rentré dans fes états, que les légats dé Pàfcal decla-
merent dans tous les royaumes contre cet accord, lo
pape même tient un concile , où il s accufe d avoir
trahi, par une foiblé condefcendancé , les intérêts
du S.Siege, 6c confent à fe démettre de fa dignité :
c’eft ainfi que ce traité , fa it , il eft vrai, dans un état
de contrainte, mais ratifié dans une entière liberté,
fut rompu. Une circonflance embarrafloit le pape :
il avoit juré fur l’hoftie de ne jamais excommunier
l ’empereur : il eut recours à un expédient qui montre
combien il étoit peu délicat en fait de ferment ;
il dit qu’il n’avoit pas renoncé au droit de le faire
excommunier. L’empereur, choqué des procédés
du pape, l’attaqua d’une maniéré ouverte ; il paffe
d’abord en Italie , où il s’empare de la fucceffion de
la comtefl'e Mathilde ;fa couline, fondé fur ce qu’elle
n’avoit pu en difpofer fans fon agrément étant fa
vaffalè ; il envoie enfuite des ambafladeurs à Rome
prier Pafcal II de l’abfoudre des excommunications
lancées par les légats ; le pape , pour réponfe , les
ratifie , 6c s’enfuit dans |a Calabre avec les cardinaux
de fon parti ; ils jugeoient par la conduite de Henri,
dans fon premier* voyage, de ce qu’ils avoient à
craindre de fes vengeances. Henri s’avance aufli-tôt
vers Rome ; des préfens faits à propos applaniflent
tous les obftacles, il gagna les comteffesTofcanelle,
dont les brigues engagèrent les Romains à lui décerner
une efpece de triomphe. L ’empereur fut reçu
avec la plus grande pompe ; Bourdin, archevêque
de Brague , en Portugal, le facra 6c le couronna une
fécondé fois ; Henri exigea cette cérémonie , pro-
teflant de nullité contre tout ce qui avoit été fait
par un rébelle & un parjure. Les chaleurs éxeeflives
l’ayant déterminé à faire un voyage dans la Tofeane,
le pape profita de fon éloignement 6c revint à Rome,
où il mourut deux jours après fon arrivée.
L’empereur fit procéder à Péle&ion d’un nouveau
pontife ; 6c l’archevêque de Brague, après avoir été
préfenté au peuple, 6c confirmé par l’empereur, fut
inftallé fous le nom de Grégoire VIII; mais la faèlion
contraire l’avoit déjà prévenu, 6c avoit nommé
j Gelafe II ; ces deux papes oppoles l’un à l’autre, fe
chargèrent réciproquement du poids de leurs anathèmes.
Gelafe II eut d’abord à craindre pour fa vie;
Cenfio Frangipani, emporté par un excès de zele
pour l’empereur, étoit entré l’épée à la main dans le
conclave, 6c l’avoit frappé de plufieurscoups ; mais
cette brutale férocité nuifit au parti de l’empereur:
l’outrage fait à Gelafe louleva tous les Romains. La
France ihtéreffée à entretenir des troubles en Germanie
, prit le parti de ce pape contre Grégoire ; ces
défordres fcandaleux ne finirent qu’en 1 122; 6c
Califte II, fuccefleur de Gelafe I I , eut la* gloire de
terminer à l’avantage du S. Siégé , ce différend qui,
depuis fi long-temps agitoit le trône 6c l’autel. Henri
V renonça au droit d’inveftir par la croffe 6c par
l’anneau ; le feeptre fut fubftitué à ces fymboles. La
nomination aux bénéfices fut remife aux églifes ; 6c
Henri confentit que la confirmation fût libre. Le pape
lui accorda feulement le droit de mettre la paix entre
deux compétiteurs, 6c de les forcer de s’en remettre
à la décifion des métropolitains 6c des provinciaux.
On fent quel coup un femblable traité portoit à l’autorité
impériale ; 6c l’on peut bien dire que le feeptre
alors pafîa des empereurs aux pontifes. Califte II
dans ce traité, parle vraiment en maître : « Je vous
» donnerai des leçons, dit-il, fuivant les devoirs de
» mon miniftere, lorfque vous m’aurez porté vos
» plaintes; je vous donne une véritable paix ». On
croit entendre un Céfar plutôt qu’un fuccefleur de
Pierre ; cet accommodement qui privoit le trône de
fes droits les plus précieux, étoit fans doute une
tache au régné de Henri V ; mais les troubles de Germanie
le rendoient excufable , même néceflaire.
