étoit point un ; & fuivant l’efprit de la nation, qui
'£e croit toujours invinciblement liée à la tige royale
tant qu’il en relie un rejetton., Pepin-le-bref ne fut
qu’un ufurpatëur qui li’avoit aucun droit à la couronne,
tant qu’il relia quelque rejetton de la tige
de Clovis. Hugues Câpet doit être regardé comine
le vengeur de l’oppreffioninjufte des Mérovingiens,
6c des principes de la nation, que les Carlovingiens
n’a-voient pas dû méconnoître. Le fuffrage de la nation
ne devient un titre légitime que quand la famille
royale eft entièrement éteinte, 6c elle rétoit
lorfque Hugues Capet vint au trône, puifque les
Carlovingiens n’étoient que des ufurpateurs, 6c qu’il
n’exilloitplus de princes Mérovingiens qui étoient
les feuls rois. Le laps de tems pou voit peut-être charn
ger une’ ufurpation en une domination légitime ;
mais on n’eut point d’égard au mérite de la pof-
feffion. Le facre auquel Pépin eut recours, ne
fuffifoit pas pour remédier au vice de fon titre :
cette cérémonie qu’il emprunta des rois de Juda,
rendoit fa perfonne plus rcfpe&able, fans rien
ajouter à fon droit. C ’elt de leur fang, 6c non pas
d’une cérémonie religieufe, que les rois de France
tiennent leur couronne. Ils font rois dans le fein
de leur mere , leur couronne eft indépendante de
la religion qu’ils profeffent , puifqu’ils régnoient
avant même qu’ils fuffent éclairés des lumières
de la foi.
Une fociété favante a demandé pourquoi les rois
de la fécondé race , princes qui aimoient la guerre
& qui la favoient faire, eurent un régné plus court
que ceux de la première, q u i, depuis Dagobert I ,
s’endormirent dans le fein de la volupté. Cette question
propofée depuis plufieurs années, eft reliée fans
réponfe : elle mérite bien d’être approfondie. Je crois
appercevoir plufieurs caufes , indépendamment de
celles que l’on peut tirer, de cette main fupérieure
qui réglé à fon gré le cours des événemens , je me
bornerai à expofer la principale : fuivant moi, on doit
attribuer la chute précipitée des Carlovingiens aux
principes qu’ils introduifirent dans la monarchie :
auparavant eux la couronne avoit dépendu du fang;
& les François ne pouvoients’imaginer qu’ils puffent
fe difpenfer de recevoir un fils de roi pour maître ,
ni qu’il leur fût permis de renoncer à fon obéifl'ance
quelqu’inepte qu’il pût être. On regardoit dans le
prince, non la capacité, mais le droit; c’eft pourquoi
l’on vit les Mérovingiens fur le trône, long-
tems après que les maires du palais les eurent dépouillés
de leur puiffance. L’extrême foibleffe de
Clovis II & de fes fucceffeurs, jufqu’à Childeric III,
qui tous n’offrirent qu’un fantôme de royauté, ne
les empêcha pas de tonferver la couronne ; & lorfque
l’on ceffa d’en craindre ou d’en ;efpérer , on
refpeâa en eux le fang qui couloit dans leurs veines:
le peuple demanda toujours à les voir, 6c les révéra
comme autrefois il avoit révéré fes idoles. Les Carlovingiens
pour fe frayer une route au trône, furent
obligés de changer les principes : ils accréditèrent
cette maxime dangereufe, que le trône, appartient à
celui qui eft le plus digne d'y monter. Les grands que
cette maxime alloit rendre les difpenfateurs de la
royauté, & auxquels même elle ouvroit une voie
pour y parvenir, l’adopterent aifément. Pépin parvint
à s’affeoir à la place de Childeric III, mais il ne
tarda pas à s’appercevoir [qu’il s’étoit fervi d’une
verge qui devoit être funefte à f a ’poftérité; c’eft
envain qu’il fit parler le pontife de Rome , un autre
pouvoit le faire parler comme lui : c’eft envain qu’il
fe fit facrer, il fuffifoit au premier intriguant d’avoir
un évêque dans fes intérêts pour prétendre aux honneurs
de cette cérémonie. Sous la première race, la
couronne dépendoit de Dieu feul qui manifeftoit
fa volonté, en faifant naître un fils de roi ; elle
dépendit fous la fécondé,des grands & des miniftres de
la religion, que mille efpeces d’intérêts pôuvoient
