dépouillé du pays que les Francs occupoient au delà
du Rhin, & que (on rival en refta pailiblepoffeffeur.
Cette opinion eft en quelque forte juftifiee ; les rois
dé Thuringe dont parlent les écrivains de la première
ra c e , pouvoient bien defcendre de ce prince.
Au refte Mérouée fut bien dédommagé de cette perte
après la défaite des Huns, à laquelle il eut beaucoup
de part; les Francs , à l’époque de fa m o r t, étoient
en poffeffion de Soiffons, de Châlons, du Verman-
dois , d’Ar ra s , de C amb rai, de T ou rn a i, de Senlis,
de B eauva is , d’Amiens, de Terouane & de Boulogne.
Mérouée mourut en 457 , apres un régné
d’énviron dix an s , laiffant fes états à Childeric fon
fils. L’hiftoire ne nous a pas confervé le nom de fa
femme : elle eft également muette fur celui de fes
enfans. ( M — Y. )
* MERRA1N ou MÉRAIN, f. m. (Tonnelier.) Les
tonneliers donnent ce nom à des planches ordinairement
fendues a v e c le coutre, qui fervent à former
les douves des tonneaux, fûts ou futailles. On v oit
fig, 1 5 p l - I du Tonnelier, Dict. raij. des Sciences, & c .
un merrain propre à faire une douve. .{Art du tonnelier
par M. F o u g e r o u x d e B o n d a r o y . )
M E R V E IL LEU X , f. m. {Belles-lettres.) On peut
diftinguer dans la poéfie deux efpeces de merveilleux.
Lè merveilleux naturel eft pris , fi je l’ofe d ir e , fur
la derniere limite des poffibles ; la vérité y peut atteindre
, & la fimple raifon peut y ajouter fo i. Tels
font les extrêmes en toutes choies, les événemens
fans e xem ple , les ca ra â ere s , les vertu s , les crimes
inouïs, les jeux du hazard qui femblent annoncer
une fatalité marquée, ou l’influence d’une caufe qui
préfide à ces accidens ; telles font les grandes révolutions
dans le phy fiqu e , les déluges, les tremblemens
de te r r e , les bouleveriemens qui ont changé la face
du glob e, ouvert un paffage à l’Océan dans les profondes
vallées qui féparoient l’Europe de l’Afrique
ou la Suede de l’Allemagne, rompu la communication
du nord de l’Amérique & de l ’Europe, englouti
p eu t-ê tr e la grande île Atlantique, & mis à fec les
bancs de fable qui forment T Archipel de la Grece &
celui de l’ Inde, peut - être auffi élevé fi haut les v o lcans
de l’ancien & du nouveau monde. T els font auffi,
dans le mo ral, les grandes incurfions & les vaftes
conquêtes, le renverfement des empires & leur fuc-
ceffion rapide, fur - to u t , lorfque c’eft un feul homme
dont le génie & le courage ont produit ces grands
changemens; tels font par conféquent les caraderes
& les génies d’une fo r c e , d’une v ig u eu r , d’une élévation
extraordinaires.Tels font enfin les événemens
particuliers, dont la rencontre femble ordonnée par
une puiffance fupérièure.
Ariftote en donne pour exemple la chute de la
ftatue de Miris fur le meurtrier de Miris. Le théâtre
grec eft rempli de ces rencontres merveilleufes: tel
eft le fort d’Orefte cru meurtrier d’O re fte , & fur le
point d’être immolé par Iphigénie, fa foeur ; tel eft
le fort d’Egifte , cru meurtrier d’Egifte , & fu r le point
d’être immolé par Me rop e , fa mere ; tel eft le fort
d’G£dïpe,meurtrierde Laïus , fon p e re , & cherchant
lui - même à découvrir le meurtrier de Laïus.
