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des troupes aufli nombreufes, ôc jamais viâoire ne
'fi.it plus décifive. Les Turcs perdirent à peine mille
hommes, ôc les chrétiens deux cens. Sobieski prit
l’étendard de Mahomet, Ôc entra le premier dans le
camp ennemi. Il y fit un butin fi immenfe, qu’en le
contemplant, il dit que le grand-vifir l’avoit fait fon
héritier. Dans une lettre à la reine fon époufe, il
s’exprime ainfi.: » Vous ne direz pas de moi ce que
» les femmes tartares difent à leurs maris, quand
» ils reviennent chez eux les mains vuides, vous
» n’êtes pas un homme, puifque vous revenez fans
» butin ». La Hongrie autrichienne reconquife, Gran
ou Strigonie, Bude, furent le fruit de cette viftoire.
Cependant, ce n’étoit pas allez d’avoir conquis la
Hongrie , il falloit encore la foumettre. Léopold y
entra non en vainqueur , mais en juge inexorable
, environné de fatellites ôc de bourreaux. Un
échafaud eft dreffé dans la place publique d’Epe-
ries, où , pendant neuf mois, on verfa le Lang des
feigneurs Hongrois qui avoient trempé dans la ré-
yolte. Ni rhiltoire ancienne, ni l’hiftoire moderne,
n’offrent aucun maffacre aufli long, aufli effrayant. Il
ÿ a eu des févérités égales, dit un moderne , mais
aucune n’a duré fi long-tems. L’humanité ne frémit
pas du nombre d’hommes qui périffent dans tant de
batailles , ils tombent les armes à la main, ils meurent
vengés : mais voir pendant neuf mois fes compatriotes
traînés juridiquement à une boucherie toujours
ouverte ; ce fpeftacle révoltoit la nature ; ÔC
èetté atrocité infpirera la plus grande horreur à tous
les fie cl es.
Tandis que Léopold fe livroit à ces cruelles exécutions
, fes généraux remportoient de nouvelles
viéloires, ÔC lui foumettoient l’EfcIavonie. Il tint
une affemblée des états en Hongrie, & propofa
d’unir à ce royaume toutes fes conquêtes fur les
Turcs, de leur confirmer leurs anciens droits , avec
le libre exercice de la religion proteftante, s’ils vou-
loient confentir i °. à la révocation de la loi portée par
André II, qui autorife la dépofition des rois qui,
enfreignent les privilèges ; z°. à rendre la couronne
héréditaire ; 3°. à recevoir dans toutes les places
fortes garnifon impériale. Ces propofitions , faites
dans un tems où la hache du bourreau étoit levée ,
ne pouvoient éprouver de grandes contradictions.
Elles furent agréées,& le prince Jofeph fut couronné
roi de Hongrie. Cependant Louis XIV cherchoit
continuellement des prétextes pour rompre avec
Léopold. Il en trouva un dans la coadjutorerie de
l’éleûorat de Cologne , que l’éleéteur Maximilien-
Henri vouloit procurer au cardinal de Furflenberg,
évêque de Strasbourg. Le roi très-chrétien favorifoit
ce cardinal. Ce fut une raifon pour que le pape , qui
ri’aimoit pas la cour de France,refufât fon bref. L’empereur
s’étant décidé en faveur du pape, Louis XIV
lui déclara la guerre. Les prétentions de la ducheffe
d’Orléans fur le Palatinat, ôc l’ambition du ro i, en
furent les vrais motifs. Les armes françoifes eurent
d’abord les plus brillans fuccès : Philipsbourg, Man-
heim, Spire, Worms ôc Treves, furent les moindres
Conquêtes. Le foldat avide du pillage ne fut rien ref-
peéter. Les tombeaux des empereurs furent ouverts
& pillés. Léopold agiffoit avec une extrême lenteur,
parce que les Turcs le tenoient toujours en échec.
Il fe fortifia par des alliances, & attira dans fon parti
les états-généraux, le duc de Savoie, le roi d’Efpa-
gne & les plus puiffans princes d’Allemagne. Le duc
de Savoie , menacé de la perte entière de fes états,
fe fépara de cette ligue : le roi d’Efpagne fuivit bientôt
cet exemple. L’empereur, obligé de foutenir
prefque feul tout le poids de cette guerre , fe hâta
de négocier le rétabliffement de la paix, qui lui fut
accordée à des conditions défavantageules, mais
moins dures qu'on ne les devoir attendre d’un prince
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ambitieux ôc triomphant. Les différends des Turcs
ôc de Léopold n’étoient point encore terminés ; ôc
c’eft à cette occafion que la politique blâme cet empereur.