corrompre. Sous la fécondé on avoit l’exemple d’un
roi détrôné , & fous la première on ne l’avoit pas :
on étoit perfuadé fous celle-ci que la couronne ap-
partenoit à la poftérité de Clovis, exclufivement à
toute autre ; & fous l’autre , à celui qui avoit affez
d’audaee & de talens pour la ravir 6c la conferver :
delà cette attention qu’eurent les Carlovingiens de
préfenter leurs enfans aux états, 6c de les faire reconnaître
de leur vivant. Si Louis eût prévu fa mort,
6c qu’il eût eu cette attention pour Charles fon oncle
, il eft à croire que Hugues n’auroit pas monté
fitôt fur le trône. Comme les Carlovingiens avoient
fait dépendre la royauté du fuffrage des grands,ils le
demandoient pour leurs enfans, dans le tems qu’ils
étoient en état de l’obtenir, foit par les grâces qu’ils
pouvaient répandre , foit par la terreur qu’ils pou-
voient infpirer. Dans un état où là royauté eft héréditaire
, 6c où un prince n’en fauroit être dépouillé ,
quels que foient fes défauts & fes vices , le trône
eft toujours bien affermi, parce que fi un prince
foibie néglige fes droits, il eft d’ordinaire remplacé
par un autre qui, né avec plus de feve & plus de vigueur,
ne manque pas de les reprendre : c’eft le contraire
dans un état où le droit de fuffrage eft en ufage,
le trône eft nécefl'airement foibie, parce que les
grands en qui réfide ce droit, n’appellent que ceux
auxquels ils connoiffent des difpofitions favorables à
leur ambition ; ils ne donnent la couronne qu’aux
princes qui leur en font paffer les prérogatives , ou
au moins qui les affoeient pour en jouir avec eux.
Des écrivains qui fe font attachés à recueillir les
Angularités qu’offre notre hiftoire , ont obfervé
que les trois empires qui fe font formés des débris
de celui de Charlemagne, en Allemagne , en France
& en Italie, ont été détruits fous trois princes du
même nom ; en Allemagne, fous Louis IV , dit Vert*
fant\ en Italie, fous Louis II ; & en France , fous
Louis V , dont je viens de crayonner les-principaux
traits, & que fa vie aftive 6c laborieufe fembloit
devoit préferverdu furnom ignominieux de fainéant,
fous lequel la poftérité s’eft accoutumée à le voir
figurer. ( M-~y . )
Lou is VI, dit /« gros, fut couronné roi de France
, du vivant de Philippe I fon pere , 6c monta fur
le trône après la mort de ce prince, arrivée en 1 108 ;
il avoit diffipé les cabales que l’on avoit formées
contre fon pere, 6c ne put étouffer celles qu’on forma
contre lui-même. Les comtes- de Mante & de
Corbeil, & quelques autres vaffaux, trop foibles
pour attaquer le roi avec leurs féules forces, engagèrent
dans leurs intérêts le roi d’Angleterre, duc de
Normandie. La ville de Gifors fut le flambeau de la
difcorde , on en vint aux mains près de Brenneville,
en 1 1 16 : l’indocilité des François leur fit commettre
des fautes que leur bravoure ne put réparer , ils furent
vaincus. Dans la déroute, un Anglois arrête le
cheval de Louis par la bride, & s’écrie, le roi efl pris.
Ne fais-tu pas, répond le monarque en le renverfant
d’un coup de fabre, qu'au jeu d'échecs on ne prend
jamais le roi? Il courut vers Chartres, réfolu de châtier
les habitans révoltés ; mais dès qu’il les vit à fes
pieds, il pardonna. Un traité termina, ou du moins
afibupit la guerre en 1120, Louis reçut l’hommage
de Henri, mais bientôt il fut forcé de tourner les
armes contre l’empereur Henri V , qui à la tête d’une
armée formidable, menaçoit la Champagne ; on fe
fépara fans combattre. Le ro i, en 1 1 1 7 , courut en
Flandres, punit les affaffins du comte Charles-le-
Bon, 6c donna ce comté à Guillaume Cliton, neveu
de Henri I , qu’il n’avoit pu rétablir dans le duché
de Normandie. Làuis mourut le premier août 1137 r
ce prince étoit fuperftitieux 6s crédule ; il permir
aux moines de Saint-Maur d’ordonner le dite! entré
leurs vaflàux ; du refte brave foldat, affez bon générai,
mais mauvais politique, il fut le jouet des rufes.
