chauds la petite vérole altéré moins les figures , elle
y eft moins dangereufe ; il 'eft rare, même en Italie,
de voir des perfonnes dont le vifage ait été taché par
cette maladie épidémique , que les anciens Grecs ne
connoiffoient point. Il étoit par conféquent très- facile
aux anciens Grecs de représenter la beauté. A l’égard
de l'influence du climat fur la façon de penfer des
Grecs, on ne peut'la mécônnoître : mais leur am'e
étoit modifiée proportionnellement à l’éducation,
& au gouvernement particulier de chaque province
de la Grèce. Le tour dé génie fe manifefte dans les
prodüâiônS des artiftes, & les expreffions font proportionnelles
au dégré de chaleur du climat que l'on
habite. Les Grecs qui vivoient fous un ciel ôc fous
un gouvernement tempérés, 9voient des idées Ôc
une langue pittorefques : leurs poètes, depuis Homère
, ne parlent pas feulement dans un fens figuré ;
mais ce qu’ils difent eft ordinairement la plus belle
peinture de ce qu’ils penfent. La cadence , l’arrangement
des vers , le fon particulier de chaque
mot, tout fait image dans leur ftyle ; le tems n’en
a point terni le coloris : leur imagination n’étoit
point outrée comme celle des autres peuples :
leurs fens opérant par des nerfs fubtils ôc agiles
fur un cerveau délicatement tiffu , leur faifoient
faifir au premier abord les différentes qualités
d’ün objet , ôc les fixoient au beau par inftinû,
c ’eftà-dire par goût naturel. La langue grecque fe
perfeélionna parmi les colonies fixées dans l’Afie mineure
, qui jouiffoient d’un ciel encore plus beau
que celui du climat qu’elles avoient quitté ; la langue
y ' devint plus riche en voyelles, conféquem-
ment elle devint plus douce Ôc plus harmonieufe.
Ce fut le même ciel de l’Ionie qui infpira les poètes;
la philofophie grecque naquit & fit des progrès éton-
nans dans le même climat ; lé même pays enfanta
les premiers hiftoriens, les Apelles, &c. mais ce
beau pays , l ’Afie Ionique , n’ayant pu réfifter à l’énorme
puifîance des Perfes, le trône des arts ôc des
fciences alla fe fixer dans Athènes, dès que l’on en
eut expulfé fes tyrans. Pour lors le gouvernement
démocratique éleva l’ame de chaque citoyen , ôc la
ville même au-deffus de toutes les autres cités de
la Grece. Le goût s’y rafina ôc fe répandit généralement
: le citoyen fit fes efforts pour fe diftinguer
par la théorie ôc par la pratique des arts & des fciences
j il protégea les célébrés artiftes, & il les récom-
penfa. Les architeâes s’illuftrerent par l’invention
des ordres d’architefture, ôc par la conftruétion des
édifices publics dont le goût égaloit la magnificence.
Tous les arts acquirent un dégré de perfection
dans Athènes, ôc ils fe répandirent enluite
dans les autres villes de la Grece : mais ils y furent
modifiés par la conûitution du gouvernement,
ôc par le climat ôc par l’éducation particulière. Par
exemple , les Theffaliens étoient d’excellens foldats
dans les rencontres où il s’agifloit de combattre par
petite troupe : les Ætoliens au contraire étoient
d’excellens militaires en bataille rangée. Les Cré-1
tois étoient incomparables pour l’embufeade & pour
les ftratagêmes de guerre ; mais ils étoient peu uti-
lesdans les autres circonftances.... Pour adoucir les
moeurs féroces des Arcadiens, qui fe reffentoient
de la ftérilité de leur climat, les loix forçoient chaque
particulier à étudier la mufique jufqp’à l’âge de
trente ans : les Arcadiens devinrent les plus polis ôc
les plus finceres des Grecs. Les Cynathiéns refufe-
rent de fuivre conftamment l’exemple des Arcadiens,
ils mépriferent la mufique , 6c retombèrent
dans leur férocité naturelle ; ils devinrent barbares
ôc furent en horreur à toute la Grece.
