Autrefois que l’on battoit Yindigo avec de grandes
perches mobiles montées fur des chandeliers au
bord de la batterie, au bout defquelles etoient ajuf-
tés de grands baquets ou caillons fans fonçures,
étroits par le bas & larges par le haut, on confit ui-
foit autant de batteries que de pourritures. Les petits
habitansqui n’ont pas la faculté de faire faire des machines
à battre, 6c qui n’ont qu’une indigoterie fimpie
, s’en fervent encore: mais aujourd’hui (en 1774),
6c depuis plufieurs années , tous les habitans un peu
forts en culture , font battre leur indigo par des chevaux
ou mulets, ou par une roue à 1 eau. Mais,
pour ne pas multiplier les machines ,au lieu de deux
batteries de huit pieds pour deux pourritures de dix,
on n’en , conftruit plus qu’une de douze pieds en
quarré , laquelle contient autant d’eau que les deux
de huit, fans lui donner pliis de profondeur.
De la machine à battre f indigo. La machine que
l'on a inventée pour battre Yindigo avec un cheval,
elt fort fimple : elle confifie en un grand arbre de
fix pouces d’équarriflage 6c d environ vingt pieds
de long, lequel tràverle horizontalement la batterie
par le milieu, à trois pieds au-deffus du fond. Quatre
mortailes de qu.itre pouces tur deux de largeur, I
placées à diftance égale dans la longueur qui do- I
mine la batterie , traverfant cet arbre, chacune dans,
une face différente de celle qui la précédé, de forte
que les huit ouvertures des quatre mortailes forme-
roient un o&ogone, reçoivent quatre bras de quatre
ponces de large , de deux d’épaiffeur & fix de longueur,
arrêtés au milieu par une cheville. Chaque
extrémité d’un bras porte un petit baquet on caiffon
de dix à douze pouces de longueur, de neuf à dix
de profondeur, n’ayant que deux pouces de largeur
dans la fonçure , 6c fept à huit pouces d’ouverture.
Cet arbre , en tournant au - deffus de la
furface de l’eau de la batterie , y fait plonger fuc-
ceflîvement chaque baquet qui fe remplit d’eau en
paffant, & la verfe après l’avoir élevée. Pour faire
tourner cet arbre qui a un axe de fer à chaque bout
& une gorge ou tourillon vers le milieu , lequel
pofe fur un colet de bois, on ajufte à l’extrêmite
extérieure une petite roue verticale de deux pieds
de diamètre, faite d'un madrier de quatre pouces
d’épaiffeur , dans laquelle on a fixé , à deux pouces
de la circonférence, douze dents de bois dur de
deux pouces d’épaiffeur , de cinq de longueur & à
cinq pouces de diftance les unes des autres, de forte
qu’elles fe trouvent placées horizontalement à égalés
diftances. Ces douze dents s’engrenent & font
pouffées par la rencontre de vingt quatre , 6c quelquefois
de trente autres de même proportion , fixées
perpendiculairement fous une roue de quatre pieds
ou quatre pieds & demi de diamètre , portée horizontalement
par un arbre ou pivot de fept à huit
pouces d’équarriffage & de fept à huit pieds de longueur
, placé verticalement à la demande de la petite
roue. Ce pivot ayant un axe, en forme de cul
d’oe uf, d’acier bien acéré à fon extrémité inferieure,
pofé fur une platine de fer , un tourillon au tiers de
fa longueur tourne dans une petite charpente faite
exprès pour le recevoir 6c le foutenir droit , au
moyen d’un grand lévier ou bras chevillé dans la
tête du pivot par un bout, & ayant à 1 autre un
palonier pour y atteler un cheval ou mulet exercé
à tirer circulairement. Pour peu que le cheval trotte
autour de la machine, dans un efpace qui n’a guere
que foixante pieds de circonférence , on fent quelle ,
agitation il doit caufer dans l’eau de la batterie , en
faifant faire à l’arbre qui la traverfe deux tours , ou
deux tours 6c demi à chaque trou qu’il fait.
Ceux qui ont la commodité de faire paffer un
ruiffeau à la hauteur du baflin d’une indigoterie,
peuvent faire tourner l’arbre de la batterie par une
roue à godets de douze pieds de diamètre, 6c même,
faire conftruire une batterie double de chaque côté
de la roue à l’eau. Par ce moyen eile battra Yindigo
de quatre pourritures.