du roi d’Angleterre , dompta l ’orgueil des grands
vaffaux de la couronne , 6c fe fit craindre de l’étranger
comme'de fes fujets : on citera toujours comme
une grande leçon , le confeil qu’il dônnpit en moip-
rant à Louis-lè-jeune : Souvenez-vous, mou fils , que
la royauté n’ejl quuàe charge publique, dont vous, rendrez
un comPte rigoureux au roi des rois. -
' Lou is VII, dit le jeûné, roi de Frarttê, né en
ï 119'; fut couronné en 1 13 7 , après la mort de
Louis-le-gros; il punit Thibaut, comte de Champagne
, qui s’étoit révolté , mais il fît périr une foule
d’innocens pour châtier un 'c o u p a b le& la ville de
Vitry fut réduite en cendres; le remords qui devoit
lui infpirer le deffein de rendre fon peuple heureux,
ne lui infpira que celui d’aller maffacrer des. Sarra-
fins. La manie des croifades avoit commencé fous
Philippe l : cette fureur n’avoit fait que s’accroître.
Louis alla effacer par des meurtres en Paléftine ,
ceux qu’il avoit commis en F r a n c e ' vainqueur
d’abord , vaincu enfuite, prêt à tomber entre les
mains des infidèles, il fe défendit long-tems feul
contre une foule d’affaillans, fe fit jour à travers
l’armée ennemie, & revint en France avec les débris
de la fienne : il appaifa les troubles qui agitaient la
Normandie ; mais l’éleêtion d’un archevêque de
Bourges ayant excité un différend entre la cour de
France & celle de Romé, le pape Innocent I I , qui
étoit redevable de la rhiare.à Louis Z7/ / , jetta un
interdit fur fes domaines. Ce prince répudia en 1150
la reine Eléonore , qui époufa depuis le comte d’An
jou , duc de Normandie, enfin roi d’Angleterre )
pour lui, il époufa Confiance , fille d’Alphonfe, roi
de Caftille. La guerre fe ralluma bientôt entre la
France 6c l’Angleterre , au fujet du comté de Tou-
loufe ; on fe livra beaucoup de combats, on ligna
beaucoup de treves, 6c rien ne fut terminé. Le ma- .
riage de Marguerite de France avec Henri, fils du
roi d’Angleterre, réconcilia les deux cours ; la guerre
fe renouvella encore, 6c l’on vit dès-lors éclater ces
haines nationales qui fe font perpétuées. Louis VII
mourut à Paris , le 18 feptembre 1180 : il avoit fait
un pèlerinage pour obtenir la guérifon de fon fils ,
dedans ce voyage pieux il tomba malade lui-même ;
ce fut lui qui attribua au fiege de Rheims le droit de
facrer les rois de France.
L ou is V III, furnommé Cctur-de-lion , avoit 36
ans lorfqu’il fuccéda à Philippe-Augufte, en 1223 :
Henri III, roi d’Angleterre, lui demanda lareftitu-
tion de la Normandie, 6c de tous les domaines de
Jean, que la cour des pairs de France avoit confif-
qués ; il fit appuyer fa demande par cinquante mille
Loldats ; Louis y répondit de même , rentra dans
toutes les conquêtes de fon pere, 6c fournit la
Guyenne que celui-,ci,avoit négligée : il diffipa une
faâion excitée en Flandres par un impofteur qui
avoit pris le nom du comte Baudouin ; bientôt il
reprit les armes contre ces infortunés Albigeois,
dont la cour de Rome avoit juré la deftruftion. Le ,
fiege d’Avignon fut formé, le roi y fut atteint d’une !