Ilrejetta les propofitions pacifiques du fultan*
dans un tems où il devoit raffembler toutes fes forces
contre la France , qui jamais n’a voit paru fi formidable.
Il eft cependant vrai que les Ottomans le dédommagèrent
de fes .pertes contre les François. Ils
lui cédèrent toute la Hongrie (1699) en-deçà du
Sau, avec la Tranfilvanie ôc l’EfcIavonie. Philippe
de France, duc d’Anjou, appelle au trône d’Efpagne
par le teftament de Charles III, fut un nouveau fujet
de rupture entre Louis & Léopold. Celui-ci récla-
moit la couronne pour Charles - François- Jofeph ,
fon fécond fils. Il étoit déjà parvenu à écarter un
prince du fang de France du trône de Pologne , qui
avoit vaqué plufieurs années avant par la mort de
Pilluftre Jean Sobieski. Il fe ligua avec l’Angleterre
ôc la Hollande, ôc conclut avec ces deux puiffances
un traité connu dans l’hiftoire fous le nom de la triple
alliance. L’éleâeur de Brandebourg, féduit par le
titre de roi, Ôc le duc de Savoie par le Montferrat
ôc le Milanez que l’empereur lui donna, entrèrent
dans cette alliance. Cette guerre fut pouffée avec
une extrême chaleur des deux côtés, ôc fut balancée
par des fuccès réciproques : mais Léopold n’en put
voir la fin. Il mourut (1705) , peu de tems après
la fameufe journée de Benheim, fi funefte à la France
& à la Bavière. Il étoit dans la foixante-quatrieme
année de fon âge, la quarante-feptieme de fon régné
comme empereur , la quarante - cinquième comme
roi de Bohême , ôc la quarante-quatrieme comme
roi de Hongrie. Il étoit deftiné dans fon enfance pour
l’état eedéfiaftique ; mais fon goût changea dans la
fuite. Peu de rois ont eu une famille plus nombreufe.
Il eut quinze enfans, tant princes que princeffes.
Jofeph , qui fut empereur ; Marie-Elifabeth, gouvernante
des Pays-Bas ; Marie-Anne, reine de Portugal
, ôc Charles V I, furent les feuls qui lui fur-,
vécurent. Il avoit été marié trois fois ; la premieré
à Marguerite-Thérefe d’Efpagne, fille de Philippe
IV ; la fécondé à Claude-Félicité d’Autriche, ôc ia
troifieme à Eléonore-Madeleine-Thérefe , princeffe
Palatine de Neubourg. L’autorité impériale, méconnue
depuis long-tems en Italie , y reprit quelque
vigueur fous ce régné. Léçpold y mit plus d’une fois
à contribution prefque toutes les villes, excepté
celles qui étoient fous la domination de l’Efpagne.
Les états de Tofcane, de Venife en terre ferme , de
Gênes, du pape même, paierent plus de quatre
millions; ôc quand il difputa le trône d’Efpagne au
duc d’Anjou , il exerça l’autorité impériale, & prof
crivit le duc de Mantoue pour s’être déclaré fon
ennemi.
Léopold eut une politique abfolument contraire à
celle de Louis X IV , fon contemporain ôc fon,rival.
Celui-ci, plus fier, ou plutôt plus vain qu’ambitieux,
n’afpiroit à l’honneur de vaincre que pour fe produire
enfuite dans l’appareil d’un triomphateur ;
l’autre, plus modéré, plus fage, eût voulu cacher
fes fuccès pour en fixer la durée. Le roi déployoit
toute fa puiffance pour fe faire craindre ôc fe faire
admirer. L’empereur déroboit le fpeétacle de la
fienne pour l’augmenter, ôc regagner la confiance
que le defpotifme de Ferdinand avoit fait perdre à
fes defeendans : tout retentit encore du nom de
Louis XIV , ôc celui de Léopold eft à peine cité. Le
premier n’a cependant rien à reprocher à l’autre;
tous deux firent de grandes chofes & remportèrent
de grandes viéloires ; mais ils n’eurent que le mérite
de bien choifir leurs miniftres ôc leurs généraux. La
France triompha par les talens des Condé & des
Turenne ; l’Allemagne par ceux des Sobieski ôc des
Eugene : toutes deux éprouvèrent de grands revers
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quand elles furent privées de ces heureux génies t
l’un fut craint, mais haï ; l’autre fut à craindre , ôc
fut aimé. Enfin le fafte de Louis XIV Ôc la modération
de Léopold , rendirent à la maifon d Autriche
la fupériorité que lui avoit ote Richelieu, & exci-
ierent des regards d’inquiétude fur la maifon de
Bourbon, qui eût pu donner des chaînes à l’Europe,
fi le roi avoit eu la prudence de les cacher. (M-r.)
