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Au lieu de répondre & de s’excufer, il prend lui-
même un flambeau de la main du page , 6c paffe devant
le roi pour l’éclairer. Conduite admirable de la
part de cet adroit politique! Un miniftre habile tâchera
toujours de fe dérober la gloire des avions
qu’il fait, pour la laiffer toute entière à l’on prince.
11 creufera lui-même fa ruine, s’il vile à afficher l’indépendance
& le befoin que l’on a de fes fervices.
Tous les auteurs contemporains de Louis X I I I j
ont donné de grands éloges à la modération & à la.
chafteté, Le jéfuite Barri qui déclama avec beaucoup
de chaleur contre les nudités de gorge, eft rempli
d’anecdotes qui tendent toutes à démontrer combien
le roi délapprouvoit hautement l ’immodeftie. Ce
prince dînoit un jour en public, une demoifelle fe
trouva placée vis-à-vis fa majefté ; le roi s’apperce-
vant qu’elle a voit la gorge découverte, tint fon
chapeau abattu & renfoncé pendant tout fon dîner,
à la derniere fois qu’il but, il retint une gorgée de
vin, & la rejetta fur la gorge de la demoifelle. Le
jéfuite Barri approuve fans réferve cette aérion du
roi ; mais il femble qu?il eût pu donner à fa leçon un
ton plus doux. « Etre vertueux, dit un auteur mo-
» derne, eft un grand avantage ; faire aimer la vertu
» en eft un autre, & les princes ont tant de voies'
» pour la rendre aimable, que c’eft prefque leur
» faute s’ils n’y parviennent pas »..
On a parlé bien diverfement de la longue ftéri-
lité de la reine & de la naiffance de Louis XIV. On
a vu éclorre à ce fujet dans les pays proteftans, tout
ce que la calomnie peut enfanter de plus noir & de
plus affreux. Voici comme l’auteur duquel nous
avons emprunté ces anecdotes, raconte que la chofe
s’eft paffée. «Le roi, dit-il, avoit marqué beaucoup
» d’inclination pour mademoifelle de la Fayette, fille
» d’honneur de la reine Marie de Médicis. Le car-
» dinal de Richelieu qui craignoit l’efprit v if 6c pé-
» nétrant de cette demoifelle , employa tous les
» moyens imaginables pour brouiller le roi avec
» elle ; enfin il en vint à bout. Mademoifelle de la
» Fayette demanda à fe retirer au couvent de la Vifi-
» tation à Paris, 6c l’obtint. Le roi fe défiant de
» quelque intrigue de la part de fon miniftre, vou-
»• lut s’éclaircir, & convint d’un rendez-vous avec
» mademoifelle de la Fayette. Il alla à la chaffe du
» côté de Gros-bois, 6c s’étant dérobé de fa fuite
» fe rendit à la Vifitation. Quatre heures fe paffe-
» rent dans leur entretien : on étoit au mois de dé-
» cembre, il n’y avoit pas moyen de retourner à
» Gros-bois. Le roi fut obligé de. coucher à Paris
» oit il ne fe trouva ni table, ni lit pour lui. La reine,
» contre laquelle il étoit indifpofé depuislong-tems*
» à caufe de la • confpiration de Chalais, dans la-
» quelle il étoit convaincu que cette princeffe étoit
» entrée , lui fit part de l’un & de l’autre ; & ce fut
» par cette chaîne d’événemens qu’Anne d’Autriche
» devint groffe de Louis XIV, qui naquit dans les
» neuf mois précis, à compter de cette nuit ».
Un roi au lit de la mort eft peut-être l’homme
le plus malheureux de fon royaume, Louis X I I I en
fit la trifte expérience: prefque abandonné de fes I
courtifans 6c de fes domeftiques qui fe rangeoient
du côté de la faveur naiflante, il manqua quelque- '
fois des chofes néceffaires à l’état où il fe trouvoit.
De grâce, dit-ij un jour à quelques courtifans qui
l’empêchoient de jouir de la vue du foleil qui don*
noir dans les fenêtres de fon appartement, rangez-
vous , lai(fez-rnoi la Liberté de voir le fo le il, 6* qu'il me
foit permis de profiter d'un bien que La nature accorde à
tous les hommes. •
Louis XIV, roi de France 6c de Navarre, fur-
nommé le grand , étoit fil^ de Louis XIII 6c d’Anne
d’Autriche. Il naquit à Saint-Germain-en-laie, le 5
feptembre 1 6 5 8 , 6c eutlefurnom de Dieu-donné,
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étant venu au monde après vingt-trois ans de ftérilité
de la reine fa mere. Il fuccéda à Louis XIII, le 14
mai 1643, ^ous la régence d’Anne d’Autriche, 6c
dans le teins que la guerre fe continuoit contre* les
Efpagnols. Il fut facré le 7 juin'1654, 6c mourut le
14 feptembre 1715.
