l’Empire, & mit au ban quiconque oferoit la troubler.
Il partit pour!’ Afie avec une armée de cent cinquante
mille hommes : comme il doutoit de fon retour , il
partagea fa fucceflion entre fes enfans, réfervant
l’empire à Henri fon aîné, déjà roi des Romains.
Frédéric dirigea fa route vers l’orient, 8c furmonta
tous les obftacles que lui oppofa l'empereur Grec
(lfaac l’An g e), qui le regardoit comme un prince
armé pour lui ravir fon trône. Arrivé fur les bords
de l’Hellefpont, il chaffe les Turcs qui prétendent
lui en difputer le paflage ; bat fous lés murs d’Icone
le plus puiffant foudan du p a ys, 8c entre dans la
Gilicie , où il meurt pour s’être baigné dans le Cid-
nus, de la maladie qui, quinze fiecles auparavant 9
avoit prefqne coûté la vie à Alexandre, prince qui,
avec une foible partie de la G rece, avoit conquis le
plus grand empire du monde , dans un pays oii l’Europe
conjurée ne put conferver une feule province.
Frédéric eut deux femmes, Adelle ou Adélaïde de
Volbourg, qu’il répudia comme étantfa parente,quoi-1
qu’il ne l’eut époufée qu’avec difpenfe ; Béatrix de
Bourgogne, qu’il époufa du vivant de cette princefle,
eut cinq fils 8c deux filles, favoir, Henri VI qui régna
; Frédéric fut duc de Suabe, accompagna fon pere
dans la croifade, 8c mourut à Acre ou à Ptolemaïde ;
Conrad qui fut duc de Franconie & de Suabe, après
la mort de fon frere Frédéric ; Oton , 1e quatrième ,
eut le comté de Bourgogne ;. Philippe, le cinquième,
n’eut aucun apanage, c’eft le même qui fut élu pour
fuccéder à Henri VI ; Sophie , l’aînée des deux prin-
cefles, époufa Conrad, marquis de Mifnie ; Béatrix,
la cadette, fut abbefle de Quitesbourg. Les Allemands,
naturellement jaloux d’une haute taille ,le livrèrent
dans les commencemens à des fatyres offensantes
contre cç prince. Un jour le voyant auprès de
Waldemar, le Danois, qui le furpaflbit de toute là
tête, ils s’oublièrent jufqu’à dire , petite taille, petit
homme;ils connurent parlesévénemensde fon régné,
combien ce proverbe étoit peu judicieux. ( M—y . )
Frédéric II, de là famille de Suabe ( Hijloire
d? Allemagne. ) roi dé Sicile, de Naples 8c de Jérufalem,
XVIIe roi ou empereur de Germanie depuis
Conrad I , XXIe empereur d’Occident depuis Charlemagne,
né en 119 j de Henri VI 8c de Confiance de
Sicile, élu empereur en 12 12 , mort en 1250.
Frédéric avoit à peine, quatre ans, lorfqu’il perdit
Henri VI fon pere, qui pour lui préparer une voie
à l’empire, l’avoit fait reconnoître roi des Romains
(en 1196); mais ce titre ne lui fut d’aucun fecours.
Les états, ne voulant pas d’un enfant pour empereur,
avoient forcé Philippe, fon oncle 8c fon tuteur , de
recevoir la couronne pour lui-même. Ce jeune prince
, ainfi exclu du trône, fe retira en Sicile, qu’il
gouverna comme roi feudatoire du faint fiege, fous
la tutelle 8c la régence de l’impératrice Confiance
fa mere. Cette princefle infpira à fon pupille l’amour
des vertus, & lui fit fentir de bonne heure qu’il étojt
deftiné aux grandes chofes. Le jeune Frédéric étoit
doué des plus heureufes qualités : il joignoit à une
mémoire prodigieufe , la ‘paflîon de tout favoir. A
•peine forti de l’enfance,’ il pofledoit la plupart des
-langues anciennes & modernes : il parloit avec une
extrême facilité le G rec, le Latin, le T u rc , le François,
c’eft-à-dire, le Roman, l’Italien 8c le Ttidef-
que. Tant qu’il fut incapable de rien exécuter par
lui-même, l’impératrice, fa mere, le retint loin des
orages ; & Philippe , qu’elle eût pu traiter d’ufurpa-
teur, n’éprouva aucune contradiélion de fa part. Cette
princefle , en mourant ( en 1200 ) , fit un grand trait
de politique, en confiant au pape la régence du royaume
de Sicile 8c la tutelle de fon fils. Elle avoit lieu de
croire que la reconnoiflance parlant au coeur d’innocent
III, ce pontife prodigieufement ambitieux,
•■ à la vérité , mais incapable de lâcheté, mettroit une
partie de fa gloire à travailler à la grandeur de fon pupille,
qu’il eût pu écrafer, fi on l’eût mécontenté par
un défaut de confiance. Le pape oubliafahaine contre
les Suabes fdès qu’il fe vit le protefteur & le pere du
chef de cette illuftre famille.. Oton IV..l’ayant mécontenté,.
