complette. On ne doit donc pas s’inquiéter des in-
vraifemblances forcées, 6c l’on peut fe permettre
celles qui contribuent à donner au fpeâacle plus
d’intérêt ou d’agrément.
Mais quoi qu’on faffe pour en impofer, il eft rate
que l'illufion foit trop forte ; on fait donc bien d’être
févere lur ce qui intérefl'e la vrailemblance , 6c de
n’accorder à l’art que les licences heureufes d’où ré-
fulte quelque beauté.
Il faut fe figurer qu’il y a fans ceffe dans l ’imitation
théâtrale un combat entre la vanité & le menlonge:
affoiblir celle qui doit céder, fortifier celui que l’on
veut qui domine, voilà le point où fe réunifient toutes
les réglés de l’art par rapport à la vraifemblance,
dont V illufion eft l’effet.
Quant aux moyens qu’on doit exclure, il en eft
qui rendent l’imitation trop effrayante & horriblement
vraie, comme lorfque fous l’habit de l’aâeur
qui doit paroître fe tuer, on cache une veflie pleine
de fang, 6c que le fang inonde le théâtre; il en eft
qui rendent grofliérement'& baffement une nature
dégoûtante, comme lorfqu’on produit fur la fcene
l’ivrognerie & la débauche ; il en eft qui font pris
dans un naturel infipide & trivial , * dont l’unique
mérite eft une plate vérité , comme lorfqu’on
répréfente ce qui fe paffe communément parmi
le peuple. Tout cela doit être interdit à l’imitation
poétique, dont le but eft de plaire, non pas
feulement au bas peuple , mais aux efprits lés
plus cultivés & aux âmes les plus fenfibles : fuccès
qu’elle ne peut avoir qu’autant qu’elle eft décente,
ingénieule, 6c telle qu’un goût exquis 6c un fenti-
ment délicat en chériflént Villujîon. Voyt{ V r a i s em -
BLANCE , Suppl. ( M. M a RMONTEL. )
ILMENAU -, ( Géogr. ) petite ville d’Allemagne,
dans la Thuringe , & dans la portion du pays de
Henneberg , qui appartient aux réle fteurs de Saxe.
Elle eft fur la riviere d’ Ilm, 6c préfide ÿ un bailliage,
confidérable par fes mines d’argent 6c de fer. Elle
renferme une école latine; & avant l’incendié qû’elle
eflùya l’an 1752., elle renfermoit un arfenal & un
château. ( D. G. )
I M
IMAGE, Belles-Lettres. ?défit.} D’après
Longiri on a compris fous le nom d'image dans_ le
Dictionnaire raif. des Sciences, tout ce qu’en poéfie
on appelle dferiptions 6c tableaux. Mais en parlant
du coloris du ftyle , on attache à ce mot une idée
beaucoup plus précite ; 6c par image on entend cette
efpece de métaphore, qui, pour donner de la couleur
à la penfée , & rendre un objet fenfible s’il ne l’eft
pas, ou plus fenfible s’il ne l’eft pas;affez , le peint
fous des traits qui ne font pas les fienS, mais ceux
d’un objet analogue.
La mort de Laocôon dans VEnéide eft un tableau ;
la peinture des ferpens qui viennent l’étouffer, eft
une defeription. Laocoon ardens eft une image. La
defeription différé du tableau , en ce que le tableau
n’a qu’un moment & qu’un lieu fixe. La defeription
peut être une fuite de tableaux ; le tableau peut être
un tiffu d'images ; l’image elle-même peut former un
tableau. Mais l'image eft le voile matériel d’une idée ;
au lieu que la defeription 6c le tableau ne font le
plus fouvent que le miroir de l’objet même.
Toute image eft une métaphore, mais toute métaphore
n’eft pas une image. 11 y a des tranflations
de mots qui ne préfentent leur nouvel objet que tel
qu’il eft en lui-même, comme , par exemple, la clef
d’une voûte , le pied d’une montagne ; au lieu que
Fexpreflion qui fait image, peint avec les couleurs
de fon premier objet, la nouvelle idée à laquelle on
rattache, comme dans cette fentence d’Iphicrate,
une armée de cerfs conduite par un lion, efl plus à
craindre qu'une armee de lions conduite par un
cerf; 6c dans cette réponfe d’Agéfilas,à qui l’on
demandoit pourquoi Lacédémone n’avoit point de
murailles : voilà (en montrant fes foldats ) les murailles
de Lacédémone.
