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de Galam qui s’étend à plus, de . ceht lieues de la
mer: on pourroit peut-être y comprendre encore
hle de Madagafcar ; car en lifant avec attention la
relation de Flacourt,imprimée en 1661 , j’ai cru re-
connoître dans la description qu’il fait d’un très-gros
arbre que les Malgaches appellent anad^ae Scanadie,
une conformité fi frappante avec notre baobab, que
je ne doute nullement que ce ne foit lui qu’il a décrit
aux pages 141 <S* / 44 » dont il a donne une figure
extrêmement mauvaife au n° >bo. Enfin, Profper
Alpin dit en avoir vu un qu’on élevoit dans un verger
du Caire. On ne trouve le baobab cité fous aucune
dénomination, ni dans les catalogues des plantes
de l’Afie, ni dans ceux des plantes de l’Amérique :
ce n’eft cependant pas qu’il ne puiffe y en avoir
a&uellement quelques-uns dans les climats de ces
deux parties du monde qui font finies fous la zone
torride, & fablonneux comme ceux de l’Afrique qui
les produit ; mais ils n’y font pas venus d’eux-memes,
les Negres efdaves qu’on tranfporte tous les ans de.
l’Afrique dans nos colonies, ne manquent guere
d’emporter avec eux un fachet de graines qu’ils préfument
leur devoir être utiles ; de ce nombre eft
toujours celle du baobab : c’eft à un pareil tranfport
que font ou feront dus ceux qu’on y trouvera, tels
que celui qui commence à porter fleurs^ôc fruits à
la Martinique : ils s’y naturaliseront peut-être ÿ mais
ce ne fera pas leur pays originaire, & on n’y en.
verra pas de long-tems qui égalent en groffeur ceux
de la côte du Sénégal.
■ Culture. Le baobab fe plaît particuliérement dans
les terreins fablonneux & humides. On en voit auffi
dans des cantons pierreux, comme à Galam, autour
du Cap-Verd, & même fur le rocher de Bafalt qui
femble former toute la maffe de l’île. de la Magdeleine,
oùThevet obferva en 155 5 ceux que j’ai vus
depuis en 1749 ; mais il ne faut pas que fon pivot
foit bleffé, la moindre écorchure lui eft pernicieufe,
la carie s’y met bientôt, elle fe communique au tronc,
& y fait des progrès trèsrprompts qui le font périr.
Ç ’eft pour cela qu’on trouve cet arbre en moindre
quantité, & plus petit fur les côtes maritimes bordées
de .rochers & dans les terres argilleufes, dures
& pierreufes du pays de Galam, que dans les fables
mouvans qui occupent un efpace de trente lieues
entre l’île du Sénégal & le Cap-Verd. Sa racine eft
fujette à fe fondre, lorfqu’on le tranfplante trop
jeune ou trop vieu x, lorfqu’il commence à lever
ou lorfqu’il a une dixaine d’années.. Le plant de fix
mois jùfqu’à deux ans eft celui qui réuflit le mieux;
• fes branches prennent auffi de. bouture, mais rare-'
ment, & le progrès de celles qui reprennent eft
toujours plus lent que celui des plants qu’on a femes. ■
•. Cet arbre quitte fes feuilles au mois de novembre,
en reprend de nouvelles en juin, fleurit en juillet,
È parfait: la maturité de fes fruits en ottobre &
novembre.
Maladies. Outre la carie qui attaque, comme je
l’ai dit, le tronc du baobab, lorfque fès racines font
entamées , cet arbre eft encore fujet à une autre
maladie , plus rare à la vérité, mais qui n’eft pas
moins mortelle pour lui ; c’eft une efpece de moi-
fiffure qui fe répand dans tout le corps ligneux, &
qui l’amollit au point de n’avoir pas plus de confi-
. ftance que la moelle ordinaire des arbres, fans
changer fa blancheur naturelle & la texture de fes
fibres. Dans cet état, ce tronc, tout monftrueux
qu’il eft, devient incapable de réfifter aux coups de
vents, & il eft cafté par le moindre orage. J’en ai
vu un brifé par un pareil évépement : il étoit habité
par un grand nombre de gros vers de fcarabés,
nafitornis, & de capricornes , cerambyx, qui ne pa-
roiffoient aucunement lacaufe de cette maladie ; les
oeufs de ces animaux y avoient été dépofés de la
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même maniéré que plufieurs infe&es introduifent les
leurs en Europe dans le tronc du faule , lorfque
fon bois eft dans un. état de molleffe à-peu-près
pareil , quoiqu’il ne l’attaque pas lorfqu’il eft fain.
