
avec le duc de Lancaftre qui prenoit le titre de roi
de Caftille du chef de l'on époufe, il alla faire une
irruption en Caftille , oii il eut peu d’avantage. Plus
heureux l’année luivante, il fît feul avec l’armée
Portugaife une fécondé irruption dans le même
royaume, s’empara de plufièurs forts , & fe rendit
maître de la ville de Tuy en Galice. Don Juan, roi
de Caftille , fatigué d’une guerre qui ne lui avoit
•caufé que des pertes & de l’inquiétude, & craignant
de plus grands revers, fit propofer unetreve à Jean 1
qui y confentit d’autant plus volontiers, qu’il a'tten-
doit avec impatience que des tems plus tranquilles
lui permiflent de rendre fes états floriffans. Le roi
de Caftille mourut, & la longue minorité de fon
fucceffeur perpétuant les troubles dans ce royaume,
la treve avec le Portugal fut prolongée pour quinze
ans. Afin de parvenir au rang qu’il oceupoit, le roi,
pour s’attacher les grands, avoit verfé fur eux des
bienfaits qui l ’avoient lepuifë. Ces libéralités déplurent
au chancelier qui remontra à fon maître
qu’il s’étoit réduit à un tel état, que s’il lui furve-
noit encore quelques enfans, il feroit dans l’impoffi-
bilité de leur faire des appanages ; que le feul moyen
de-remédier à cette prodigalité, étoit de révoquer
les donations qu’il avoit faites en dédommageant
ceux qui tenoient de lui de fi vaftes poffeÏÏions. Jean
fe rendit à ces repréfentations, &fe conduifit d’après
ce confeil: le connétable AlvarèsdePéreyra, auquel
le roi étoit en partie redevable de la couronne ,
qui étoit l’un de ces plus riches donataires, fe croyant
léfé par cette révocation, fe plaignit amèrement, fe
retira dans fes terres , & parut déterminé à fortir du
royaume. Jean I , qui avoit la plus vive reconnoif-
fance & la plus tendre amitié pour ce feigneur , fut
très-affligé du parti qu’il fembloit vouloir prendre,
lui envoya plufièurs perfonnes pour l’en diffuader ,
& ne pouvant rien gagner, lui ordonna de venir à
la cour; & l’ayant fait entrer dans fon cabinet, lui
expliqua avec tant de franchife les raifonsde fa conduite
, lui parla avec tant d’intérêt du projet qu’il
avoit formé de marier Alphonfe, fon fils naturel, avec
la fille du connétable, què celui-ci entrant avec chaleur
dans les vues de fon maître, & voyant que la
révocation des donations ne venoit d’aucun motif
de refroidiffement, redoubla de zele pour les intérêts
de Jean, & dit qu’il étoit prêt, non-feulement”à
rendre tous les biens qu’il avoit reçus en donation,
mais encore à facrifier tous ceux qu’il tenoit de fes
peres. Cependant la jaloufie divifoit toujours , malgré
la treve, les Caftillans & les Portugais ; le mécontentement
& la haine allèrent fi loin, que les
premiers ayant manqué à l’exécution de quelqu’une
des conditions de la treve, Jean I fit une irruption
fur leurs terres , & s’empara de quelques places :
mais tandis qu’il y faifoit des progrès qui lui promettaient
des fuccès plus confidérables , fes états
étoient menacés d’une révolution à laquelle il ne
s’attendoit pas. Don Denis de Portugal , à la tête
d’un corps nombreux de Caftillans, & foutenu par
quelques feigneurs Portugais fattieux , s’avançoit
des frontières de ce royaume, y pénétra, & paffant
jufqu’à Bragance, s’y fit proclamer roi. Toutefois
cet orage , qui paroiffoit fi formidable , fut bientôt
diflipé par l’active valeur du connétable qui mit les
factieux & les Caftillans en fuite, obligea Denis de
fe retirer précipitamment, & rendit le calme à l’état.