LÊOVIGILDE , roi des Vifigoths , (H ift . d’E fp .)
grand prince , habile général, légiflateur, mais en
même tems homme dur , perefévere , inflexible,
cruel ennemi formidable par la vengeance fan-
guinaire qu’il exerçoit fur les vaincus : ami fûr,
allié fidele, Léovigilde réunit les qualités les plus op-
pofées entr’elles. Il fe rendit célébré par fes vices
comme par fes vertus : il fe rendit illuftre aufli par
fes viéloires. On oublia fes cruautés; fon ambition,
fon avarice , ôc l’on ne fe fouvint que des fervices
effentiels qu’il avoit rendus à l’état. Par fa naiffance
comme par fes talens , Léovigilde étoit digne du
trône. Sa puiffance étoit déjà très - confidérable,
lorfqu’il époufa Théodoric, fille déSeverien , gouverneur
de Garthagene, Ôc que l’on croit avoir été
le fils de Theudis , roi des Goths. Cette alliance
accrut de beaucoup l’autorité de Léovigilde qui
avoit eu deux fils de ce mariage, Hermenigilde ôc
Recarede, lorfque fon frere Linva l’affocia , du con-
fentemént des grands , au trône des Vifigoths. Lors
de cet événement, Théodoric n’étoit plus, & Léovigilde
, dans la vue d’affermir fa puiffance & de
pouvoir plus facilement mettre fin aux faélions qui
déchiroiênt l’état, époufa Gofuinde, veuve d’Atha-
nagilde , prédéceffeur de Linva. Ce mariage ÔC l’activité
du roi des Vifigoths , diflipèrent les troubles
qui agitoient le royaume ; & dès qu’il vit le calme
rétabli, Léovigilde, toujours occupé de plans de
guerre ôc de projets de conquête, raffembla une
armée nombreufe , marcha contre les troupes de
l’empire , ÔC alla afliéger Médina-Sidonia. Les ha-
bitans de cette ville lui oppoferent la plus vigoureufe
défenfe : il s’en vengea d’tine maniéré bien cruelle ;
il corrompit l’un des habitans de la place, qui, pendant
la nuit, introduit dans la ville les foldats Vifigoths
, qui maffacrerent le peuple ÔC la garnifon.
Sa vengeance affouvie, Léovigilde alla mettie le fiege
devant Cordoue , qu’il réduifit, malgré les efforts
Ôc le courage des défenfeurs de cette ville. Il fe rendit
maître enfuite de toutes les fortereffes du pays,
qui furent foumifes, moins par la force de fes armes,
que par la terreur qu’infpiroit fa févérité. La mort
de Linva , fon frere , le laiffant feul poffeffeur du
trôné , il profita de la foumiflion du peuple ôc des
grands à fes volontés , pour aflùrer dans fa famille
la couronne qui, jufqu’alors, avoit été éleftive ; ôc
leur fàifant fentir combien il leur feroit avantageux
de lui afîbcier fes deux fils , ôc de les déclarer héritiers
du feeptre , il parvint à faire reconnoître Her-
menigilde Ôc Recarede pour princes des Goths , ôc
, fes fucceffeurs. Cette grande affaire terminée au gré
de fes efpérances, il porta fes armes dans la Bifcaye
ôc les contrées voifinès, qu’il conquit , malgré
le caraôere belliqueux Ôc indépendant des peuples
qui les occupoient. Mir, roi des Sueves, avoit fe-
couru fes voifins contre les Vifigoths, ôc c’étoit
contre lui que Léovigilde alloit tourner fes armes,
lorfque Mir, par fes foumiflions, détourna, du moins
pour quelque tems, l’orage qui le menaçoit. Léovigilde
, ne croy ant point avoir encore affez reculé les
frontières de fon royaume , pourfuivit le cours de
fes conquêtes jufqu’au royaume de Murcie. Rien ne
lui réfifta, les peuples fe fournirent, ôc il rentra
dans fes états couvert de gloire, fouverain de beaucoup,
de nouvelles provinces ; ôc n’ayant plus d’expédition
à faire qui pût ajouter à l’éclat de fa célé-
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brité. Peu de tems après fon arrivée, il demanda en
mariage , pour Hermenigilde fon fils , Irgonde, fille,
de la célébré Brunehaut, ôc petite-fille de Gofuinde.
