
Cafàr jollicito per vaftafllentia greffu ,
Vix famulis audenda parut.
Traduifez, tibi rident cequora ponti de Lucrèce :
lu mer prend une face riante , eft une façon de parler
très-claire en elle-même, 8c qui cependant ne peint
rien. La mer eft paifible, mais elle ne rit point; &
dans aucune langue rident ne peut fe traduire, à
moins qu’on ne change limage.
Diftinguons cependant une image confufe d’une
image vague. Celle-ci peut être claire quoiqu indéfinie
; l’étendue, 1*élévation, la profondeur font des
termes vagues, mais clairs : il faut meme bien fe
garder de déterminer certaines expreflions dont le
vague fait toute la force, Omnia pontus erat, tout
n'ètoit qu'un Océan, dit Ovide en parlant du déluge;
tout était Dieu , excepté Dieu même , dit Boffuet en
parlant des fiecles d’idolâtrie; je ne vois le tout de
rien, dit Montagne; 8c Lucrèce, pour exprimer la
grandeur du fyftême d’Epicure :
. . . . . . . • • • • Extra
Procefflt longé flammantia nueniu mundi,
Atque omtie immenfum peragravit mente animoque.
Du monde lia franchi la barrière enflammée,
Et fon ame a d'un vol parcouru l'infini.
N’oublions pas cet effrayant tableau que fait le
pere La Rue du pécheur après fa mort: environné
de V éternité, & ri ayant que fon peche entre fon Dieu
& lui. N’oublions pas non plus cette réponfe d’un
moine de la Trape, à qui l’on demandoit ce qu’il
avoir fait là depuis quarante ans qu’il y étoit, cogi-
tavi dies antiquos & annos ce ter nos in mente habui.
C ’eft le vague & l’immenfité de ces images qui en
fait la force 8c la fublimité.
Pour s’affurer de la juftefle & de la clarté d’une
image en elle-même, il faut fe demander en écrivant,
que fais-je de mon idée ? une colonne, un
fleuve, une plante ? Vimage ne doit rien préfenter
qui ne convienne à la plante, à la colonne, au
fleuve , &c. La réglé eft fimple, fûre 8c facile ; rien
n’eft plus commun cependant que de la voir négliger
, 8c fur-tout par les commençans qui n’ont pas
fait de leur langue une étude philofophique.
L’analogie de l'image avec l’idée exige encore plus
d’attention que la juftefle de l’image en elle-même ,
comme étant plus difficile à faifir. Nous avons dit
que toute image fuppofe une reffemblance, ainfi que
toute comparaifon; mais la comparaifon développe
les rapports, l'image ne fait que les indiquer : il faut
donc que l’image foit au moins aufîi juûe que la comparaifon
peut l’être. L'image qui ne s’applique pas
exactement à l’idée qu’elle enveloppe, l’obfcurcit
au lieu de la rendre fenfible ; il faut que le voile ne
faffe aucun p li, ou que du moins, pour parler le
langage des peintres, le nud foit bien reffenti fous la
draperie.
Après la juftefle 8c la clarté de l'image, je place la
vivacité. L’effet que l’on fe propofe étant d’affeâer
l’imagination, les traits qui l’affe&ent le plus doivent
avoir la préférence.
Tous les fens contribuent proportionnellement au
langage figuré. Nous difons le coloris des idées, la
voix des remords, la dureté de l 'ame , la douceur du caractère,
l ’odeur de La bonne renommée. Mais les objets
de la vue , plus clairs, plus vifs & plus diftinûs ,
ont l’avantage de fe graver plus avant dans la mémoire
, & de fe retracer plus facilement : la vue eft
par excellence le fens de l’imagination , 8c les objets
qui fe communiquent à l’ame par l’entremife
des yeux vont s’y peindre comme dans un miroir;
aufli la vue eft-elle celui de tous les fens qui enrichit
le plus le langage poétique. Après la v u e , c’eft
le toucher ; après le toucher, c’eft l’ouie ; après l’ouie
vient lè goût ; 8c l’odorat, le plus foible de tous,
fournit à peine une image entre mille. Parmi les objets
du même fens, il en eft de plus vifs, de plus
frappans, de plus favorables à la peinture. Mais le
choix en eft au-deflus des réglés, c’eft au fens intime
à le déterminer.