L ’hiftoire préfente plufieurs de ces hazards, dont
la poéfie pourroit au befoin faire une forte de prod
ig e; de ce nombre eft la naiffance d’Alexandre
le même jour que fut brûlé le temple de Diane à
Ephefe ; Carthage & Corinthe détruites dans une
même année ; Prague emporté d’affautle 28 novembre
1 6 3 1 , par Jean-George, électeur de S a x e , &
par efcalade le même jour 28 novembre 1 7 4 1 , par
fon arriere-petit-fils; la pluie qui lav e le vifage de
Britannicus à fes funérailles, & y fait d é c o u v r ira s
traces du poifon ; l’orage qu’il y eut à Pau le jour de
la mort d’Henri I V , oit l’on dit que le tonnerre brifa
les armes du roi fur la porte du château dans lequel
c e prince étoit n é , & qu’un taureau appellé le roi
des taureaux, à caufe de fa be au té , effrayé de ce coup
de foudre, fe tua en fe précipitant dans les foffés du
château ; ce qui fit que dans toute la v ille , le peuple
cria : le roi ejl mort«
Çes circonftances que l’on remarque dans les événemens
publics, font auffi quelquefois affez fingulieres
& affez frappantes dans les événemens particuliers
p o u r y je t te r du merveilleux. T e lfe r o itp a r exemple
l’aventure de ce jeune guerrier q u i, par amour, ayant
mis fur fon coeur les lettres de fa maîtreffe le jour
d’une bataille, reçut une balle au même endroit oit
il avo it mis ces lettre s, & dut la v ie à c e bouclier
précieux.
D e ce même genre de merveilleux font toutes ces
deferiptions des p o ètes , où fans fortir des bornes de
la nature, l’imagination renchérit tant qu’elle peut
fur la réa lité , ce qui fait de la fiftion un continuel
enchantement.
L e merveilleux furnaturel eft l ’entremife des êtres
qui n’étant pas fournis aux loix de la nature, y pro-
duifent des accidens au - deffus de fes fo rces , ou in-
dépendans de fes loix.
11 eft dit dans l'article MERVElLLEyx du Dict. raif.
des Sciences y ôcc. « Minerve & Junon, Mars & Vénus
» qui jouent de fi grands rôles dans VIliade & dans
» l’Enéide , ne feroient aujourd’hui dans un poëme
» épique que des noms fans réa lité , auxquels le lec-
» teur n’attacheroit aucune idée diftin&e, parce qu’il
» eft né dans une religion toute contraire , ou élevé
» dans des principes tout différens. Il eft dit que la
» chûte de la mythologie entraîne néceffairement
» l ’exclufion de cette forte de merveilleux, & que
» l’illufion ne peut être 'complété qu’autant que la
» poéfie fe renferme dans la créance commune. Il eft
» dit qu’en vain fe fonderoit-on, dans les fujets pro-
» fanes, fur le merveilleux admis dans nos o p é ra , &
» que fi on le dépouille de tout ce qui l’y acc.ompa-
» gne, on o fe répondre que ce merveilleux ne nous
»> amufera pas une minute ».
Ces fpéculations démenties par l’expérience, ne
font fondées que fur une fauffe fuppofition, fa v o ir ,
que la poéfie, pour produire fon effet, demande une
illufion complété.
Il eft démontré qu’au théâtre, où le preftige poétique
a tant de force & de charmes, non - feulement
l’illufion n’eft pas entiè re , mais ne doit pas l’être ;
il en eft de même à la le& u re , fans quoi l’impreffion
faite fur les efprits feroit fouventpénibleôc doulou-
reufe. Foye^ Vraisemblance, Suppl.
Le le â eu r n’a donc pas befoin que le merveilleux
fo it pour lui un objet de créance, mais un objet
d’opinion hypothétique & paffagere. C ’eft en poéfie
une donnée dont tous les peuples éclairés font d’acco
rd ; tout ce qu’on y exige ce font les convenances
ou la vérité relative ; & c e lle - c i confifte à ne fuppo-
fer dans un fujet que le merveilleux reçu dans l’opinion
du tems & du pays où l ’a â io n s’eft paffée ; en-
forte qu’on ne nous donne à croire que ce que les
peuples de ce tems-là ou de ce p a y s - là , lemblent
avoir dû croire eux-mêmes. Alors par cette com-
plaifance que l’imagination veut bien avoir pour ce
qui l’amufe, nous nous mettons à la place de ces
peuples ; & pour un moment nous nous laiffons fé-
duire par ce qui les auroit féduits.
Ainfi autant il feroit ridicule d’employer le merveilleux
de la mythologie ou de la magie, dans une
aftion étrangère aux lieux & aux tems où l’on c royoit
à l’une & à l’autre , autant il eft raifonnable & permis
de les employer dans les fujets auxquels l’opinion du
tems & du pays les rend comme adhérentes. Et qui
jamais a reproché l’emploi de la magie au Taffe ; &
à l’auteur du Télémaque , l ’emploi du merveilleux
d’Homere? Une'piété trop délicate & trop timide
pou rro it feule s’en alarmer; mais ce que blâmeroit
11 n fcrupule mal - entendu, le goût & le bon fens l’ap-
prouvent.
