«îomma fonüls généraliflîme de l’armée ; mais il
l’écarta «des affaires, 6c ne lui permit plus d’entrer
au confeil. Cette apparente dureté fit murmurer plus
hautement ; mais ’Jean, qui ne croyoit pas devoir
■ communiquer à perfonne'lesraifons de fa conduite ,
fui vit le plan qu’il s’étoit fait, & sfinquiéta peu des
fauffes conjectures qu’on répandoit fur fa févérité. Son
projet étoit de reculer, autant qu^il lepourroit, la
guerre contre les Efpagnols ; d’ailleurs, il avoit fait
lecrétement un traité -avec piufieurs grands d’Efpa-
gne pour réunir le Portugal à la Caftille, en mettant
Théodofe fur le trône, & en transférant le fiege de la
monarchie à Lisbonne: mais ces fecrets n’étant point
de nature à être'encore confiés à la jeuneffe du prince,
il ne l’avoit exclu du confeil que par intérêt pour lui-
même : cependant Théodofe ne concevant point le
motif de cette rigoureufe froideur, en fut fi pénétré,
qu’il tomba malade, ne put être rendu aux larmes,
ni aux voeux de la nation., mourut, 6c accabla
Jean I V de douleur ; fon chagrin'fut encore aigri par
la mort de l’infante dona Jeanne fa fille aînée :
mais quelle tqu’eût été la caufe de la maladie de
Théodofe, & quelqu’empreflèment que les malintentionnés
témoignaffent à la rapporter au chagrin
qu’on lui avoit donné, Jean peu fenfible à ces inju-
rieufes imputations , garda le filence, & ce ne fut
iqu’après fa mort , que l’on découvrit le véritablë
motif de la conduite qu’il avoit tenue avec fon fils.
Après avoir pris toutes les précautions qui pourvoient
lui affurer le fuccès de fes àeiïems, Jean IV
voyant fes troupes bien difeiplinées, & fa cavalerie
accrue, commença les hoftilités contre l’Efpagne ,
fit des incurfions heureufes, eut de grands fuccès,
qui furent balancés par la perte de l’île de Ceylan,
d’où par leur propre faute , leur licence 6c l’avidité
de leurs chefs, les Portugais furent chaffés. Jean
fupporta cette perte avec ce fang froid apparent
•qu’il montroit dans les circonftances les plus critiques
; il fongea aux moyens de fe dédommager de
ce défaftre , 6c continua à s’occuper fans interruption
, du bien public ; il s’y appliqua fi aflidument
qu’il ne paroiffoit point s’appercevoir de l’affoiblif-
fement de fa fanté; mais bien-tôt il admit la reine
dans tous les confeils, & ce ne fut qu’à cette démarche
que l’on rie douta plus qu’il ne connût lui-
même le danger où il étoit ; il le cachoit tout autant
qu’il pouvoit à fes peuples, parce qu’il con-
«oiffoit leur affe&ion ; 6c afin de leur perfuader que
fa maladie n’étoit qu’une indifpofition paffagere , il
alloit tous les jours à la chaffe dans le peu de mo-
mens-où il fe permettoit de fe diftraire des affaires :
mais fon eftomac étoit entièrement ruiné, fes forces
^’abandonnèrent, il tomba dans un épuifement total :
6c jugeant qu’il touchoit à fon dernier inftant, il fit
venir fes enfans, les embraffa, leur donna les plus
fages confeils, en donna de très-utiles à la reine , fur
la maniéré dont elle devoit exercer la régence, réconcilia
entr’eux piufieurs feigneurs qu’il avoit fait arrêter
pour empêcher les fuites de leurs querelles particulières,
pria 6c exhorta les miniflres à refter fideles
à fes enfans 6c à l ’état; vit approcher avec tranquillité
le moment fatal, 6c mourut en héros, en grand homme,
6c ce qui vaut encore mieux, en homme jufle 6c
paifible fur fa vie pafféè, le 6 novembre 1656, â»é
de 53 ans , 6c au commencement du dernier mois
de la feizieme année de fon régné. Il fut aimé, il mérita
de l’être ; & je ne citerai qu’un trait pour prouver
à quel point il aimoit fes fujets 6c les remontrances
qu’on lui faifoit. Un jour qu’il fortoit à cheval
de Lisbonne pour aller à la chaffe, le lieutenant
civil fe préfeuta devant lui, & après lui avoir fait
«ne profonde révérence , prit le cheval parla bride
& le ramena au palais. Jean fourit, remercia le lieutenant
