n’étant plus, pour ainfi dire, que le motif de fes méditations,
elle concourt avec l’artifte& achevé le tableau
que celui-ci n'a fait que commencer. Voilà pour-
■ quoi les réticences font toujours néceffaires dans les
grandes compofitions. Gardez-vous de me montrer
dans une coupole les deux ouverts & la gloire du
paradis: mais.fi la vierge s’élève vers le firmament
pour être reçue dans le fein même de la divinité; qu’un
rayon de lumière, qu’unfeul paffage ouvert me laifle
entrevoir le féjour éclatant qu’elle doit habiter ; alors
ma penfée 'n’eft plus circonlcrite par l’artifte; je l’étends
je l’exagere à mon gré, & elle eft d’autant plus
grande , qu’elle éft plus vague & plus indéterminée.
Il femble que cet art admirable , de montrer &
de cacher , de réveiller l’imagination, 6c de la laifler
aller après l’avoir excitée, n’ait été bien connu
que dans les beaux âges de la poëlie & de la peinture
; 6c fi l’on doute que ce loit un même efprit qui
régné danS tous lés arts, qu’on obferve d’un côté
avec quelle exa&itude, quel fcrupule Ruysdael, Paul
Bril ,6c Rubens lui-même, repréfentoient tous les
objets qu’ils avoient fous les yeux, les plaines de la
Flandre, le ciel de la Flandre, les arbres de la Flandre,
&c. 6c de l’autre de quels détails minutieux la
plupart des étrangers, depuis Tompfon jufqu’à
Gefner, ont embarraffé la poéfie defcriptive. Ce
n’étoit pas ainfi qu’Homere , Virgile, l’Ariofte, Sal-
vator Rofe, Claude Lorrain , Gafpar 6c Nicolas
Pouflin , repréfentoient la nature. Ces grands poètes
abôn'doient en images riches & fublimes , mais
ne defcendoient pas à des détails topographiques ;
ces grands peintres favoient raffembler, choifir,
imaginer tout ce qui pouvoit produire un effet im-
pofant ; ils repréfentoient l’afpeél d’une forêt, &
ne faifoient pas le portrait d’un arbre. O u i, je ne
crains pas de l’avancer, Vidéal entre dans le payfage
comme dans les genres hiftoriques 6c allégoriques.
La nature, il eft vrai, a donné de grandes idées à Sal-
vatorRofe , à Gafpar Pouflin, à Vernet; mais nil’un
ni l’autre n’ont peint exactement ce qu’ils avoient vu.
Ce concours des ciels, des effets de lumières, cet
équilibre dans les maffes, cette dégradation dans
les plans , tout cela ne fe trouve qu’en partie dans
les fite.sde la nature; & fi l’on veut s’en convaincre,
qu’on compare les tableaux où M. Vernet a peint les
ports du royaume, avec ceux où il a fuivi ion imagination.
Il y a plus, Vidéal entre encore dans le choix des
ombres & des lumières.
Lorfque Lanfranco, 6c Michel-Ange de Carrava-
gio , voulant s’élever au-deflus de l’école des Carra-
ches, cherchèrent des routes jufqu’alors inconnues : ils
imaginèrent de nouvelles oppofitions d’ombres 6c de
lumières, qui font rigoureufement dans la nature ,
puifqu’elles font poflibles & qu’on peut les trouver;
mais qu’ils n’avoient jamais obfervées , & auxquelles
ils furent conduits par leur imagination. J’en j
dirai autant de Rimbrant, de Gherardo Delle-Notte,
6c de plufieurs autres qu’il eft inutile de nommer.
Il eft même tems de terminer cet article, où l’abondance
des matières 6c le peu deloifirque nous avons
eu pour l’écrire, ne nous a pas permis de nous renfermer
dans de juftes limites, ni de fuivre une marche
plus didaétique. Nous ne nous permettrons donc
plus que quelques réflexions fur l’état aéluel de la
peinture en France. Ces réflexions ne peuvent
offenfer notre école, qui eft certainement la plus
favantede l’Europe : c’eft même d’après une connoif-
fance particulière du mérite de la plupart de nos
profefleurs , que nous avons droit d’attendre d’elle
des progrès plus diftingués & plus rapides ; de forte
que, s’il eft vrai qu’elle foit reftée dans une efpece
de langueur 6c d’inertie, c’eft bien moins aux artiftes
qu’au goût général qu’il faut en imputer la caufe.