Les bornes de cet ouvrage ne nous permettent
pas de nous étendre fur les aérions glorieufes qui
remplirent le cours de la vie de ce prince. Quand
on fe contenteroit Amplement de dater les éyéne-
mens confidérables de fon régné, on ne laifferoit
pas de remplir un jufte volume. Il'nous fuffirade dire
que Louis X IV vint au monde avec ces difpofitions
heureufes que la-nature n’accorde qu’à fes plus chers
favoris. C’étoit un des plus beaux hommes & des
mieux faits de fon royaume ; le fon de fa voix étoit
noble & touchant.Tous les hommes l’admiroient, &
toutes les femmes étoient fenfibles à fon mérite. Il fe
complaifoit à en impofer par fon air ; & l’embarras de
ceux qui lui partaient, étoit umhommage qui flattoit
fa Supériorité. Il étoit né avec une arae grande & élevée,
un génie jufte & délicat ; mais il ne témoigna
jamais beaucoup d’inclination pourl’étude. La nature
& l’ufage furent fes Seuls maîtres, & l’amour de la
gloire perfe&ionna leur ouvrage. Louis X IV obli-
geoit avec une grâce qui, ajoutant aux bienfaits ,
faifoit voir le plaifir qu’il goutoit à les répandre. Une-
preuve que la majefté fe concilie aifément avec les
vertus aimables,- eft le refpeft qu’on eut toujours
pour ce prince, 6c les bontés qu’il eut toujours pour
fes courtifans,'dont quelques-uns étoient même fes
amis.
Son fiecle eft comparé avec raifon à celui d’Au-
gufte. Louis X IV avoit un goût naturel pour tout ce
qui fait les grands hommes : il fut-diftinguer 6c employer
les perfonnes de mérite, dont il animoit les
études par fes récompenfes ; jamais prince n’a plus
donné, ni de meilleure grâce. On ne connoît point
d’homme illuftre du fiecle paffé fur qui fa généro-
fité ne fe foit répandue. Dès, fon enfance, il honora
le grand Corneille de lajéttre la plus flatteufe 6c
dans la fuite ayant appris que ce célébré auteur qui
en avoit enrichi tant d’autres par fes productions,
étoit à l’extrémité fans avoir les commodités que la
moindre aifance peut procurer, Louis X IV prit foin
lui-même de fournir à fa fiibfiftance. Vraifemblable-
ment ce prince avoit puifé cet amour des belles-
lettres dans les inftruérions d’Anne d’Autriche fa
mere , qui les aimoit 6c qui en foutenoit îa dignité.
Un libraire de Paris ayant eu deffein de joindre à la
vie du cardinal de Richelieu, un grand nombre de
lettres 6c de mémoires qu’il avoit raffemblés avec
beaucoup de foin, n’ofoit le faire, parce qu’il craignoit
d’offenfer bien des gens qui y étoient fort maltraités
, mais qui venoient de rentrer en grâce à la
cour. Il fit part de fes inquiétudes à la reine, & cette
fage princeffe lui dit : travaillez fans crainte, & faites
tant de honte au vice , qu'il ne refie que la vertu en
France. «Ce n’eft, ajoute l’auteur duquel nous avons
» emprunté cette anecdote, qu’avec de pareils fen-
» tiniens dans| les fouverains, qu’une nation peut
» avoir des hiftoriens fideles ».
Ce ne furent pas feulement les favans de la France
qui eurent part aux bontés de ce prince , ceux des
pays étrangers furent également honorés de fes gratifications.
