Chaque homme a un goût particulier , par lequel
H donne aux chofes -qu’il appelle belles & bonnes, un
ordre qui n’appartient qu’à lui. L’un eft plus touché
des monceaux pathétiques ; l’autre aime mieux les
airs gais. Une voix douce & flexible chargera fes
chants d’ornemèns agréables : une voix feniible &:
forte animera les liens des accens de la paffion. L’un
cherchera la limplicité dans la mélodie ; l’autre fera
cas des traits recherchés : & tous deux appelleront
■ élégance, le goût qu’ils auront préféré. Cette diverlité
vient tantôt de la diiférente difpofition des organes,
dont le goût enfeigne à tirer parti; tantôt du caractère
particulier de chaque homme, qui le rend plus
fenfible à un plaifir ou à un défaut qu’à un autre ;
tantôt de la diverlité d’âge ou de fexe, qui toürne
4es defirs vers des objets différens. Dans tous ces cas,
chacun n’ayant que fon goût à oppofer à celui d’un
autre, il eft évident qu’il n’en faut point difputer.
Mais il y a aulîi un goût général, fur lequel tous
les gens bien orgaaifés s’accordent ; & c’èft celui-ci
feulement auquel on peut donner abfolument le nom
dégoût. Faites entendre un concert à des oreilles fuf-
flfamment exercées , & à des hommes fuffifamment
inftruits, le plus grand nombre s’accordera , pour
l ’ordinaire, fur le jugement des morceaux & fur l’ordre
de préférence qui leur convient. Demâridez à
«chacun raifon de fon jugement, il y a des chofes fur'
lefquelles ils la rendront d’un avis prefque unanime :
ces chofes font celles qui fe trouvent foumifes aux
réglés, & ce jugement commun eft alors celui de
Tartifte ou du connoifléur. Mais de ces choifes qu’ils
s ’accordent à trouver bonnes ou mauvaifes , il y en
■■a fur lefquelles ils ne pourront autorifer leur jugement
par aucune raifon folide & commune à tous ; & ce
dernier jugement appartient à l’homme de go«/. Que
fi l’unanimité parfaite ne s’y trouve pas, c’eft que
tous ne font pas également bien organifés ; que toiis
ne font pas gens de goût, & que les préjugés de l ’habitude
ou de l’éducation changent fouvent, par des
conventions arbitraires, l’ordre des beautés naturelles.
Quant à ce goût, on en peut difputer, parce qu’il
n’y en à qu’un qui foit le vrai : mais je ne vois guere
d ’autre moyen de terminer la difpute que celui de
compter les vo ix, quand on ne convient pas même
d e celle de la nature. Voilà donc ce qui doit décider
d e la préférence, entre la mufique Françoife & l’Italienne.
Au refte, le génie crée, mais le goût choifit : &
fouvent un génie trop abondant a befoin d’un censeur
févere, qui l’empêche d’abufer de fes richefîes.
Sans goût on peut faire de grandes chofes ; mais
■ c’eft lui qui les rend intéreffantes. C’eft le goût qui
■ fait faifir au compofiteur les idées du poëte ; c’eft le
goût qui fait faifir à l’exécutant les idées du compofiteur
; c’eft le goût qui fournit à l’un & à l ’autre tout
c e qui peut orner & faire valoir leur fujet ; & c’eft le
goût qui donne à l’auditeur le fentiment de toutes
ces convenances. Cependant le goût n’eli point la |
fenfibilité. On peut avoir beaucoup de goût avec :
une ame froide ; & tel homme traofporté des chofes ;
vraiment paffionnées, eft peu touché des gracieufes.
11 femble que le goar s’attache plus volontiers aux
petites expreffions , ôc la fenfibilité aux grandes ( v ) m m
Plus une chofe eft difficile à définir, plus il eft bon de
rapprocher les fentimens des gens éclairés, au moins
je le crois ;& c’eft ce qui m’a déterminé à placer ici
ce morceau de M. Roufteau, quoique l’on trouve
déjà bien des réflexions fur le goût dans le Dictionnaire
raifonné des Sciences, & c. & que le goût en mufique
ne différé pas au fond du goût en général dans
les beaux arts. (F . D . C. )
* § GOZZI y ou les GOZES de Candie. Deux petites
ijlfs de la Méditerranée . . . . La principale des
deux efl la Gandosde Pline ( lifez Gaudos) & la Clau-
dos de Ptolomee & des Actes des Apôtres, chap. y , verf.