maladie mortelle, on le tranfporta au château de j
Montpenfier, il y mourut l’an 1 226 ; la caufe de fon
mal fut ignorée, on foupçonna Thibaut, comte de
Champagne, de l’avoir empoifonné ; les médecins
crurent que trop dé continence avoit altéré fa fanté ;
on lui confeilla d’admettre dans fon lit une jeune
perfonne d’une rare beauté : Louis répondit qu’il
aimoit mieux mourir que de manquer à la fidélité
conjugale ; ce fut en vain que pendant fon fommeil
1 on mit près de lui une fille qui facrifioit fon honneur
au falut de l’état 6c du roi : il la chaffa, mais fans
dureté,& lui fit donner une dot & un époux,Ce prince
Tome III,
diâa enfuîte fort teftament d’une voix ferme 6c d’un
air lereiti ; la couronne appaftenoit à Louis, l’aîné
de fes fils; le fécond eut l’Artois; le troifieme le
Poitou le quarrieme l’Anjou 6c le Maine*
Louis IX , dit Saint-Louis, roi de France* n’avoit
que 12 ans lorfqu’il monta fur le trône, en 1226 j
la régence fut confiée à la reine Blanche * fa mere :
cette princeffe, aüflî conrageufe que fâge, fut diffï-
perlâ ligue des grands vaffaux révoltés; il fallut négocier,
prendre les arme sles quitter,- les Reprendre
encore. Henri III , toi d’Angleterre, appelle en
France par le duc de Bretagne, ne fe montra que
pour s’enfuir : le duc fut forcé d’implorer la clémence
du ro i, qui lui déclara qu’après la mort de fon fils
la Bretagne retourneroit à la couronne. Louis parvenu
à l’âge fixé par les loix, gouverna par lui-même;
mais il n’en fut pas moins docile aux confeils de
la reine Blanche; ce fut elle qui l’unit à Marguerite
de Provence, fille de Raimond Béranger : on prétend
que peu de tems après cette heuféufe alliance,
le vieux de la Montagne, craignant au fonds de
l’Afie un jeune prince qui faffoit l’admiration de
l’Europe, fit partir deux émiffaires pour l’affafiîner ;
que ces miférablevs furent découverts ; que Louis
leur pardonna, & les renvoya chargés «tepréfens.
Le comte de la Marche leva l’étendard de la révolte
en 1240 ; Henri III, roi d’Angleterre, époufa
fa querelle* bientôt les bords de la Charente furent
couverts de combattans :.on en vint aux mains près
de Taillebourg ; ce fut là que Louis IX foutint pref-
quefeul, fur un pont, le choc de l’armée ennemie ;
vaincue elle s’enfuit vers Xaintes, Louis la pourfuit
6c la taille en pièces : Henri va chercher un afyle
en Angleterre, le comte de la Marche fe foumet, 6c
le roi lui pardonne. Ce prince Ijraita les prifonniers
comme il auroit traité fés fujets ; il tomba peu de
tems après dans une maladie dont les fuites furent
fatales aux François, aux Sarrafins, à*lui-même : il
fit voeu d’aller porter la guerre en Paleftine fi le ciel
lui rendoit la fanté ; on ne conçoit guere comment
un roi fi fage , fi doux, fi jufte, put promettre à Dieu
qu’il ôteroit la vie à des milliers d’hommes s’il la lui
rendoit : on conçoit moins encore comment il accomplit
de fang-froid un ferment indifcret qui lui
étoit échappé dans un des plus violens accès de fa
maladie.
Il partit & Iaiffa les rênes de l’état entre les mains,
de la reine Blanche ; fesfreres le fûivirent. Louis y
en defcencTant fur les côtes d’Egypte, fignale fon
arrivée par une viftoire ;.celle de la Maffoure donne
encore aux Sarrafins une plus haute idée de fon courage
; ce fut-là qu’on le vit pleurer & venger la mort
du comte d’Artois fon frere ; mâis bientôt la fortune
change, une famine cruelle défoie l’armée ; pouf
comble de malheurs Louis eft pris avec fes deux
freres : il avoit été modefte dans fes profpérités, il
fut grand dans les fers. Sa liberté coûta cher à l’état ;
au refte on ne pouvoit racheter à trop haut prix un
fi grand prince : il fut délivré, mais il alla perdre
encore en Paleftine quatre années qu’il auroit pu
confacrer au bonheur de fes fujets. Enfin la moft de
la reine-mere le força de revenir en France : illaifla
l’Afie étonnée de fa valeur, 6c plus encore de fes
vertus. Les Sarrafins fe racontaient'aveéTurprife
tous fes exploits, dont ils avoient été témoins; comme
il s’étoit défendu long-tems feul contréurie multitude
d’aflaillans, comme il avoit pénétré foüvent
jufqu’aux derniers rangs de fes ennemis ; avec quelle
fermeté il avoit vu dans fa prifon de vils affaffins * ■>.
lever le bras fur fa tête; avec quelle grandeur d’ame
il leur avoit pardonné î
Mais déjà il eft en France, le peuple le reçoit avec
les tranfports de la joie la plus vive. Par un traité
conçlu avec le roi d’Aragon , Louis réunit à fa
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