Térence. Ce font des efpeces de farces, dort le jeu
eft affez plaifant; mais oîi il eft difficile de concevoir
aue des femmes qui fe piquent de quelque
pudeur, puiffent affifter. Perfonne n’a encore effayé
de fuivre pour modèle Moliere qui a fu faire une
école du bon-fens, d’un fpe&acle qui ne fervoit
avant lui qu’à dérégler les moeurs. Il eft vrai qu’on
a traduit quelques unes defes pièces; mais, ce font
des traductions littérales, qui repréfentant le ridicule
des François fur un théâtre étranger, ne fauroient
charmer le fpeCtateur, par des portraits dont il ne
connoît pas bien les originaux1. Tous les peuples
font vicieux & ridicules ; mais il ne le font pas de la
même maniéré. Quelles traductions d ailleurs! que
ceux qui favent les deux langues, en jugent. Pour
nous, nous n’en difons rien , de peur d’en dire trop.
Il faut avouer que la plupart des Hollandois ne
font pas affez prévenus, pour vouloir mettre leurs
meilleures comédies en parallèle avec celles de Molière.
Mais il n’en eft pas de même à l’égard du tragique
; & le feul Vondel leur paroît allez fort,
pour oppofer à Corneille & à Racine.
Nous renvoyons le leCteur à l’article Vondel, qui
fuit. Quand il l’aura lu, il fera en état d’apprécier
ce jugement des compatriotes de Vondel ; s’ils fe
contentoient de le comparer à Shaltefpeare, ils pour-
roient foutenir cette comparaifon par quelques-unes
des pièces du poëte Hollandois. Us y trouveroient
des bigarrures brillantes comme dans l’Anglois ; un
aflortiment bifarre de traits lublimes & de balles
trivialités; du noble, du poétique avec du bas & 1
de la profe rimée , du génie avec de la pédanterie ;
en un mot, de très-beaux morceaux de détail dans
des pièces fans réglés, fans plan & fans goût.
Les Hollandois, ont eu des critiques & des commentateurs
habiles; des jurilconlultes & des médecins
célébrés. Mais Erafme , Bayle , Grotius , Boer-
haave , Gaubius , n’ont point eu de fucceffeurs ; &
la Hollande aujourd’hui n’a prefqu’aucun caraftere
littéraire. Ce n’eft plus que de la France & de l’Angleterre
qu'elle tire l’efprit qu’elle vend cher aux
étrangers. Quand il eft rare à Paris & a Londres,
elle en manque abfolument : lès preffes fe repofeh;,
& le commerce du papier imprimé en fouffre. Un
auteur Anglois l’a comparée, à cet égard, avec allez
de jufteffe, à ces courtiers, qui, fans avoir décapitai
, trafiquent pour des fommes immenfes.
Jacques Cat\ , illuftre Hollandois, plus célébré
aujourd’hui par fes poéfies, que par les charges qu il
remplit avec honneur pour le fervice de fa patrie,
naquit à Browersharen en Zéelande , l’an 15 7 7 , fut
fucceffivement penfionnaire de la ville deDordrecht
& de celle de Middelbourg , grand penfionnaire de
Hollande & de Weft-Frife‘ , garde-du - fçeau des
états de Hollande, & ftadouder des fiefs. Grand ju-
rifconfulte , habile politique, excellent poëte, il
foutint ces trois caraÔeres avec une égale gloire.