il l’excommunia ; & déliant les impériaux
du ferment de fidélité fait à ce prince, il lés fit fou-
venir. de la foi qu’ils avoient jurée à Frédéric I I dans
fon berceau. Philippe Augufte, ennemi de la maifon
de Saxe, alliée de celle d’Angleterre, acheva la ré?
volution qui força Oton de defeendre du trône 8s.
de fe retirer dans fes états héréditaires de Brunfwick,
où il vécut oublié. Frédéric 11 ne fut pas monté fur le
trône impérial qu’il manifefta fa reconnoiflance envers
le pontife : il confentit à fe croifer 8c à donner au faint
fiege les allodiaux de la comtefle Mathilde : il promit;
de ne jamais réunir la Sicile à l’Empire, mais d’en
donner l’inveftiture à fon fils dès qu’il feroit en âge
de régner. Honorius III, fucceflèur d’innocent, obtint
la renonciation au mobilier des évêques, défunts,
8c au revenu des évêchés pendant la vacance. Ce fut
encore pour complaire à la cour de Rome qü’il fit
publier ces cruels édits .qui privoient les enfans des
hérétiques de la fucceflion de leurs peres. Cependant
ces corhplaifances n’étoient pas entièrement définté-
reflees : la plupart de ces-conceflions précédèrent
fon couronnement à Rome : il avoit lieu de craindre
que le pape ne refusât fon miniftere à cette cérémonie
, dont dépendoit la vénération des peuples pour
la perfonnedes empereurs. D ’ailleiirs , Oton IV ref-
piroit encore : le couronnement fe fit avec la:pompe
8c les ufages ordinaires., La méfintelligence de Frédéric
8c d’Honoré ne tarda pas à éclater. Lorfque
l’empereur vit fon autorité bien affermie ,. il fe lafla
d’accorder des privilèges , dont le pontife fembloit
infatiable; Ce pape prétendoit interdire au monarque
toute jurifdi&ion fur les eccléfiaftiques lorfqu’il
en chafla plufieurs de fes états de Sicile j-où ils.met-
toient le trouble, Honorius s’en plaignit comme
d’une entreprife facrilege. Frédéric fe juftifia par
l’exemple de fes prédécefleurs, & fit au pontife une
réponfe pleine de majefté : « Comme empereur 8c
» comme ro i, dit-il, je fuis juge fuprême de tous
» mes fujets, 8c dans les caufesféçulieres, je ne dois
» point diftinguer les eccléfiaftiques des laïcs. Je
» laiflèrai à mes fuccefleurs ces prérogatives , que
» je tiens de mes ancêtres : j’abdiquerois un trône
» qu’il faudroit conferver par une lâcheté ». Honorius,
mécontent de cette réponfe, lance les foudres
ordinaires dans ces fiecles d’ignorance : il excommunie
l’empereur & tous ceux qui lui feront fideles. Frédéric
étoit aimé : il fut manier les états avec tant de
dextérité, que les coups du pontife frappèrent à
faux ; & ce fut pour l’en punir , qu’il fit couronner
roi des Romains Henri fon fils ; c’étoitle.déclarer fon
fucceflèur 8c réunir la Sicile à l’AIIemagne, ce que la
cour de Rome avoit toujours appréhendé. Le pape ,
fâché du peu de fuccès de fes anathèmes, diflïmule fon
chagrin 8c cherche des voies de conciliation. Il profite
de la mort de l’impératrice, Marie Confiance
d’Aragon, 8ç le flatte du titre de roi de Jérufalem,
qu’il lui offre en lui faifant époufer Yolande, fille de
Jean de Brienne. Frédéric confentit à la paix, 8c s’engagea
par ferment à aller à Jérufalem faire valoir fes
droits. Mais il s’apperçut bientôt que ce ferment ne
lui avoit été arraché que pour lui faire perdre fes
états d’Europe, lorfqu’il en feroit éloigné. Forcé de
l’accomplir, il s’embarqua avec une armée floriflan-
te ; mais ayant été attaqué de maladie après trois
