tant de fuccès, que deux de 60 canons furent obligés
le lendemain du combat de s aller radouber a
rleflingue.
Je ne parlerai pas des fervices que les galères ont
rendus dans les tems reculés ; je n’ai voulu parler ici
que de ceux qu’elles ont rendus fous le régné du roi
Louis X IV j 6c depuis.
L’onpourroit citer encore quantité d’occafions ou
elles ont fe rvi, 6c où elles pourroient le faire très-
utilement ; tel eft leur combat contre les Rochelois.
Il eft dit page 39 de la rie triomphante de Louis-le-
Jufie , qu’ elles coulèrent .à fond plufieurs de leurs
vaiffeaux ; mais pour ne pas être trop long, je m’arrêterai
feulement à celles qui pourroient fe préfenter
dans la fuite contre des chebecs barbarefques, qu’on
s’imagine être fort à craindre pour des galeres ; & je
vais démontrer qu’il n’y a qu’elles feules qui les puif-
fent détruire ; on fait qu’ils en ont cOnftruit qui portent
jufqu’à vingt-quatre pièces de canon , où ils
mettent 3 50 jufqu’à 400 hommes d’équipage, & que
ce font desbâtimens qui vont bien à la voile & à la
rame. L’on fait auflï qu’étant environ d’un tiers plus
courts qu’une galere, ils n’ont guere que les deux tiers,
du nombre de leurs rames tirées par trois hommes,
qui ne font tout au plus que moitié de la force de celle
des galeres, qui étant beaucoup plus longues depoiées
plus bas , refoulent un plus grand volume d’eau, 6c
font tirées par cinq hommes. Par conféquent le chebec
qui ira le mieux à la rame ne peut faire que la moitié
du chemin de la galere, & l’on eft forcé de convenir
qu’il ne s’en pourra pas approcher à portée de la
mitraille du fufil, 6c même de fon canon quand elle
ne le voudra ,pas, & elle auroit tort de le vouloir.
Pourquoi s’expofera-t-elle à perdre du monde , lorf-
qu’elle peut le conferver en tirant fur le chebec, fon
courcier de 36ÔC fes deux bâtards de 18, qni peuvent
le mettre en canelle avant d’être à portée de fes
canons? Car on conviendra bien avec moi que s’il
porte feulement du 6 , il faut que pour en fupporter
vingt-quatre pièces il foie fort de bois, 6c que s’il eft
fort de bois , il ne pourra aller tant foit peu vite à la
rame ; ainfi plus fon canon fera gros, plus la galere
aura d’avantage fur lui par fa vîteffe ; elle en jouera
comme un chat fait d’une fouris ; plus il aura de
monde, plus elle lui en tuera , en ne fe mettant
jamais à portée de lamoufqueterie & de la mitraille ;
elle en fera fûrement toujours la maîtreffe , fi c’ëft
en calme, fur-tout fi elle a un timon de lavant, &
un double rang de vogue, comme étoient les fix gale-
res de Dunkerque, dont on s’eft toujours bien trouvé
pendant dix ans , malgré ce qu’a pu dire M. de
Barras, fur les défavantages des deux timons, qui
ne font rien en comparaifon des avantages qu’il y a
de les avoir, pour préfenter toujours la proue à fon
ennemi, 6c faire feu fur lui. Je foutiens donc avec
tous les gens du métier , qu’une galere prendra toujours
un chebec en tems calme , s’il ne veut pas être
coulé à fond. J’ofe même affurer, fans fanfaronade,
qu’alors deux chebecs des plus gros ne me feroient
pas peur. S’ils font enfemble , je ferai ma décharge
dès qu’ils feront à bonne portée de mon canon , en
cherchantle point de direction où je pourrai les tenir
fur une ligne l’un par l’autre, afin que les coups qui
pafferoient par-deffus le plus proche puiffent donner
au plus éloigné ; après avoir fait ma décharge ,
je fais voguer en arriéré , car je compte qu’ils viendront
fur moi pour tâcher de m’aborder; je fais une
fécondé décharge , & plufieurs autres en me tenant
toujours hors de la portée de leurs petits canons, &
leur présentant toujours la proue. Si au contraire
ils étoient féparés pour tâcher de me mettre entre
deux feux ce à quoi ils ne réuffiront jamais en
calme , je les battrai toujours l’un après l’autre ; 6c
fans miracle je dois les faire rendre tous deux, fi j’ai
de bonne poudre & de bons canonniers ; s’il y a uri
vent maniable, nous nous battrons ; & fi la mer n’eft
pasaffez groffe pour m’empêcher de tirer du canon j
j ’efpere auffi prendre l’un ou l’autre , ou les couler
bas dès que je pourrai me fervir de mes rames pour
tourner la proue fur lu i, ce qu’il ne fauroit éviter ^
quelque facilité qu’il ait à tourner étant plus court ;
je mettrois alors à droite 6c à gauche de la poupe une
piece de canon , que je tiendrai à fond de calle pen-'
dant la navigation, pour les placer là quand il faudra
combattre à la voile , & ne les tirer qu’à bout
touchant, s’il tentoit de m’aborder par la poupe, à
quoi je ne penfe pas qu’il put réliffir ^n’étant pas
perfuadé qu’il marche mieux qu’une galere."