Cette union caufa la plus grande fatisfaélion aux Vifigoths
, ôc les deux nouveaux époux allèrent tenir
leur cour à Séville» Mais la joie publique fut de
courte duree, ÔC la concorde qui régnoit dans la
famille royale fe changea en une bien funefte aver-
fion. Inftruit Ôc perfuadé par Ingonde , Hermenigilde
embrafla le catholicifme. Le roi Léovigilde, attaché
jufqu’au fanatifme à la fede arienne, indigné de
cette converfion, prit les armes Ôc déclara la guerre
à fon fils, qui, vivement preffé, ôc hors d’état de
refifter à un tel ennemi, fe détermina, par les confiais
de fon frere Recarede, à venir fe foumettre.
Léovigilde le traita en vainqueur irrité, le fit dépouiller
de fes vêtemens royaux, ôc l’envoya pri-
lonnier à Tolede. Le roi des Vifigoths crut par cette
rigueur ramener fon fils à l’arianifme : il fe trompa ;
le jeune prince perfévera conftamment dans la foi ;
& Léovigilde, attribuant fon inébranlable confiance
aux catholiques , 'fit tomber fa colere fur eux , & fa
fureur s’étant enflammée en proportion de la perfé-
verance de fon fils ,'il alluma contre les catholiques
une perfécution atroce & générale. Pendant qu’il
s’occupoit du barbare foin de répandre lë fang des
fedateurs du catholicifme, les Vafcons, qui habi-
toient alors les territoires de Guipu’fcoa , de la Navarre
Ôc de Sacca, fe fouleverent, ôc tentèrent de
fe rendre indépendans: leurs efforts furent inutiles ;
Léovigilde réprima leur révolte, les réduifit ; Ôc, en
mémoire de fes fuccès , bâtit dans l’Alava une ville,
à laquelle il donna le nom de Victoria. Mais la dureté
du joug qu’il voulut impofer aux Vafcons, lui fut
infiniment plus nuifible qu’à eux; ils quittèrent léuf
patrie, ôc paffant en foule les Pyrénées, ils allèrent
s’emparer de cette partie de l’Aquitaine , qui, depuis
cette époque, a retenu le nom de Gafcogne. Cependant
Hermenigilde étoit toujours étroitement
refferré : mais il trompa la vigilance de fes gardes,
prit les armes ; ôc comptant fur le fecours d e Mir,
roi des Sueves, crut pouvoir échapper au courroux
de fon pere : Ion elpérance fut trompée ; Léovigilde
fe hâta de marcher , à la fête d’une formidable armée
, vers les murs de Séville. Il empêcha le roi des
Sueves d’envoyer les fecours qu’il avoit promis , &
le contraignit même de lui fournir des troupes contre
le prince qu’il s’étoit engagé de défendre comme
allié. Le fiege de Séville fut long ôc meurtrier : la
famine fe fit lentir dans cette ville inveftie de toutes
parts ; les habitans en firent fortir tous ceux qui, par
leur lexe ou par leur âge , ne pouvoient concourir
à la défenfe commune, ôc l’inflexible Léovigilde eut
la barbarie de les faire paffer tous au fil de l’épée.
La ville étoit réduite à la derniere extrémité ; Hermenigilde
en fortit, ÔC fe retira précipitamment à
Cordoue; mais bientôt il y fut affïégé par l’implacable
roi des Vifigoths , qui emporta la place , prit
fon fils, le fit charger de chaînes & transférer à Séville,
d’où bientôt il le fit conduire à Tarragone.
Avant fon malheur, Hermenigilde avoit demandé
des fecours à l’empereur grec , qui envoya ordre à
fon lieutenant en Efpagne , d’attaquer les Vifigoths.
Dès les premières hoftilités de ce puiffant allié , Léovigilde
fit conduire fecrétement fon fils à Séville, ôc,
après l’avoir tenu quelques jours enfermé dans une
prifon, il lui envoya un évêque arien pour tâcher de
lui faire abjurer le catholicifme. Hermenigilde re-
fufa ; ôc fon pere , infenfible au cri de la nature , le
fit mourir cruellement. Ses mains parricides , encore
teintes du fang de fon fils, le roi des Vifigoths porta
fes armes contre les Sueves , ôc conquit ce royaume,
qu’il réunit au fien. L’Europe étoit indignée de fa
barbarie; mais lés; roi£ les plus puiffans redoutoient