xvj. Il falloir citer.le chapitre vingt-feptieme, & non
pas le feptieme ; mais cette île eft appellée Cauda dans
la Vulgate, & non pas Claudos ; & de favans critiques
prétendent que cette Cauda de la Vulgate, ou
Claudos du texte Grec, n’eft pas le Go^e de l’île de
Candie, mais le Goçe de l’île de Malte. Voye^ le
Commentaire de Fromond fur l’endroit des a êtes cité'
dans cet article, la Synopfe des Critiques , &c. Lettrés
fur l'Encyclopédie,
G R
GRACE , f. f. ( Belles-Lettres. ) La grâce du ifyle
confifte dans l’aifance , la foupleffe , a variété de fes
mouvemens, & dans le pafl'age naturel & facile de
1 un a l’autre. Voulez-vôiis èn avoir une idée fenfible,
appliquez à la poéfie ce que M. AVatelet dit de
la peinture. « Les mouvemens de l’ame des enfans
» font fimples, leurs membres dociles & fouples. Il
» rcfultede ces qualités une unité d’adion & une
» franchife qui plaît . . . . La fimplicité & la fran-
» chife des moiivemens de l’ame, contribuent telle-
» ment à produire les grâces, que les pallions indé-
» eues, ou trop compliquées, les font rarement
» naître. La naïveté, la curiofité ihgénue, le defir
» de plaire, la joiefpontanëe, le regret, lès plain-
» tes , & les larmes même qu’occafionne un objet
» chéri, font fufceptibles de grâces, parce que tous
» ces mouvemens font fimples ». Mettez le langage
à la place de la perfoane ; croyez entendre au lieu
de voir, & cet ingénieux auteur aura défini les grâces
du ftyle.
La grâce fait le charme des élégies amoureufeS
d’Ovide, & des chanfons d’Anacréon. Elle a été donnée
à la langue Italienne, à caufe de fa foupleffe &
de fon élégante facilité. Mais on n’en voit dans aucun
poëte autant d’exemples que dans Métaftaze ; ni dans
celui-ci aucun exemple plus parfait que la Cantate
de l'Excufe, le vrai modelé dès poéfies galantes.
{M. M ARMONT EL. )
GRACIEUX, adj, ( Belles-Lettres. Beaux-Arts. )
Le fens de ce mot n’eft pas toujours abfolument analogue
a celui de grâce. On dit bien : un pinceau gra-
■ deux, un ftyle gracieux , un tour gracieux , dans l’ex-
preffion; & cela fignifie un pinceau , un ftyle , un
tour qui a de la grâce. Mais on dit auffi : un fujet gra*
deux , & des images gracieufes ; & alors gracieux fignifie
ce qui porte à l’efprit, à l’imagination, à l’ame,
des idées, des peintures , des fentimens doux &
agréables. Le gracieux fe compofe de l’élégant, du
riant & du noble. Un tableau d el’Albane , du Corre-
ge , de Claude Lorrain eft gracieux : un tableau de
Teniers,de Rembrant, deMichel-Ange,neTeftpas.
Une feene du Paftor Fido ou de VAminte , eft gra-,
cieufe; une feene de Moliere, eft plaifante ; une feene
de Corneille , eft fublimè. On trouve dans TAriofte,
dans le Taffe » dans le Télémaque, des peintures
gracieufes. On en voit peu dans Homere, fi ce n’eft:
P allégorie de la ceinture de Vénus. ( M. M A R MONT
E L.')
t GRACIEUSEMENT, ( Mufiq. ) Cet adverbe, qyï
répond au graciofo des Italiens, mis à la tête d’une
pièce de mufique marque un mouvement modéré,
tirant fur le lent, à-peu-près comme Mandante, mais
avec douceur, reftant toujours dans une efpece de
demi - jeu , à moins que le compofiteur n’indique le
contraire ; il faut fur-tout éviter les coups d’archet,
ou de langue fecs. ( F. D . C. )
* § GRAEEN , ( Géogr. ) ville de PIndouftan, au
royaume de Vifapour, fur la riviere de Corfena qui
eft la même que celle de Gôulour, qui tombe dans la
mer à Mflfidipatan, entre la ville de Vifapour & le
port
G R A
pôrt de Dabul ,à cinq lieues de Mirdfy. Dici. Géogr.'
de la Martiniere. Cette ville eft appellée Grajftn dans
le Dicl. raif. des Sciences, &c. & la riviere Coutour.