Du diablotin. Lorfque Yindigo battu eft repofé
dans la batterie , la fécule fe trouvant précipitée au
fond, l’on fait couler l’eau qui en eft dépouillée dans
un petit vaiffeau qui fe trouve au-deffous, lequel ne
contient guere que la quinzième ( ƒ ) partie de celle
qui eft dans la batterie : on le nomme le diablotin.
Ce petit vaiffeau eft bientôt rempli, lorfqu’on a ouvert
la première cheville du robinet de la batterie.
Mais lorfqu’il l’e ft, l’eau qui furvient s’épanche dans
l ’entourage du diablotin, & s’enfuit par un canal
fait exprès pour recevoir l ’eau de l’égouttage des
facs. Cette partie d’une indigoterie doit être couverte
; on y çonftruit en effet un petit hangar pour
mettre à l’abri de l’eau du ciel la fécule lorfqu’elle
eft dans le diablptin, 6c les facs dans lefquels on
fait égoutter Yindigo. Le deffous de cet hangar, qui
a ordinairement huit pieds de large fur rétendue de
la batterie, eft entouré d’un mur qui s’élève à quatre
pieds au-deffus de la fonçure , & dans ce mur on
pofe à trois pieds au-deffus de la même fonçure , en
le conftruifant, une piece de bois percée de trous de.
tarriere , à fept à huit pouces de diftance les uns des
autres, pour recevoir des chevilles faillantes de
neuf à dix pouces , auxquelles penderont les petits
facs qui doivent fervir à égoutter Yindigo. Ces facs
font faits avec de la groffe toile de | de large. D ’une
aune de cette toile l’on fait quatre facs de dix-neuf k
vinot pouces de longueur. Quelques-uns arrondiffent
(^ ) les angles du fond , d’autres les laiffent quarrés.
De la fabrique de Cindigo. L’établiffement d’une
indigoterie n’eft ni difficile ni fort difpendieux. Mais il
s’eft écoulé bien des années, avant que l’art de fabriquer
Yindigo ait été auffi généralement connu qu’il
l’eft depuis quelques années à Saint-Domingue. Il y
a trente ans qu’un bon, indigotier, foit negre , foit
blanc , y.ctoit fort rare : il fe perdoir de Yindigo ,.ou
s’en fabriquoit de mauvaife qualité uneaffez grande
quantité, faute de connoiffànces fufïifantes. Ceux
qui le failoient bien , rarement avoient le talent de
mettre leur pratique à la portée des apprentifs ; de
forte que le peu de fuccès de ceux qui avoient pris
des leçons pendant des , années entières , faifoit
croire qu’il falloir, pour faire un indigotier, que le
fujet naquît avec un inftinâ propre à le devenir. il
n’en eft pas de même aujourd’hui; il fe trouve plus
de bons indigotiers que d’autres : cependant la méthode
dé fabriguer Yindigo n’a pas encore de réglés
uniformes. Les uns s’attachent à de certaines remarques
, qui font négligées par d’autres qui en ont de
différentes. Après avoir fuivi celles de plufieurs indigotiers
pendant quelques années , &c les avoir
reconnues très incertaines* j’en fuis venu à me faire
moi-même une méthode d’après mes obfervalions.
Si elle n’eft pas la plusfîire de toutes , ce que j’ignore
encore , je la crois du moins la plus facile à fàifir j
parce que l’ayant enfeignée à quelques negres de
mes vojfins, qui après de longs apprentiffages fous
des indigotiers qui le faifoient bien fans avoir rien
appris d’eux , font devenus de bons fabricans après
avoir paffé avec moi le tems de deux coupes d'in-
( f) Ce vaiffeau appellé le rcpofoirdàm le Di fl: raif. des Sc. &c.'
eft dit contenir le tiers de la batterie. C eft une erreur; car pour
une batterie double de douze pieds en quarré qui a deux pieds
de profondeur au-deffous de la chapelle & deux pieds cinq
pouces au robinet, il fuffit que le diablotin, lequel a la forme
du fer à cheval ait quatre pieds de large le long du mur de la
batterie & autant au milieu de la partie ronde fur quatorze à
quinze pouces de profondeur le long des bords, &-un pied &
demi au milieu.
(g) Ils ne font donc pas faits comme des chauffes ou capuchons.
digo. Voici cette méthode ; elle ne paroît pas beaucoup
différer de celle des autres : ce font les mêmes
procédés , mais plus ménagés.
