
W e lle etoit vierge , & lu i expédièrent des lettres de
pucelle. La multitude étonnée d’un auffi grand prodige
, ne douta'plus que ce ne fût un ange, Charles! en*
voya auffi-tot vers Orléans avec un corps de troupes -;
mais quelque fublime idée qu’on eût de Id capacité.,
•on la Subordonna -au maréchal de Rieux & au bâtard
d’Orléans ; dès qu’elle eut déployé fa bannière
-oii Dieu étoit repréfenté fôrtant d’un'nuage , &
tenant un globe., elle écrivit au roi d’Angleterre 8c
à fes .généraux, leur ordonnant de par dieu de iortir
du royaume de France. « Et fi ainfi ne le faites ,
» difoit-elle, attendez les nouvelles de la pucelle
v qui vous ira voir brièvement à vos bien grands,
» dommages..,., roi d’Angleterre , Si ainfi ne le,
■ » faites , en quelque lieu que j’atteindrai vos gens
» en France, je les ferai aller, veuillent ou non
» veuillent » : le relie de la lettre étoit à-peu-près
dans ce" llyle. Les Anglois au lieu d’en faire le fujet
de leur plaifanterie, traitèrent la chofe tres-feneu-
fement, & firent arrêter le meflager. Dès qu’elle .
parut à la vue d’Orléans, le comte de Dunois qui
défendoit la ville , en fortit & vint au-devant d’elle
nvec toutes fes troupes. On prétend que ce fut ce
fameux comte, qui ayant reconnu dans Jeanne de
i ’efprit & du courage, forma le projet de s’en bien
fervir : rien n’eft plus probable que cette conjoncture
, Dunois étoit bien capable de diriger les organes
de cette heroïne. Quoi quai en fo it , Jeanne
fuftifia par des vi&oires les menaces qu’elle avoit
faites. Cette amazone animant le courage du foldat
par fes paroles , & plus encore par fes exemples,
leur enleve fuccelfivement Jargeau, Beaujenci &
toutes les places qu’ils tenoient dans l’Orléanois.
La journée de Patai en Beaufle , où quatre mille
des ennemis furent couches fur le champ de bataille
, & où le brave & généreux Talbot fu t -fait
prifonnier, mit le comble a fa gloire. Les 'François
vol oient à fa fuite , & la regardoient comme une
fille divine ; ils s’enfonçoient dans les plus affreux
périls. Les Anglois la fuyoient comme un foudre ,
ou plutôt comme une femme envoyée par le diable
•& animée par les démons. Jeanne, viûorieufe court
vers le j o i , met à fes pieds fes lauriers, & lui
dit que c’ell dans Reims même qu’il Faut en aller
. cueillir de nouveaux. La Champagne prefque^ entière
étoit au pouvoir de l’ennemi ; mais rien n etoit
impoffible , il n’y avoit aucun obllacle capable d’arrêter
la pucelle : fon nom feul réduifoit à la fuite
l’ennemi le plus aguerri, & changeait en foldat intrépide
le François le plus pufillanim.e. Charles ne
manqua pas de profiter de cette heureufe effervef
cénce , il lui donne l’étendard royal & marche vers
Reims* à fa fuite : Auxerres, T royes,- Châlons , fe
rendent fans fouffrir de fiege. Les officiers qui com-
mandoient dans la ville archiépifcopale » prévoyant
iien qu’il faudroit fe réfoudre à la fuite , cherchèrent
des prétextes pour exeufer 'leur pufillani-
mité, & s’éloignèrent. Charles ne voyant autour
de lui ni ennemis, ni rivaux, entre triomphant
dans la ville, toujours précédé de la pucelle. Les
cérémonies de fon facre furent ordonnées pour le
lendemain. Dès que le roi eut reçu le diadème des
mains du prélat, Jeanne ne put retenir, fes larmes ;
«lie fe jette à fes genoux, les embraffe , exprimant
ainfi la joie dont fon ame étoit pénétrée : « Enfin ,
» gentil roi , lui dit-elle-, eft exécuté le plaifir de
» Dieu qui vouloir que vinifiez à Reims recevoir
» votre digne facre, en montrant que vous êtes
» vrai roi». Charles étoit trop rgeonnoiffant pour
lailfer tant de bienfaits , tant de zele fans récom-
penfe : que la pucelle fut ange ou fille, il* lui étoit
également redevable de fa couronne. Il fit frapper
une médaille dont un- côté rejjréfentoitfon effigie,
l ’autre une main tenant une épée; cette médaille
avoit pour légende ces mots : confilio confirmata Dtu
La reddition de Reims & des autres villes de la
Champagne fraya un chemin ail roi pour arriver
dans la capitale. -Quoique Jeanne eût exécuté les
deux points de fa million, elle confentit, à la priere
des gens de guerre, de fuivre l’armée au fiege de
Paris. Les villes de Crepy, de Senlis, de Saint-Denis
& de Lagny, furent prifes auffi-tôt qu’attaquees»
Paris fit une vigoureufe défenfë, le courage de
la pucelle ne put rien décider pour cette fois; 8c
l’envie qu’avoit excité fon courage & fes fuccès,
s’en prévalut. Les farcafmes qu’elle avoit chaque
jour à effuyer, ne lui permettant pas de relier cia-,
vantage , elle fupplia le roi de. confentir.à fa retraite;
mais ce prince connoiffant trop bien le prix de .