Çe font deux fautes typographiques.
GRÆFENTHAL, { Géogr. ) ville d’AÎlemagnê,
dans la haute Saxe, & dans la portion de la principauté
d’Altenbourg, qui appartient à la maifon de Saxe-
Cobourg-Saalfeld: cette ville eft petite, & fituée
dans une vallée profonde ; mais la riviere de Zepten
qui la b.aigne , 6c les hautes forêts qui l’entourent,
ayant fait établir chez elle des verreries & des forges,
elle n’eft rien moins qu’un lieu pauvre & méprifable ;
déjal’an i6 z i elle fut rendue au prince d’Altenbourg,
par les comtes de Pappenheim qui la poffédoient depuis
deux fiecles, pour la fomme de 103 mille florins*
( w - t -
. § GRAISSE, ( Ècon. animale-, Médec. ) L ’auteur
de cet article a cru que la graijfe dans fon analyfe ne
fournit point d’acide; il a rejetté les raifons que M.
Cartheufer avait données pour nous perfuader qu’il
y a de l’acide dans fa compofition.
La graiffe humaine, le fuif, la moëlle donnent au
feu une liqueur volatile empyreumatique &: acide,
la quantité en eft fort confidérable, une once n’en
donne guere moins d’une dragme. Cette liqueur fait
effervefcence avec les alkalis, elle teint en rouge le
fyrop de violette, elle donne des cryftaux avec l’al-
îcali volatil. L’huile céreufe qui s’élève après cette
liqueur décompolëe par le feu , donne auffi une eau
acide & une liqueur de la même efpece. La première
huile liquide de la graifjé humaine Apurait encore de
l ’acide, & l’on a évalué la proportion de l’acide à la
graijfe entieré comme 1 à 67.
Une autre corre&ion à faire, c’eft l’idée que la
graijfe n’eft féparée du fang que par l’extrémité de
l’artere, qui va fe changer en veine. Cela ne répond
pas à l’expérience qui fe fait en injeâant de la graijfe '
fondue dans Tartere, & fur - tout de la graijfe de porc.
L’injeûion n’en réuffit pas, parce que*lagraijfeinlme
à travers toute la longueur de Tartere, qui fe trouve
après Tinjedion comme enfermée dans un étui de
graijfe. Cette graijfe n’eft pas fortie par l’extrémité de
Tartere, car tout cet, étui eft coloré de cinabre; fi
la graiffe n’étoit épanchée que par l’extrémité de Tartere,
elle n’auroit jamais confervéfa couleur après
un long*trajet & le long de Tartere : elle auroit laiffé
lecinnabre autour de cette extrémité dans l’inftant
que la graijfe fe prend. D ’ailleurs la carotide, fur la- '
quelle cette expérience a été faite, a fes extrémités à
la tê te , au cerveau ; jamais la graiffe féparée dans
cette extrémité n’auroit formé cet étui que j’y ai vu.
Il eft donc avéré que toute la longueur de Tartere a
laifle paffer la graijfe ; il eft clair encore qu’il n’y a
point de conduits graiffeux, qui ne fauroient avoir
d’autre origine que l’extrémité de Tartere.
Qtie la graijje foit la matière dont fe forment les
globules du fang, c’eft une conjecture appuyée fur
la nature inflammable de ces globules, qui ne fe retrouve
pas dans aucune des liqueurs animales, à la
graiffe près.
Après ces remarques il fera bon d’ajouter à l’hif-
toire de la graiffe plufieurs faits utiles.
Ce n’eft pas une liqueur primordiale de l’animal.
L’embryon n’en a point; on n’en voit que vers la fin
de l’incubation dans le poulet. Dans lé foetus quadrupède
; Téfpace que la cellulofité occupe entre la peau
& les os,,'n’eft qu’une gelée dans les commencemens
de 1 animal. Peu-à-peu les mufcles s’en féparent &
s affermiffent, mais le tifîu cellulaire avec la graijfe
conlerve le port d’une glu, l’épiploon lui-même eft
traniparent encore. Ce n’eft alors dans les parties du
corps les plus chargées de graijje, qu’une cellulofité
prelque îiyvifible, remplie d’une glu un peu vifqueufe ;
une lymphe femblable remplit la cavité de.s os.
