articulations; mais Cette conforme fi àouçè eft trop
foible pour foutenir Ve muet, comme dans paie ,
ejjaie ; au lieu que jointe au fon de Va, comme dans
payà, déploya y ou à telle autre voyelle fonore ,
comme dans foyer, citoyen, rayon-a elle fait nombre
& M g à l’oreille.
Par cette analyfe des articulations de la langue,
on doit voir quelles font les liaifons qui flattent ou
qui bleffent l’organe.
La prononciation eft une fuite des mouvemens
variés que l’organe exécute ; & du paflage pénible
ou facile de l’un à l’autre dépend le fentiment de
dureté ou de douceur dont l’oreille eft affe&ée. Col-
labuntur verba Ut inter Je quant aptiffime cohcereanttx-
trema cumprimis (Cicer. ). Il faut donc examiner
avec foin quelles font les articulations fympathi-
ques & antipathiques dans les mots déjà compofés,
afin d’en rechercher ou d’en éviter la rencontre dans
le paflage d’un mot à un autre. On fait, par exemple *
qu’il eft plus facile à l’organe dédoubler une confonne
en l’appuyant que de changer d’articulation. Si l’on
eft libre de choifir , on préférera donc pour initiale
d’un mot la finale du mot qui précédé : les Grecs-fonr
nos modèles ; le foc-qui fend la terre.
Ühymen-neji pas toujours entouré de flambeaux.
Rae.
I l avait de plant vif-fermé cette avenue.
La Font,
Si La Fontaine avoit mis bordé au lieu de fermé, l’ar-
ïiculation feroit plus pénible. Ainfi, Virgile ayant
à faire entrer le mont Tmolus dans un v e r s , l’a fait
précéder d’un mot qui finit par un t.
Nonne vides croceos ut Tmolus odores.
On fait que deux différentes labiales de fuite font
pénibles à articuler ; on ne dira donc point, Alep-
fait lê commerce de VInde, JaCob-vivoit ,fep-verdoyant :
ainfi de toutes les articulations fatigantes pour l’organe,
& qu’avec la plus légère attention il eft facile
de reconnoître , en lifant foi-même à haute voix ce
que l’on écrit.
L’étude que je propofe paroît d’abord puérile ;
mais on m’avouera que les opérations de la nature
lie font pas moins curieufes dans l’homme que celles
de i’induftrie dans le Auteur du célébré Vaucanfon ;
& qui de nous a rougi d’aller examiner les refforts
de cette machine ?
Au choix, au mélange des fons, au foin de rendre
les articulations faciles & de les placer au gré de
Foreille, les anciens joignoient les aecens &c les
nombres.
L ’accent profodique eft peu de chôfe dans les
langues modernes {Voye{ A c c e n t , Suppl. ) ; mais
elles ont leur accent expreiîîf, leur modulation naturelle:
par exemple, chaque langue interroge, admire
, fe plaint,. menace , commande, fupplie avec
des intonations , des infléxions différentes. Une
langue qui dans ce fens-là n’auroit point d’accent,
feroit monotone, froide, inanimée ; & plus l’accent
eft varié, fenfible, mélodieux dans une langue, plus
elle eft favorable à l’ éloquence 8c à la poéfie.
L’accent François eft,peu marqué dans le langage
Ordinaire, la politeffe en eft la caufe : il n’eft pas
réfpe&ueux d’élever le ton , d’animer le langage ;
& l’accent dans l’ufage du monde n’eft pas plus per^
mis que le gefte: mais comme le gefte il eft admis
dans la prononciation oratoire, plus encore dans la
déclamation poétique , & de plus en plus , félon -le
dégré de chaleur & de véhémence du ftyle ; de maniéré
que dans le pathétique de là tragédie , & dans
l’enthoufiafme de l’ode, il eft au plus haut point où
le génie de la langue lui permette de s’élever : mais
c ’ait toujours l’ame elle-même qui imprime ce carac-
'tere à î'expreflîon de fes mouvemens. De-là vient $
par exemple, que notre poéfie affez vive dans le
drame, eft un peu froide dans l’épopée. Elle a une
mélodie pour les fentimens > elle n’en a point pour
les images;&fi mon obfervationeftjufte, c’eft une
nouvelle raifon pour nous de rendre l’épopée aufli
dramatique qu’il eft poflible.