L'image fuppofe une reffemblance , renferme une
comparaifon ; 6c de la jufteffe de la comparaifon
dépend la clarté , la tranlparence de l'image. Mais la
comparaifon eft fous-entendue , indiquée ou développée
: on dit d’un homme en colere, il rugit ;
on dit de même, c'efl un lion ; on dit encore, tel
qu'un lion altéré de fang, &c. I l rugit fuppofe la
comparaifon ; c'efl un lion, l’indique ; tel qu'un
lion la développe.
On demandera peut-être* : quelle reffemblance
peut-il y avoir entre une idée metâphyfique , ou
un fentiment moral, 6c un objet matériel ?
i° . Une reffemblance d’effet dans leur maniéré
d’agir fur l’ame. Si par exemple le génie d'un homme
ou fon éloquence débrouille dans mon entendement
le cahos de mes penfées, en difiipe l’obfcurité,
les rend diftinftes & fenfibles à mon imagination,
m’en fait appercevoir 6c faifir les rapports ; je me
rappelle l’effet que le foleil en fe levant produit fur
le tableau de la nature, je trouve qu’ils font éclorre,
l’un à mes yeux , l’autre à mon efprit, une foule
d’objets nouveaux ; & je dis de ce génie créateur 6c
fécond, qu’il eft luminèux-, comme je le dis du foleil.
'Lotfque je goûte de l’abfynthe , la fenfation
d’amertume que mon ame en reço it, lui déplaît 6c
lui donne pour la même boiflbn, une répugnance
prefqu’invincible. S’il arrive donc que le regret d’un
bien que j’ai perdu me caufe une fenfation affligeante
6c pénible , & une forte répugnance pour ce qui
peut me rappeller le louvenir de mon malheur , je
dis de ce regret, qu’il eft amer, 6c l’analogie de
l’exprefîion avec le fentiment eft fondé fur la reffemblance
des affe&ions de l’ame. L’effet naturel
des p a fiions eft en nous bien fouvent le même que
celui des imprefîions des objets du dehors : l’amour,
la colere, le defir violent fait fur le fang l’effet d’une
chaleur ardente la frayeur, celui d’un grand froid.
Delà toutes ces métaphores de brûler de colere,
d’impatience & d’amour, d’être glacé d’effroi, de
friffonner de crainte. Voilà ce que j’entends par la
reffemblance d’effet. C’efl: fous ce rapport, que me
femble aufli jufte qu’ingénieufe la réponfe de Marius ,
à qui l’on reprochoit d’avoir, dans la guerre des
Cimbres , donné le droit de bourgeoifie à Rome, à
mille étrangers , qui s’étoient diftingués. Lesloix,
lui difoit-on , défendent pareille chofe. Il répondit
que le bruit des armes l’avoit empêché d’entendre
ce que difoient les loix.
20. Une reffemblance de mouvement. On vient
de voir «uÇ la première analogie des images porte
fur le càraélere des fenfations. Celle-ci porte fur
leur durée, & leur fucceflion plus lente ou plus rapide.
Si nous obfervons d’abord une analogie naturelle
entre la progrefîion de lieu 6c la progreflion de
tems, entre l’étendue fucceflive & l’étendue permanente
, l’une peut donc être, l'image de l’autre, 6c
le lieu nous peindra le tems. Un Lourd & muet de
naiffance, pour exprimer le paflé montroit l’efpace
quiétoit derrière lui; 6c l’efpace qui étoit devant ,
pour exprimer l’avenir. Nous les défignons à-peu-
près de même: les tems reculés, j'avance en dge ,
les années s'écoulent. Quoi de plus clair 6c de plus
jufte que cette image dont fe fert Montagne pour
dire qu’il s’occupe agréablement du paffé fans s’inquiéter
de l’avenir, l«s ans peuvent m'entraîner,
mais à reculons ?
Cette analogie eft dans la nature, parée que les
objets fe fuccedent pour moi dans l’efpaee comme
dans la durée, & que ma penfée opéré de même
pour les concevoir dans leur ordre, •fait qu’ils exif-
tenf enfemblë-en divefs lieux’, ou foit que dans un .
même lieu ils eÿiftent en divers tems.’