c iy il, s’occupa d’affaires importantes, & ,
pour ce jo u r , renonça au plaifir de la chaffe. Il ref-
peftoit 1 églife ; mais il favoit contenir les eccléfiafti-
ques , lorfqu’ils s’oublioient. Il recevoit les confif-
cations que l’inquifition prononçoit en fa faveur;
mais il ne manquoit pas de les rendre aufli-tôt aux
familles de ceux fur qui ces biens avoient été con-
fifqués. Cette bienfaisance qui n’étoit point du-tout
analogue au cara&ere d u r& avide des inquifiteurs,
les ulcéra , & ils en firent des plaintes queleroi.mé-
prifa; ils fe turent par crainte ; mais à peine, il fut
mort, que le facré tribunal fit dire à la régente que ,
par cette conduite , le roi avoit encouru la. peine
d’excommunication, 6c qu’on n’eût point à l’enterrer
, qu’il n’eût été abfous ; la reine voulut bien fe
prêter à cette ridicule feene , 6c les inquifiteurs fe
rendirent gravement au palais, où ils donnèrent
folemnellement l’abfolution au corps du roi. Sans
doute ils crurent par cet abus de cérémonie triompher
du fouverain après fa mort, &c fe venger de la
foumifïïon forcée à laquelle il les avoit contraints
durant fa vie.
J ea n V, roi. de Portugal, (FUJI. de Portugal.') Avec
des talens médiocres, mais d’excellentes intentions,
un roi peut rendre fes fujets aufii heureux & fes
états plus floriffans qu’ils ne pourroient le devenir
fous le fouverain le plus recommandable par la fu-
périorité de fes talens, mais qui feroit moins em-
preffé de faire le bonheur de fes peuples, qu’ambitieux
de fe rendre célébré par de vaffes entreprifes
ou des conquêtes éclatantes,. Jean Vue fut pas animé
du defir d’acquérir de la célébrité ; l’amour du bien
public fut le motif de fa conduite, de fes aftions
l’ame & le but de fes projets : ils réuflirent prefque
tous, parce que n’en formant aucun qui ne dût concourir
à maintenir ou à perpétuer la félicité publique
, il en fuivoit aflidument l’exécution, quelques
obftacles qui furvinffent, quelques difficultés qu’il
eût à furmonter. Sa fermeté parut en plus d’une oc-
cafion opiniâtre; on fe tronipoit, elle n’étoit que
réfléchie 6c fondée fur l’efpérance du fuccès. Quelquefois
il parut inconftant & léger, on fe trompoit
encore ; fes démarches étoient guidées par la plus
fage prudence; les engagemens qu’il avoit contra&és
étoient pour lui des loix facrées : mais il regardoit
aufli comme une obligation plus indifpenfable encore,
de fe détacher de fes engagemens lorfqu’ils de-
venoient nuifibles à fes peuples; 6c en cela, il eut
pour maxime qu’un prince peut être fidelè à fes
alliés, fans cependant préférer leurs intérêts aux
fiens propres. Fils du roi don Pedre & de la prin-
ceffe Marie-Sophie de Neubourg, Jean Vxfzwoit que
dix-fept ans, lorfqu’à la mort de fon pere il monta
fur le trône de Portugal, en 1706, L’Europe prefque
entière étoit alors embrâfée des feux de la
guerre , au fujet de la fucceflion d’Efpagne. Le premier
foin de Jean fut de faire avertir les puiffances
maritimes, qu’il tiendroit fidèlement les engagemens
de fon pere, 6c qu’il ne négligeroit rien pour pouffer
la guerre avec la plus grande vigueur : &c en effet,
fes troupes jointes à celles du roi Charles 6c des An-
glois, entrèrent en Caftille, eurent quelques fuccès,
formèrent même le fiege de Valena , qu’on abandonna
fort inconfidérement, marchèrent à la rencontre
des François & de leurs alliés, & furent complètement
battus. Les Portugais fouffrirent cependant
beaucoup moins de cette défaite que les troupes
auxiliaires, parce qu’ils étoient commandés par le
marquis Das Minas, qui fit fa retraite en très-habile
capitaine. Peu allarmé de ce revers, Jean f'fit déclarer
par fon ambaffadeùr à Londres, qu’il ne regardoit
point cet échec comme irrémédiable, 6c qu’in-
violablement attache à la caufe du roi Charleç, il
étoit toujours difpofé à faire les plus grands efforts