L’harmonie du ffyle dans notre langue ne dépend
donc pas , comme dans les langues anciennes , du
mélange des fons aigus & des fons graves , mais bien
du mélange des fons plus lents ou plus rapides, liés
& foutenus par des articulations faciles & diftinâes
qui marquent le nombre fans dureté.
Commençons par avoir une idée nette & précifa
du rithme, du nombre & du métré.
Le rithme eft dans la langue ce que dans la mufi-
que on appelle mefure; le nombre en eft communément
le lynonyme , mais pour plus de clarté, on en
faitl’efpece du rithme. Ainfi, par exemple, on dit
que le vers iambïque & le vers trochaïque ont lé
même rithme, & qu’ils font compofés de «ombres
différens.
Dans le fyftême profodique des anciens, la mefure
avoit plufieurs tems , & la fyllabe un tems ou
deux, félon qu’elle étoit breve ou longue. On eft
convenu de donner à la breve ce caractère " , & k
la longue Celui-ci ” . Ces élémens profodiques fe
combinoient diverfement, & ces combinaifons fai-
foient tel ou tel nombre ; enforre que les nombres fe
varioient fans altérer la mefure : la valeur des notes
étoit inégale, la fomme des tems ne l’étoit pas, &
chacun des pieds ou nombres du vers étoit l’équivalent
des autres. Ainfi, dans le vers hexametre, le,
rithme étoit confiant & le mouvement varié.
Le métré étoit une fuite de certains nombres dé-|
terminés : il réduifoit & limitoit le rithme, & diftin-
guoit les efpeces de vers.
La mefure ou rithme à trois tems n’a que trois
combinaifons, & ne produit que trois pieds ou
nombres ; le tribrache, " ? ; le chorée ou le troch
ée,” " ; & l ’iambe, La mefure à quatre tems
fe combine de cinq maniérés, en daétile, ” " " ;
fpondée, ” ” ; anapefte, v v “ ; amphibrache , u" u;
& dipyrriche, v:v "
Les anciens avoient bien d’autres nombres dont il
feroit fuperflu de parler ici. O r , ces nombres em*
ployés dans la profe lui donnoientune marche grave
ou légère , lente ou rapide, au gré de l’oreille ; &
fans avoir , comme le v e r s , un rithme précis & régulier,
elle avoit des mouvemens analogues à ceux
de l’ame.
« La profe, dit Cicéron, n’adinet aucun batte-
>> ment de mefure, comme fait la mufique ; mais
» toute fon aâion eft réglée par le jugement de l’o-
» reille qui alonge ou abrégé les périodes ( il pou-
» voit dire encore, qui les retarde ou les précipite ) ,
» félon qu’elle y eft déterminée par le fentiment du
» plaifir ; c’eft-là ce qu’on appelle nombre ». O r , le
même nombre tantôt fatisfait pleinement l’oreille ,
tantôt lui laiffe defirer un nombre plus ou moins rapide
, plus ou moins foutenu : Cicéron en donne des
exemples ; & cette diverfité dans les fentimens, dont
l’oreille eft affe&ée , a le plus fouvent pour principe
l’analogie des nombres avec les mouvemens de
j l’ame, & le rapport des fons avec les images qu’ils
rappellent à l’efprit.
Il y a donc ici deux fortes de plaifir, comme dans
la mufique. L’un, s’il eft permis de le dire , n’affeâe
que l’oreille ; c’eft celui qu’on éprouve à la lecture
des vers d’Homere & de Virgile, même fans entendre
leur langue: il faut avouer que ce plaifir eft
foible. L’autre, eft celui de l’exprèflion ; il intéreffe
l’imagination tk le lentiment, & il eft fouvent très-
fenfible.