Avôuons-le , tous les peuples du Nord, parmi
lefquels je compterai les Anglois , les François, les
Hollandois 6c les Allemands , font peu fenfibles aux
charmes des beaux arts. S’ils cultivent la Peinture ,
la Sculpture, c’eft plutôt par magnificence ou par
défoeuvrement que par un inflinét particulier. Or
cette influence du climat, quoique toujours la même
, produit des effets fi différens les uns des autres;
qu’on ne pourroit, fans le fecours de la réflexion,
les attribuer à une même caufe;
Lorfque la nature du climat, celle du fol, des ali—
mens, tendent à rendre les peuples aflez phlegmati-
ques pour qu’ils foient très-patiens, tous les arts
qui exigent de l’adrefle, de la confiance & de l’afli-
duité, peuvent être portés à un grand dégré de perfection.
C’eft ainfi que les Mieris , les Netcher, les
Gérard Dow , ont excellé dans l’art de l’imitation :
c’eft ainfi*qu’en Angleterre les ouvrages d’acier, les
inftrumens de mathématiques, de mufique, 6 c. font
mieux faits que par-tout ailleurs; Le climat eft-il uti
peu plus doux , l’air plus pur, les alimens plus forts;
plus fubftantiels, il arrive alors que les hommes,
ayant des organes plus mobiles que délicats, ont
trop de vivacité pour les ouvrages de patience , fans
avoir encore aflez de fenfibilité pour les ouvrages
d’imagination. Chez un pareil peuple on a plus d’ef-
prit que de talens ; plus de jugement que d’enthou-
fiafme. Il fe trouvera, à la vérité, quelques hommes;
quelques claffes d’hommes même, qui, formés par
la connoiflance de tous les modèles , & excités par
une émulation particulière, s’élèveront au-deflus
de leur nation, 6c obtiendront la palmediigénie;
mais ces difpofitions feront particulières 6c individuelles
, 6c ne feront jamais répandues dans le plus
grand nombre, dans ce qu’on appelle le public. Maintenant
approchez de l’équateur; tranfportez-vousdans
ces pays où le ciel eft toujours ferein , & la terré
toujours brûlante ; où le fue des végétaux, où l’influence
de l’atmofphere donnent une grande aélivité
aux organes , tandis que l’extrême chaleur femblé
interdire le mouvement ; vous reconnoîtrez bientôt
qu’une force centrale, une efpece de réaction fur
l’organe intérieur, donne à prefque tous les individus*
6c une imagination très-vive pour produire la penfée
, & une force très-énergique pour la fixer & la
méditer* G’eft donclà que les grands concepts feront
fréquens ; c’eft-là que la fenfibilité fera répandue dans
le peuple ; c’eft-là qu’il y aura de grandes vertus, fi
le gouvernement eft auftere& guerrier ; 6c de grands
talens, fi le gouvernement eft faftueux 6c paifible ;
c’eft-là qu’on accordera une eftime lentie aux Régu*
lus 6c aux Raphaëls ; qu’on applaudira avec tranf-
port aux triomphes de Marcellus, ou aux opéras de
Sachini. Il femble que le Midi préfente, à des yeux
obfervateurs , l’image d’un feu qu’on n’eft pas encore
parvenu à éteindre ; 6c le Nord , celle d’un feu qu’on
n’a pas encore achevé d’allumer. O r , fi le peuplé
François n’eft pas fenfible aux vraies beautés de la
Peinture, comment peut-il efpérer d’avoir de grands
peintres ? Comparez les honneurs que l’Italie a fendus
aux Cimabué , aux Giotio, avec ceux qu’ont
obtenu parmi nous les reftàurateurs de la Peinture*
Eh quels font les citoyens de Paris qui fa vent diftin-
guer un original antique d’avec les ftatues qu’ils'
voient tous les jours aux Tuileries ? Si l’on expofe
aux yeux du public les ouvrages qui fortent de l’académie,
qu’en réfulte-t-il pour la Peinture ? Du dé*
couragement plutôt que de l’émulation. Lorfque
vous vous mêlez à cette foule , dont on peut biert
dire: oculos habent & non videbunt, qu’entendez-
vous louer ou critiquer ? L’expreflion , i’expreffion
feulement. Qu’un peintre ait exécuté quelques-uns
decesfujets qu’on appelle ici de grandes machines,
6c que fe conformant au goût p u b lic , il ait fa it , au
lieu d’un tableau d’hiftoire, une fcene de théâtre ;
avec quelle attention on examinera les attitudes , les
geftes, les phyfionomies ; fans que perfonne s’avife
d’obferver fi la couleur eft fraîche & vraie, fi le trait
eft pur 6c hardi, fi la compofition eft grande & fim-
ple , fi les têtes ont-de la nobleffe 6c de la beauté,
&c. A côté de cette larve fe trouvera peut-être un
fujet moins ambitieux ; où les formés feront belles
& élégantes, où la couleur paroîtra foignée, où l’effet
total fera doux 6c harmonieux ; mais on ne le regardera
pas, ou fi l’on veut bien s’y arrêter un moment
, on fe détournera bientôt, en difant : c’efltrop
froid, trop droit, trop monotone. Je fuis perfuadé que
fi on pouvoit aflez rajeunir un tableau de Raphaël,
ou du Dominiquin, pour qu’il parut fortir de la palette
, il feroit méprifé de nos connoiffeurs. Pourquoi
ces gens d’efprit qui viennent juger les arts ,
ont-ils quitté leur bureau ou leur bibliothèque ? Pourquoi
l’heure n’eft-elle pas encore venue de courir
au théâtre applaudir à des mouvemens forcés,
des tons emphatiques, & des expreflions exagérées ?