Accroiffement. La graine du baobab femée dans une
terre fablonneufe, luffilamment humide, leve communément,
au bout de fept à huit jours au Sénégal;
néanmoins j’en ai vu qui reftoient des mois & même
des années entières fans lever, dans les ferres
chaudes de ce pays-ci,,fans doute parce que la fé-
cherefte de la terre où on les avoit femées étoit trop
grande, ou parce que la chaleur néceffaire pour les
faire germer, n’avoit pas été foutenue affez long-
tems, ni portée au point de chaleur où le foleil porte
les fables du Sénégal qui, fuivant mes expériences,
paffe fouvent le 65“ « dégré. En levant de terre, fes
deux lobes où cotylédons , qui étaient originairement
orbiculaires, prennent peu-à-p,eu une forme
elliptique, & ce n’eft qu’au quatrième jour que la
première feuille commence à fe développer. Au bout
d’un mois le jeune arbre a environ un pied de hauteur
, &fon accroiffement eft de près de cinq pieds
en hauteur, fur un pouce à un pouce & demi de diamètre
dans le premier été, tandis qu’en France il ne
prend guere*qu’un pied en hauteur & fix lignes au.
plus de diamètre dans le même efpace de tems, quoiqu’on
l’éleve fur des couches & dans des ferres dont
on entretient la chaleur avec foin, ce qui prouve que
cette chaleur artificielle n’ eft jamais égale à celle
qu’a foncièrement la terre du climat natal de cette
plante , & qu’elle ne peut jamais la remplacer
dans toutes les circonftances requifes pour fa végétation.
Grandeur. Quoique le tronc des plus grands bao-,
bobs que j’aie vus au Sénégal, euflènt ving-fept pieds
de diamètre, cette groffeur, qui paffe pour miracu-
leufe, ou au moins pour peu croyable au yeux de
nombre de perfonnes, n’eft cependant pas la plus
confidérable ni la plus merveilleufe qui ait été ob-
fervée dans ce même pays. Ray dit qu’entre le fleuve
Niger & le Gambie, on en a mefuré de fi monftrueux
que dix-fept hommes avoient bien de la peine
à les embraffer en joignant les uns aux autres
leurs bras étendus, ce qui donneroit à ces arbres en-
viron quatre-vingt-cinq pieds de circonférence ÔC
près de trente pieds de diamètre. Jules Scaliger dit
qu’on en a vu qui avoient jufqu’à trente-fept pieds.
Cet arbre, dont quelques voyageurs parlent comme
du plus gros arbre de l’univers, peut donc être con-
fidéré comme tel, & je ne crois pas qu’on faffe
difficulté d’en convenir lorfqu’on voudra en comparer
les dimenfions.
Duree. Le baobab, quoique d’un bois très tendre ;
vit très-long-tems, & peut être plus qu’aucun autre
arbre connu, à caufe du long accfoiffement qu’exi-,
ge fon énorme groffeur. Parmi les faits que j’ai foig-
neufement raffemblés pour me procurer des con-
noiffances certaines à ce fujet, en voici quelques-
unes qui femblent le prouver. J’ai vu , comme je
l’ai dit dans la Relation de mon voyage au Sénégal *
imprimée en 1757 , page , dans l’une des deux
îles de la Magdeleine, deux de ces arbres fur l’écorce
defquels étoient gravés des noms Européens, avec
des dates dont les unes étoient poftérieures à 1000;
d’autres remontoient à 15 5 5 , & avoient été probablement
l’ouvrage de ceux qui accampagnoient
Thevet dans fon voyage aux terres auftrales, car
il dit lui-même avoir vu de gros arbres dans cet
endroit, & ces arbres étoient tous de la meme efpece
, des baobabs enfin; d’autres enfin paroiffent antérieurs
à l’an 1500, mais celles-ci étoient confu-
fes & pourroient être équivoques , les années en
ayant rempli ou effacé la plupart des traits. Les caractères
de ces noms avoient environ fix pouces de-
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hautëur, & les noms entiers occupoient deux pieds