L’empereur connoifloit les intrigues de la cour de
Rome , qui l’avoit porté fur le trône & en avoit précipité
fon pere. Les ducs-Conrad 6c Frédéric, fes
neveux , s’etoient déclarés contre lui ; 6c s’étant unis
avec les légats 6c les Saxons, ils avoient placé fur
le fiege de Wuizsbourg, Rugger, fon ennemi ; il
voyoit dans ces princes faétieux des infini mens prêts
à mettre tout en oeuvre par Califte, pour le réduire
aux mêmes infortunes que Henri I V avoit éprouvées.
L’empereur cédoit à la néceflité ; d’ailleurs le
défaut d’héritiers rendoit fon ambition moins aélive :
fon intérêt étoit d’achever paifiblement un régne
trop agité, 6c de laifler il une nouvelle famille le foin
de profiter des conjonctures qui pouvoient s’offrir
pour remettre les papes fous le joug qu’ils venaient
de fecouer. Califte lui écrivit une lettre remplie de
complimens qui ne dévoient nullement flatter Ion
ambition : à en juger par ce qui venoit de fe paffer,
on la prendroit plutôt pour une fanglante ironie que
pour une lettre de félicitation. «Nous louons, difoit
» ce pontife, le Seigneur tout-puiflant, de ce qu’il
» a éclairé votre coeur du fouffle de fonéfprit , nous
» vous chérirons d’autant plus à l’avenir , que vous
» nous obéiflez avec plus de dévouement que vos
» derniers prédécefleurs ». Grégoire VIII paya bien
cher l’honneur de s’être afîis fur le trône pontifical ;
après avoir été pris dans Sutri, il parut dans Rome
précédant l’entrée folemnetle qu’y fit Califte, qui
montoit un cheval blanc, fuivant l’ufage des fouve-
rains ; il étoit fur un chameau, dont la queue lui
fervoit de bride, on l’avoit couvert de peaux de
bêtes, après l’avoir dépouillé de la pourpre : cette
pompe indécente 6c barbare accufe l’orgueil de Califte
: elle étoit, dit un moderne , plus digne d’un
triomphateur de l’ancienne Rome, que d’un évêque
de la nouvelle. Grégoire fut enfuite traîné de prifon
en prifon , il y mourut plufieurs années après dans
une grande vieilleffe, toujours attaché à ics maximes
qui lui faifoient reconnoître l’autorité des empereurs.
Tel fut le fort d’un prélat, qui eut été
univerfellement reconnu pour pape, fi le parti de
Henri V , qui fans contredit étoit le plus légitime ,
eût prévalu.
Ces outrages accumulés retomboient fur l’empereur
; réduit à diflimuler avec la cour de Rome , il
méditoit un éclat avec celle de France. Philippe E
lui avoit donné de juftes motifs de plaintes pendant
la querelle des inveftitures ; ce prince avoit même
fourni des fecours aux papes : Henri fut retenu par
la révolte de la Hollande 6c de quelques villes d’Al-
face, 6c par fa mort, arrivée en n 15. Il avoit époufé
en 1114 Mathilde, fille de Henri 7, roi d’Angleterre:
cette princeflë lui donna deux filles ; l’une appellée
Chriftine, fut mariée à Ladiflas, roi de Pologne ; l’autre
nommée Berthe, fut mariée à Ptolomée, fils d’un
conful de Rome de ce nom ; on doute de la légitimité
de cette derniere.
Outre cette ambition effrénée qui porta Henri V
à détrôner fon pere, on lui reproche une avarice
fordide, fon repos fut facrifié à cette avihflante paf-
fion : on a dit de ce prince qu’il avoit vécu pauvre
pour mourir riche. Il avoit plus de finefle dans l ’ef-
pritque d’élévation dans l’ame; plus de talent pour
gouverner, que de génie 6c de vertus pour fe faire
admirer 6c eftimer; au refte, les plus éminentes qualités
n’auroient jamais effacé les taches qu’impriment
fur fon nom les malheurs de fon pere, qui furent fon
ouvrage. Son corps fut transféré d’Utrecht à Spire,
& enterré dans le tombeau de fes ancêtres,
H e n r i VI , dit le févere, ( Hiß. Allemagne. )
X V e roi ou empereur de Germanie depuis Conrad
I, XVIIIe empereur d’Ocçident depuis Charlemagne
, né en 1 16 5, de Frédéric I , & de Béatrice a’
élu roi des Romains, fuccede à fon pere en 1190 ,
meurt en 1197 ou 1198 , en feptembre.