La place refteroit libre & ne feroit plus occupée
que par un petit nombre d’amateurs , qui après s’être
difperfés un moment, fe réuniroient bientôt pour
parler entr’eux des falles du Vatican & de la galerie
Farnefe.... Que s’il arrive des momens heureux;fi
le même zele éclairé qui a fauvé des injures du tems
les chefs-d’oeuvre de.le Sueur, veut encore qu’ils
foient égalés de nos jours, qu’on fe garde bien alors
de demander aux jeunes gens de grandes compofitions
, avant qu’ils aient bien étudié la nature 6c les
antiques';, qu’on fe rappelle combien d’études les
Michel - Ange , les Carraches , les Lanfrancs , ont
defîinées, avant que d’entreprendre ce qu’on appelle
de grandes machines ; -qu’on fe contente d’abord
d’une compofition d’une feule figure, ou de deux
ou trois au plus, où l’on exigera l’exaCtitude du
tra it, la grâce des contours, le choix des proportions,
laibeauté enfin, la beauté idéale , 6c qu’on éleve
.ainfi l’art par dégrés jufqu’aux plus fublimes entre-
prifes ; que les palais de nos rois foient ornés de ces
grandes; compofitions , mais qu’elles ne foient pas
commandées ou confiées à telles ou telles perfonnes;
qu’elles foient-livrées au concours 6c jugées par la
partie éclairée du public j avant d’être placées dans
ces afylesrefpeélables, où elles doivent attefter la
honte ou.la gloire de la nation.' ( Cet' article ejl de
M . le Chevalier DE Ch A T EL LUX . )
IDOUTHOS., ( Mufiq. injlrJ des ànc. ) efpece de
flûte des Grecs , au rapport de Pôllux. ( F. JD. C.)
J E
JE AN I I , furnommé A Bon, ( HiJV de France. )
Ge prince naquit en r 310, & parvint au trône de
•France après la mort ’ de Philippe dé VaU>&, en 13 50;
La France, étoit épuifée d’hamm'es: & d’argent; les
fold^ts étoient découragés par tous lés échecs que les
armes frànçoifes'avoieftt reçus; Edouard III , fier de
fes fuccès, pirenoit le titre deroidè France: telle étoit
3a triftefituation de l’état , lôrfqUe Véan fut appelle
au gouverne’ment. Il crut dèvoir effrayer les traîtres
par un exempte terrible. Raoul, comte d’Eu ; accufé
avec-fureur, condamné avecdégérèié ,"porta fa tête
fur l’échaffaud : 1 toute là France en murmürà. Jean ;
pour: s’attacher les fèigneürs y & perpétuer entr’eüx
une concorde parfaite,inftituà l’ordre de l’étoile.Cette
marque de diftînâiôn céfla d’en être, une dès qu’elle
devint vulgaire , & la noblefle l’abandonna au guet.
Gharles-le-mauvais étoit'àlors'roi' de Navarre : le
caraâére atroce déee prince n’eft point encore aflez
peint par le fumom ©dieux qu’on lui donna ; cruel
par goût, comme des autres par neCeflké,1 il àvoit
pour ainfi dire dugénie pour créer des crimes nouveaux:
il avçit fait:aflafîiner le çonnétable Charles
de la Cerda. Le roi attira Charles à Rouen, 6c le fit
arrêter ; ce coup d’état ne fe fit pas fans effufion de
fang. Les partifans de Charles (car les tyrans en ont
quelquefois ) appelèrent à leur fecours le roi d’Angleterre.