Le grand talent que les Grecs avoient pour l’art,
fe trouve aujourd’hui en partie parmi les habitans
libres dès plus belles contrées de l’Italie, L’imagination
eft pour ainfi dire, le premier élément des
talens ; cette imagination brillante caraétérife l’ Italien
, comme le jugement folide caraétérife l’Anglois,
il eft né pour philolopher & non pour peindre ; j’ajoute
que le François , quoique habitant d’un climat
plus chaud que les peuples de la grande-Bretagne
, ne parviendra peut-être jamais, malgré fes
efforts, qu’à égaler les poètes , les graveurs 6c les
ftatuaires du fécond genre parmi les Grecs.
M. "NVinckelmann obferve que ce n’eft pas affez
de conncître les matières de l’a r t , les circonftances
qui influent fur les arts, ôc d’obferver les progrès
de tous les arts chez les- Egyptiens & chez les Etruf-
ques ; fi l’on veut parvenir à fixer fes idees fur le
vrai beau, fi l’on veut apprendre à juger de l’art &
à l’exercer, il faut outre cela ânalyfer les monumens
que nous ont lâiffés les Grecs , dans les tems où ils
jouiffoient de leur liberté.
Les voyageurs de ce fiecle préfument avec raifon,
que fi les Grecs modernes acquéroient leur liberté,
dans l’inftant l’ignorance , la lâcheté difparoîtroient,
ôc l’on verroit renaître parmi eux l’hétoïfme, le gé'-
nie , les vertus, les talens ; fur^-tout, i° . fi l’on réta-
bliffoit les anciens fpeâacles publics, dans lefqueis
chacun avoit droit d’aller difputer les '‘epuronnes
dans les jeux d’exercice du corps, & dans ceux de
l’exercice de l’efprit ; 29. fi l ’on gravoit des ihfcrip-
tions, ôc fi l’on élevoit des ftatues aux vainqueurs ÔC
aux hommes de génie, conformément à l’ancien ufage
de la Grece ; 30. fi l’on rétabliffoit la mode de devenir
fage ôc utile à fa patrie, plutôt que 'de devenir
ou favant ou petit-maître ; 40. fi le gouvernement,
au lieu de ne longer qu’à preffurer la bourfe des peuples
, venoit à s’occuper lérieufement de l’éducation
publique , ôc que conformément au décret fait pendant
la LXIe olympiade , il faifoit raffembler tous
les morceaux difperfés des plus grands poètes ôc
des fublimes orateurs, poiir en former un catéchifme
qui fervît à inftruire tous les enfans des vrais principes
de la morale ôc de la politique ; 50. fi au lieu de
refpeôeir les gens par rapport à la naiffance ou à la
maffe de leurs richeffes , on rétabliffoit l’ufage de
vénérer les artiftes & le$ grands hommes dans tous
les genres, Ôc fi l’on avoit foin de les placer à la tête
du gouvernement, en leurdifant,reffouvenez-vous
que Miltiade, Thémiftocle , Ariftide & Cimon s’élevèrent
peu-à-peu au rang de chefs & de fauveurs
de la Grece. Ces généraliffimes n’étoient pas mieux
logés Ôc mieux nourris que les autres citoyens ; l’on
ignoroit pour lors, l’abus de ruiner les provinces
pour élever aux commandans, aux intendans , aux
premiers préfidens, &c. des palais qui leur font fou-
vent dans les Indes, oublier ce qu’ils doivent à l’état
ôc à l’humanité.
M. "Wlnkelmann obferve que la fculpture, ôc en-
fuite la peinture ont été perfectionnées avant l’ar-
chiteôure, parce, que le ftatuaire trouva les réglés
en contemplant la nature ; au lieu que l’architede
fut obligé de chercher les fiennes dans la combinai-
fon des proportions, &c. La fculpture a précédé la
peinture dans la Grece, ainfi que dans l’Egypte.
Pline croit que la peinture chez les Grecs , ne
remonte pas au-delà de la guerre de Troye. Le Jupiter
de Phidias ôc la Junon de Policlete, c’eft-à-dire
les deux plus parfaites ftatues de l’antiquité, exiftoient
déjà avant que les peintres Grecs fuffent placer le
jour & les ombres dans les tableaux. Euphanor intro-
duifit dans les peintures la fymmétrie, ôc la perfpec-
tive du coloris. La peinture fe perfectionna plus
tard & moins facilement que la fculpture Ôc la gravure,
parce que les peuples préféroient les cachets
& les ftatues aux tableaux. Pendant plufieurs fiecles
l’on ne permit point aux peintres de renfermer leurs
ouvrages
ouvrages dans les temples : c’eft par la même raifon
que parmi les Grecs, la poëfie parvint plutôt au fu-
blime que l’éloquence, qui fait dire à Cicéron , de
Orut. lib. I. n°. 3 , que la Grece a produit plus de
grands poètes que de grands orateurs.