en longueur,, c’eft-à-dire, moins de la huitième partie
de la circonférence de l’arbre qui, a voit fix pieds
de diamètre en 1749, Ce qui me fit juger que ces
noms n’avoient pas -été gravés dans la jeuneffe de
ces arbres, d’autant-plus que Thevet les appelloit,
dès l’an 15 55 , de beaux arbres. En fupp.ofant cependant
que'ces caraCter.es enflent été gravés dans la
première jeuneffe de l’arbre, qui eft le cas le moins
favorable de tous, & en négligeant les dates-un peu
confufes du i4nie f ied e , pour nous en tenir à celle
du 15mc ftecle’ qui èft très-diftinCte , il eft évident
que fi, depuis 1555 jufqu’en 1749, c’eft-à-dire, en
200 ans ,. le baobab a pu Croître de fix pieds en
diamètre, il faudroit plus de huit fiecles pour qu’Ü
pût arriver à vingt-cinq pieds de diamètre en fup-
pofant qu’il crût toujours également. Mais il s’en
faut bien que l ’accroiffement des arbres fuive cette
progreffion égale ; l’expérience apprend qu’il eft
très-rapide dans les premières annéés qui fuivent fa
iiaiffance, qu’il fe ralentit enfuite par dégrés, qu’en-
fin il s’arrête -lorfque l’ârbre a atteint le période de
grandeur qui eft ordinaire à fon efpece ; & ; fans
quitter l’hiftoire du baobab, n’ayant point de faits
pluspréfents, ,& ignorant qu’on ait fait à ce fujet
quelques obfervations quipuiffentmefervirde terme
de compâraifon , je fais que cet arbre prend environ
un pouce à un pouce & demi de diamètre, fur cinq
pieds de hauteur dans la première année, qu’il a au
bout de dix ans un pied de diamètre, fur quinze.de
hauteur j & environ un pied & demi de .diamètre fur
vingt de hauteur au bout de trente ans. J’aurois déliré
pouvoir faire ufage de ces quatre ou cinq termes
d’obfervarions, pouf calculer l’âge du baobab ;
mais la faine géométrie nous apprend qu’ils font in-
fuffifans pour déterminer quelque chofe de précis
•à ce fujet : c’eft pourquoi je me bornerai à faire entrevoir
qu’il eft vraifemblable que fon accroiffement
, qui èft très-lent, relativement à fa monftrueu-
le groffeur de vingt-cinq pieds , doit durer plufieurs
milliers d’années, & que la naiffance de ceux dont
j'ai parlé peut remonter à des tems peu éloignés du
déluge- uni verfel, ce qui feroit un fait affez fingulier
pour faire croire que le baobab feroit le plus ancien
de monumens vivans que puiffe fournir l’hiftoire du
globe terreftre.
Qualités. Toutes les parties du baobab abondent
en mucilage, c’eft-à-dire, qu’elles contiennent une
matière gommeufe .étendue dans beaucoup d’eau ;
mais ce mucilage n’eft pas fade, il eft relevé par une
légère acidité. Lorfqu’on met fes feuilles en infu-
fion ou en décoftion dans l’eau , leur mucilage fe dé-
veloppe & rend cette eau légèrement vifqueufe*
La chair fongueufe & blanche qui enveloppe les
graines a une faveur aigrelette affez agréable, fur-
tout dans les fruits de l’année , qui confervent encore
un peu de leur humidité ; mais le tems lui fait
perdre beaucoup de fa première bonté, & elle n’a
plus guere de faveur lorfqu’elie a pris une couleur
rougeâtre qui indique fa vieilleffe ou une efpece
de putréfaction.
Son bois eft, comme nous l’avons dit, blanc $
& extrêmement mou,
s Vertus. Ses feuilles & fes fleurs amo rites au feu *
ou cuites dans l’eau , font émollientes & réfoiutives
lorlqu’op les applique extérieurement en topique.
Leur décoérion prife intérieurement modéré la tranf-
piration exceffive, corrige ou émouffe l’âcreté des ■
humeurs, & tempere la trop grande ardeur du fang,
les inflammations internes, les irritations, les ardeurs
d’urine.
Ufages. L,e baobab eft l ’arbre le plus utile &C le
pl^s.f^iuîajre de tous ceux qui croiffent au Sénégal.