C’eft peu que l'image foit une expreflion jufte, il
faut encore qu’elle foit une expreflion naturelle,
c’eft-à-dire, qu’elle paroifle avoir du fe préfenter
d’elle-même à celui qui l’emploie. Les peintres nous
donnent un exemple de la propriété des images, ils
couronnent les Naïades de perles 8c de corail, les
bergeres de fleurs, les ménades de pampre, Uranie
d’étoiles ,& c .
Les productions., les accidens, les phénomènes
de la nature different fuivant les climats. 11 n’eft pas
vraifemblable que deux amans qui n’ont jamais dft
voir des palmiers, en tirent l'image de leur union. Il
ne convient qu’au peuple du Levant, ou à des efprits
verfésdans la poéfie orientale, d’exprimer le rapport
de deux extrêmes par l'image du cedre à l’hyf-
fope.
L ’habitant d’un climat pluvieux compare la vue
de ce qu’il aime à la vue d’un ciel fans nuages. L’habitant
d’un climat brûlant la compare à la rofée. A
la Chine, un empereur qui fait la joie 8c le bonheur,
de fon peuple, eft femblable au vent du midi. Voyez
combien font oppofées l’un à l’autre les idées que
préfente l'image d’un fleuve débordé à un berger des
bords du Nil & à un berger des bords de la Loire. II
en eft de même de toutes les images locales, que l’on
ne doit tranfplanter qu’avec beaucoup de précaution.
Les images font aufli plus ou moins familières ,
fuivant les moeurs, les opinions, les ufages, les conditions
, &c. Un peuple guerrier, un peuple pafteur,
un peuple matelot ont chacun leurs images habituelles
: ils les tirent des objets qui les occupent, qui les
affeâent, qui les intéreflent le plus. Un chaffeur
amoureux fe compare au cerf qu’il a bleffé :
Portant par-tout le trait dont je fuis déchiré.
Un berger dans la même fituation fe compare aux
fleurs expofées aux vents du midi,
Floribus auflrum perditus immiji. Virg.
C’eft ce qu’on doit obferver avec un foin parti-#
culier dans la poéfie dramatique. Britannicus ne doit
pas être écrit comme Athalie, ni Polieucle comme
Cinna. Aufli les bons poètes n’ont-ils pas manqué
de prendre la couleur des lieux & des tems, foit de
propos délibéré, foit par fentiment 8c par goût,
l’imagination remplie de leur fujet, l’efprit imbu de
la lefture des auteurs qui dévoient lèur donner le
ton. On reconnoît les prophètes dans Athalie , Tacite
dans Britannicus , Séneque dans Cinna, 8c dans
Polieucle tout ce que le dogme & la morale de l’évangile
ont de fublime 8c de touchant.
C’eft un heureux choix d'images inufitées parmi
nous, mais rendues naturelles par les convenances,
qui fait la magie du ftyle de Mahomet 8c d'Alfire, 8c
qui manque peut-être à celui de Baqajet. Çroiroit-
on que les harangues des fauvages du Canada font
du même ftyle que le rôle de Zamore ? En voici un
exemple frappant. On propofe à l’une de ces nations
de changer de demeure, le chef des fauvages répond :
« Cette terre nous anourris, l’on veut que nous l’a-
„ bandonnions! Qu’on la faffe creufer, on trouvera
» dans fon fein les offemens de nos peres. Faut-
» il donc que les offemens de nos peres fe lèvent
» pour nous fuivre dans une terre étrangère » ? Virgile
a dit de ceux qui fe donnent la mort,
Lucemque perofi projecere animas:
Ils ont fui la lumière &• rejette leur ame.