Cicéron divife le difeours en périodes & en in-
cifes; il borne la période à vingt-quatre mefures,
& l’incife à deux ou trois. D ’abord, fans avoir égard
à la valeur des fyllabes, il attribue la lenteur aux in-
cifes & la rapidité aux périodes ; & en effet, plus les
repos font fréquens,plus le ftyle ftemble devoir être
lent dans fa marche. Mais bientôt il confidere la valeur
des fyllabes dont la mefure eft compofée,
comme faifant l’effence du nombre, & av e c raifon :
car, fi les repos plus ou moins fréquens donnent au
ftyle plus ou moins de lenteur ou de rapidité, la valeur
des fons qu’on y emploie ne contribue pas
moins à le précipiter ou à le ralentir, & il eft évident
qu’un même nombre de fyllabes arrivera plus
vite au repos, s’il fe précipite en da&iles , que s’il
fe traînoit en graves fpondées. On ne doit donc perdre
de vue, dans la théorie des nombres, ni la coupe
des périodes, ni la valeur relative des fons.
Tous les genres de littérature n’exigent pas un'
ftyle nombreux, mais tous demandent, comme je
l’ai dit, un ftyle fâtisfaifant pour l’oreille.
Quamvis enim fuaves gravefq'ue fentendez , tamen f i
inconditis verbis efftruntur, offendunt aures, quarum
ejl judicium fuperbiffimum. Cicér.
La dittion philofophique eft affranchie de la fervi-
tude des nombres: Cicéron la compare à une vierge
modefte & naïve qui néglige de fe parer. « Cepen-
» dant rien de plus harmonieux, dit-il, que la profe
» de Démocrite & de Platon » ; c’eft un avantage
que la raifon, la vérité même ne doit pas dédaigner.
Il eft certain, cependant que dans un genre d’écrire
où le terme qui rend l’idée avec précifion eft quelquefois
unique , où la vérité n’a qu’un point qui
fouvent même eft indivifible, il n’y a pas à balancer
entre Yharmohie & le fens ; mais il eft rare qu’on en
foit réduit à facrifier l’un à l’autre, & celui qui fait
manier fa langue trouve bien l’art de les concilier.
Cicéron demande pour le ftyle de Phiftoire des
périodes nombreufes , femblables, dit-il, à celles
d’Ifocrate ; mais il ajoute que ces nombres fatigue-
roient bientôt l’oreille, s’ils n’étoient pas interrompus
par des incifes. Ce mélange a de plus l’avantage
-de donner au récit plus d’aifance & de naturel : o r ,
quand on eft obligé, comme l’hiftorien, de dire la
vérité & de ne dire que la vérité, l’on doit éviter
avec foin tout ce qui reffemble à l’artifice. Quintilien
donne pour modèle à l ’hiftoire la douceur du. ftyle
de Xénophon , «fi'éloignée, dit-il, de toute affefta-
» tion, & à laquelle aucune affeftation ne pourra
» jamais atteindre ».
. Il en eft du ftyle oratoire comme de la narration
hiftorique : la profe n’en doit être ni tout-à-fait dénuée
de nombres, ni tout-à-fait nombreufe ; mais
dans les morceaux pathétiques ou de dignité , Cicéron
veut qu’on emploie la période. « On fent bien,
» dit-il, en parlant de fespéroraifons, que fi je n’y
» ai pas toujours attrapé le nombre, j’ai fait ce'que
» j’ai pu pour en approcher ». Cependant il confeille
à l’orateur d’éviter la gêne; elle éteindroit le feu de
fon action & la vivacité des fentimens qui doivent
l ’animer : elle ôteroit au difeours ce naturel précieux,
cet air de candeur qui gagne la confiance &c
qui feul a droit de perfuader.
Quant aux incifes, il recommande qu’on les travaille
avec foin : « moins elles ont d’étendue & d’ap-
» parence , plus Vharmonie s’y doit faire fentir ; c’eft
» même dans ces occafions qu’elle a le plus de force
» &;dexharme». O r , il entend par harmpnie la mefure
& le mouvement qui plaifent le plus à l’oreille.
On voit combien ces préceptes font vagues, & il
faut avouer qu’il eft difticilè - de donner des réglés
au lentiment. Toutefois les principes de Vharmonie
du ftyle doivent être dans la nature : chaque penfée
^fonetendue, chaque image fon caraftere, chaque
Tome III.
mouvement de l’ame fon dégré de force & de rapidité.