Lorfque ma cuve commence à travailler, ce que
fon apperçoit lorfque la fuperfïcie de l’eau commence
à prendre la couleur verte , qu’elle fe
charge d’écumes (Ji) , fe couvre de cuivrage, 6c
fur - tout qu’elle commence à monter* je la fonde
de même que le font les autres indigotiers. Enferme
d’indigotiers, fonder fa cuve , c’eft prendre un peu
d’eau au robinet dans une taffe d’argent faite exprès
pour cet uïage ; 6c après l’avoir agité, d’obferver
ce qui fe paffe dans la taffe. Or , voici les obferva-
tions : lorfque votre cuve eft fort éloignée de fon
point de pourriture fuffifante, l’eau qui fort dans le
bas eft blanchâtre &C un peu trouble ; en continuant
de travailler, elle devient, quelques heures après ,
d’un jaune clair, 6c un peu tranfparent ; à mefure
qu’elle approche du dégré de pourriture que l’on
cherche , cette couleur jaune devient plus v iv e ,
approchante de l’orangé, & encore plus tranfpa-
rente , tandis que la fuperfïcie de la cuve refte
toujours d’un gros ( ï ) vert. Mais il ne fuffit pas
pour vous déterminer à lâcher votre cuve , d’obferver
la couleur de l’eau que vous recevez dans
votre taffe. Cette couleur jaune & bien tranfparente,
eft feulement un avertiffement pour l’indigotier que
fa cuve approche de fon point de perfe&ion, 6c
qu’elle y eft peut-être. Alors il faut pouffer plus loin
fa recherche par le battage de la taffe, 6c ne pas
différer ; car fi cette couleur jaune tranfparente
■ venoit à fe troubler, infailliblement votre cuve fe-
roit trop pourrie. Après donc avoir reçu dans votre
taffe un peu d’eau, ce qui va ordinairement à la
moitié, vous l’agitez jüfqu’à ce que de jaune elle
devienne un peu verte ; ayant fouffié l’écume qui le
forme deffus, vous devez appercevoir dans l’eau
un petit grain très - fin qui commence à fe former :
c’eft le premier développement de la fécule. Balancez
doucement la taffe : ce grain, en roulant, fe groflit
peu-à-peu ; mais s’il ne fe dégage pas aifément de
l’eau, & qu’au lieu de s’éclaircir à mefure que le
grain fe raffemble, l’eau prenne au contraire une
couleur fombre & trouble, votre cuve n’eft pas
affez pourrie ; il faut la laiffer encore travailler. Il
n’y a que l’expérience qui puiffe vous apprendre fi
ce fera dans deux,-trois ou quatre heures qu’il faut
revenir la fonder. Ceux qui ne font pas encore fort
expérimentés , reviennent plus fouvent que les autres
, fauf à recommencer. Il n’eft cependant pas
à-propos de fonder trop fouvent, de crainte que
les yeux s’accoutumant à voir toujours à-peu-près
la même couleur, ne s’apperçoivent plus du changement
qui fe fait par des nuances fi délicates , qu’il
faut des yeux exercés pour en remarquer la différence.
Enfin lorfqu’après avoir fuivi 6c obfervé les
progrès de la pourriture, vous prenez de l’eau de
la couleur défignée ci-deffus , qu’après l’avoir battue
jufqu’à ce qu’elle commence à le changer de jaune en
v e r t , fans, attendre que ce vert foit foncé ; vous remarquez
en balançant doucement votre taffe , que
le grain fe déclare affez promptement dans une eau
d’un vert clair , tirant fur le jaune ; 6c qu’à mefure
qu’il fe groflit en fe raffemblant, l’eau en devient
(A) Il y a cependant quelquefois dês,circonftances, où quoique
la cuve travaille, il ne paroît rien fur la fuperficie qui l’annonce,
mais elles font rares. Alors c’eft l’expérience qui doit
tenir lieu de règle.
(i) Il eft dit dans le Dift. raif. &c. queles fels par leur développement
favorisent l’extraôion de la partie colorante dont l’eau
le charge, acquérant une belle couleur de bleu foncé tirant un
peu fur le violet. Il faut que l’auteur de cet article n’ait jamais vu
faire de Vindigo. Car ce n’eft jamais dans la cuve qu’il nomme la
trcmpoirc,<\\ie cette couleur bleue fe déclare, mais dans le battage
de la batterie commune ; on le yerra lorfqu’il en fera queftion.
plus claire ou plus tranfparente , il éft têms d’ouvrir
votre robinet, ou pour parler le langage d ’indigotier*
de larguer votre cuve. La remarque effentielle eft
donc celle qui vous fait juger par la couleur 6c la
nettete de l’eau , 6c par la formation affi?z prompte
du grain qui l’accompagne, que la fécule a eu ie dév
gre de fermentation luffifant pour fe détacher de l ’eau
dans le battage de la batterie 6c fe précipiter au
fond ; ce qu’on appelle caler.