Dans la feCtion qui a pour titre de L efjendelde L art,
M. Vinkelmann obferve que les meilleurs ftatuaires
Ôc les meilleurs peintres de l’école romaine n’ont
point eu une idée jufte du beau idéal, qui eft infiniment
fupérieur au beau phÿfique, qui renferme la collection
de toutes les beautés que l’on trouve éparfes
fur le globe terreftre. Les modernes fe bornent au.
beau,'phÿfique , qui eft .toujours accompagné de
défauts : mais les Grecs fe font élevés au beau idéal
dans tous les genres. Par exemple, Michel-Ange a
connu le beau de l’expreffion, mais il n’a pas fu contenir
fon cifeau ôc fon pinceau : l’expreffion de fes
ouvrages dégénéré en contorfions , il emploie de
grands mouvemens pour opérer de petits effets. Les
Grecs au contraire donnoient peu de mouvement
pour produire de grands effets. Raphaël a donné trop
de tendreffe ôc de molleffe aux femmes qu’il a peintes
; les Grecs ont été plus modérés en repréfen-
tant leur Vénus pudique. Les figures de Bernini ôc
de Rubens reffemblent à des gens que le caprice de
la fortune a élevés rapidement de la lie du peuple
aux premiers honneurs. On reconnoît la foibleffe
du ftyle de Barocci à les nez écrafés ôc à fes mau-
vaifes draperies. Les mentons de Pietro de Cortonne
font courts ôc applatis en deffous ; l’on ne voit aucun
de ces défauts dans les ftatues du grand grec,
c’èft-à-dire du grec par excellence.
Les Grecs commencèrent par copier fervilement
la belle.nature : leurs premier effais, dans le fécond
âge du bon goût,' nous offrent des ftatues dont la
tête eft communément trop groffe : mais à force de
voir de belles perfonnes dans les gymnafes, dans les
amphithéâtres, dans les bains, &c. où la nature pa-
roiffoit fans voiles, ces Grecs femblables à l’abeille,
qui du butin dés fleurs compofe fon miel, réunirent
les yeux les plus admirables à la bouche la
plus parfaite, &c. ils fe compoferent par ce moyen un
type du beau dans le genre féminin. Nous pouvons découvrir
leur fecret à force de mefurer ôc de méditer
fur leurs ouvrages. I)ans Apollon ils réunirent une
partie des belles formes ôc des belles proportions
de l’homme ôc de la femme la plus parfaite : la fingu-
larité du corps des prêtres de Cybelle que l’on rédui-
foit au genre neutre par la caftration, leur donnèrent
peut-être çette idée, &c. Les Grecs repréfenterent
Apollon jeune, parce que la tendre fleur de la jeu-
neffe eft très-propre à infpirer l’amour ôc' la ten-
dreffe ; il paroît planer fans toucher terre avec la
plante des pieds ; la légéreté indique la nature fpiri-
tuelle. Les Grecs donnèrent à la figure de Faune, une
proportion mitoyenne entre celle d’Apollon ôc celle
de l’homme le plus parfait: ils repréfenterent différemment
Hercule homme, & Hercule déifie ; ils fa-
voient faire diftinguer par le trait le héros Ôc le dieu.
Une feule teinte de joie tendre dans le regard de
Battus, qui eft en bas relief fur les médailles de Cy-
renne, l’auroit transformé en Bacchus; & fi l’on y
eût ajoûté un trait de grandeur divine, l’on en auroit
fait un Apollon. Le héros employoit plus' de mouvement
ôc d’a&ion pour exécuter un projet, que la
divinité que l’on auroit repréfentée dans la même
circonftance.