Tantôt la penfée eft: comme un arbre touffu
dont les branches s’entrelacent; elle demande le développement
de la période. Tantôt les traits de lumière
dont l’efprit eft frappé font comme autant
d éclairs qui fe fuccedent rapidement; l ’incife en eft
1 image naturelle. Le ftyle coupé convient encore
mieux aux mouvemens impétueux de l’ame ; c’eft le
langage du pathétique véhément & paflionné ; &
quoique le ftyle périodique ait plus d’impulfion à
raifon de fa maffe, le ftyle coupé ne laiffe pas d’avoir
quelquefois autant & plus de vîteffe : cela dépend
des nombres qu’on y emploie.
Il eft évident que dans toutes les langues le ftyle
coupé , le ftyle périodique font au choix de l’écrivain
, quant aux fufpenfions & aux repos ; mais toutes
leS1 langues, & en particulier la nôtre, ont-elles
des tems appréciables, des quàntités relatives, des
nombres enfin déterminés? Voye%_ Prosodie, Suppl.
Il eft du moins bien décidé qu’elles ont toutes
des fyllabes plus ou moins fufceptibles de lenteur
ou de vîteflé; & cette variété fufiit à l'harmonie de
la profe, laquelle étant plus libre, doit être aufli
plus variée & plus expreflive que celle des vers ,
dont les nombres font limités. (J^oye^ V ers , Suppl?)
Il eft vrai que là gêne de notre fyntaxe eft effrayante
pour qui ne connoît pas encore les fou-
pleffes & les reffources de la langue : Pinverfion qui
donnoit aux anciens l’heureufe liberté de placer les
mots dans l’ordre le plus harmonieux, nous eftpref-
qu’abfolument interdite ; mais cette difficulté même
n’a pas rebuté les écrivains doués d’une oreille fenfible
, & ils ont fu trouver , au befoin, des nombres
analogues au fentiment, à la penfée, au mouve-,
ment de l’ame qu’ils vouloient exprimer.
Il feroit peut*être impoflible de rendre Vharmo-
nie continue dans notre profe ; & les bons écrivains
ne fe font attachés à peindre la penfée, que dans les
mots dont l’efprit & l’oreille dévoient être vivement
fràppés. C’eft: aufli à quoi fe bornoit l’ambition
des anciens ;& l’on va..voir quel effet produifent
dans le ftyle oratoire & poétique des nombres placés
à propos.
Fléchier dansl’oraifon funebre de M. de Turenne,
termine ainfi la première période : « pour louer la
» vie, & pour déplorer la mort dit sage et vaillant
» Mâcchà'bëc ». S’il eût dit, « du vaillant & fage
» Macchabée »; s’il eût dit « pour louer la vie du
»fage & vaillant Macchabée, & pour déplorer fa
»’mort» ;la période n’avoit plus cette majefté fom-
bre qui en fait le caraôere : la Caufe phyfique en
eft dans la fitcceflion de-Tiambe , de l’anapefte &
du dichorée, qui n’eft plus la même dès que les mots
font tranfpofés. On doit fentir en effet que de ces
nombres les deux premiers fe foutiennent, & que
les deux derniers, en s’écoulant, femblent laiffer
tomber la période avec la négligence & l’abandon
de la douleur. « Cet homme , ajoute l’orateur, cet
» homme que Dieu avoit mis autour d’ifraël, com-
» me Hn mur d’airain, où fe briferent tant de fois
» toutes les forces de l’Afie » .... venoit tous les ans,
» comme l'es moindres Ifraëlites, réparer avec fes
» mains triomphantes, les ruines du fanélüaire ». Il
eft aifé de voir avec quel foin l’analogie des nombres
, relativement aux images, eft obfervée dans
tous ces repos : pour fonder un mur d’aïraïn , il a
choifi le grave fpondée ; & pour réparer les ruines
du temple, quels nombres majeftueux il a pris! Si
vous voulez en mieux fentir l’effet, fubftituez à ces.
mots des fynonymes qui n’aient pas les mêmes quantités:
fuppofez viclorieufes k h place de triomphantes ;~
temple, au lieu de fancluaire. « Il venoit tous les ans ,
» comme les moindres Ifraëlites , réparer avec fes
» mains viftorieufes les ruines du temple » : vous ne
Q q»j