La feule attention qu’on doit avoir eft de faifir bien
au jufte l’opinion des peuples à la place defquels on
veut nous mettre, afin de ne pas faire du merveilleux
un ufage dont eux-mêmes ils feroient bleffés. C ’eft
ainfi , par exemple, qu’un poète qùitraiteroit aujourd’hui
le fujet de la Pharfale, feroit obligé de faire ce
qu’a fait Lu cain, de s’interdire l’entremife des dieux
dans la querelle de Céfar & de Pompée. La raifon en
e ft qu’on ne fe prê teà l’illufion qu’autant qu’on fup-
po fe que les témoins de l’événement auroient pu s’y
liv rer eux -m eme s . Cette convention paroît fingu-
liere ; & cependant rien n’eft plus réel.
Il s’enfuit que dans les fujets modernes le merveilleux
ancien ne peut être férieufement employé ; &
c ’eft une perte immenfe pour la poéfie épique.
C e n’eft pas que le merveilleux pôûr nous fo it réduit
, comme on l’a prétendu, à l’allégorie des paf-
fion s humaines perfonnifîées. Av ec de l’a r t, du goût
& du génie, nos prophètes, nos anges, nos démons
& nos faints peuvent agir décemment & dignement
dans un poème ; & à la mal - adreffe du Camouens,
deSannazar, de Saint-Didier, de Chapelain, &c. on
peut oppofer les exemples du T a f f e , de Milton, de
l ’auteur A'Athalie & de celui de la Henriade.
Mais ce qui manque au merveilleux moderne , c’eft
d’être paffionné. La divinité éft inaltérable pareffen-
c e , & tout le génie des poètes ne fauroit faire de
p iew qu’un homme, ce qui eft une ineptie ou une j
impiété. Nos anges•& nos fa ints, exempts de paffions
» feront des perfonnages froids, fi on les peint ,
dans leur- état d e calme & de béatitude, ou indécem- :
ment dénaturés, fi on leur donne les mouvemens ■
tumultueux du coe u r humain.
Nos démons, plus' Favorables à la po éfie , font fuf- !
ceptibles de paffions, mais fans aucun mélange ni •'
de b o n té ,.n i de v e r tu ; une fureur plus ou moins ;
a tro c e , une malice plus ou moins artificieufe & profonde
, en deux mots le v ice & le crime font les
feules couleurs dont on puiffe les peindre.
Vo ilà les véritables raifons pour lefquelles on fe- ;
roit infenfé de croire pouvoir fubftituer, fans un e x - I
trême défavantage, le merveilleux de la religion à !
celu i de la mythologie.
Les dieux d’Homere font des hommes plus grands
& plus forts que nature , foit au phyfique, foit au
moral. La méchanceté, la b o n té , les paffions, les '
v ic e s , les v e r tu s , le pouvoir & l’intelligence au plus
haut dégré concevable, tout le fyftême enfin du bien
& du mal mis en aftion par le moyen de ces agens
furnaturels ; voilà le merveilleux favorable à la poéfie.
Mais quel effet produire fur l’ame des hommes, «
a v e c de pures intelligences, fanspaffions, ni v ices ,
ni v er tu s , qui n’ont plus rien à e fpé rer, à defirer ,'ni
à craindre , & dont une tranquillité éternelle eft
l ’immobile élément ? V o y e z auffi combien eft abfurde
& pu é rile , dans le poème de Milton, le péril où il
met les anges, & leur combat contre les démons }
Les deux magies rapprochent un peu plus le merveilleux
de la religion de celui de la fable, en donnant
aux deux puiffances, infernale & céle fte, des
miniftres paffionnés, & dont il femble qu’on peut
animer & varier lés Cara&eres; mais les magiciens
eux -mêmes font décidés bons ou méchans, par cela
feul que le c ie l, ou que l’enfer lés fécondé ; & il
n ’eft guere poffible de les peindre que de l’une de
ces deux couleurs. Les premiers poètes q u i, avec
fu c c ès , ont employé cette machine, en doivent donc
av o ir ufé tous les refforts.