La conftitution Germanique manqua de changer
entièrement fous ce prince ; 6c s’il avoit eu un fuc-
ceffeur qui lui eût reflemblé, la nation la plus libre
feroit tombée fous le joug le plus defpotique. Nommé
vicaire-général de l’empire, depuis le départ de
Frédéric I pour la Paleftine , il n’avoit rien négligé
pour s’affermir fur lé trône ; aufli la mort de cet empereur
ne caufa aucun mouvement : Henri ne daigna
pas même aflembler les états pour taire ratifier fon
élettion, fuivant l’ufage confiant de ceux de fes
prédécefleurs qui avoient été reconnus rois pendant
la vie de leurs peres. La violation de cette coutume,
la plus chere pour une nation qui vouloit que la
couronne fût éle&ive, n’excita aucun murmure ;
fans doute que l’on craignoit déjà ce caraétere féroce
& fanguinaire qu’il déploya vers le milieu de fon
régné ; né avec toutes les difpofitions qui pouvoient
faire un grand r o i, Henri V I ne s’occupa qu’à fe
rendre terrible : ce n’eft qu’en frémiflant d’horreur
que l’on fe repréfente les cruautés qui déshonorent
<on régné : on n’a cependant rien à lui reprocher fur
fa conduite anvers Henri-le-lion q u i, toujours prof-
crit & toujours armé, réclamoit l’héritage de fes
peres , dont les empereurs précédens l’avoient privé
, autant pour abaifler fa maifon que pour le punir
de fon indocilité. Après l’avoir vaincu & privé de
toute reflource,illuilaifla Brunfvvick qu’il fit démanteler
, 6c lui permit de partager la feigneurie de
Lubec avec l’évêque de ce diocefe. Si Henri-le-lion
eût fu lire dans l’avenir, il eût regardé ce traitement
comme le bienfait le plus fignalé de la part d’un
princé que l’on n’offenfa jamais fans s’expofer aux
plus cruelles vengeances ; cependant Henri VI faifoit
fes préparatifs pour entrer en Italie , il y alloit
revendiquer les droits de Confiance , fa femme,
fille de Roger II , 6c fon héritière aux royaumes de
Naples 6c de Sicile. Tancrede-le-bâtard, fils naturel
du prince Roger, prenoit des mefures pour le lui
difputer ; l’empereur fe rendit à Rome où Céleftin III
fit les cérémonies de fon facre 6c de fon couronnement.
Si l’on en croit un Anglois, le feul qui rapporte
ce trait, le pape fit tomber d’un coup de pied
la couronne, à l’inftant qu’il venoit de la lui pofer
fur la tête ; mais ce fait, qui déceleroit un orgueil
aufli brutal que ridicule, eft fans vraifemblance :
Henri n’eût pas manqué de s’en venger ; ce prince
étoit capable de le faire périr fur l’heure : mais au
lieu de punir le pontife d’un outrage qu’il n’eût pu
diflimuler, il lui donna l’ancienne Tufculum, aujourd’hui
Frefcati, ville quis’étoit diflinguée par fon
attachement à la domination Allemande , 6c dont
les Romains fe vengerent d’une maniéré vraiment
barbare, s’il eft vrai qu’après avoir pris 6c rafé la
v ille , ils coupèrent les pieds 6c les mains à tous
ceux des habitans qui furvécurent à la ruine de leur
patrie : une pefle qui détruifit l’armée Impériale,
l’empêcha d’exécuter dans ce voyage, fes projets
fur la Sicile & fur Naples : il entreprit une fécondé
campagne, où tout réuflit au gré de fes defirs ; aidé
des Pifans & des Génois, 6c dé l’or qu’il avoit
exigé du roi d’Angleterre Richard, qu’il' avoit,
contre toits les droits divins & humains, fait languir
dans une longue captivité , il alla mettre le fiege
devant Naples ; cette ville fut forcée de le recevoir.
