eu affez pouf la rendre heureufe au fein de la paix.
On ne peut point lui faire un crime des guerres continuelles
qui troublèrent Ion régné : le droit naturel
de la défenfe le rendait légitime. Meilleur foldat que
général,meilleur citoyen que ro i, plus jufte qu’éclairé,
fi quelque qualité l’éleve au-deffus du vulgaire
des rois, c’eft fa bonne-foi. ( M. d e Sacy. ) '
* J ea n S a n s - t e r r e , ( Hifioire d'Angleterre. )
quatrième fils du roi Henri II, ufurpa la couronne
d’Angleterre, en 1 199, fur Arthus de Bretagne,fon
neveu, à qui elle appartenoit, Sc par un nouveau
crime, ôta la vie à ce prince ; au moins il fut foup-
çonné de ce meurtre, 8c ce ne fut pas fans raifon,
puifqii’ayant fait enfermer Arthus dans la tour de
Rouen, on ne fait ce qu’il devint. Jean foutint mal le
poids d’une couronne qu’il avoit acquife par un
double forfait. Philippe le dépouilla de toutes les
terres qu’il p.ofledoit en France. Il fe brouilla avec
le pape Innocent III, 8c ce pontife le força de fou-
mettre fa perfonne 8c fa couronne au faint fiege , 8c
de confentir à tenir fes états comme feudataire de
l’églife de Rome. Un légat du pape reçut l’hommage
de Jean, il étoit conçu en ces termes : « Moi Jean ,
» par la grâce de Dieu , roi d?Angleterre 8c feigneur
» d ’Hibernie, pour l’expiation de mes péchés, de
>> ma pure volonté 8c de l’avis de mes barons, je
» donne à Péglile de Rome, au pape Innocent 8c à
>> fes fuçceffeurs, les royaumes d’Angleterre 8c d’Ir-
>> lande ., . avec tous leurs droits ; je les tiendrai
» comme vaffal du pape; je ferai fidele à Dieu, à
» l’églife Romaine, au pape mon feigneur, 8c à fes
» fucceffeurs légitimement élus. Je m’oblige de lui
» payer une redevance de mille marcs d’argent par
>> an,;fayoir,.fept cens(pour le royaume d’Angle-
>> terre, Sç trois cens pour l’Hibernie». Ce trait fuffit
pour caraétérifer ce prince. Les Anglois outrés de la
lâcheté de leur ro i, réfolurent de le faire tomber du
trône. Jean, informé de la difpofition desefprits,
affembla les barons, 8c trembla devant eux comme
devant le légat du pape. Il jura - d’obferver tous.les
articles de la grande charte, ajouta de nouveaux
privilèges aux anciennes prérogatives, 8c mit la liberté
publique au-deffus de l’autorité royale. Le monarque
toujours inconféquent dans fa conduite , repentant
d’avoir accordé des droits fi exorbitans à fes
fujets, s’en vengea en pillant les biens des barons 8c
en-ravageant leurs terres. Ceux-ci fe révoltèrent,
appellerent Philippe, roi de France , à leur fecours,
& offrirent la couronne d’Angleterre à Louis, fon
fils. Le dauphin paffe en Angleterre, y eft,reçu avec
âcclâmatipn, & couronné en 1116. Jean meurt la
même année, après avoir erré de ville en ville, portant
par-tout fes inquiétudes, avec la honte 8c le
mépris dont il étoit couvert.
( J e a n I , roi d’Aragon, (Hifi. JEfpagne. ) A la
to.ute-puiffance près qui n’eft point le partage de la
foible humanité, lès. rois feroient exa&ement tout
ce qu’ils vpudroient faire , s’ils favoient employer
a vec art le droit qu’ils ont de commander aux hommes,.
Cet art pourtant ne paroît pas bien épineux,
puifqu’il confifte à fe faire aimer feulement de ceux
de qui l’on veii,t être obéi. J’avoue qu’il faut aux
hommes ordinaires bien des talens , de grandes qualités
pour être aimés ; encore même avec ces grandes
qualités, ces talens fupérieurs, ne parviennent-ils fouvént.