Quoique les Negres poffedent nombre d’arbres frui-
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tiers extrêmement féconds, les bananiers , & même
■ les palmiers cocotiers, qui, dans les Indes, paffent
pour les arbres les plus utiles ou les plus néceffaires
à la vie ; ils donnent le pas à leur goui qui eft notre
baobab.
, Ses feuilles font les parties dont ces Negres font le
plus d’ufage. Ils les font fécher à l’ombre & les ré-
duifent en une poudre verte qu’ils appellent LaLo.
-Cette poudre fe eonferve parfaitement .dans des fa-
xhets de toile de coton , fans autre attention quô
de là tenir au fec. Ils en font un ufage journalier dans
leurs alimens, fuf-tout dans leur coufcons, qui eft
un metseompôfé d’une efpece de gruau, bu de farine
groffiere de l’efpeée du pàriiSj qu’ils appellent, dou-
goup-nioul, ou ‘du forgo, qu’ils appellent giarnat y
fimplement imbibée d’un coulis de viande pu de
poiffon, & réduite par une manipulation particulière
& très-déiicate, en petits grains comparables à: la
-fineffe du fablon. Ils y en mêlent tfëux ou trois
pincées, à-peu-près comme nous uforis du poivre
& de là mufcade dans nos ragoûts : ce n’eft cependant
pas comme épice qu’ils font ufâ’ge du lalo , caf
il n’a prefqu’aucün goût ; mais comme une drogue
falütai-re & irtdifpenfable pour modérer l’excès dé
leur tçanfpiration, empâter & , pour ainfi dire, épaif-
fir leur fang trop atténué & tempérer fa trop grande
ardeur;
L’expérience m’a appris qu’une ptifané faite avec
les mêmes feuilles, fuffit pour préferver des fievres
■ chaudes qui fe répandent comme une épidémie fur
les Negres & encore plus fur les Européens, qu’elle
moiffonne , pour ainfi dire , pendant les -mois de
feptembre & d’o&obre, c'eft-à-dire , dans la faîfort
où les pluies êeffant tout-à-coup, le foleil vient à
defféeher les eaux qui fe font arrêtées fur les terres.
La dofe de cette boiffon eft d’une pinte par jour ,
.diftribuée en deux portions dont l’une fe boit le
matin à jeun , & l’autre le foir avant que de fe
mettre au lit; on en peut corriger la fadeur avec
un peu de fucre ou de racine de régliffe. On peut
fe difpenfer d’en boire dans le courant du jour,
excepté dans les cas où la migraine annonce l’approche
de ces fievres. Cette même ptifane prévient
non-feulement les fievres ardentes , mais encore les
ardeurs d’urine & les diarrhées, qui font très-fréquentes
pendant la faifon des pluies, appellée la
haute faifon, à caufe des inondations ou des hautes
eaux, c’eft-à-dire, depuis le mois de juillet jufqu’à
celui de novembre.
Le fruit du baobab n’a pas moins d’utilité que fes
feuilles ; on en mange, foit feule , foit dans le lait ;
la chair fongueufe qui enveloppe les femences. Ce
fruit eft un objet- de commerce, petit à la vérité-,
dans le pays du Sénégal , où l’arbre qui le porte
eft trop répandu, mais affez avantageux pour ceux
qui en portent chez les peuples voifins. Les MantlinT
ges , reconnus de tout tems pour les plus grands voyageurs
de l’Afrique, portent ce fruit dans la partie
orientale & méridionale de ce continent, pendant
que les Arabes, qu’on appelle Maures au Sénégal ;
le font paffer dans les pays de Maroc, d ’où il fe. répand
enfuite en Egypte & dans toutela partie orientale
de la Méditerranée.
• C’eft dans ces pays -qu’on réduit, là pulpe de eè1
fruit- en une poudre qu’on apporte ici du Levant, 8è
qu’on çonnoît depuis long-tems foùs le nom très-
impropre de terre jîgillée de Lemnos. Profper Alpin
eft le premier médecin qui ait été à portée de re-
connoitre dans fes voyages. en Egypte, que cet té
poudre , regardée jufq-u’à lui comme une terre dp
l’Archipel, étoit une lubftance puremént végétàlé
^ ’originaire de l’Ethiopie ou dù centre de l’Afrique.
Cette découverte de Profper Alpin, qui n?a fait aucune
fenfation dans la médecine, parce -qu’au'cun des