pour la foutenir , parce qu’il étoit intimement
perfuadé que le commerce Britannique & Portugais
avoit tout à craindre, tant que le duc d’Anjou relier
roit en Efpagne. Le roi de Portugal craignoit alors
fi peu les fuites de la viéloire remportée par fes ennemis
, que s’occupant férieufement à fouferire aux
voeux de la nation, qui le preffoit de fe donner un
héritier, il envoya le comte de Villa-Major à la cour
de Vienne, pour demander en mariage l’archidu-
cheffe Marie-Anne, fécondé fille de l’empereur Léopold;
elle lui fut accordée; 6c pendant la célébration
de ce mariage, les Portugais reçurent du Bréfil
la plus riche 6c la plus nombreufe flotte qui en fût
venue jufqu’alors, L’union de Jean V avec l’archi-
ditcheffe refferroit les liens qui attachoient ce fouverain
à la caufe de Charles. La cour de France fit cependant
beaucoup de tentatives pour détacher le roi
de fes alliés ; mais bien loin de fe laiffer gagner, il fit
les plus grands préparatifs, remplit les magafins, fit
de nouvelles levées, mit fur pied une armée nombreufe
, qui, jointe à celle des alliés, étoit formidable,
mais par malheur , fort peu difeiplinée ; en-
forte que la campagne ne fut pas heureufe ; au contraire
, cette grande armée fut battue par les Efpagnols
, qui pourtant ne profitèrent point de leur victoire,
autant qu’ils l’euffent pu, 6c qu’on s’y atten-
doir. Jean ne fe découragea point, 6c il fongeoit
aux moyens de fe dédommager de cette difgrace,
lorfqu’à Lisbonne il s’éleva une difpute qui eut des
fuites d’autant plus fâcheufes, qu’elle jettabeaucoup
deméfintelligence entre les Portugais 6c leurs alliés.
Avant le régné de don Pedre, les miniftres étrangers
jouiffoient en Portugal d’immunités très-étendues;
ces prérogatives bleffant la prééminence de
don Pedre , il les abolit, 6c les réduifit aux fràn-
chifes dont fes miniftres jouiffoient chez les nations
étrangères. Cette innovation fit murmurer ceux qui
s’en crurent lézés ; mais par fa prudence, don Pedre
étouffa cette affaire, 6c il n’y avoit eu depuis aucune
forte de difpute, ni de prétention à ce fujet. Malheu-
reufement l’orgueil de l’évêque & prince de Lam-
berg renouvella cette affaire ; étant à Lisbonne en
qualité d’ambaffadeur de fa nîajefté Impériale, quoi-
qu’incognifo, il trouva fort offenfant que les officiers
de juftice paffaffent devant fon hôtel, tenant dans
leurs mains la baguette blariche levée, ce qui en Portugal
eft l’attribut des charges de ces officiers. Le
prince de Lamberg donna ordre à fon fuiffe de les
chaffer ; le fuiffe ne fut pas le plus fort : les officiers
de juftice refuferent de retourner fur leurs pas, 6c il
y en eut un qui fut frappé très-rudement. Jean V informé
de cette aventure, en fut très-irrité, & fît dire
à l’ambaffadeur qu’il eût à renvoyer fon fuiffe, ou à
ne plus fe montrer à la cour. Par la médiation de
quelques grands, cette affaire n’eut point alors des
fuites. Mais peu de tems après, l’évêque de Lamberg,
toujours ulcéré de l ’affront qu’il croyoit avoir,
reçu , engagea l’ambaffadeur de Charles III à ufer
de voie de fait, 6c cet ambaffadeùr envoya tous fes
domeftiques empêcher non - feulement cette claffe
d’officiers de paffer devant fa porte, mais contraindre
les magiftrats qui paffoient en caroffe de prendre
un autre chemin. Le roi fit écrire 6c notifier très-vive-
vement fes volontés à cet ambaffadeùr, qui fe ligua
avec le refte des miniftres étrangers, 6c ceux-ci fai-
fant caufe commune, refuferent opiniâtrement de
fe conformer aux intentions du roi. Leur réfiftance
devint fi foutenue, 6c elle fut pouffée avec tant d’o-
pimatreté, que Jean Vieux envoya ordre de fortir
dans vingt-quatre heures de Lisbonne, où il fit en
meme tems entrer quatre régimens de cavalerie. Les
.miniftres furent contraints de plier, 6c le roi très-in-
digné de leur procédé, fe refroidit beaucoup pour
des alliés dont les ambaffadeurs prétendoient lui donrier