Il y a de plus ’ une’ corfèfpOridànce nàturelle-entr'è -
la vîteffe où la lenteur des mouvehiëns^dés corps y
& la vîteffe ou la lenteur des mouvémèn’sdé: l’ame,
& en cela le phyfiquè ’&'Td moral, l’intelle&tiel 6c
le fenfibfër ont une parfaite- analogie énfr’eux , &
par conféqüent un rapport naturellement' établi entre
les idées 6c\té'images.' (P*oye{ AnaLUgie Suppl.') •
Mais fouvent là' facilite d’appefcevbir- une' idée
fous une imtobè ' eft un étfetftéThabitùdè', ôi-fiippofè'
une convention. De-là vient que toutes [esimagesné'
peuvent ni ne doivent1 êirè-;trânfplànïéi?S d?ürieTah-
gue dans une autrèTarijgue; & lorfqifon dit qu’une
image ne fauroit fe traduire , ce n’eft pas tant là-
difetté de mots qui s’y oppofe , que le défaut -
d’exercice dans la liaifon des deux" idées. Toute
imac'e tirée des coütumeS'étrangères , n’eft'reçue'
pârmi-nous que par adoption; ce filés-efprits n?y'
font pas habitués, le rapport en fera difficile à faifir.
Hofpttalier exprime uri'e idée- clairè eri françois,
comme en latin, dans'fon acception primitive : on
dit, les Dieux hbfpitalïers , un' peuple' hofpitalier ;
mais cette idée ne nous eft1 pas affèz familiere pour
fe préfenter d’abord, à propos d’un arbre qui donne
afyle aux voyageurs : ainfi Y'urnbram TiofpitaUm d’Horace
, traduit à laTèttrë- par un ombrage hbfpitalier,
ne feroit pas entendit fans le fécours-dé la'réflexion.'
H 'arriVe-auffi que dans une langue', l’opinion attache
du ridicule-ou Jdé la baffeffè' à dès images, qui\
dans une antre lariguéyn’bnt rien-que de noble &
de décent. La métaphore1 dé ces deux beaux vers dé
Corneille,
Sur les noires couleurs dé un'fi trifle tableau
I l faut paffer tépfonge, ou tirer le rideau ,
n’auroit pas été foutenable chez lés Romains, où
l’éponge étoit un mot fale,
Les-anciens fe donnoiént une licence que notre
langue n’admet pas : dès qu’un même objet'faifoit
fur les fens deux imprefîions fimultanées, ils attri-
buoient indiftin&ènïent l’une à l’antrè : par exemple
, ils difoient à leur choix, un ombrage frais, ou
une fraîcheur fombre: frigus opacum ; ils-difoient d’une ■
forêt , qu’elle étoit obfcurcie d’une noire frayeur, ;
au lieu de dire qu’elle étoit effrayante par fon obf-:
curitè profonde : caligantem nigrâ formidine lucurn :
c’eft prendre la caufe pour l’effet. Nous fommes plus
difficiles ; & ce qui pour eux étoit une élégance »feroit
pour nous un contre-fens.
Telle image eft claire comme expfeffion fimple,
qui s’obfcurcit dès qu’on veut l’étendre. S'enivrer
de louange , & une façon de parler' familière : s'enivrer
eft pris là pour un terme primitif; celui qui’
l’êntend rie foùpçonne pas qu’on lui préfente la
louange comme une liqueur ou comme un parfum.
Mais fi vous fuivez l'image, & que vous difîez, un
roi s'enivre des louanges'que lui verftnt les flatteurs•,
ou que les flatteurs ' lui font refpirer, vous éprouverez
que celui qui a reçu s'enivrer de louange fans
difficulté, fera étonné d’entendre, ver fer la louange^
refpirer la louange, & qu’il aura befoin de réflexion
pour fentir que l’un eft la fuite de l'autre. La difficulté
ou la lenteur de la conception vient alors de
ce que le terme moyen eft fous-entendu : verfer &
s'enivrer annoncent une liqueur; dans refpirer &
s'enivrer c’eft une vapeur qu’on fuppofe. Que la
liqueur ou la vapeur foit expreffément énoncée ,
l’analogie des termes eft claire & frappante par le
lien qui les unit. Un roi s'enivre du poifon de la
louange que lui verfent les flufteurs ; un roi s'enivre du
Tome ///•
parfum de la louange que les flatteurs lui font refpirer :
tout cela devient naturel Sc fenfible.
Le neclar que Con féré au maître dit- tonnerre » .