fes fervices , la fit folliciter par le comte de Dunois
qui l’invita à le fuivre au fecours de Compiegnë,
elle fe laifla vaincre -, & ce fut fon malheur :
heureufe à combattre contre les ennemis de l’etat,
elle de voit fuccomber fous les traits des jaloux. Elle.,
fe fraya un chemin dans ’la ville, affiégée , ou fa
préfëncê donna une ardeur nouvelle aux habitans;
fon courage bouillant ne lui permettant pas de corn-,
battre à l ’abri d’un rempart, elle fait une lortie à
la tête de fix cens hommes, deux fois elle chargea
les ennemis & les lança jufque dans leurs forts
les plus reculés. Obligée de rentrer dans la ville par
des troupes fraîches'qui arrivoient au.fecours des
Anglois, elle fit une retraite : mais lorfqu elle fe
prélenta aux portes, elles les trouva fermées. Se
voyant trahie, fon courage fe changea en fureur,
elle faifoit un carnage horrible des Anglois ; mais
enfin Ion cheval ayant été tué fous elle, elle fut
forcée de fe rendre à Lionnet, bâtard de Vendôme,
qui la remit à Jean de Luxembourg. Ce duc, au
mépris de fon rang , de fa naifîancetfc durefpeél
qu’un guerrier doit à la valeur , la vendit dbç mille
livres aux Anglois : c’étoit un commerce auffi flé-
trifîant pour ce feigneur, que glorieux pour la
pucelle. Elle fut d’abord enfermée dans le château
de Beaumanoir , d’où elle fut transférée'à Rouen ;•
ce fut-ïà .que le duc de Betfort fe couvrit ’ d’une
tache ineffaçable ; ne pouvant foutenir la préfence .
d’une femme qui l’avoit fi foüvent réduit à la fuite,
il la fit accufer de magie , & par un arrêt dont
la honte doit retomber fur fon auteur, il la fit condamner
à être brûlée vive. Comme il étoit difficile
de donner une bafe à cette procedure inique, on
effaya d’abord de flétrir fa vertu & de la faire paf-
fer pour une fille de débauche. Forcé d’abandonner
ce moyen, laduchefle l’ayant reconnue pour vierge
dans une fécondé affemblée de matrones, on'cher-,
cha une nouvelle elpece de crime ; alors on l’accula
d’être forciere , héréfiarque , devinereffe , faufle
prophetefîe , d’avoir fait pafte avec les efprits malins
, d’avoir oublié la décence de fon fexe : tel
■ fut le fommaire du procès. La pucelle montra dans
toutes fes réponfes autant de bon fens que de fermeté
; & lorfque l’évêque de Beauvais, fon principal
juge, lui parla de.l’état des affaires de Charles
V II, elle lui dit qu’elle ne devoit point d’obéif-
fance à fon évêque , au point de trahir les intérêts
de fon roi. La cônviflion de fon innocence ne liif-
fifant pas pour défarmer fes bourreaux , elle voulut
fe dérober à leur fureur , & fe laifla tomber
■ du fommet de la tour où elle etoit captive; mais
le bruit de fa chûte l’ayant trahie, la fentinelle
qui la gardoit, la faifit avant qu’elle eût repris fes,
lens : fon évafion lui fut reprochée comme un nouveau
crime on l’accufa de fuïcide. Les évêques
de Beauvais, de Coutance & de Lifieux, le chapitre
de Notre-Dame, feize licenciés théologiens,
& onze avocats de Rouen, fignêrent l’arrêt de
piçrt de cette heroïne ; la décifion de ces dofteurs
fait connoître de quelles erreurs l’homme efl capable
, lorfque féduit par la corruption de fon coeur,
il ferme les yeux à ce que lui di&ent la religion & la
raifon. Jeanne jugée coupable d’enchantement, de
fortilége, fut livrée au bras féculier le r6 mai 1731 ;
& comme fi le fupplice du feu eût été trop doux, on
la fit monter fur un échafaud dans une cage de fer ;
ce fut dans cette pollure humiliante 8c pénible