Un nouvel événement acheva d’affermir la tranquillité
publique ; le roi de Caftille mourut & la reine
dona Catherine , fon époufe , régente & tutrice
de don Juan II, fon fils, fit convertir la treve en
paix, à la fatisfattion des deux royaumes ; de Jean I
lur-tout, qui ne defiroit que d’avoir le tems & la
liberté de travailler au bonheur de fes fujets : il s’y
confacra tout entier : il rétablit l’autorité des loix
énervée pendant les derniers t ro u b le s il ramena le
bon ordre, encouragea les citoyens utiles , intimida
les citoyens pernicieux, & malgré la févirité nécèf-
faire qu’il fe crut obligé d’employer , il ne cefla
point d’être aimé, parce que. dans aucune..circon-
ftance ilnecefla point d’être affable &accefîible. Les
feigneurs feuls avec lefquels il a voit jadis vécu d’égal
à égal, furent toujours reçus dans fon palais fur le
même ton : il fupprima la vénalité des charges qui
ne furent plus.accordées qu’au mérite ; il diminua les
impôts ; attira l’induftrie par les récompenfes & les
diftinftions qu’il accorda aux artiftes. Lorfqu’il fut
parvenu à rendre les Portugais- aufti heureux , & fon
royaume aufti fioriffant qu’il l’avoit déliré, fousprétexte
de fe venger d,u comte de Flandre qui. trou-
bloit le commerce de fes fujets, il fit d’immenfes
préparatifs de guerre par mer & par terre. Le comte
de Flandre informé par Jean 1 lui-même du véritable
but de ce grand armement, feignit de fon côté
de fe préparer à une vigoûreufe réfiftance. Les Maures
d’Afrique étoient l’unique objet de ces préparatifs
; le roi de Portugal avoit projette d’aller à la tête
de fes troupes lè„s combattre. Vainement la reine,
fon époufe, fit tous fes efforts pour le diffuader de
cette expédition , il s’embarqua ; & la reine conçut
de fon abfehce un chagrin fi profond & fi vif, qu’elle
tomba malade & mourût, -aufti amèrement regrettée
de la cour & dé la nation qu’elle le fut du roi. La
flotte Portugaife compofée de cinquante-neuf gale-
res , de trente-trois vaifleaux de ligne & de cent
vingt vaifleaux de tranfport, montés par cinquante
mille hommes , alla débarquer près de Ceuta , qui
fut tout de . fuite afliégée ; la réfiftance des Maures
fut longue, opiniâtre ; mais la valeur des aflîégeans
l’emporta à la fin , & cette place fut obligée de fe
rendre à Jean I qui, après avoir battu les Maures
fur terre & fur mer, fortifia Ceuta , y laifla une
forte garniîbn,& revint triomphant dans fes états. La
fortune fecondoit ce fouverain illuftre dans toutes fes
entreprifes ; rien ne manquoit à fon bonheur : aimé
des Portugais , eftimé & craint des puiflances étrangères,
il étoit encore plus heureux dans fa famille.
Il avoit plufièurs fils : ils fe diftinguoient tous par
de rares talens, d’excellentes qualités , fur-tout par
leurs fentimens de zélé, de refpeét & d’amour pour
leur pere. Edouard, l’aîné de fes enfans, d’une prudence
confommée , étoit , quoique jeune encore ,
capable de tenir les rênes du gouvernement. Henri,
duc de y ifeu , plus jeune encore , avoit la direction
des affaires d’Afrique, & elles ne pouvoient être
confiées à un directeur plus fage ni plus éclairé. Ce
fut lui qui le premier donna aux Portugais ce goût
des découvertes qui, dans la fuite, s’eft communiqué
au refte des nations Européennes : ce fut encore
lui qui ayant remarqué dans le petit royaume d’Al-
garve, un terrein lûr & commode , à-peu-près à
deux lieues du cap Saint-Vincent, y'fit conftruire
Sagrès, l'une des villes les plus fortes du Portugal,
& la mieux fituée. Jean I , qui lui-même étoit l’un
des princes les plus éclairés de fon fiecle, favoit apprécier
le mérite & les talens de fes enfans ; ils le
rendoient heureux, & il ne chercha de fon côté qu’à
faire leur bonheur & leur donner des preuves de fa
tendrefle. II demanda l’infante dona Léonore, fille
de don Ferdinand , roi d’Aragon, en mariage pour
le prince Edouard, héritier préfomptif de la couronne
; il obtint cette princefle qui apporta en dot
à fon époux deux cens mille florins d’o r , ce qui