Pour ce qui eft de m’aborder par le-côté de la
galere, je l’en défie ; mes rames de fournelées l’en
écarteront toujours ; douze pierriers que je mettrai
fur chaque apoftis de la galere , 6c ma moufqueterie ,
l’aideront à s’en éloigner bien vite ; il me tuera du
monde , 6c je lui en tuerai auffi ; mais lorfqu’il me
dépaffera, fuppofé qu’il aille mieux que moi,-je lui
mettrai la bourre de mes canons dans le ventre, 6c il
fer,oit bien heureux fi je ne le coulois bas ; fi la mer
eft trop groffe pour que mon artillerie ne puiffe me
fervir, le chebec 6c la galere n’auront rien de mieux
a faire’ que de chercher un port, étant trop dangereux
pour fün & pour l’autre de fe brifer en s’abordant
fans le vouloir, ce qui peut arriver pour peu
qu’on s’approche par un mauvais tems.
Les galeres .ont toujours écarté les galiotes barbarefques
de nos côtes ; elles en feront de même des?
chebecs , qui fûrement fuiront dès qu’ils les apper-
cevront, de peur du calme, à moins qu’ils.ne vinf-
fent en grand nombre, auquel cas le plus fur moyen
de les détruire feroit de faire naviguer des frégates
6c des galeres enfemble pour les chercher & les combattre
avec fuccès , mais tant qu’une galere n’aura
qu’un chebec à combattre, elle en viendra toujours
à bout étant bien armée.
L’on dira peut-être', pourquoi ne leur pas oppo-
fer des chebecs delà même force que les leurs? Je
réponds qu’on fe flatteroit en vain d’en tirer auflï
bon parti qu’eux ; cette nation endurcie à la fatigue
de la vogue aura à la longue un grand avantage fur
les nôtres , & les gagnera toujours de vîteffe ; nos
équipages feront rendus, tandis que ceux-là feront
encore en état de voguer long-tems , d’ailleurs l’or*
lait qu’un peu de riz , de pain ou de fromage, avec
de l’eau , fait leur nourriture , d’où il eft aifé de
conclure que ce qu’ils embarquent de vivres, ne fera
fûrement pas la dixième partie du poids de ce qu’on
en embarque pour le capitaine, officiers & équipage
françois accoutumés à. être bien nourris. L’on fait
que ce font des miférables qui n’ont rien à perdre,
qu’ils s’embarquent le plus l'auvent avec un jeu de
voile, une ancre , un cable , rifquant le tout pour le
tout, pourvu que leur bâtiment n’étant pas chargé
marche bien. Eft-ce ainfi que nous enverrons les
nôtres à la mer, pourcroifer pendant plufieurs mois?
On leur donnera fûrement tous les rechanges nécef-
faires à des bâtimens de roi ; ils iront ainfi chercher
des pirates qui n’ont peut-être pas pris pour un
mois de vivres , 6c dont le but eft de faire un coup
de main promptement, & de fe retirer au plutôt
avec leur butin. Il eft aifé de comprendre quelle
prodigieufe différence il y aura du poids embarqué ’
fur nos chebecs avec celui des barbarefques, 6c de
couclure qu’ils iront mieux à la voile 6c à la rame
que les nôtres, qui (-fulTent-ils armes d’autant de
céfars qu’il y aura d’hommes, ) ne feront ni ne fçau-
roient rien faire par cette feule raifon contre les chebecs
barbarefques qui tomberont fur les nôtres
quand ils feront en plus grand nombre, 6c n’en pourront
être atteints lorsqu’ils feront les plus foibles ;
lis échapperont encore plus facilement aux vaiffeaux
de r o i, en mettant ia proue au vent dès qu’ils
lesappercevront, fans en pouvoir être apperçus, étant
infiniment plus petits; d’où je conclus encore qu’il n’y
a que par les galeres qu’ils puiffent être détruits,
6c que ces bâtimens font faits pour la gloire des
galeres.