Déjà l’Auvergne, le Limoufin , le Poitou,
font couverts de cendres & de ruines : Jean raflemble
fon armée , court fus aux Anglois 6c les joint à Mau-
pertuis près de Poitiers. Le prince de Galles , fils
d’Edouard, craint d’être enveloppé ; il demande la
; paix, il offre la reftitution de tout ce qu’il a conquis.
Jean eft inflexible , il veut venger tous les affronts
que la France a reçus depuis tant d’années : la bataille
fe donne le 19 feptembre 1356. « Amis, dit-il aux
» feigneurs de fa fuite, lorfque yous êtes tranquilles
» à Paris, vous appeliez les Anglois, les voilà ceâ
» ennemis que vous avez défiés ; faites voir qüe vos'
» menaces ne font point de vaines bravades»'. Sa
valeur impatiente caufa la perte de la bataille ; l’envie
de fe précipiter dans les plus grands périls, l’empêcha
de voir ce qui fe pafloit loin de lui ; il n’y eut
nul ordre dans les attaques, nul enfemble dans les
mouvemens : le roi long-tems défendu par fa propre
bravoure, par celle de fes gardes 6c par Philippe fon
jeune fils, fut contraint de rendre les armes. Le
prince de Galles le traita avec tous les égards qu’il
devoit à fon rang, fur-tout à fon courage ; on le con-
duifit à Bordeaux, 6c de-là on le fit pafler à Londres.
Pendant fa captivité, la régence fut confiée au jeune
Charles, dauphin, qui dès-lors commgnç'oit à mériter
le furnom de fage, qu’on lui donna depuis. Ce
prince, fécondé par Duguefclin, empêcha du moins
la chute entière de l’état, s’il ne le rétablit pas dans
toute fa fplendèur. Charles-le-mauvais échappé de
fa prifon, employoit pour perdre la France, la rufe
& la perfidie , les feules armes qu’il connut. Uri
. Ample bourgeois fauva Paris de fa fureur ; Edouard
s’avança jufqu’aux portes de cette capitale, pillant,
brûlant, faccageant : c’eft-ainfl qu’il cherchoît à mériter
l’affeélion ■ d’un peuple fur lequel il vôuloit
régner. Enfin, le fatal traité de Bretigny rendit la
liberté à Jean I I , en 1360. Il renonçoit à toute efpece
de foùverainetë fur la Guienne 6c fur les plus
belles provinces de France : à peine revenu à Paris,
on voulut l’empêcher de remplir ces conditions oné-
reufes. « Si la juftioe 6c la bonne-foi, rép'ondit-il,
» étoient bannies du refte du monde, elles devroient
» fe retrou ver encore dans le coeur 6c dans la bouche
» des rois ». ;
Toutes les provinces qui dévoient pafler fous la
domination angloife , s’oppoférent à l’exécution du
traité; quelques-upes même menacèrent de fe révolter,
fl on vouloit les liyrer à Edôüard, 6c de
défobéir àu roi pour lui être fidèllesA'Cëpe’ndant
Edouard fut mis en poflefîion de fes conquêtes ; mais
fes ambafladeurs manquèrent au rendez-vous où l’on
devoit leur remettre les renonciations authentiques
de Jean; Ce prince permit, en 1360, aux Juifs de
fixer leur féjoiir dans le royaume pendant vingt ans^
La mort de Philippe deRoüVré, duc de Bourgogne ^
lui laiffa ce duché dont il étoit héritier ; il le .donna
à Philippe fon quatrième fils, comme appanage ré-
verfible à la dourorine au défaut d’enfans mâles. Le
duché de Normandie, les comtés de Champagne 6c
de ToûlouTe furent aufli réunis à la couronne. Cependant
le duc d’Anjou qui étoitrefté à Londres en
otage, s’échappe 6c reparoît à là'Cour. Jean eft in;
digné de fà démarche ; fur le champ il prend la réfô-
lution d’aller à la place de fon fils reprendre fes fers
à Londres : en vain toute la cour s’oppofe à ce dëf-
fein. NouveauRégùlus ,il ferme l’oreille aux prières
de fes pàrens , de fes amis, de fes nijets : il part, ar^
rive à Londres, 6c y meurt le 10 avril 1364. Jean
n’eut pas aflez de talens pour rétablir la France dans
j la fltuation horrible où elle fe trouvoir : il en auroit