dans ce fiecle étoit la dot la plus riche qu’une princefle
pût avoir. Dona Ifabelle d’Aragon, fille du
comte d’Urgel, fut mariée à l’infant don Pedre : Jean
maria aufti fa fille dona Ifabelle à Philippe le Bon ,
duc de Bourgogne ; & ce fut encore lui qui fit le
mariage de l’infant don Juan avec dona Ifabelle de
Portugal, fille de don Alphonfe , frere naturel du
roi & de la fille du connétable. Ce connétable , don
Nugno-Alvarëz-Pereyra , refpe&able vieillard, ancien
ami du roi, & qui avoit rendu à l’état les plus
iinportans fervices, vivoif dans la retraite dèpuis
quelques années ; il mourut, & ce'tte perte fit fur
Jean , dont la fanté s’affoibliflbit depuis quelque
tems, la plus forte impreflion : il cacha fon état
d’affoibliflement, pour ne point alarmer fes enfans
qu’il aimoit comme lui-meme, ôi fes fujets qu’il
chérifloit autant que fes enfans mais il fentit bientôt
que fà fin approchoit, & après avoir donné les
plus fages & les plus utiles confëils à Edouard, il
mourut le 14 août 1433 , âgé de foixante-feize ans
& dans la quarante-huitieme année de fon regne. Sa
mort répandit la confternation dans le royaume
qui lui avoit les plus grandes obligations. La veille
de fa mort, il voulut être tranfporté à Lisbonne ,
afin de mourir dans le même lieu 0Ï1 il étoit né, tant
il fut attentif jufqu’au dernier moment de fa vie , à
captiver la bienveillance des Portugais. Cet art pa-
roît facile ; cependant peu de rois le pofledent, &
fur-tout à un degré aufti éminent que le pofféda Jean I.
Jean II furnommé le Parfait , roi de Portugal,
( Hiß. de Portugal.') La févérité portée jufqu’à la
plus inflexible rigueur, peut devenir aufti l’une des
perfections humaines ; car les Portugais eux-mêmes
donnent à Jean I I , le furriom de parfait ; &c .cependant
il fut l’un des rois les plus féveres qui euflent
encore occupé le trône. Sa juftice n’épargnoit aucun
coupable, St on le vit porter ce zele pour la
juftice, jufqu’à exécuter lui-même l’arrêt de mort
qu’il avoit prononcé. Toutefois, il me femble que
quand même Jean I I n’eut point rempli la fonction
de bourreau , il n’en eût pas été moins parfait.
Il eft vrai que ce furent parmi les grands, les factieux
; St dans les derniers rangs, les brigands St les
fcélérats qui eurent le plus à fouffrir de ion inflexibilité.
Du refte, il ne s’occupa que du foin d’aflurer
le bonheur de la nation, Stil mit en ufage des moyens
qui lui réufîirent : il fut prudent, très-éclairé ; il fit
des loix très-fages , veilla à leur obfervation ; St ce
fut vraifemblablement à raifon de cette conduite,
qu’on lui donna le furnom de parfait: mais encore
une fois, moins de rigueur en lui n’eût pas ete , à
mon avis, une imperfection : car, je me trompe fort,
on l’extrême févérité touche de bien près à la cruauté
; St ce roi ne fut rien moins que doux St indulgent.
Redouté avant que de monter fur le trône , par
la dureté du caraûere dont il avoit donné des preuves
pendant l’abfence du roi Alphonfe V fon pere,
il ne démentit point l’idée qu’on avoit de lui, quand,
poflefleür de la couronne, il jouit feul de la louve-
raine puiflance. Fils d’Alphonfe V , St de dona
Ifabelle, fille de don Pedre duc de Conimbre,il
fuivit St féconda fon pere dans la guerre d’Afrique,
& fe fignala par fa valeur, autant qu’il faifoit craindre
les devoirs de la difcipline militaire ; fournis lui-
même aux ordres de fon pere, il puniffoit la plus legere
infraction aux loix de la fubordination. Apres
la mort d’AlphonfeV, peu content d’exécuter le tefta-
ment de ce fouverain, il récompenfa tons ceux d’entre
les officiers St les domeftiques de fon prédécef-
feu r , dont il n’a voit pas été fait mention dans ce
îeftament, foit par oubli, foit qu’on leur eut rendu
de mauvais offices. Il déclara enfuite que c’étoit
moins lui que les loix qui alloient régner, & qu’il
lie cefleroit de veiller à leur obfervation. Dans fa
jeuneffe, il avoit témoigné la plus vive amitié à un
homme, & lui avoit même promis par écrit de le
créer comte aufli-tôt quil feroit élevé fur le trône.