L’amour du repos le porta à fe démettre de les emplois
pour ne plus converler qu’avec les mufes &
les favans. Cependant, il fut obligé de céder aux
inftances des états qui le follicitoient d’aller en am-
baffade en Angleterre , dans les conionéhires délicates
où la république fe trouvoit pendant le protectorat
de Cromwel. Mais au retour de cette ambaf-
fade , il lui fut permis de fe livrer tout entier à fon
goût pour la poéfie & la vie tranquille. Ce fut
alors, dans un âge déjà fort avancé , qu’il revit &
mit en ordre fes poéfies Hollandofes, auxquelles il
joignit beaucoup de nouvelles pièces , qui , pour
le bon goût, la pureté & le naturel de la diftion ,
& la délicateffe des penfées , font fort au-delïùs de
ce que la Hollande a produit dans ce genre. Ses vers
coulent avec aifance, & une mefure bien cadencée
c’eft ce qui le diftingue des autres poëtes HoUandois
\ qui , loin d’imiter fon ftyle fimpte , naturel,
& juftement mefuré, ont prefque tous donné dans
l’enflure, en recherchant l’élévation. Il a fur-tout excellé
dans les contes ou petites hiftoriettes. Il tiroit
fes fujets de la fable ou de Phiftoire : il mérite , à
certains égards, d’être comparé à notre la Fontaine :
il eft prefque auffi original, auffi coulant, auffi aifé,
aufli négligé, fe permettant fans fcrupule l’nfage des
chevilles pour la mefure du vers. Il intéreffe parla
maniéré dont il touche les paffions. Il eft auffi moral,
mais plus chafte que la Fontaine. La bible lui
a fourni auffi des fujets de moralité; mais on lui a
reproché d’avoir altéré, ou au moins défiguré par
des fixions poériques, des événemens confacrés
dans les livres faints. La derniere édition des poéfies
de, Catz eft de 1716; en deux vol. in-folio. On
auroit lieu de s’étonner , qu'au milieu des grandes
affaires politiques dont il fut chargé , il eût pu com-
poler tant d’ouvrages, fi, en les lifànt on ne fen-
toit, à leur maniéré facile, que c’étoit un délaffe-
ment, un jeu de fa mufe , & que ce poëte élégant
faiioit une piece de vers , comme un muficien joue
un air de violon.
Jujle Vondel, Ce poëte Hollandois naquit en
1587. Né & élevé dans la feéïe des Anabap-
tities, il la quitta pour embrafler la religion ca-
thoûque-romaine, dans laquelle il mourut en 1679,
âgé de 9 1 ans. Ses poéfies font imprimées en neuf
volumes i/2-40. & contiennent des tragédies , des
fatyres & des chantons , outre une traduction de~
Virgile en vers Hollandois , & un poëme en faveur
de l’oglife catholique-romaine, intitulé, les My f-
teres ou les fecrets de l'Autel.
Vondel avoit du génie; nous croyons même pouvoir
dire à-peu-près de lui, ce que M. delà Motte
dit d’Homere : dans quelque fiecle & dans quelque
pays qu’il eût vécu , il eût été un grand poëte. Si dès
là jeuneffe il avoit perfectionné fes talens par l’étude
, s’il avoit puifé le bon goût dans les fources
de L’antiquité , s’il avoir vécu dans un fiecle & dans
un pays où la poëfie eût été cultivée, il y a grande
apparence que fes ouvrages auroient égalé , ou fur-
pallë même, tout ce que les anciens & les modernes
ont fait de plus merveilleux. Mais, par malheur pour
Vondel, il monta fur le parnaffe Hollandais fans
guide & fans aucune étude préliminaire. Auffi les
premières productions de fa jeuneffe furent informes
, fans art & fans goût, quoique fon génie s’y
laiffâr entrevoir en quelques endroits. Il avoit déjà
près de trente ans, quand il commença à apprendre
le latin , voyant bien lui-même que la connoiffance
des langues lui manquoit, pour perfectionner fes
ouvrages, en profitant des lumières des anciens.
11 apprit peu de tems après la langue françoife, dont
il pouvoit alors tirer fort peu de fecours pour la
poéfie tragique. Plus de dix ans après, il fe fit en-
feigner la logique ; il fentit, félon toutes les apparences
, que fon raifonnement avoit befoin d’être
mieux dirigé. Mais malheureufement les logiques
qu’on avoit alors, étoient plus propres à gâter le
bon fens.qu’à le cultiver; elles n’apprenoient tout
au plus qu’à chicaner méthodiquement.
On ne fauroit fans injuftice refufer de grandes
louanges à Vondel, pour avoir travaillé avec tant
de courage à furmonter de fi grands obftacles dans
un âge allez avancé. Il auroit fait quelque chofe de
fupérieur à la nature humaine, s’il en étoit venu ab-
foîument à bout ; mais il n’eft plus tems d’enrichir
fon imagination par des connoiffances , & de la régler
par le raifonnement, lorfque le feu de l’imagination
commence déjà à s’éteindre en quelque forte.