Et dont' nous enivrons tous les dieux-,dà La terre j
Cefl là louange y Iris. (.La Fontaine. ) ;
Les langues', a ies analyfer avec/foin ; ne font
pfefqUé toutes'qu’un recueil d'images, q y e 'l’habitude
a mifes au rang des dêrtominarions primitives j
& qu e l’on emploie'fans s’en'appercevoir. Il y en
a de fi hardies», queTés poètes n’oferoient les rif-
quer fi elles n’éfoient pas reçûês. Les philofophes
en ufent eùx-mêùîeS cOirtmë de termes abfttaits',
j pirciptîoft', réflexion , alUfitïôft', induftîoft , t'onc
j cela eft pris dè la mâtiereV OA dàvfufpehdfo, ptéà
àipitér fon jugement baîdiicèf tes opiniôiisj1 lis te-
j cueillir , &Cc. Oii dit qüè l'àmc s'élève , que 'léi "idééi
j s'étendent, que' le 'génie étincelle, qüe Diéli volé fur
j les àîlës des vents, qü’il' habité eft lui-mêthé', qiie fort
\foujflc anime La matière, que fw voix commandé 'au
j néant,.Sic. Tout cela eft.familier , non-feulement
à la poéfie , mais à la philofophïe la- pJuS^exaüe,
à la théologie la plus auftere. Ainfi, à l’exception
de quelques termes abftraits., le plus fouvent çon-
: fus 6c vagye, tous les fignés de. nos idées font em-
‘ pruntés des objets férifiblès. Il n’y a' donc pour
' l’emploi dts iniages ufité'es , d’autres(ménageménS à
■ garder que les!Convenances:dti ftyle.
Il eft des images qu’il faut laiffer . au peuple ; il en
j eft qu’il faut réfèfver au langage; héroïque ; i l eri eft
j dé communes à'tousTés ftyles & à î tous-les tons;
! Mais c’èft au goût formé-par l’ufage à diftînguer ces
| nuances.'
Quant ati choix des images » rarement'employées
| ou nouvellement introduites danis; une langue,, il
j faut y apporter beaùcoup plus de cifconfpieâion &
! de févérité. Què Tes images, reçues ne" foient point
exadèS; qfcë l’on dife dé Tefprit ; qu’i/ efhfolidc, de
] la penféè , c\i\'elù efl'hardie, de rattèntiorr,. qu’e/Ze
j eflprofondè; celui qui emploie ces images' n’en ga-
; rantit pas la jufteffe , & fi on lui demande pour-
i quoi il attribue la •folidité à' ce qu’il appelle un foufi-
I ft i f fpirttus ) , la hardieffe à Pa&ioni det penfer1,
1 ( penfarej \ 1 à profondeur1 à 1 la : diredion du mouve-
; ment (tèndere.ad), car tefeft le fens primitifd’ef-
p rif, de penfée-'& d’attention', il n’a qu’un mot'à
; répondre*: cela'eft'reçU;.je-parlé'ma langue.
Mais s’il emploie- de nouvelles images ,.on a droit
! d’exiger de liti qu’elles^ foient juftes , claires , fen-
! fibles, & d’atcord avec elles-mêmes. C ’eft à quoi les
; écrivains, même lés plus eleganS', ont manque* plus
; d’une foés.
Je viens dè lire dans Brumoi, qüe la comédie
Grecque, dàns fon troifième âge, ceffu d'être une-
Mégere, & dlvint ' . . . quoi }■ Un miroir. Quelle aria-
! logie y ajt- il entre un miroir ' &• une Mégère ?r
j II y a des images , qui , fans être précifément-
fâuffés ', n’ont pas- cette vérité fenfible* qui.doit nous
fàifir au premier coupT’oeil. Vous repréfëutez^vous
] urï jour vafte par le filence, dits perfilentium vaflusf
• Il eft vrai que le jour des funérailles dè Germani-
! ous, Rome dut être changée en une vafte fqlitude,
par le filence qui régnoit dans fes murs ; mais après.-
• avoir développé la penfée de Tacite, on ne faifitj
point1 encore fon image. _■ .
La- Fontaine femble l’avoir prife de Tacite-:
Craigne[ le fbrtd dès bois & üurvaflefilertcei .
Mais ici Vimage eft claire & jufte: onffe tranfi?
porte au milieu d’une folitude immenfe ; : où
• filence régné au loin ; & fllenu rafle qui parpit.
hardi, eft beaucoup plus (eniible q]iu fllenu pjofmd
[ qui‘eft devenu fi familier*
Lucain avoit dit avant La Fontaine :
B B b b ij