des loix dans fes propres états. C’eft à Cette mal-
heureufe querelle qu’on attribua le refus confiant
que Jean fit, fous divers prétextes, d’envoyer des
fecours 6c des troupes au roi Charles, qui avoit eu
de très-grands avantages en Efpagne, 6c qui en eût
eu de beaucoup plus importans , s’il eût été mieux
fécondé. Les allies fe plaignirent amèrement ; le roi
de Portugal répondit à leurs plaintes avec beaucoup
de fermeté, 6c prouva même qu’il avoit été au-delà
de^ fes engagemens , tandis qu’il n’avoient rempli
qu’une partie, encore même très-foiblement des
conditions auxquelles ils s’étoient fournis. Et il eft
vrai que, même dans le feu de cette difpute, Jean V
combattait vivement pour le roi Charles contre les
Efpagnols. Le comte de Villaverde agiffant oftênfive-
ment par ordre de fon maître, prit Mirande, plu-
fieurs autres places confidérables, mit le pays à contribution
, 6c eût vraifemblablement porté fes conquêtes
plus loin, fi le marquis de Bai n’eut dans le
même tems fait une irruption en Portugal, où il alla
mettre le fiege devant Elvas, ce qui obligea l’armée
Portugaife de revenir, 6c fa préfencecontraignit les
Efpagnols de fe retirer. Malgré, ces différentes opérations,
les alliés fufpettoient vivement la bonne-foi
des Portugais, 6c leur défiance n’étoit pas tout-à-faie
deftituée de vraifemblance. Car, pour les allarmer,
les François avoient répandu qu’ils venoient de faire
un traité fecret avec le Portugal; 6c afin de donner plus
de confiftance à ce bruit , ils firent en effet quelques
propofitions à la cour de Lisbonne, tandis qu’ils atta-
quoient les Portugais en Amérique. Mais leurs propofitions
ne,furent point accueillies, & leur entre-
prife fur Riojaneiro fut repouflee avec beaucoup de
perte : ils fe vengerent cruellement enfuite, & leur
fuccès eut une funefte influence fur les affaires de
Portugal. En effet, la campagne fuivante fut plus mal-
heureufe encore pour les alliés 6c pour les intérêts
de Charles , que ne l’avoient été les précédentes
campagnes. Le duc d’Anjou l’emporta fur fon Conr
current. Les alliés affoiblis 6c hors d’état de tenir
contre |a Franpe 6c l’Efpagne réunis, entrèrent en né*
gociation, & le Portugal fuivit l’exemple de l’Angleterre
; les circonftances l’y obligeoient d’autant
plus , que feul 6c fans appui, il n’étoit pas en état
de réfifter à l’Efpagne, gouvernée par un prince de
la maifon de Bourbon, maître de toutes les provinces
de ce royaume, 6c qui venoit d’y établir une forte
de gouvernement militaire. Mais fi la paix fe réta-
blifloit en Europe , JeanV reftoit toujours dans de
vives inquiétudes, foit par les fâcheufes nouvelles
qu’il reçut de quelques intrigues féditieufes formées
au Bréfil, caufées par le mécontentement du peuple ,
6c par les projets faélieux de quelques grands, foit à
caufe des foupçons que lui donnoit la conduite de
la cour de France, qui paroiffoit peu difpofée à in-
terpofer fes bons offices auprès du nouveau roi d’Ef-
pagne pour affurer la paix entre les nations Efpa-
gnole 6c Portugaife. Cependant,, à force de foins ,
de fermeté , d’inflexibilité même , Jean parvint à
conclure la paix, aux conditions, à peu de chofe
près, qu’il avoit defirées ; ce traité même fut plus
avantageux aux Portugais qu’il ne l’avoient efpéré.
Parvenu enfin à jouir d’un calme auquel il àfpiroit
depuis fi long-tems, le roi de Portugal fe livra tout
entier au bonheur de fon peuple : voyant fon royau?
me riche par le commerce , il voulut aufli l’embellir
par les arts, 6c il leur donna des encourage-
mens fi flatteurs, que bientôt on les y vit cultivés
avec le plus brillant fuccès. Jean étoit fort pieux ,
mais il étoit tout au moins aufli jaloux de ce qu’on
devoit à fon rang, que zélé pour la religion. Il deman-
au pape Clément XI le chapeau de cardinal pour
l’abbé de Biphi ; malheureufement cet abbé s’étoit