qu’à fe faire des ennemis dans la fociété. Quant
aujç rois > avec de la douceur, de l’affabilité, il n’eft
rien qu’ils ne puiffent, il n’y a rien qui leur réfifte ;
on ne s’apperçoit même, pas des défauts qu’ils peu-
yênr avoir, qui quelque confidérables, quelque
éupriîiçs, qu’ils foient, font rachetés par ces deux
qualités. Un prince'affable, doux, eft toujours fur
du zélé, du refpeû, de la confiance 8c de l’amour
de fes fujets, qui mettant fur le compte de cette
douceur de caraêtere fes foibleffes ,,fes défauts & fes
fautes meme, ne voient en lui que le roi bienfailant
le protecteur genereux 8c l’ami de fes peuples. Tel
fut JeanI, roi d’Aragoq; il fut bon, & ne fut que
bon : cependant les Aragonpis qui, à la vérité venaient
d’être fournis à un maître fort dur, impérieux
, méchant, l’aimerent & le regardèrent comme
le meilleur des fouverains. Jean.pourtant n’étpitrien
moins qu’ambitieux de pafièr pour habile , mais il
étoit affable, 8c la douceur, lui tint lieu des talens
qu’il n’avoit pas 8c qu’on lui fuppofa, des, grandes
qualités qu’il n’avoit pas non plus 8c qu’on voulut
lui croire, des éminentes vertus auxquelles il nç pré-
tendoit pas, 8c que le peuple dont il étoit chéri lui
donna libéralement. Il fe livra tout entier aux plai-
firs, ne chercha qu’à fe procurer 8c à goûter tous les
agremens de la vie, & fe repofa du gouvernement
du royaume fur la reine Violante fa femme, prin-
ceffe de beaucoup d’efprit, ambitieufe Sc intrigante;
mais il étoit affable, il étoit doux, & c,e fut uniquement
à lui qu’on rapporta tout ce qui fe faifoit de bien,
comme on attribuoit à fa femme ou au malheur des
circpnftances toutes les fautes qui fe commettoient
dans l’adminiftration. On ne fuppofoit pas qu’un roi
qui recevoitayec tant de douceur toutes les remontrances
qu’on jugeoit à propos de lui faire, fût feulement
capable de quelque négligence volontaire
dans la conduite des plus importantes affaires, 8c
l’on excufoit ou l’on feignoit de ne pas voir toutes
les fauffes démarches dans lefquelles l’engageoient
fon inapplication, ou les confeils de fon époufe &
de fes favoris. Ce fut ainfi que régna pailiblement
Jean I , fils de don Pedre IV, le plus impérieux des
rois, le plus violent des hommes, fouvent le plus
injufte, 8c de dona Léonore, infante de Portugal. Il
naquit le 27 décembre 1351, & à fa naiffance, fon
pere lui donna le titre de duc de, Gironne , qui dans
la fuite a toujours été celui des fils aînés des rois d’Aragon.
Son éducation fut confiée à Bernard de Ca-^
brera , général, miniftre, favori de don Pedre, 8c
qui par les fer vices les plus.importans 8c les plus*
lignalés avoit mérité la confiance de fon maître &
l’eftime publique: cependant, par des fautes vraies
ou fuppofées, Cabrera fe fit des ennemis, 8c les ac-
cufations, ou peut-être les calomnies de ceux-ci
ayant prévalu-, il devint odieux à tout le monde, 8c
fur-tout à don Pedre qui foupçonnoit facilement 8c
condamnoit avec févérité, fur les foupçons les plus
légers. Jean n’avoit pas encore quinze ans, lorkjue
fon gou verneur per fécuté par fes; ennemis 8c haï par
fon maître, fut arrêté, mis en prifon, appliqué à la
plus violente torture, 8c, par ordre de don Pedre,
jugé par fon pupille Jean qui le condamna à mort.
Mariana raconte que cette cruelle fentence fut pror-
noncee par, don Pedre, 8c publiquement'exécutée
par le duc de Gironne, Ce fait, n’eft pas prouvé, &
c’eft affez qu’il ne foit pas vraifembiâble, pour qu’on
ne doive pas y ajouter foi. /«a/z n’étoit pas affez cruel
pour faire dans cette occafion l’Office de bourreau;
il étoit fort doux au contraire, il àimoiti Cabrera fSè
il fut forcément obligé de prononcer , fous la diétée
de fon pere, une fentence qu’il eut été très--dangereux
pour lui de refufer de prononcer : don Pedre ne l’au-
roit pas plus épargné que Cabrera.-Quelque tems
après il fie maria avec dona Marthe, foeur du comte
d'Armagnac ; 8c Je roi fon pere, veuf depuis queh-
ques années, époufa dona. Sybille de Fortia. Leca-
raétere altier, ambitieux & tracaffier de la reine Sy-
bille, caufa beaucoup de chagrins au duo de Gironne
qu’elle haïffoit , qu’elle cherehoit'à rendre odieux à
don Pedre, & avec lequel elle ne gardaiplus de.mé-
nagemens , lorfque étant devenu v e u f , ;il refufa
d’épqufer la reine de Sicile, coufine de Sybille, qui
avoit propofé ce mariage. La reine Sybillèiéclata ,
fe
fe déchaîna violemment contre le duc de Gironne,
qui eut enfin la douleur de voir le roi don Pedre partager
la haine de fa femme, & s’unir avec elle contre
lui ;‘ces démêlés durèrent pendant trois années , &
Jean eut à fupporter la perfécution la plus dure &c
la plus amer e , jufqti’à la fin du régné de don Pedre
fon pere qui mourut le 5 janvier 1387. Dès la veille,
la reine Sybille, coupable de tant d’excès envers le
nouveau fouverain, avoit pris la fuite, & s’etoit
réfugiée dans le château de Fortia, chez fon frere :
elle y fut affiégée , forcée de le rendre & conduite
au roi Jean / , qui la traita avec une rigueur qui ne
lui étoit pas naturelle, mais que Sybille n’avoit que
trop méritée. A la follicitation du pape, la vie lui
fut confervée ; mais elle fut dépouillée de tous les
domaines & de tous les revenus qu’elle tenoitde don
Pedre, & que le roi Jean I donna fur le champ à
dona Violante fon époufe , à laquelle il avoit été
marié quelque tems avant la mort de don Pedre.