jours de navigation , il relâcha 8c fe fit porter dans
fon palais de Brindes. Grégoire IX avoit fuccédé à
à Honorius III. Ce pape , outre les prétentions de
fon fiege qu’il avoit à foutenir, avoit fa famille à
venger: les eccléfiaftiques que Frédéric avoit chafles
de fës états de Sicile étoient fes parehs : il couvrit
fon reffentiment du voile de la religion, 8c excommunia
l’empereur qui; difoit-iGlaiffoit dans l’op-
prefîion les chrétiens de la Paleftine. Frédéric fe juiu-
fia aux yeux des prirtees Chrétiens , toujours entetes
de la chimere , auffi pieufe que vaine, de fouftraire
l’Aile au joug de l’Âlcoràn ; & pour le venger de
Grégoire , il foulera contre lui les Frangipane Tandis
que ces feigneurs ,tout-puiffans dans Rome , foï-
çoient le pape d’en fortir, il attaqua l’état eocléflafti-
que ; & dès qu’il eut mis cette guerre en état de pou-
voir’être continuée avec fuccès par fes lieutenans *
il partit pour la Palelline. Le pape fit connôître que
les1 intérêts de la religion, for lesquels il s’étoit ap-
puyé pour l’excommunier, n’étoient qu’un prétexte
pour exeufer des motifs moins nobles : au lieu de
retirer fes anathèmes, il les confirme , il écrit à tous
les ordres religieux & militaires de la Paleftine, de
«e point reconnoître l’empereur : invite le foudan
de Babilone à l’attaquer avec confiance -, fans craindre
les armées des croifés. Digne fucceflèur des
Grégoire V I I , des Urbain I I , 8c des Pafcal II1 II foit-
leve le roi des Romains contre fon per e. Frédéric',
que les intérêts de la religion conduifent dans la Paleftine
, y trouve les moines 8c le clergé conjurés
pour fa perte, 8c lorfqu’il donne l’ordre , les croifés
lui répondent qu’ils riobéiront qu aux lieutenans Impériaux
de la part de Dieu & de la Chrétienté. Le,
grand-maître de Jérufalem , le grand-maître des
Templiers, lui refuferent toute efpece d’obéiflànce ;
les Vénitiens le félieitoient en particulier, 8c l’outra-
geoient en public. Frédéric, dans l’impuiffance de
continuer la guerre avec honneur, fongea à fe dégager
avec prudence : il conclut avec le lbudan de Babilone
une treve de-dix ans : les conditions en étoient
honorables. Le foudan ( Melezel, ou comme nous
Rappelions, Nlelcdin ) lui remit tous les Chrétiens
fes captifs , 8c lui donna les villes de Jérufalem, de
Béthléem, de Nazaret , de Throon & de Sidon ,
àvècleurs dépendances* Le foudan, prince pacifique,
fe bornoit à demander la tolérance de fon culte
, 8c qu’on laiflat fubfifter les mofquées. Frédéric
fit fon entrée dans Jérufalem , n’ayant pour ennemis
que les Chrétiens qu’il venoit de délivrer. Le lendemain
il alla vifiter le temple , où après avoir fait
fes prières il fe couronna lui-même, les prélats ayant
refufé de prêter leur miniftere à cette cérémonie.
Cette guerre inteftine , qui fe faifoit fentir fur les
bords du Jourdain, troubloit le Tibre 8c l’Eder. Le
pape avoit fait publier une croifade contre lui : il fit
fes préparatifs pour repaffer en Europe, mais il releva
auparavant les fortifications de Jérufalem & de plu-
fieurs autres villes ruinées parles Sarrazins,& rétablit
les Chrétiens dans Joppé. Rentré dans la Sicile , il en
bannit les Templiers 8c les Hofpitaliers, pour avoir
traverfé fes deffeins; il paffe le continent, diflxpe les
croifades papales : quinze jours lui fuflifent pour reprendre
uneinfinité de places qu’on lui a voit enlevées.