C’eft donc pendant que Yindigo eft dans la pourriture
que fon fort doit être décidé, 6c non dans la
batterie (A ) , que l’indigotier a befoin de toute fa
fcience : elle ne confifte plus qu’à le faire bien égoutter;
6c pour cet effet, à ne le battre ni trop ni trop
peu. Mais le battage d’une bonne cuve eft toujours
l’opération la moins difficile à apprendre. Ce qu’il y a
de plus difficile, eft de favoir proportionner fort
battage au défaut de pourriture, foit par le trop
ou le troç peu. Lorfqu’une cuve eft trop pourrie *
elle doit etre ménagée au battage ( / ) , parce qu’elle
eft plus difpofée à fè diffoudre. Lorfqu’au contraire
elle en manque * il faut augmenter le battage, parce
que fans cela , la fécule ne fe fépareroit de l’eau que
imparfaitement. Mais il faut de l ’expérience pour fe
conduire dans ces occafions, & pour tirer le meilleur
parti poffible d’une cuve manquée; carie plus
fouvent l’indigotier eft incertain fi fa cuve a trop ou
trop peu de pourriture.
Du battage de l'indigo. Lorfqu’une cuve d'indigô
a reçu la pourriturerequife , vous en avez la preuve
dès les premiers jets que font les baquets, en verfant
l’eau qu’ils, ont puifée. Si la lame d’eau qui en fort
eft d’un jaune bien tranfparent, accompagné d’une
légère nuance de vert, vous pouvez compter que
la cuve eft bonne. Si cette eau eft beaucoup plus
verte que jaune, elle manque de pourriture; 6c plus
elle eft verte , plus, elle en manque. Si au contraire
Peau eft d’un jaune trouble, la cuve eft trop pourrie
(/n ); & plus le jaune eft trouble , plus elle eft
pourrie ; lorfqu’elle l’eft à un certain dégré , elle a
auffi une mauvaife odeur.
Peu de tems après que vous avez commencé de
battre, cette eau jaune & claire devient par dégré
totalement verre. Pendant qu’elle prend cette couleur
, la batterie fe couvre d’écumès épaiffes ’i.pn
peu d’huile que l’on jette deffus , la fait raffembler
en s’affaiffant aux deux côtés de la batterie oppofés
au jet des baquets ; & peu-à-peu cette groffe écume
le diflipant entièrement, il ne refte fur la batterie
qu’une écume légère, laquelle fe blanchit d’autant
plus que l’eau devient plus bleue. Après que l’eau
â pris fon gros vert, la couleur bleue ne tarde pas
à y fuccéder. L’indigotier n’attend pas que l’eau foit
à ce période pour examiner dans fa taffe ce qu’on
appelle le grain ( la fécule ) ; car auffi-tôt que
l’eau commence à paroître toute v erte, le grain
commence auffi à fe manifeftèr de la même façon
qu’il l’avoit fait lorfque l’on a fondé pour larguer
la cuve. A mefure que le battage s’avance , 6c que
la couleur verte commence à le changer en bleue ,
le grain groffit de plus en plus ; 6c en fe dépofant
au fond de la taffe, laiffe voir une eau qui fe dépouille
de fa verdure dans la même proportion , & devient
d’une couleur d’olive claire ; tandis que mêlée avec
fon grain avant qu’il ait dépofé, elle paroît toute
bleue. Lorfqu’elle ne montre plus la moindre nuance
( k ) Ceci eft contraire à ce qui eft dit dans le Dïfl. raif. &c.
au fujet de la fabrique.
(./) C’eft encore une erreur de prétendre que le trop de
battage noircit la couleur de l’indigo. Il cjfufe de la perte, parce
qu’il refte une partie de la fécule dans l’eau. Mais la mauvaife
couleur de Yindigo eft toujours l’effet du trop de pourriture ,
qui fait que la cuve égoutte mal.
(m) Je ne me fuis pas encore apperçu que les indigotiers
aient fait cette remarque.