qu’on l’expofa aux outrages d’une .multitude in-
fultante. Jeanne montra une confiance fupérieure
à la tyrannie- de fes juges ; incapable de crainte ,
elle entre dans le fatal bûcher, & regarde avec
douceur la main qui fe difpofe à y mettre le
feu. Elle remercia le ciel de fon fupplice., comme
elle le remerçjoit auparavant de fes v ic to ire s ; Dieu
foit béni, dit-elle, en v o y a n t la flamme s’approcher
: telles furent fes dernieres paroles. Ainfi
mourut Jstoine : elle périt contre toutes les lo ix ,
même contre celles de la. guerre qui rend facrée
la perfonne d’un ennemi défarmé. On blâme l ’in -
fenfibilité de Charles VII, il eût pu dit-on ,
arracher au fupplice cette heroïne, en menaçant
les Anglois d’ufer de repréfailles. Si ces menaces
en flen t fuffi, e f t - i l à croire que ce prince eût re-
fufé de les employer ? Il connoifloit l’acharnement
des Anglois , capables de facrifier mille v ic t im e s au
plaifir,féroce de la fa ir e périr, & fes moeurs étoient
trop douces pour lui.permettre de fuivre ces exemples
barbares. Charles l’avoit récompenfée d’une
maniéré à le ju ftifie r de tout foupçon d’ingratitude ;
outre la médaille qu’il avoit fait frapper à l’honneur
de cette heroïne , il l’avoit annoblie elle &
toute fa famille, c’eft-à-dire, fon pere, fa mere,
fes trois freres & toute leur p o f t é r i t é , tant en ligne
mafculine que féminine ; on leur donna à tous des
armoiries qui ne pouvoient être plus nobles & plus
fignificatives ; c’étoit un écu d’azur à deux fleurs
de lys d’o r , une épée d’argent à la garde dorée,
la pointe en haut ferue en une couronne d’or qu’ elle
foutient. Son nom à?Arc fi.it changé en celui de Lys,
Le hameau où elle avoit pris naiflance fut exempté
de toutes tailles , aides & autres fubfides à perpétuité.
Il relie encore des rejetions de cette illultre
famille en Anjou 8c en Bretagne : le dernier mâle
ell mort en 1660. Les prérogatives accordées aux
femmes leur furent ôtees en 16 14 , au regret de
tous les bons citoyens : on pourroit les leur rendre.
Les monumens de la reconnoiflance à Orléans &
du repentir à Rouen , le follicitent plus puiffam-
ment que lès difeours étudiés des panégyriftes: puif-
que c’étoit une femme qui avoit acquis les privilèges
de cette famille , il étoit peut-être plus julle
d’en priver les mâles. Au relie, on ne rapportera
pas ici les fables inventées par la fuperllition &
par la haine. Des auteurs pieufement imbécilles,
ont remarqué qu’étant chez fes parens, elle avoit
coutume de fe retirer fous un chêne , & en ont
conclu quelle avoit eu de longs entretiens avec
faint Michel : on ne dira rien non plus de cette colombe
blanche que l’on vit à fa mort, ni de fon
coeur qui fe conferva entier au milieu des flammes.
’ Jeanne fut fans doute' une fille rare, mais elle ne dut
p e u t -ê tr e fes fuccès qu’à la crédulité des deux partis ;
fa challeté, fon courage , fa fermeté tranquille à la
vue dès tourmens, tout en fa çonduite ell admirable
, mais n’a . rien de furnaturel : elle fut bleflee
au tan t d e fois qu’elle combattit. Quant à cette épée,
dont on feignit que le fecret lui avoit été révélé,
la lame en fut brifée avant même qu’elle eût vu
les Anglois. Des écrivains ont élévé des doutes fur
fon fupplice ; ils ont prétendu que l’on choifitune
perfonne du même fexe, digne d’une mort, auffi
cruelle , qui lui fut fubllituée. Ces hiftorjens fe
fondent fur plufieurs circonftauçes féduijfantçs ; ils
Tome 7, .