Il parcourt enfuite 8c foumet la Romagne, la Marche
d’Ancône, le duché de Spolètte, celui de Bénevent 8c
afliege Grégoire dans Rome ; mais content de l’avoir
étonné, il leva le fiege, & fe retira à Gapottë. Tant
de vigueur , tant de modération, 8c plus encore fen-
tremife de faint Louis ,,font incliner le pape vers la
paix. Frédéric, que des écrivains ont déféré à la pôf-
térité comme le plus dangereux des hommes -, étoit
le plus patient 8c le plus modéré. Il renonça à tous
les droits de la viftoire ; 8c non feulement il fendit
au pape les places qu’il venoit de conquérir, il cdn-
fentit encore à lui donner vingt-fix mille marcs d’ar1
gènt. Par le traité de paix, qui fut coftclu à San Ger-
mano ( 2.3 juillet 1230 ) 1 l’empereur renonça à la
nomination aux bénéfices , affranchit le clergé de
toute jurifdiftion féculiere, 8c le déchargea de tout,e
• Tome IIIt
taxe. La révolte de la Lombardie, les trames fecret-
tes du roi des Romains, Furent les vrais motifs qui
le déterminèrent à figner ce traité , fi contraire à fes
intérêts. Il fe rendit aufli-tôt en Allemagne, où il
gémit des défordres introduits par le fanatifme & la
révolté. Il fait condamner le foi des Romains , fon
fils., à une prifon perpétuelle ; met le duc d’Autriche
au ban de l’Empire; non moins prompt à récompen-
fer qu’à punir, il déclare Vienne ville impériale. Le
pape , infidèle au traité qui cependant lui donnoit
tant d’avantages, favorifôit les rebelles de Lombar-
' die. Il apprend fes hoftilités , 8c s’apprête à foutenir
la guerre, fuivant l’expreflion d’un légat, avec la
fermeté d’un rocher inébranlable. Il paflè les Alpes
avec une armée de cent mille hommes ; fait une horrible
boucherie des Génois , des Lombards 8c des
Vénitiens confédérés; 8c les traitant moins comme
ennemis que comme rébelles, il fait pendre les chefs,
fans excepter le général Petro Tiépolo ,fils du doge;
Les confédérés perdirent tant d’hommes, que Frédéric
écrivit lui-même que le pays ne pouvoit lui fournir
un cimetiere affez grand. On ne fauroiit décrirè
les horreurs auxquelles fe livrèrent les deux partis :
les rébelles fembloient renaître d’eux-mêmes, &
eombattoient avec le double fanaâfme de la religion
& d e la liberté. Le pape leur avoit fait croire qu’ils
vengeroient l’un 8c l’autre , 8c s’étoit fur-tout appliqué
à faire paffer l’empereur pour le plus implacable
ennemi du vrai culte. Frédéric indigné, s’abandonne
à tous les excès où peut le livrer une calomnie qui
tend à lui faire perdre toutes fes couronnes. Il fè
rend maître de la Tofcane, du duché d’Urbin , 8c
marche à Rome , qu’il afliege. Les Romains & les
Croifés font une fortie vigoureufe , excités par les
prières 8c les larmes du pape. Les Impériaux les taillent
en pièces ; 8c déployant l’appareil d’une juftice
effrayante , au milieu de ces combats fanglants, ils
impriment une croix, avec un fer ardent, fur lé
front des fanatiques. Grégoire qui voit que fes foudres
éclatent en vain, contre le prince le plus a â if
8c le plus éclairé qui fût jamais, croit les rendre plus
puiffantes en les lançant au milieu d’un concile général
: il invite tous les prélats de la Chrétienté à
paffer à Rome, 8c les fait efeorter d’une flotte.
Entius, fils naturel de l’empereur, & fon lieutenant
dans le royaume de Sardaigne , attaque cette flotte,
prend vingt-deux galeres, en coule trois à fond ,
déclare prifonniers de guerre tous les prélats, au
nombre delquels étoient trois cardinaux. Ce défaftré
rompt les mefures du pape 8c lui caufe la mort. Ce-
leftin IV , qui lui fuccede, ne tint le fiege que dix
jours. Le cardinal Fiefque -, ancien ami de Frédéric ,
donne quelqu’elpoir à l’Europe. L’empereur, quicon-
noît le pouvoir de l’ambition, témoigne une vive douleur
: Fiefque ejl pape, dit-il, il fera bientôt mon ennemi;
Cette prédiâidn fut bientôt juftifiée : Innocent IV ,
tel étoit le nom que prit Fielque à fon avènement
au trône pontifical, fui vit aufli-tôt les traces de Grégoire.
Plus dangereux encore, il accufe l’empereur
d’avoir voulu l’attirer dans une conférence pouf
l’arrêter prifonnief : 8c lorlque ce bruit à produit fon
effet, il l’excommunie. Frédéric répond à ces anathèmes
par des viftôires , & force fon ennemi à fe réfugier
en France. Ce fut-Jà qu'innocent IV affembla ce
fameux concile ,'OÙ après un procès juridique, où
l’on né de voit pas manquer d’aceufateurs, il prononça
la dépofitioh de Frédéric avec les formes les plus
effrayantes, au milieu d’un nombre infini de prélats,
8c en préfence de plufieurs princes, auxquels l’empereur
crie inutilement que (a caufe eft celle de tous
les rois. Un moine, dont les déclamations di&erent l’o*
racle du pontife, l’accufoit d’athéifrae & d’héréfie : ce
qui répugne dans la même perionne, 8c prouve que la
vengeanceôcl’intérêtguidoientle juge & l’accufa^eur.