Je ne prétends pas dire pour cela que les chebecs
Soient de mauvais bâtimens; je penfe au contraire
qu’ils feront néceffaires dans la fuite , dès que nos
voifins en ont ; &c je defirerois fort, fi le roi jugeoit
à propos d’en faire conftruire , qu’il voulût bien me
donner le commandement de la galere l’Ambitieufe qui
eft à deux timons,& d’une autrega/cire à un feul timon,
pour s’éprouver pendant trois mois le long de la
côte , 6c au large avec un ou deux chebecs, fur les
differentes manoeuvres qui peuvent fe faire de part
& d’autre à la rame & à la voile , ce qui feroit également
inftruâif pour les officiers 6c équipages de
ces differens bâtimens, 6c avantageux pour le Service
du roi.
Enfin j’aurois trop à me reprocher fi je paffois
fous filence les Services que rendirent les deux pale-
rts commandées par M. le chevalier de Laubepin,
fous les ordres de M. de Grandpré , chef d’efeadre,
commandant celle des vaiffeaux du roi au bombardement
de Tripoli de Barbarie en lyzS.
Ces deux galeres Soutinrent pendant quatorze
jours & quatorze nuits les galiotes à bombes, qu’elles
remorquoient dès que la nuit venoit pour les placer,
& retiroient au large à la petite pointe du jour.
M. le chevalier de Laubepin, perfuadé qu’il étoit
un moyen plus court 6c plus fûr pour mettre à la
raifon les pirates Tripolains , propofa à M. de
Grandpré de lui permettre de pénétrer de nuit avec
fes deux galeres dans leur port, 6c d’y brûler les
bâtimens qu’il ne pourroit emmener, ce qu’il auroit
exécuté pendant que les galiotes auroient jetté des
bombes fans difeontinuer tout le tems de cette opération
; mais foit que M. de Grandpré jugeât l’en-
treprife-trop périlleufe, foit qu’il eût d’autres rai-
fons , il ne voulut pas y confentir ; c’eft ce que M.
le prince Conftantin qui commandoit alors le vaif-
feau du roi le Tigre , & MM. les officiers de cette
efeadre peuvent attefter comme l’aventure fui-
vante.
Dans cette même campagne la frégate du roi
l’Aftrée, qui croifoit devant Tripoli, échoua au fud
de ce port, après avoir effayé inutilement de la
mettre à flot, en l’allégeant autant qu’il étoit poffi-
ble. M. de Grandpré fut obligé de recourir aux deux
galeres, auxquelles il ordonna de faire toute la dili-
gence poffible pour fauver cette frégate qui fe feroit
infailliblement perdue , fi la mer eût groffi avant
qu’on l’eût mife à flot ; elles y réuffirent après huit
heures de travail 6c d’efforts étonnans , puifque
l’Eclatante, galere neuve, y perdit cinq pouces de fa
lonture.