Dans Junon fa fupériprité fur les déeffes', ôc fa
fierté s’annoncent par fa taille, par des yeux bien
fendus ôc voûtés, qui donnent à fes regards toute
la majefté de/ la reine qui veut.également infpirer
l’amour ôc le refpeéf. Pallas vierge, qui a vaincu
l ’amour meme, a les yeux moins ouverts, ôc moins
arqués,elle ne porte point la tête élevée,fon regard
Tome III.
eft modefte & baillé ; elle paroît occupée de quelque
douce réflexion. Vénus a la paupière inférieure
plus elevee-, ce qui lui donne de la douceur; fes
yeux moins ouverts annoncent la tendreffe Ôc la
langueur. Diane paroît uniquement occupée de la
chalfe, elle a tous les attraits de fon fexe : mais elle
paroît l’ignorer ; fa taille eft plus légère & plus mince
que celle de Junon, ou même que celle de Pallas.
Nous avons rapporté ces obfervations pour mettre
tous les le&ëurs à portée de vérifier tout ce que
nous avons dit fur la maniéré dont les Grecs deffi-
npientles hommes;les héros, les demi-dieux, &c. il
eft facile de s’en convaincre en examinant les médailles
, & les pierres-gravées par les Grecs, ou du
moins leurs empreintes enfoufre, en plâtre, &c. La
forme des divinités eft tellement uniforme chez tous
les artiftes des différentes villes delà Grece, qu’on
feroit quelquefqis'tenté de croire qu’elle avoit été
preferite ôc déterminée par une loi.
M. 'NVinckelmann obferve, que dans l’Apollon
du Vatican qui décoche une fléché fur le ferpent
Python, le ftatuaire qui vouloit ^repréfenter le
plus beau des dieux, a éu foin de caraétérifer dans
la figure le calme ou la tranquillité : mais il n’a exprimé
la colere de ce dieu que dans fes narines qu’il
foule.ve un peu,& il a cara&ériféfe dédain qu’il a pour
le ferpent, en foulevant un peu le milieu de la le vre
inférieure : il décoche le trait fans employer la moitié
de fa force ; il paroît qu’il méprife affez l’ennemi
pour refufer de lui faire face, & par ce moyen d’acquérir
plus de force ôc de facilité pour le percer.'
Nous avons rapporté ces obfervations, pour dé- •
montrer que Jes Grecs étoient perfuadés que plus on
met de mouvementée de contorfions dans les traits &:
dans les mufcles, plus on détruit la nobleffe. Le
grand homme gefticule peu , ôc s’afféfte rarement ,
un trait indique fa paffion : mais on voit en même
tems les efforts qu’il fait pour la contenir & pour
la modérer, fuivant les réglés de la prudence, de la
juftice ôc de la décence. Les attitudes des dieux font
conformes à leur dignité ; l’on n’a trouvé que deux
divinités grecques qui aient lés jambes croi-
fées ôc les pieds pofes dans une attitude ruftique :
mais on préfume que le ftatuaire a eu des raifons
pour agir ainfi. Les obfervations que l’on vient de
faire,démontrent auffi combien il eft dangereux pour
un jeune artifte, de copier fervilement les caraéieres
des paffions , deffines par le fameux peintre François
Charles le Brun: ce grand homme les a tracés çlans
leur excès le plus outré pour les rendre fenfibles,
même aux yeux des ignorans.
Nous déterminerons la beauté des.proportions des
figures grecques , dans l’article Pr o p o r t i o n ; nous
y rapporterons la nouvelle méthode que M. Winc-
kelmanma publiée au fujet de la tête. A l’égard de la
beauté des parties du corps, nous remarquerons
en paffant, que le profil du vifage des ftatues du
grand grée confifte dans une ligne prefque droite
c’eft-à-dire très-doucement enfoncée dans l’alignement
du nez ôc du front: la grandeur Ôc la nobleffe
font exprimées par le trait droit, ôc la tendreffe eft
produite par des inflexions douces & légères. Plus
l’inflexion qui fépare le nez du front eft: profonde,
plus le profil eft difgracieux. La beauté des fourcils
confifte dans la fineffe éc’ dans la fubtilité des poils :
plus le trait eft fin & peu courbé, plus l’oeil annonce
le calme & la tranquillité.
Chaque paffion peut fe cara&érifer par le mouvement
ou l’inflexion des fourcils. Les Grecs favoient -
comme nous , que les yeux qui ne font nitropfail-
lans, ni trop enfoncés, ni trop grands, ni trop petits,,
font les plus beaux : mais pour travailler dans le beau
idéal, ils les tenôjent un peu au-deffous de ce que
nous-appelions, dans 1$ beau phÿfique, à fleur de