L’Aragon étoit tranquille, &c le nouveau fouverain
prit les mefures les plus fages pour maintenir ce calme
& prévenir tout ce qui eût pu le troubler, foit
au-dehors, foit ail-dedans. Le duc de Lancaftre lui
envoya l’archevêque de Bordeaux, pour réclamer
quelques paiemens auxquels i’Aragon étoit obligé ,
en vertu d’un traité fait avec l’Angleterre fous le
régné précédent : mais l’archevêque de Bordeaux fe
plaignit avec tant de haute'ur & parla avec.tant d’in-
folence, que, malgré toute fa douceur, Jean I ne
pouvant retenir fon indignation , fit arrêter l’audacieux
prélat. Le duc de Lancaftre fut très-irrité de
cet emprifonnement, qu’il regardoitd’abord comme
Un attentat ; mais informé de la licence de l’archevêque
, il fe radoucit, & cette affaire n’eut aucune
fuite. Par les confeils de fon époufe, Jean I fe rangea
fqus l’obédience de Clément VU qui réfidoit à
Avignon, & lui fit faire hommage pour la Sardaigne,
oit don Simon Perezd’Azenos gouvernoit avec beaucoup
de fageffe en qualité de vice-roi. Jean n’avoit
qu’un feul objet d’ambition, & cet objet étoit de
plaire à la reine Violante fon époufe q u i, aimant
beaucoup les plaifirs, & fur-tout la mufique & la
poéfie, engagea fon époux à faire venir des maîtres
en ce genre, & à en établir une école. Cette inftitu-
tion déplut beaucoup à la nobleffe, & les feigneurs
qui ne.connoiffoient d’autre plaifir que celui de combattre
& de maltraiter leurs vaffaux, fe plaignirent
hautement. Les prélats hypocrites , ignorans &
défapprobateurs, penferent & agirent comme la nobleffe
; enforte que pour fatisfaire les mécontens, -
Jean & la reine fon époufe renoncèrent à ces amu-
feméns, & renvoyèrent les muficiens & les' poètes
qu’ils avoient attirés dans l’état. On applaudit beaucoup
à ce facrifice , & la tranquillité du régné de ce
bon prince ne fut troublée que par le comte d’Ar-
magnac qui , prétendant avoir des droits fur le
royaume de Majorque, y fit une irruption, & ne
fut point heureux. Le frere du roi, le duc de Mont-
blanc, dont le fils don Martin d’Elferica avoit époufé
dona Marie, reine de Sicile , fit une expédition
suffi glorieufe qu’heureufe eh Sicile , & tous ceux
qui avoient pris les armes contre l’Aragon furent
punis févérement. De nouveaux troubles s’élevèrent
en Sardaigne, & Jean réfolut d’y paffer ; mais les
Maures menaçant de faire une irruption dans le
royaume de Valence, il ne put exécuter ce projet,
& il fe contenta d’y envoyer des troupes. Quelque
tems après le départ de ce fecours, Jean maria fes
deux filles, les infantes dônaŸolande & dona Jeanne,
la première au duc d’Anjou, la fécondé à Matthieu,
comte de Foix. Il eut foin auffi de fixer les limites
qui féparoient l’Aragon de la Navarre, & les fuites
prouvèrent la fageffe & la grande utilité de cette
précaution. Libre des foins qui l’avoient occupé juf-
Torne 111\
qu’alors, Jean fe difpofa à paffer en Sardaigne, 011
les troubles s’étoient accrus , & où fon frere, fon
neveu & fa niece étoient affiégés dans Catane par
les mécontens : mais les fonds lui manquant, il eût
ete obligé de différer encore cette expédition, fi don
Bernard de Cabrera, engageant généreufement fes
biens, n’eut fourni à toutes les dépenfes & hâté les
fecours avec lelquels le roi 8c la reine de Sicile furent
délivrés du danger qui les menaçoit. Toujours
fondé fur fes prétentions , le comte d’Armagnac ne
