éclairé, plein de valeur, & recherché de tous par
les agrémens de fa focieté, fon delintereffement &c
(e s aimables qualités. Ataïde, moins brillant, avoit
toutes les connoiffances & toute la capacité d’un
excellent miniftre , d’un ghmd homme d’état. Le
choix du nouveau roi ne pouvoit être, ni plus prudent,
ni plus heureux. La reine Léonpre, belle—
mere de J e a n , avoit apporté à Ton époux une dot
immenfe, & le roi Emmanuel lui avoit affigné un-
douaire encore plus riche. Le paiement de ce douaire
n’étoit pas facile à faire, il abforboit une partie
des tréfors du fouverain. Le duc de Bragance con-
feilla à Je a n I I I d’époufer fa belle-mere , afin d’être
par-làdifpenfé de lui payer fon douaire; cet expédient,
auffi fingulier qu’indécent, trouva beaucoup
d’approbateurs 1 qui prefferent vivement le roi
d’époufer fa belle-mere, & il parut difpofé à prendre
ce parti ; mais le comte Vimiofo lui fit à ce fujet
de fi fortes repréfentations, & la ville de Lisbonne
de fi vives remontrances, qu’il renonça tout-à-fait
à cette union vraiment inceftueufe, paya le douaire
de la reine Léonore, & confentit a fon retour en
Caftille, auprès de l’empereur Charles-Quint, fon
frere, où elle fut accompagnée par Louis de Silveira
qui y refia huit mois en qualité d’ambaffadeur, &
qui à fon retour penfa tomber dans la difgrace de
fon maître, par l’oubli d’une cérémonie que Je an
regarda comme un manquement de refpeét. Il exif-
toit un ancien démêlé entre les cours de Caftille &
de Portugal, au fujet des îles Moluques, furlef-
quelles les deux nations prétendoient avoir également
des droits. Charlps-Quint, peu délicat fur les
moyens de pofféder & d’acquérir, fit équipper une
puiffante flotte pour les Indes, fans égard aux pro-
teftations ni aux prétentions des Portugais : ceux-ci
ne pouvoient point alors lutter contre les forces de
Charles-Quint ; Je a n fentit l’embarras de cette fitua-
tion, & s’en tira en politique confommé ; il falloit
l’être pour arrêter l’exécution des projets formés
par Charles-Quint. Il feignit d’ignorer le plan de
cette expédition, & envoya des ambafladeurs à la
cour de Caftille pour y traiter de fon mariage avec
l’infante dona Catherine, foeur de l’empereur. Ce
fouverain avoit alors une guerre très-vive à foute-
nir en Italie, & il avoit des dépenfes énormes à
faire : les mêmes ambafladeurs lui offrirent de la part
du roi de Portugal une fomme confidérable , à
condition que jufqu’au rembourfement de cette
fomme, l’affaire des îles Moluques refteroit fufpen-
due. Charles-Quint y confentit d’autant plus volontiers
, qu’il étoit très-embarraffé pour fournir aux
frais de la guerre ; il confentit au mariage de l’infante
, & ce mariage fut célébré à Crato avec la plus
grande magnificence. Le commerce des Portugais
aux Indes étoit fort étendu; mais pour le rendre
auffi floriffant qu’il pouvoit l’être , il y avoit quelques
obftacles à applanir, & quelques affaires à terminer
avec les princes Indiens : Je an I I I y envoya
le célébré Vafco de Gama, qui, malgré les infirmités
de fon âge avancé, fit ce voyage, régla tout à la
fatisfaâion des Portugais, & mourut peu de tems
après avoir rendu à fa nation cet important fervice.
Charles-Quint defirant de refferrer de plus en plus
l’union qu’il y avoit entre lui & Je an I I I , demanda
en mariage & obtint l’infante dona Ifabelle; & ce
fut pendant les fêtes de cette union, que l’empereur
David, qui occupoit le trône d’Abyffinie, & qui
s’étant rendu fi célébré fous le nom de Prêtre-Jean,
étoit connu alors fous celui de Grand-Negus, envoya
à la cour de Lisbonne un ambaffadeur qui, après
quelque tems de féjour, alla à Rome rendre, dit-
on, de la part de fon maître , l’obédience au pape.