remarqüêht què l’évêque de Beauvais * à qui l’oft
avoit confié le foin de fa dellinée, laifla palier Cinq
femaines entre la derniere fentence & l’exécution ;
j eXtra0r^ na're ’ ^ > dit-on, fut ménagée
f . r ~®,P0UV0'r conyaincre celle què l’on vouloit
lui lubftituei. Ce fentiment eft fortifié par les termes
d une lettre de don, accordée à Pierre, l’un des
freres de Jeanne p a rle duc d’Orléans, l ’an 1443 s
treize ans après fon prétendu fupplice « ouie la {implication
, c’eft ainfi que s’exprime cette lettre, dudit
meffire^ Pierre, contenant que pour acquitter la
loyauté envers le roi notre lire, & M. le duc d’Orléans,
il fe partit de fon pays pour venir à leur
fervice en la compagnie de Jeanne la pucelle fa
foeu r, avec laquelle, & julques à fon abfentèment*
& depuis jufqu’à préfent, il a expofé fon corps &
les biens audit fervice ». A ce témoignage pofitif,
ils ajoutent le filence du roi qui n’eût pas manqué
de venger la mort ignominieufe de cette heroïne
fur les Bourguignons & les Anglois qui furent en
fa puiffance. Les partifans de cette opinion croient.
que Jeanne en fut quitte pour quelques années de
captivité , & qu’après la mort du duc de Betfort t
général des Anglois, arrivée à Rouen en 143 5,
elle trouva moyen de s’enfuir, & de retourner dans
fa province , où elle termina fes aventures par fon
mariage avec un riche feigneur nommé Robert des
Armoifes. On trouve dans un manuferit, contenant
une relation des chofes arrivées dans la ville
de Metz en 1436 , que le pere Vignier, prêtre de
l’oratoire, a vu le contrat de mariage de Jeanne
d?Arc avec R. des Armoifes. On ne lâuroit fe dif-
fimuler la force de ces autorités ; c’eft un frere qui
attelle avoir toujours été en la compagnie de cette
illuftre fille, avant & après fa captivité; c’eft un
prêtre qui dit avoir vu l’aéle de célébration de mariage.
On répond à ces difficultés en difant quel’é-
poufe du fieur des Armoifes étoit une fourbe qui
fe paroit d’un grand nom * & qui avoit eu affez
d’adreffe pour faire croire à Pierre & ,à Jean d’Arc
qu’elle étoit vraiment leur foeur ; mais il vaudroit
mieux , nier le fait : car enfin il n’y auroit plus rien
de certain dans le monde , s’il étoit poffible qu’une
fille en impofât à un homme, au point de lui faire
croire qu’elle eft fa foeur, avec laquelle il a toujours
vécu. Voici les paroles du manuferit de Metz :
« la pucelle Jeanne de France s’en alloit à Erlon en
» la duché de Luxembourg, & y fut grande prefle
» jufqu’à tant que le fils le comte de Vunembourg la
» menoit à Cologne , de côté fon pere le comte de
» Vunembourg, & la menoit le comte très-fort 8c
» quant elle en vault venir , il l’y fit une très-belle
» curafle pour le y armer & puis s’en vint à ladite
» Erlon, & là fut fait le mariage de M. de Hermoife -y
» chevalier, Si de fa Gehanne la pucelle, ôc puis après
» s’en vint ledit fieur Hermoife, avec fa femme
» la pucelle, demeurer en Metz, & fe tinrent-là
» jufqu’à tant qu’il leur plaifit aller». Plufieurs hifto-
riens, & entr’autres du Haillan, rapportent les acles
de fon procès. On ne contefte pas que fon procès
n’ait été fait ; on fe fonde encore fur les termes de
la réhabilitation faite en 1456, où l’on voit ces paroles
: Jean & Pierre , freres de défunte Jeanne d.' Arc $
mais elle pouvoit être vivante en 1 4 3 6 , & être défunte
en 1456. Au relie, le leéleur peut fe décider
pour l’opinion qu’il jugera la plus probable. On admire
dans l’hiftoire de Jeanne, non fon fupplice, mais
fa fagefle , fon courage & la politique de Dunois,
& plus encore le fil où tient la delunée des empi*
res. Il eft probable que fans cetheureux événement,'
Charles n’eût jamais monté fur le trône de fes peres,
Voye%_ tous les hiftoriens de France. ( T—N.)
* § ARCADE, (Architecture. ) Il manque quelqita
çhofe. à çet article du Dicl, raif. des Sciences,
X x x ij