Tome III,
G R A î49
Ce n’efl que bien tard que de petits grains da
graiffe .commencent d’accompagner les troncs des
vaitteaux. Ils ne fe fuivent pas deiloinàloin, mais ils
fe rapprochent dans la fuite, & des lignes graiffeufes
fuivent tout le tronc des arteres. Cette graiffe m’a
toujours paru plus grumelée & moins gliflante dans
le rçerus., que dans l’adulte.
Le foetus parvenu à fa maturitéeefl fàrt vtai. Dé
gros pelotons de graiffe rempliffent les vuides des
mufcles & s’accumulent fous la peau. C’eft elle qui
arrondit les membres des enfans, & qui les rend pos
télés. Il s’en forme alors dans tous les intervalles des
. mufcles ; il y en a mêmé entre les paquets de fibres,
dont le mufcle total eft compofé; il y : en a autour
des vaiffeaux ; elle remplit. Porbite, les creux de la
joue, les.vuideslaiffésau jafret entre lés mufcles &
les vaiffeaux, le contour des reins, lès environs de
la glande des mamelles. Il s’en trouve dans la moelle
des.os & dans lés cavités des articulations. 11 reft«
cependant .des parties du corps animal où il ne f^
forme jamais de graiffe: telles font les. cellulofttés
fines entre des membranes déliées, comme celles de
l’oe il, les cellulofités intérieures d.é l’eftoroac & des
inteftins, le cerveau. Il n’y en a que.très.“ peu au pénis,
64 très-peu ençore'danj les vifeerds. On en a
vu dans le poumon , mais dans un état de maladie.
Naturellement Xégraiffè eft fluide. Je i’ai vue dans
eèt état fur le coeur du chien. Elle eft toujours dans
cet état dans les poiffons cétacées, & dans l’intervalle
de la dure-mere & du cerveau dans les poiflons
en general.. Elle a plus de confiftance dans les cadavres
des animaux quadrupèdes carnivores, & plus
encore dans les quadrupèdes qui ruminent. C ’eft dans
cette claffe qu’on l’appelle fuif. Elle s’y laiffe tailler
& prend la figure que l’on veut. Elle eft la plus dure
dans les animaux qui boivent peu, comme le mouton,
la ehevre & le cerf. J’en ai vu dans l’ efpece humaine
autour des reins, qui étoit aufiï dure qué dans
le boeuf; je l’ai vuè plus dure même, & toute femblable
à de petites pierres lenticulaires fous la peau
du genou & du tibia.
Le defféchement fuffit pour donner à la graijfe humaine
la confiftance du fuif. Ruyfch l’a trouvée dans
cet état dans des tombeaux.
La graijfe étant fluide dans l’animal vivant, peut
être repompée tout comme elle peut être amoncelée.
Elle s’augmente jufques à mettre la vie en danger *
par le défaut d’exercice, la bonne chere & la tranquillité.
La graijfe des alimens, la farine, la viande
augmentent l’embonpoint ; le défaut d’exercice le
rend enorme. Dans les animaux, c’eft le moyen le
plus fûr pour leur donner un état de gratjjc qui les
fait rechercher. On rétrécit leurs demeures, on leur
donne des alimens farineux, on leur procure même
le fommeil par le moyen de l’ivraie. Les hommes
prennent par les mêmes caufes un embonpoint, qui
en renvoyant au cerveau le fang comprimé par l’excès
de gra/j/e, caufe des maux de têteinllipportablcs ,
des aflbupiflèmens & des apoplexies. Les mufcles
même fe détruifent par la preffion de la graijfe, qui
répandue entre les paquets de fibres, les éloigne les
unes des autres , les efface même. La feule graijfe
accumulée dans la poitrine, a caufe la mort, en gênant
le mouvement du coeur & celui du diaphragme.
Elle rentre avec facilité dans le fang par l’augmentation
du mouvement du fang, par l’exercice excef-
fif, la fîevre, les peines de l’efprit & le défaut de
nourriture. On a vu la petite vérole ou quelque
fievre aiguë diminuer le poids d’une perfonne de
quarante & même de cent livres dans une vingtaine
de jours. Les animaux perdent jufqu’à la moelle de
leurs os par la fatigue d’un grand voyage. Les boeufs,
qui des provinces éloignées fontjnenés à Paris, n’en
I i '