Les fauvages difent en fe dévouant à la guerre,y«
jette mon ,corps loin de moi.
On a long tems attribué les figures du ftyle oriental
au climat ; mais on a trouvé des images aufli hardies
dans les poéfies des Iflandois, dans celles des
anciens Écoffois, & dans les harangues des fauvages
du Canada, que dans les écrits des Perfans & des
Arabes: Moins les peuples font çivilifés ,.plus leur
langage elt figuré , fenfible. C elt à melure qu ils
s’éloignent de la nature, & non pas à mefttré qu’ils
s'éloignent du foleil, que leurs idées fe dépouillent
de cette écorce, dont ellesétoientrevêtues, comme
pour tomber fous lés fens.
Il y a des phénomènes dans la nature, des opérations
dans les arts q u i, quoique préfens à tous les
hommes, ne frappent vivement que les yeux des
philofophes ou des artiftes. Ces images d’abord ré-
fervé.es au langage des arts 8c des fciences, ne doivent
paffer dans le ftyle oratoire ou poétique qu’à
mefure que la lumière des fciences 8c des arts fe répand
dans la fociété. Le refl’ort de la montre, la
bouffole, le télefeope , le prifme, &c. fourniffent
aujourd’hui au langage familier des images aufli naturelles
, aufli peu recherchées que celles du miroir 8c
de la balance. Mais il ne fauthazarder ces transitions
nouvelles qu'avec la certitude que les deux
termes font bien connus, 8c que le rapport en eft
jufte 8c fenfible.
Le poète lui feul, comme poète, peut employer
les images de tous les tems, de tous les lieux, de
toutes les fituations de la vie. De-là vient que les
iporceaux épiques ou lyriques dans lefquels le poète
parle lui-même en qualité d’homme infpiré , font
les plus abondans, les plus variés en images. Il a cependant
lui-même des ménagemens à garder.
i° . Les objets d’oü il emprunte fes métaphores
doivent être préfens aux efprits cultivés.
2°. S’il adopte un fyftême, comme il y eft fouvent
obligé , ce lu i, par exemple , de la théologie , ou
celui de la mythologie , celui d’Epicure ou celui de
Newton, il fe borne lui-même dans le choix des images,
8c s’interdit tout ce qui n’eft pas analogue au
ïyftême qu’il a fuivi.
Quoique Le Dante ait voulu figurer par l’Héli-
con , par Uranie & par le choeur des mufes, ce n’eft
pas dans un fujet comme celui du purgatoire qu’il
eft décent de les invoquer.
. 3°. Les images que l’on emploie doivent être du
ton générai de la chofe, élevées dans lè noble, Amples
dans le familier, fublimes dans l’enthoufiafme,
& toujours plus vives , plus frappantes que la peinture
de l’objet même, fans quoi l’imagination écar-
teroit ce voile inutile ; c’eft ce qui arrive fouvent à
la leêlure des poèmes dont le ftyle eft trop figuré.
4°. Si le poète .adopte un perfonnage, un caractère
, fon langage eft affujetti aux mêmes convenances
que le ftyle dramatique : il ne doit fe fervir alors
pour peindre fes fentimens 8c fes idées, que des images
qui font préfentes au perfonnage qu’il a pris.
. 5°. Les images font d’autant plus frappantes que
les objets en font plus familiers ; 8c comme on écrit
fur-tout pour fon pays, le ftyle poétique doit avoir
naturellement une couleur natale. Cette réflexion a
fait dire à un homme de goût, qu’il feroit à fouhaiter
pour la poéfie françoife que Paris fut un port de mer.
Cependant il y a des images tranfplantées que l’habitude
rend naturelles : par exemple, on a remarqué
que chez les peuples proteftans quilifent les livres
faints en langue vulgaire , la poéfie a pris le ftyle
oriental, C’eft de toutes ces relations obfervées
avec foin que réfulte l’art d’employer les images 8c
de les placer à propos.