Louis X IV fit aufli fleurir les arts & le
commerce dans fes états ; mais en fait de beaux-arts,'
il n’aimoit que l’excellent, 6c ce qui portoit un ca-
raftere de grandeur. On peut en juger par les magnifiques
bâtimens qui ont été élevés fous fon régné.-
Les peintres dans le goût flamand ne trouvoient
point de grâce devant les yeux : ote^moi ces magots-
là, dit-il un jour qu’on avoit mis un tablea* de
Téniçrsdans un de fes appartemens. L’ambition 6c
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la gloire lui firent entreprendre & exécuter les plus
grands projets, & il fe diftingua au-deffus de toits
les princes de fon fiecle, par un air de grandeur, de
magnificence 6c de libéralité qui accompagnoit toutes
les aérions. Les traits principaux qui dilrineuent le
régné de ce monarque , font l’entreprife de la jonction
des deux mers par le fameux canal de Languedoc,
achevé dès l’an 1664 ; la réforme des loix, en
1667 & 1670; la conquête de la Flandre iFrançoife
en fix femaines ; celle dé la Franche-Comté en moins
d’un mois, au coeur de l’hiver ; celles de Dunkerque
& de Strasbourg. Qu’on joigne à ces 'objets une
marine de près de deux cens vaiffeaux, les ports de
Toulon, de Breft, de Rochefort bâtis; 150 citadelles
conftruites ; l’établiffement des invalides, de
Saint-Cyr, l’obfervatoire, les différentes académies,
l’abolition des duels , l’établiffernent de la police.
Qu’on y ajoute encore le commerce forti du néant,
les arts utiles & agréables créés, les.fciencès en honneur,
les progrès de la raifon plus avancés dans un
demi-fiecle , que depuis plus de deux cens ans..
Paffons maintenant aux traits principaux qui ça-
raélérifent davantage’ la grande ame de Louis XIV.
Les princes, quelque pviiffans qu’ils parpiffent, fe
reffentent tou jours des foib.leffes de l’humanité. On
en a vu & l’o,n en voit encore fo.uvent qui, fiers de
leur naiffance 6c de leur mérite, ne laiffent tomber
qu’un regard jaloux fqr tas hommes, d’un géqie rare
& diftingué. Une des grandes qualités du roi, étoit
d’être touché de celles des autres, de les cpnnoître
& de les mettre en ufagQ.Je ferois charmé, dit ce
prince au vicomte de Turenne, qui le complimen-
toit fur la naiffance du grand dauphin ,je ferois charmé
qu il vous pût reffembler un jour. Votre religion efl
caufe que je ne puis vous remettre le foin de fon éducation
, ce que je Jouhaiterois pouvoir faire , pour lui infr
pirer des fentimens proportionnés à fa naiflance. M. de
Turenne étoit encore proteftant. Dès qu’une fois
Louis X IV avoit accordé fa confiance à une per-
fonne qui la méritoit, & qui en avoit donné des
preuves , les intrigues ni les cabales de la cour n’é-
toient pas capables de la lui faire retirer. Il donna
un pouvoir fiabfoluau même maréchal de Tureone
pour la conduite de fes armées, qu’il fe contentoit
de lui faire dire dans les tems d’inaftion, qu'il jeroit
charmé d'apprendre Un peu plus fouvent de fes nouvelles
, & qu'il le prioit de lui donner avis de ce qu'il
auroit fait. En effet, ce n’étoit quelquefois qu’après
le gain d’une viéloire, que le roi favoit que la bataille
s’étoit livrée. Ce reproche, obligeant fait autant
d’honneur au fouverain qu’au fujet en qui il
avoit mis. une entière confiance : aufli, rien n’égala
la douleur que ce pripce reffentit, en apprenant la
mort du maréchal de Turenne, arrivée au camp de
Salsbach, au-delà du Rhin, le 2.7 juillet 1675. J'ai
perdu, dît ce prince, le ccpur navré de
Chomme Le plus fage de mon roy aume & le plus grand
de mes capitaines. Y art-il rien qui cara&érife plus
âvantageufement l’ame fenfible. & recqnnpiffante
d’un fouverain ?
On a cependant fait un crime à Louis X//^d’avpir
laiffé gémir, pour ainfi dire, dans la mifere, le fage
& fameux Catinat, doprpn prétend qu’il ne fut ni
connoître, ni récompenfer le mérite. Il ne faut que
citer un exemple pour faire tomber la fapflèté de
.cette accufation. Vidime des intrigues & des brigues
de la cour, le maréchal de Catinat s’étoij réfiré à fa
terre de Saint-Gatien ; le feu ayant réduit en cendres
fon châteai}, cg vieil officier fe vit contraint à prendre
un logement chez fon ferniier. Lotiis X (V n’eut
pas plutôt appris ce malheur, qp’il fit vçnjr r}è
Catinat à Verlailles, s’ipforma des^raifpns qui li(i
a voient fait réduire fon équipage^ fa maifpn à l’état
où ils étoient, & lui demanda enfin f i , n’ayant point
Tome III, S - '.r .............M
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d’argent, il n’avoit pas d’amis qui lui en prêtaffent ?