Je an I I I n’étoit rien moins que fuperftitieux ou fanatique
; cependant fa piété mal entendue j occafionna
, contre fon intention, bien des maux à fes
peuples : fous prétexte de quelques excès feanda-
leux, commis par les Juifs, ou que peut-être on leur
attribua ,1e clergé affeétant les plus vives allarmes
pour la religion qui, pour fe foutenir & fe venger a
fi peu befoin du fecours impuiffant des hommes,
follicita vivement le roi d’introduire l’inquifition
dans fes états, lui promettant que ce tribunal feroit
un monument de piété qui attireroit perpétuellement
la bénédiâion du ciel fur la nation. Je a n I I I
eut la facilité de céder aux importunités des ecclé-
fiaftiques ; l’inexorable &C fanguinaire inquifition
fut introduite , & l’on fait quel genre de bénédiélion
les Portugais ont retiré de cet horrible tribunal. Des
projets plus importans occupoient Charles-Quint en
Efpagne, il y faifoit d’immenfes préparatifs , & ne
négligeôit rien pour s’affurer du fuccès de l’expédition
qu’il méditoit contre les Maures d’Afrique. Don
Louis, infant de Portugal, voulut fervir dans cette
guerre, s’embarqua, paffa la mer avec la flotte
Efpagnole, & fe diftingua dans cette expédition,
auffi brillante qu’inutile. Don Louis eût mieux fait
d’aller fervir plus utilement fa patrie dans l’Inde, où
les Portugais étoient menacés d’une ruine entière
par Soliman II, empereur des Turcs : ce violent
orage fe diflipa pourtant, & la valeur des troupes
Portugaises l’emporta fur le nombre & la fureur
indifeiplinée des Mahométans. La nouvelle de ces
fuccès remplit de joie la cour de Lisbonne ; mais
cette grande Satisfaction fut bien tempérée par les
malheurs qui fondirent fur la famille royale : le
prince don Philippe, âgé de fix ans, fils aîné de Je an ,
& l’héritier préfomptif de la couronne, mourut; ôc
le roi n’étoit pas encore confolé de cette perte ,
lorfqu’il fit celle de l’impératrice Ifabelle, fa foeur :
il regrettoit cette princeffe, quand il eut à pleurer
don Antoine, don Alphonfe, & don Edouard, fes
trois fils, qui moururent dans l’enfance, & tous trois
prefqu’en même tems : comme fi cette perte n’eut
point encore été affez accablante , il eut à foutenir
la plus noire & la plus imprévue des trahifons, de
la part de l’homme dont il fe défioit le moins, de
Michel de Sylva, évêque de Vifeu, frere du comte
de Pontalegre, & Secrétaire du cabinet. Sylva ambi-
tionnoit la pourpre Romaine, & il négocioit Secrètement
à Rome pour l’obtenir ; elle lui fut promife,
à condition qu’il révéleroit les fecrets de fon maître.
L’ambitieux &c perfide Sylva ne balança point, il
prit quelques papiers très-importans, alla à Rome ,
& les livra pour le chapeau de cardinal : indigné de
tant de noirceur, Je a n I I I déclara Sylva traître à
l’état ; il lui ôta tous fes bénéfices, le dégrada de
nobleffe , défendit à tous fes fujets d’avoir aucune
forte de correfpondance avec lui, fous peine d’encourir
fon indignation, & fit févérement renfermer
le comte de Pontalegre, pour avoir écrit à fon frere.
Je a n étoit le plus doux des hommes ; mais dans cette
circonftance , l’indulgence eût pu devenir funefte ;
& cet aéle de rigueur fit le plus grand effet parmi les
feigneurs de la cour. Le calme fuccéda à ces tems
orageux ; le roi de Portugal donna en mariage l’infante
dona Marie, fa fille, à don Philippe , fils de
l’empereur. Le commerce Portugais fleuriffoit dans
les Indes, & fes produits enrichiffoient le Portugal :
le peuple étoit heureux, le roi l’étoit lui-même ; il
fit les plus utiles réglemens pour maintenir, accroître
même cette profpérité; mais ne pouvant fuffire
à expédier toutes les affaires, comme il l’avoit fait
jufqu’alors, il en remit l’expédition à divers confeils ;
& cette méthode qu’il crut très-fage', perifa caüfer
la décadence du royaume. La méfintelligence & la
corruption fe glifferent dans fes confeils ; les affaires
ne s’y terminoient point, ou s’y expédioient trop
précipitamment & contre toutes les réglés de l’équité;
malheureufement pour la nation, le roi ne s’ap-
perçut que trop tard de ces abus ; & la découverte
qu’il en fit, le pénérra d’un tel chagrin qu’il en mourut.