Mais une réglé plus délicate 8c plus difficile à
preferire, c’eft l’économie 8c la fobriété dans la
diftribution des images. Si l’objet de l’idée eft de ceux
que l’imagination faifit 8c retrace aifément 8c fans
confufion, il n’a befoin pour la frapper que de fon
expreflion naturelle , & le coloris étranger de l ’image
n’eft plus que de décoration ; mais fi l’objet, quoique
fenfible par lui-même, ne fe préfente à l’imagination
que foiblement, confufément, fucceflive-
ment, ou avec peine, l'image qui le peint avec force ,
avec éclat, & ramaffé comme en un feul point, cette
image vive 8c lumineufe éclaire 8c foulage l’efprit
autant qu’elle embellit le ftyle. On conçoit fans peine
les inquiétudes 8c les foucis dont l’ambitieux eft
agité; mais combien l’idée en eft plus fenfible, quand
on les voit voltiger fous des-lambris dorés 8c dans
les plis des rideaux de pourpre !
■ Non enim ga{ce neque confularis,
Summovet liclor miferos tumultus
Mentis, & curas laqueata circum,
Tecta volantes. Horat.
La Fontaine dit en parlant du veuvage :
On fait un peu de bruit, & puis on fe confole ;
mais il ajoute :
Sur les ailes du tems la trifteffe s'envole.
Le tems ramene les plaiflrs.
Et je n’ai pas befoin de faire fentir ici quel agrément
l’idée reçoit de l'image. Le choc de deux maffes d’air
qui fe repouffent dans l’atmofphere eft fenfible par
fes effets ; mais cet objet vague 8c confits n’affeéle
pas l’imagination comme la lutte des aquilons 8c du
vent du midi, precipitem Africum decertantem aquilo-
nibus. Cette image eft frappante au premier coup-
d’oe il,l’efprit la faifit & Pembraffe. Quelle collection
d’idées réunies 8c rendues fenfibles dans ce demi-vers
de Lucain, qui peint la douleur errante & muette 1
Erravit fine voce dolor.
8c dans cette image de Rome accablée fous fa gran-;
deur,
Nec fe Roma férens ;
Et dans ce tableau de Séneque : non mirorflquando im-
peturn capit ( Deus ) fpeclandi magnos viros colluctantes
cum aliqua calamitate ! «.Dieu fe plaît à éprouver leS
» grands hommes par des calamités ». Cette idée feroit
belle encore exprimée tout Amplement ; mais,
quelle force ne lui donne pas l'image dont elle eft
revêtue ! Les grands hommes & les calamités font
aux prifes, 8c le fpettateur du combat c’eft Dieu.
Quand limage donne à l’objet le caraélere de
beauté qu’il doit avoir, qu’elle le pare fans le cacher ,
avec goût 8c avec décence, elle convient à tous les
ftyles 8c s'accorde avec tous les tons. Mais pour peu
que le langage figuré s’éloigne de ces réglés, il refroidit
le pathétique, il énerve l’éloquence, il ôte au
fentiment fa fimplicité touchante,.aux grâces leur
ingénuité. Les images font des fleurs , qui pour être
femées avec goût, demandent une main délicate 8c
légère.
La poéfie elle-même perd fouvent à préférer le
coloris de limage au coloris de l’objet. La ceinture
de Vénus, cette allégorie fi ingénieufe, eft encore
bien inférieure à la peinture naïve 8c fimple de la
beauté dont elle eft le fymbole. Vénus ayant des
charmes à communiquer à Junon, ne pouvoit lui
donner qu’un voile, & rien au monde n’eft mieux
peint ; mais des traits répandus fur ce voile, fe fait-
on l’image de la beauté, comme fi le même pinceau
l’eût exprimée au naturel 8c fans aucune allégorie?
En général toutes les fois que la nature eft belle
& touchante en elle-même, c’eft dommage de la
voiler.