Les amis, fur-tout à la cour, font rares , lorfqu’on
eft dans le befoin. Louis X IV fe montra aufli bien-
faifant à l’égard du maréchal de Catinat, que s’il
n’eût eu aucun motif de lui en vouloir. On fait que
la religion de ce prince avoit été furprife, en lui fai-
fant accroire qu’en matière de religion M. de Catinat
ne .craignoit ni ne croyoit rien.
Parmi les traits qu’on rapporte de la bonté de fon
caraétere, en voici quelques-uns qui paroiffent des
plus frappans. Un jour qu’il s’habilloit, après avoir
mis fes bas lui-même , il ne fe trouva point de fou-
liers ; le valet-de-chambre courut en chercher, 6c
fut quelque tems à revenir, le duc de Montaufier en
colere , voulant le gronder: eh! laijfez-le en paix ,
dit aufli-tôt le ro i, i l efl aflezfàché. Une autre fois un
de fes valets-de-chambré lui laiffa tomber fur la
jambe nue la cire brûlante d’une bougie allumée,
le roi lui dit, fans s’émouvoir : au moins donnez-moi
de Üeau de la reine-d'Hongrie. Bontems, fon valet-
de-chambre & fon favori, lui demandoit une grâce
pour un de fes amis : quand cejferez-vous de demanda?
lui répondit brufquement Louis X IV • mais s’apper-
cevant de l’émotion de fon valet-de-chambre , oui,
quand aflfere^vous de demander pour les autres, ajouta cù
prince, & jamais pour vous? La grâce que vous me deman-
dezpour un de vos amis, je. vous ü accorde pour votre fils.
11 n’eft pas vrai que Louis X IV fe foit jamais fervi
de termes offenfans à l’égard de fes officiers, & il
eft également faux, qu’il ait dit jamais au duc de la
Rochefoucauld: en! que m'importe par lequel de mes
valets je fois, fervi. Qn voit au contraire que dans
mille circonftances, il a toujours témoigné les plus
grands égards pour la nobleffe. Les paroles même
de ce prince à ce fujet, ne fauroient être recueillies
avec tro^ de foins. Le .duc de Lauzun lui ayant un
jour manqué derefpeft, le roi qui fentoit venir fa
colere, jetta brufquement parla fenêtre une canne
qu’il tendit à la main, & dit, en fe tournant vers
ceux qui fe trouvèrent auprès dè lui : je ferois au dé-
fefp.oir, f i j'avais frappé un gentilhomme. Ayant appris
quelque tems après qu’un prince du fang avoit
maltraité de paroles une perfonne dediftinérion, il
lui en fit la plus févere remontrance. Songez, lui
dit-il, que les plus légères offienfes que les grands font
à leurs inferieurs ,font toujours des injures fenfibles, &
fouvent des plaies mortelles j celles d'un particulier ne
font qu effleurer'fa peau, celles £un grand pénètrent
jujqu au coeur. Je vous avertis de ne plus maltraiter de
paroles qui que ce foit ; faites comme moi. I l me fl arrivé
plus d'une fçis que les perfonnes qui m'ont Les obligations
les plus eflentiellés , ‘fe font oubliées jufqu'à m'of-
fenfer : je diflîrjiule & leur pardonne. Il n’épargna pas
plus madame la dauphine qui s’avifa un foir de plai-
lànter beaucoup & très haut fur la laideur d’un officier
qui affiftoit au fouper du roi. Pour moi, madame,
dit le monarque, en parlant encore plus haut que
la princeffe, je le trouve un des plus beaux hopimes de
mon royaume ; car c'efl qn des plus braves. Un autre
fois ce prince taifoit un copte à fes courtifans, & il leur
avoit promis que ce conte fefoit plaifant ; mais dans
le cours de la narratiop s’étant apperçuqiie l’endroit
le plus rifible avoit quelque rapport au prince d’Ar-
magnac, il aima mieux le ftippritncr que de caufer
de l’embarras & du chagrin à ce feigneur qui étoit
préfent ; il ne l’acheva que lorfqu’il fut forti. On
ppu juger par-là combien ce prince avoit une aver-
fion marquée pour tout ce qui pou voit chagriner ceux
qui l’environnoient : la médifance ne lui étoit pas
moins odigufe.Qn fait qu’il punit de l’exil le chevalier
de Grammont, qui s’ayifa de faire une mauvaife plai ■
fapterie fur le marquis d’Huipieres, auqugUe roi ve-
nqit d’accorder le bâton de maréchal, à (a'feçp.m-
mandation de M. de .Turenne.
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