ceffoit point fes hoftilités, & faifoit les plus vives
incurfions en Catalogne. La Sardaigne agitée deman-
doit du fecours ; la Sicile étoit toujours expofée aux
fureurs de la guerre ; la reine Violante gouvernoit
fous le nom de fon époux, Ôc celui-ci plus empreffé
de jouir des plaifirs qu’il pouvoit prendre qu’ambitieux
de régner , écoutoit les remontrances des
états, 8t leur répondoit de la maniéré la plus honnête
& la plus fatisfaifante ; eftimoit, protégeoit,
avançoit ceux qui'Iui parloient avec lé plus de force
8c de vérité des devoirs 8c des fondions de la royauté;
ne vouloit mécontenter perfonne, mais auffifre vou-
loit fe priver d’aucun de fes plaifirs: celui qui avoit
pour lui le plus d’attraits, étoit la chaffe , 8c il lui fut
fatal ; un jour qu’il s’y livroitavec ardeur, il tomba
de cheval, 8c fa ehûte fut fi cruelle, qu’il en mourut
le 19 mai 1395 , dans la neuvième année de fon
régné 8c la quarante-cinquième de fon âge. Les éditeurs
du Dictionnaire de Moreri, toujours pfofondé-
raent inftruits, 8c toujours fort prompts à juger,
difent, fur la foi d’un hiftorien, Imhoff, que perfonne
ne confulte, 8c d’un autre hiftorien, Zurita ,
que perfonne ne croit, que la foibleffe de Jean I le
rendit méprifable à fes fujets , 8c que les premières
années de fon régné furent remplies de féditions 8c
de troubles. Ces deux affertions- font deux erreurs :
il n’eft pas vrai que les premières années du régné
de ce Prince aient été troublées par aucune fédition,
par aucun foulévement ; 8c Jean,fi l’on en excepte
les adhérens 8c les complices de la reine Sybille,
n’eut ni rébelles à pourfuivre, ni traîtres à punir.
Il eft plus faux encore que Jean 1 fe foit rendu iyié-
prifable à fes fujets : ils Faimerent, le chérirent 8c
fermèrent les yeux fur fon extrême confiance pour
Violante fon époufe. Quand on veut juger les rois
d’Efpagne, je penfe que ce n’eft ni d’après Imhoff, ni
d’après Zurita qu’il faut fe décider ; je ne voudrois pas
même toujours prononcer d’après Mariana. ( L. C. )
J ean II , roi-d’Aragon , ( Hifioire d’Efpagne. )
Suppofez à un roi les vertus les plus éminentes, les
plus brillantes qualités, toits les talens de l’efprit,
l’ame la plus belle, le coeur le plus magnanime ; fup-
pofez-le équitable, courageux,libéral, magnifique,
plein de valeur dans les combats, doux, bienfaifant,
aimable dans la fociété. Avec toutes ces grandes 8c
rares qualités, ne lui fuppofez qu’un défaut, une
foibleffe, un penchant irréfiftible pour les femmes,
8c trop d’attachement à celles pour lefquelles ils ’eft
une fois déclaré; dès-lors ce ro i, modelé de toutes
les perfections humaines, court grand rifque de ne
plus être qu’un prince malheureux, fi même il eft:
poffible qu’il ne devienne pas un médiocre oit méchant
r o i, injufte , efféminé, avare, dur, fombre
8c inacceffible. Ainfi le plus petit nuage peut obf-
curcir le foleil le plus radieux. En e ffet, il eft bien
difficile qu’un ro i, quelqu’éclairé qu’il foit, ait la
force de réfifter ou de rejetter perpétuellement les
confeils imprudens ou intéreffés d’une maîtreffe qui
l’enchaîné , qui régné fur fes fens 8c fon ame avec
plus d’empire qu’il ne régné lui-même fur fes peuples.
Il me paroît bien mal-'àifé de fe défendre perpétuellement,
8c toujours avec fuccès, des infpira-
tions d’une maîtreffe idolâtrée. Il font donnés avec
tant d’art ces dangereux confeils ; ils font donnés 8c