marches forcées, ni la fupériorité des.
manoeuvres.
• Le roi de Pruffe, dira-t-on, n?avoit-il pas aufli
une artillerie immenfe ? Sans doute : mais outre
qu’il en eut moins que les Autrichiens , elle étoit
emplacée ou en réferve dans fes villes de-guerre ,
plutôt que dans fes armées ; c’étoit de-là qu’il la
tiroit pour réparer les défaftres, c’étoit de-Ià quil en
faifoit. arriver des renforts fur fes pofitions défen-
fives. Sa taftique en diminua l’embarras : il fut la
perdre 8c la remplacer. En traînoit-il beaucoup,
lorfqu’il voloit dé Saxe- en Siléfie, de la Siléfie fur
l’Oder? Il en trouvoit dans les places qu’il trouvoit
fur. ces différens points, ou bienilfavoit combattre
avec lé peu qu’il avoit amené. A Rosbak il n’eut
jamais plus de douze pièces en batterie, 8c il n’en
avoit que quarante à fon parc. A Liffa, ce ne fut pas
fon artillerie qui battit les Autrichiens. Réglé générale
, lorfqu’on tournera fon ennemi, lorfqu’on l’attaquera
par des manoeuvres, lorfqu’on engagera fa
partie forte contre fa partie foible * ce n’eft pas avec
de l'artillerie qu’on décidera le fuccès ; puifqu’enta-
mer alors un combat d’artillerie, ce feroit donner le
tems à fon ennemi de fe reconnoître 8t perdre' con-
féquemment tout le fruit des manoeuvres qu’on
aüroit faites (e) ».
Jéttons maintenant un premier coup-d’oeil fur le
nouveau fyftême <Tartillerie, c’eft-à-dire, fur cette
multitude de petites pièces qu’on fe propofe de
traîner à la fuite de nos armées, 8c fuivons le calcul
de Fauteur de XEffai général de Tactique. Chaque bataillon
fera accompagné de deux pièces dé canon du
calibre de 4 ; il y en aura autant au parc de Xartillerie
en pièces, de 12 8c de 8 ; donc, une armée' de
100 bataillons traînera à fa fuite 400 pièces de canon.;
ces 400 pièces de canon exigêront 20.00 voitures
pour le tranfport des munitions,; outils, rechanges
8c autres attirails néceffaires : vdilà 2400 attelages,
faifaritau moins 9606 chevaux; voilà 3000 8c tant
de charretiers, conducteurs, gardes d'artillerie,
capitaines de charroi, &c. Il faudra pour le fervice
de ces 400 pièces, à raifon de 12 canonniers ou fer-
vans l’un portant l’autre, environ 4800 foldats, non
compris les officiers. Que le roi ait plufieitrs armées
fur pied , comme les circonftancès ne peuvent que
trop fouvent l’exiger, qu’il faille attacher de Xartillerie
à ces armées dans la même proportion : quels
énormes embarras ! quelles dépenfes ! 8c quels effets
peut-on s’en promettre ? Toute la fcience de la guerre
le réduira-t-elle à brûler de.la poudre 8c à faire du
bruit? Que fera une armée appefantie par cette pro-
digieufe quantité de voitures, harcelée, tournée par
' (e) Effai général de Taûiqu e , pages 142 & fuiv. Lorfque
Végéce écrivoit, il y avoit 5 5 baliftes & 10 onagres par légion.
Vég. ïiv. U.
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