Mais pendant que ces abus régnoient àfoninfçu
dans les confeils , perfuadé que la plus exaéle intégrité
y prélidoit, il ne s’occupoit que des plus
importantes affaires; il maria le .prince Jean, fon
fils , avec dona Jeanne, fille de l’empereur ; & dans
le même tems il envoya-, pour les former dans l’art
de la guerre, dans celui des négociations , & même
aux affaires du commerce , plufieurs jeunes gens
dans les Indes , & entr’autres, le célébré Camoëns,
qui chanta fi dignement les exploits de fes compatriotes.
Tandis que ces jeunes militaires alloient
porter dans les Indes la terreur des armes Portugal-:
fes , Jean I II éprouvoit encore dans, fa famille un
revers bien fenfible à fon coeur; le mariage de fon
fils étoit heureux, la jeune princeffe étoit groffe ;
mais fon jeune époux fe livra avec tant d’excès aux
plailirs de l’amour , qu’il fut attaqué d’une fievre
lente, devenue en très-peu de jours fi violente, qu’il
en mourut. Cette perte confterna la cour, Jean I I I
en fut inconfolable , mais l’amertume de fes regrets'
ne l’empêcha point de s’occuper des foins qu’il,
croyoit devoir aux affaires du gouvernement ; il
pourvut à la défenfe du Brefil par la conftruûion des
forts qu’il ordonna d’y bâtir , &. beaucoup plus encore
par le foin qu’il eut d’envoyer dans ces pays
des miffionnaires intelligens, chargés de travailler à
la eonverfion des naturels. Çes millionnaires eurent
d’autant plus de fuccès , qu’ils étoient aufîi attentifs
à civilifer les peuples, qu’à les accoutumer à l’éclat
de la lumière de l’évangile. Don Louis, duc de
Beja, infant de Portugal, faifoit les délices de fon
pere & l’efpérance de la nation ; il mourut aufli, &
renouvella les douleurs encore mal étouffées du fenfible
Jean I II ; il eft vrai que l’infant don Louis étoit
à tous égards bien digne de l’amour de fon pere , &
des larmes que les Portugais attendris donnèrent à
fa mort : on affure qu’il furpaffoit tous les princes de
fon tems en lumières, en pénétration, en piété, en
courage & en générofité. Jean I II cherchant à fe
diftraire de la douleur profonde où cet événement
l ’avoit plongé , réfolut de porter le dernier coup à
la réforme très-néceffaire des ordres religieux qu’il
avoit déjà commencée, & qu’il importoit beaucoup
de terminer. Ce fut en travaillant à cette grandé
affaire qu’il découvrit les abus multipliés & révol-
îans qui s’étoient glifles dans les confeils : il vit
combien fes fujets avoient fouffert de ces abus, &
il y fut fi fenfible , que fa fanté en fut tout-à-coup
altérée : on crut & il penfoit lui-même que le tems
le rétabliroit ; mais fe reprochant trop vivement la
corruption de fes confeils, & ne pouvant détourner
fa penfée des maux qui en étoient réfultés, il fut
attaqué d’une efpece d’apoplexie qui ne lui laiffa que
le tems de voir que fon terme approchoit : il s’y
prépara fans crainte, fans regret ; & quelques rai-
fons qu’il eût de regretter la v ie, il mourut avec
autant de tranquillité que de réfignation, le 6 juin
15 57 , dans la cinquante-cinquieme année de fon
â g e , & après un regne aufli fage que glorieux de
trente-cinq années. Il fut aufli regretté de fes fujets
qu’il en avoit été chéri, & nul de fes prédéceffeurs
n’avoit autant que lui mérité leur tendreffe ; fes
voifins le refpeélerent, ils^s’em prefferent tous de
rechercher fon amitié, foit par la haute eftime qu’ils
avoient pour fes vertus, foit qu’il fût , quoiqu’amî
de la paix, toujours en état de défendre fes peuples
& de faire la guerre.