Je dirai encore que l’on n’auroit vraifemblable-
ment pas manqué l’expédition de Tabarca en 1741, fi
les quatre galeresqui en dévoient être s’y fuffent trouvées
; elles auroient fourni des troupes de débarquement
, protégé de leur artillerie la defeente, 6c afluré
la retraite en cas que nos gens euffent été repouffés ;
mais trois de ces galeres en y allant furent attaquées
d’une maladie épidémique , occafionnée tant parla
mauvaife qualité des vivres , que parce que la plus
grande partie de leurs chiourmes avoit été tirée
u bagne de Marfeille , 6c n’a voit pas été exercée à
ia tangue; inconvénient feul capable de produire un
tel effet. Elles furent contraintes de s’arrêter à Ca-
gnan en Sardaigne, où elles eurent bien de la peine
* arriver » faute de pouvoir manoeuvrer par la quan-
tite de malade ; il n’y eut que celle de M. de Barjemont
qui commandoir Pefcadre , qui fe rendit à Tabarca
, où il trouva le projet exécuté 6c manqué avec
perte de huit cens françois prifonniers : il fentit le
contre-coup que Cette affaire pou voit porter fur la colonie
de la Calle ou Baftion de France , comptoir de la
compagnie d’Afrique ; il y alla fournir de la poudre à
cette place qui efi manquoit, 8c la fauva par-là. Je
ne puis m empêcher de dire encore combien les galères
lont néceflàires pour affurer le commerce le long
des cotes de Provence & de Languedoc : periomie
n ignore combien elles font dangereufes pour les
gros vaiffeaux qui s’y trouveroient effilés, n’y ayant
d’abris pour eux dans toute cette partie de la Méditerranée
, que la rade de Toulon 8c les ifles d’Hieres
qui fe touchent prêfque, enforte qu’un coup de vent
de terre les éloigne beaucoup de leur croiiiere • le
vent du large les oblige de s’en éloigner encore , plus
dans.lacrainte.de ne pouvoir éviter de donner à travers.
an lieu que les galeres qui tirent moins d’eau,
trouvent prefque par-tout des abris 5 jtae anfe , un
cap les met en furete, lans perdre quafi de vue leur
croifiere 6c lesjieux de leur deftination.
D un autre côté, fi le roi veut continuer fa protection
aux Génois , * qu’on examine la fituation de la
Corfe, où tout autre bâtiment ne fauroit être auffi
utilement employé. Et fi les puiffances de Barbarie
venoient à enfreindre les traités tout-à-coup , 6c
infiilter notre commerce 6c nos côtes, quel autre
batiment que les galeres pourroit-on leur oppofer,
tantpar la promptitude d’unarmement de galeres,que
parce qu’il en coûte moins au roi, indépendamment
de la fupériorité quelles ont fur les galiotes 6c chebecs
barbarefques ?
Après avoir prouvé l’utilité des galeres, je prends
la liberté de dire qu’il n’eft qu’un feul moyen d’en
tirer parti quand l’occafion s’en préfentera ; c’ eft de
les faire naviguer très-fouvent, n’y ayant point de
métier qîu demande plus de pratique que celui-là ,
non-feulement pour endurcir les chiourmes à la fatigue
, mais encore pour leur rendre, 6c aux équipages
, les différentes manoeuvres familières de nuit
comme de jour; pour peu qu’on ait de connoiffance
de ce métier, l ’on convient qu’il n’y a point de bâtiment
dont la manoeuvre foit fi délicate & fi dange-
reufe étant mal-faite ou trop lentement , c’eft la
chiourme aidée de quelques bas-officiers’ qui fait
celle de l’arbre de meflre ; ce font les matelots aidés
auffi de quelques bas-officiers qui font à proue celle
de l’arbre de trinquet. Je n’en citerai qu’une pour ne
pas ennuyer par un trop long détail. Suppofons
donc qu?il s’agiffe dans un mauvais tems d’amener
promptement, & d’iffer des antennes d’un poids
énorme, 6c les faire paffer fous le vent, il faut que
chacun fachç fur quel cordage 6c l’endroit où il doit
porter la main dans le moment pour faire force tous
à-la-fois, môler des fards & anquis , en vuider d’autres
à-propos, paffer & dépaffer les oftes, orfes à
poupe, 6c autres cordages ; fi tout cela né fe fait
avec précifion , fi le moindre Cordage vient à s’em-
barraffer, fur-tout dans la nuit, comment y remédier
fans perdre beaucoup de tems,6c fans courir rifquê de
faire perdre lagalerefil s’agit de faire voile promptement
, une minute plutôt vous doubleriez ùrt cap ,
une minute plus tard vous donnerez à travers fi la
galere trouve une mer trop groffe pour pouvoir fè
fervir de (es rames, fi la tenue n’eft pas bonne, ou
s’il y a trop de fond pour mouiller, ce qui arrive
ordinairement près des caps , il faut donc des matelots
6c des chiourmes bien exercés à la manoeuvre
6c des officiers bien expérimentés pour la Commander
dans l’inftant , lorfqu’un grain de vent tout
oppolé à celui qu’on a , vous charge tout-à-coup •
d’où je conclus qu’ il faut de fréquens armemens, &
(*) On écrivoitceci en 1750,
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