De peur que les admirateurs outrés de Vondel
, ne nous reprochent de le juger avec prévention
, nous tâcherons de juftifier ce jugement par
l’exameq
l’examen de fes ouvrages même. Difons premièrement
ce que nous entendons par l’art poétique : nous
n’entendons pas feulement par ce terme la connoif-
fance de certaines réglés fouvent arbitraires, que
l’autorité des anciens ou l’âge a introduites, nous
voulons défigner par-là fur-tout, la force & la ju-
fteffe de raifonnement, par lesquelles un efprit
éclairé affervit l’impétuofité du génie poétique à
l’exaditude du bon fens. C’eft,à notre avis,contre
cet art que Vondel a fouvent péché dans fes tragédies
: le tragique étoit fon fort, & c’eft pour cela que
nous nous y bornerons. On fait que le fujet de la tragédie
doit toujours être une a&ion grande, intéref-
fante & vraifemblable , & que l’art de la mettre en
oeuvre confifte à y attacher un fpe&ateur, en agitant
fes paffions qu’il faut augmenter jufqu’à ce que
le dénouement vienne faifir le coeur dans fon plus
grand trouble.
On peut dire d’abord que le poëte dont nous parlons
n’a pas toujours choifi avec fageffe fes fujets,
qui font tirés pour la plupart des livres facrés. Si
l’auteur en a agi de la forte par un principe de dévotion
, cette dévotion paroît fort mal entendue. On
court aûx fpe&acles dans ledeffein de fe divertir, &
non pas pour y entendre prêcher ; & les difeours des
faints & des prophètes ne fortent pas de bonne
grâce de la bouche d’un comédien, qui fe fait diftin-
guer fort rarement par une piété exemplaire. Ajoutons
que les myfterés & les miracles de notre fainte
religion, qu’on regarde avec refpeâ dans l’écriture
fainté, font fur le théâtre hors de leur fituation naturelle
: les fpeftateurs eurent peut-être bien de la peine
à les confidérer là comme les objets d’une foi quiim-
pofe filence à nos lumières bornées. On n’ofera ne les
pas trouver vraifemblables, & ce que nous croyons
dans un fermon peut aifément trouver des incrédules
dans une tragédie, où le fujet doit plutôt être vraifemblable
que vrai. Enfin, mettre ces objets refpec-
tables fur la feene, c’eft reffemb^ler à cette troupe grof-
fiere de pèlerins qui introduifit la tragédie en France:
E t fotement [liée en f a Jîmplicitéj
Joua les Saints , la Vierge & D ie u , par piété.
Nous ne parlerons pas ici d’une piece intitulée la
Pâque ou la délivrance du peuple d'IJraél, OÙ Dieu eft
le principal perfonnage. Quoique cet ouvrage ait
mérité quelque louange à l’auteur, il en a reconnu
lui-même le foible. Difons quelque chofe d’une tragédie
approuvée plus univerfellement : elle a pour
titre, les Freres, & elle roule fur la maniéré dont le roi
David livra, par ordre de Dieu, les enfans de Saiil
aux Gabaonites , qui les pendirent. Eft-il néceffaire
de faire fentir qu’un pareil fujet n’eft rien moins que
propre à la feene ? Cette aftion choque trop les notions
communes pour n’offenfer pas les fpe&ateurs
qui, pour l’approuver, ont beloin de toute leur
vénération pour l’Être fouverain, dont les confeils
ne font pas à notre foible portée.
Voici quelque chofe de bien plus digne de remarque.
Eft-il croyable qu’avec du fens commun on
puiffe fonger à mettre lur le théâtre la rébellion des
mauvais anges & leur chûte, arrivée par. la paffion
que le diable conçut pour Eve ? C’eft pourtant fe
célébré Vondel qui a fait cette belle entreprife;, &
qui l’auroit exécutée fans les cris des théologiens,
qui rendirent inutile le ciel qu’on avoit déjà préparé
fur le théâtre d’Amfterdam. Perfonne n’ignore que les
livres facrés ne font qu’indiquer à peine le trifte état
de l’orgueil de ces efprits , & il ne faut pas faire de
grands efforts de raifonnemc :nt pour fentir combien il
y a de travers d’efprit & ide témérité à donner carrière,
àîfonimagination fur des fujets fi délicats, fi
obfcurs, 6c en même tems fidignes de refpeû. Cette
tragédie paroît parmi les oeuvres de Vondel fous le
Tome I I I ,
titre de Lucifer 1 nous ne favons pas fi c’eft avec la
permiffion de l’auteur qu’on l’a imprimée.