Cet homme comptant fur cette promeflè, s’empreffa
d’ aller la préfenter au nouveau fouverain, qui la lut ;
& la déchirant, dit que tout ce qu’il pouvoit faire
étoit d’oublier cette obligation, & que les promeffes
faites par de jeunes princes fans expérience, à leurs
corrupteurs, ne doivent point être remplies ; & que
même c’étoit dans ce cas, une grande faveur que de
ne pas punir les porteurs de pareils écrits. Les états
affemblés, Jean I I fit publier de nouvelles loix, ôc
des réglemens de réforme, qui extirpoient tous les
abus qui s’étoient introduits dans l’adminiftration de
la juftice : il ordonna entr’autres chofes , que déformais
les criminels n’auroient poinr de refuge , & fe-
roient arrêtés dans tous les lieux du royaume indifféremment.
Avant cette ordonnance il y avoit en
Portugal une foule d’afyles où les criminels les plus
puniflables étoient en fûreté. Les palais des grands
fur-tout étoient autant de refuges regardés comme
inviolables. L’ordonnance du roi fit murmurer ces
grands, qui fe plaignirent hautement, & dirent que
c’étoit attenter au plus facré de leurs privilèges : ils
craignirent des réformes encore plus gênantes ; & le
duc de Bragance qui fe croyoit encore plus lézé que
les autres, pour arrêter le cours de ces innovations,
fe ligua fecrétement par un traité, avec don Ferdinand,
roi de Caftille & d’Aragon. Jean II fut informé
de ce traité, & ne voulant point encore éclater
contre le coupable , époux de la foeur de la reine,
il ne lui cacha point qu’il étoit inftruit de tout, l’avertit
de renoncer à ces intrigues criminelles ; & à
cette condition promit de lui pardonner. Cet avis
ne corrigea point le duc de Bragance , il continua de
cabaler : Jean le fit arrêter à Evora, oit fon procès
fait en très-peu de jours, il eut la tête tranchée. Cet
exemple infpira de la terreur aux feigneurs qui\, ne
pouvant plus fe flatter de l’impunité, cefferent de
murmurer & fur - tout de former des complots. L’nn
d’entr’eux cependant, le duc de Vifeu, frere de la
reine,fut affez téméraire pour fermer les yeux fur la
févérité de cet exemple, & affez audacieux pour entrer
dans une confpiration contre la vie de fon beau-
frere. Le fecret de la confpiration n’échappa point à
la vigilance du roi : il invita le duc à venir à Setubal,
fous prétexte de quelques affaires importantes qu’il
avoit à lui communiquer. Le duc s’y rendit. Le roi
le tirant à l’écart : Que feriez-vous, lui dit-il, à celui
qui en voudroit à votre vie ? Je le tuerois de ma propre
main, répondit le duc : meurs donc, répliqua le roi
en lui perçant le coeur d’un coup de poignard. Le
crime du duc de Vifeu étoit atroce ; mais l’action dé
Jean n’eft-elle pas encore plus atroce ? Et châtier
ainfi, n’eft-ee pas affalfiner & non punir ? Quoi qu’il
en foit, le foi donnoit dans le même tems les preuves
les plus fignalées de fon équité de fon défin-
téreflement. 11 vifitoit les provinces, examinoit par
lui-même fi fes fujets n’avoient pas à fe plaindre de
la partialité ou de la prévarication des juges; remet-
toit au frere du duc de Vifeu , tous les biens confife
qués fur ce dernier, dont les complices périrent
tous dans les fupplices. Il fit aufti d’excellentes loix
fomptuaires : il ne permit qu’aux femmes de porter
de la foie, de l’argent & des pierreries : il réduifit à
la moitié les droits du port de Lisbonne, & y attira
par ce moyen, une foule de vaifleaux marchands,
qui doublèrent le revenu du produit de ces mêmes
droits. Il alla à Setubal faire équipper lui-même une
flotte contre les Maures d’Afrique, & dont il donna
le commandement à don Diegue d’AImeïda, qui eut
de grands fuccès à Anafe, oîiles Maures furent battus.
A peu-près dans le même tems, Jean I I donna
ordre à don Pedre de Coviilant, & à don Alphonfe
Payva, d’aller par terre en Orient, de s’informer
exaftement des productions de ces pays , des chofes
que l’on ytrouvoit & d’oii on les tiroit. Ces deux
voyageurs réuflirent, & c’eft à eux que l’on fut redevable
de la découverte 'd’un nouveau chemin par
mer pour aller aux Indes Orientales. On reproche