Tancrede étoit mort avant ce fiege, qu’il eût rendu
plus difficile ; la veuve de ce prince, allarmée des
progrès des Allemands, demande à capituler, 6c fe
contente de la principauté de Tarente, pour elle 6c
pour fon fils Guillaume,que les Siciliens avoient nomme
pour fuccéder à Tancrede. L’empereur de voit fe
contenter d un traité qui mettoit dans fa famille
çleux royaumes puiflans ; mais ce prince barbare 6c
Tofne ///,
fans foi n’eut pas plutôt en fon pouvoir le jeune ro i,
qu’il le fit mutiler, 6c l’envoya à C o ire , où on lui
brûla la vue. La reine mere de Guillaume 6c les prin-
cefles fes foeùrs furent reléguées dans des monafteres
en Alface. La rage du tyran cherchant de nouveaux
alimens, il fit exhumer Tancrede, 6c ordonna qu’on
tranchât la tête à ce cadavre infeélé. Les Siciliens
voulurent en vain venger ces cruautés accumulées ;
leur fidélité pour leurs anciens rois ne fervit qu’à leur
attirer de nouveaux malheurs; Henri p a f f a dans leur
île 6c fe furpafla dans la recherche des fupplices. Un
nommé Jourdain, qu’ils avoient choifi pour roi, périt
fur un trône de fer ardent, ayant fur la tête une
couronne également ardente : la plupart des principaux
du pays périrent dans des tourmens non moins
affreux ; & tous les otages que lui avoit donnés la
veuve de Tancrede , eurent les yeux crevés. Ce fut
au milieu de ces exécutions que Henri fit voeu de fe
croifer pour la Terre-Sainte ; ce monftre de cruauté
vouloit pafler pour un prodige de dévotion : il n’accomplit
cependant pas ce voeu , il fe contenta d’envoyer
dans la Paleftine une armée, dont il ne put
voir le retour; fon inhumanité fouleva tous les
efprits : Confiance ne pouvant foutenir la préfence
d’un mari femblable, confpira contre lu i, & le fit
empoifonner : crime, dit un moderne, excufable
peut-être dans une femme, qui vengeoit fa famille
6c fa patrie , fi l’empoifonnement, 6c fur-tout l’em-
poifonnement d’un mari pouvoit être juftifié. Des
auteurs prétendent qu’il mourut d’une dyflenterie ou
d’une fievre qu’il eu t , pour s’être endormi la nuit,
fatigué d’une longue chafle , dans un lieu marécageux
; fon corps fut porté à Panorme, où l’impératrice
le fît mettre dans un tombeau de porphyre*
L’hiftoire, en accufant fa cruauté , rend juftice à fes
talens.relevés par les grâces extérieures : Henri V I
étoit d’une taille médiocre , mais parfaitement proportionnée;
il avoit le vifage beau , quoiqu’un peu
maigre , la peau fort blanche, 6c la tête un peu petite;
fon agilité, l’extrême fouplefle de fes membres
le rendoient propre à tous les exercices de pied 6c.
de cheval ; il étoit économe , fans cependant rien
épargner dans les cérémonies d’éclat : fon efprit étoit
orné des plus belles connôiflances, il avoit une éloquence
naturelle & beaucoup d’élévation dans l’ame :
6c l’on peut dire qu’il eût pu être compté parmi les
grands princes, fi au talent qui maintient les empires ,
il eût m joindre les vertus qui font régner fur les
coeurs : il n’eut de fon mariage , avec Confiance ,
qu’ un fils, qui régna dans la fuite fous le nom de
Frédéric II.
H e n r i de Luxembourg, VIIe du nom , ( Hifloirc
d'Allemagne. ) XXIIe roi, ou empereur depuis Conrad
I , né vers l’an 1313 , de Henri , comte de
Luxembourg, & de Béatrix de Hainaut, élu empereur
en 1308, en novembre, mort en 1313 , le 24
août.
Dès que la mort d’Albert fut divulguée , Frédéric-
le-Bel fe préfenta aux états pour lui fuccéder, fa
qualité de fils de cet empereur étoit un titre auprès
du peuple, mais non pas auprès des électeurs : Charles
de Valois , frere de Philippe-le-Bel, prince fi
connu par fon extrême paflion de régner , fe mit fur
les rangs; on prétend que Philippe-le-Bel s’y mit lui-
même , mais les Allemands avoient de puiflans motifs
pour rejetter ce monarque, ainfique fa race : il
eft probable que fi la couronne d’Allemagne eût été
une fois fur la tête d’un roi de France, 6c fur-tout
d’un Philippe-lé-Bel, il n’eût pas manqué de reprendre
les privilèges qui y étoient attachés fous Charles
magne. Philippe favoit qu’il ne parviendroit jamais à
faire illufion aux éleâeurs, aufli fit-il jouer tous les
reflorts auprès de Clément V ; mais fi d’un côté ce
pape devoit être flatté de pouvoir forcer l’Allemagne;