Quelle comparaifon avec un fyftême religieux,
pu non-feulement les paffions, les vertu s , les talens,
Tome I I I ,
les arts, le gén ie , toute la nature intelle£hiélle& mo-
raie ; mais les élémens, les faifons, tous les grands
phénomènes de la nature p h yfiqu e , toutes fes grandes
produéfions a voient leurs dieux , plus ou moins
dépendans, mais affez libres pour a g ir , chacun félon
leur caraâere ?
C e t avantage des anciens fur le modernes eft élégamment
exprime dans le poëme de l’anti - Lucrèce»
O utinam, dum te regionibus infero facris ,
Arentem in campum liceat deducere fontes
Cajlalios ,- ver fis lata in viridaria dumis ,
A c totam in nojlros Aganippida fundere ver fu s %
Non mihi, qua veflro quondam facundia vati
Nec tam dùlce melos, nec par ejl gratia cantûs.
Reddidit ille fu â Graiorum fomnia linguâ;
Nojlra peregrina mandamus facra loquela.
Ille voluptatem & vencres, charitumque choreas
Carminé concélébrât; nos veri dogma fe v erum:
Trijlefonant pulfa nofirâ tejlitudine ckordce.
Ollifuppeditat dives natura leporis
Quidquidhabet, latosfummittens prodiga flores..',.,
(Eneadum genitrix felicibus imperat arvis,
Aëriafque plagas récréât ypelagufque profondum.
Quant aux perfonnages allégoriques, ilfaut renoncer
à en faire jamais la machine d’un poëme férieux.
On pourra bien les y introduire en épifodes paffa-
gers , lorfqu’on aura quelqu’idée abftraite , quelque '
circonftance morale à préfenter fous des traits plus feh-
fibles ou plus intéreffans que la vérité nue, ou que celle-
ci aura befoin d’un v o ilepou r fe montrer avecdécence
ou paffer a v ec m odeftie . C ’eft ainfi que dans la Henriade
la politique perfonnifiée, eft un ingénieux moyen de
nous^peindre la cour de Rome; c ’eft ainfi que dans
le même p o ëm e , la peinture allégorique des vices
raffemblés aux portes de l’enfer, eft l’exemple le plus
parfait de la v érité philofophique animée, embellie
& rendue fenfible aux y e u x par la fiftion :
L à git lafombre envie, à l'oeil timide & louche ,
Virfantfur des lauriers les poifons de fa bouche ; .
Le jo u r blejfe fes yeux dans l'ombre étincelans ;
Trifle amante des morts elle hait les vivans.
E lle apperçoit Henri, f e détourne «S* foupire.
Auprès d'elle ejl Torgueil, quifeplaît & s'admire 1
Lafoibleffe an teint pâle, aux regards abat us ,
Tyran qui cede au crime & détruit les vertus;
L'ambition fanglante, inquiété y égarée,
D e trônes y de tombeaux , d'efclaves entourée ;
La tendre hypocrijie, aux y eu x pleins de douceur .*
( Le ciel efi dans fes y eu x , V enfer ejl dansfon coeur. )
Le fa u x yelc étalant fes barbares maximes,
E t l'intérêt enfin y pere de tous les crimes. .
Les anciens ont eux-mêmes allégorifé quelques-uns
de leurs épifodes, comme la ceinture de Vénus dans
Y IU4.de, & la jaloufie de Turnus dans Y Enéide. Mais
qu’on fe garde bien de compter fur les perfonnages allégoriques,
pour être conftamment, comme les dieux
d’Homere, les mobiles de l’a&ion. Ces perfonnagés
ont deux défauts, l’un d’avoir en eux-mêmes trop
de fimplicité de cara&ere; l’autre de n’avoir pas
affez de confiftance dans l’opinion.
J’o férois comparer un caraâere poétique à un
diamant qui n’a du jeu qu’autant qu’il a plufieurs
faces, ou plutôt à un compofé chymique dont la fermentation
& la chaleur a pour caufe la contrariété
de fes élémens. Un caràâere fimple ne fermente ja mais,
il peut avo ir de l’énergie & de l’impétuofité
mais il n’a qu’une impulfion fans aucune révolution
en fens contraire & fur lui-même: l ’envie fera toujours
l’en v ie , & la vengeance la vengeance ; au lieu
que le cara&ere moral dé l’homme eft com po fé , divers
& changeant ; & des combats qu’il éprouve en
lui-même réfulte la variété & l’impétuoûté de fon
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