JEAN IV , roi de Portugal, ( H iß . de Portugal. )
Lorfque Jean I, fils naturel dé don Pedre-le-jufticier,
fut élevé fur le trône, auquel il n’avoit aucun droit,
la nation elle-même regarda fon avènement à la
Tome I IL
couronne comme l’ouvrage de la fortune, plus encore
que comme la récompenfe des talens & des
fervices fignalés rendus à la patrie par cet illullre
fouverain. La révolution qui fit monter Jean IV fur
le meme trône, fut plus étonnante encore; & elle
le fut d’autant plus, que ce'royaume pofledé depuis
fort lpug-tems par l ’Efpagne , jaloufe de le confer-
y & tegi par les ordres & fous les yeux d’un
miniftere a a if & vigilant, ne paroiffoit rien moins
que prêt à fe fouftraire à la domination Efpagnole ;
mais que ne peut l’amour de la patrie, fur-tout lorfqu’il
eft irrité par la crainte fondée d’une fervitude
accablante ? ce fut à ce patriotifme, bien plus qu’à
fes talens , que Jean IV fut redevable de fon élévation
; ce n’eft pas que, fi la royauté eut été fans interruption
dans fa famille, il n’eut eu affez de mérite
pour recevoir le feeptre que fes peres lui euffept
tranfmis, car il avoit beaucoup de connoiffances ;
& peu de fouverains ont été auffi profondément ,
auffi habilement politiques que lui ; mais pour palier
du premier ordre des citoyens au rang fuprême , il
n’avoit par lui-même, ni affez d’ambition, ni affez
de confiance , ni affez d’aélivité : & ce furent les
circonftances, le voeu de fes concitoyens, la fidélité
de fes partifans, la grandeur d’ame, les confeils,
& la noble audace de fon époufe , qui firent plus
pour lui qu’il n’eut été capable de faire par lui-même.
Jean, fils de Théodofe de Portugal, duc de
Bragance , & d’Anne, fille de Jean Fernandez, duc
de Frias, comptoit parmi fes ancêtres une longue
fuite de rois ; car il étoit petit-fils de Catherine, fille
d’Edouard , prince de Portugal, & fils du roi Henri.
Mais quelque illullre que fût fon origine, elle ne
lui donnoit cependant aucune forte de droit, ni feulement
de prétention à la couronne. Les Efpagnols
s’étant rendus maîtres du Portugal, après la mort du
cardinal Henri, en x 580, ôt l’ayant gardé fous leS
régnés de Philippe II , Philippe III & Philippe IV ,
il ne falloit pas moins qu’une révolution aufli fubité
& auffi furprenante que celle qui fe paffa fous ce
dernier monarque Efpagnol, pour donner de la
confiftance aux prétentions auffi foibles qu’éloignées
de Jean : il naquit à Villaviciofa , le 13 mars 1604 :
l’hiftoire ne dit rien des vingt-fix premières années
de fa vie ; on croit qu’il reçut une excellente éducation
, mais on n’a point appris qu’il fe fût diftingué
par aucun fervice éclatant, par aucune aélion bien
importante : ôn fait feulement qu’à cet âge il fuccéda
à fon pere comme duc de Bragance ; & que , quoique
trois ans après, il eût époufé dona Louife de
Guzman, fille aînée de Jean-Emmanuel Perez de
Guzman, duc de Medina-Sidonia, il fouffroit tout
aufli impatiemment que le relie des Portugais, le
joug des Efpagnols. Son époufe, née en Efpagne,
étoit alliée aux maifons les plus illuftres de cette
monarchie; mais par la nobleffe de fes fentimens,
par fon mérite, fes talens & fa fermeté, portée juf-
qu’à l’héroïfme, elle étoit infiniment au-deffus de
fa haute naiffance, & ne s’occupa qu’à infpirer à
fon mari des idées d’élévation, & à fortifier la haine
qu’il partageoit avec fes compatriotes, contre l’ai—
tiere dureté de la domination Efpagnole. Le peu
d’ambition du duc de Bragance & fon indolence naturelle
euffent peut-être & vraifemblableme.nt rendu
fes confeils inutiles, fi les Portugais irrités des vexations
auxquelles ils étoient fans ceffe expofés, n’euf-
fent enfin conçu le defir le plus véhément de
recouvrer leur liberté, & de s’affranchir pour jamais
; du defpotifme qui les opprimoit. La nation étoit
mécontente, & les occafions de fe foulever ne lui
manquoient pas ; mais elle avpit befoin d’un chef,
& elle jetta les yeux fur le duc de Bragance, qui
étoit à la fleur de fon âge; d’ailleurs petit-fils de
Jean, duc de Bragance, qui avoit été l’iin desi