S’il ne choifit pas toujours fes fujets avec fageffe,'
nous ôfons avancer qu’il les met rarement bien en
oeuvre. On peut remarquer dans fes pièces une faute
confidérable qui fait languir l’a&ion : c’eft la longueur
des feenes, & des choeurs qu’il a mêlés aux
l'cenes à la maniéré dès anciens tragiques. Il eft évident
que la variété eft l’ame des fpeftacles, & que
plus les feenes font courtes , fréquentes & jouées
par différens afteurs, & plus elles caufent un plaifir
vif & animé. Vondel n’a pas trouvé bon pourtant
d’y avoir égard ; fouvent \tn aûe fort long ne contient
que deux feenes, & quelquefois qu’une feule;
& il n’eft pas rare de voir dans fes pièces un même
perfonnage qui récite trois ou quatre cens vers fans
interruption. Des récits de cette étendue fatiguent
& font fouhaiter auxfpeélateurs refroidis la fin d’une
telle déclamation.
Les choeurs qui, étant bien ménagés, pourroient
être fort propres à varier le fpe&acle * ne font pas
plus laconiques. Ils ne fervent fouvent qu’à répéter,
par un verbiage ennuyeux, ce qu’on a déjà fuffifam-
ment entendu par la bouche des afteurs.
Remarquons encore que les traductions que ce
poëte a faites de quelques pièces des anciens, font
trop littérales , & par conléquent trop contraires à
nos moeurs ; pour flatter agréablement notre, goût.
Il femble que bien traduire un poëte, e’e'ft le rendre
d’une telle maniéré , que la copie fafle fur nous
la même impreffion que l’original a fait fur ceux aux-
quelsil a été deftiné; ainfi, une verfion exafte, & une
bonne verfion, peuvent paffer pour des choies très-
différentes. Les maniérés limples des princes Grecs,
étant connues des anciens,ne pou voient leur déplaire
fur le théâtre ; mais chez nous, elles ne peuvent que
rebuter un fpe&ateur qui croit ne pas former l’idée
complette d’un monarque, s’il n’y comprend l’éclat
& la pompe : ce n’eft pas qu’il faille altérer le caractère
des grands hommes qu’on repréfente ;
Faire Brutus galant, & Caton damer et, ’
Non, il s’agit,feulement d’accommpder à notre
goût l’extérieur des héros anciens, afin de donner
par-là plus.de vrai-femblance à leur caraôere. Qu’on
peigne Eleélre animée d’une vengeance barbare
contre fa mere, mais qu’on ne la fafle pas caufer une
heure devant la porte, avec fa foeur , fans aucune
fuite digne de la fille d’Agamemnon, le roi des rois :
il, eft vrai que c’étoient des princeffes opprimées par
Clitemneftre, mais on auroit pu du moins leur donner
à chacune une fuivante & un appartement pour
fe quereller à leur aife. Il yalo.it mieux auffi changer
tin peu l’intrigue de Sophocle, que de faire furpren-
dre (Egy fthe lans garde, dans fon palais, par Orefte .,
qu’il prenoit pour un étranger.
_ Mais, examinons quelques-unes des pièces de
Yondel, un peu plus particuliérement : celle qui eft
intitulée Jérufalem détruite, n’en eft pas la moins
admirée. Qu’on ne croie pas que la ruine de la ville
fainte en foit le fujet : non, elle eft déjà prife au
commencement du premier aéle ; on n’y voit proprement
que des gafeonnades & de la dureté du côté
clés Romains ; & des lamentations de la part des Juifs,
fans que la piece roule fur quelque aftion déterminée.
Après un folilôque de Jofeph, un des perfonna-
ges, on voit paroître Titus & Librarius, nom affez
bizarre pour un capitaine Romain. Toute cette fécondé
feene ne .fert qu’à faire le panégyrique du
vainqueur de la Judée ; mais qu’on ne croie pas que
ce foit le centurion qui s’eri charge, c’eft Titus lui-
même qui prend le foin de s’élever jufqu’aux nues,
par les éloges les plus pompeux. On ne finit pas facilement
quand on s’étend fur fes propres louanges ;