couronne la partie méridionale de la France, que' les
Efpagnols avoient ufurpée ; mais.par un autre.traite
avec le roi d’Angleterre , il lui çede une partie de la
Guyenne, le Limoulîn, le Quercy, le Périgord &
l’ Agenois , à condition que Henri en rendra hommage
au roi de France, & qu’il renoncera à toutes fes
prétentions fur la N o rm an d ieq u e lq u e s autres
provinces. Henri III devenu plus puiflant en France,
n’en étoit pas moins foible en Angleterre ; les barons
animés déjà par cet efprit d’independance qui s’eft
perpétué dans la Grande-Bretagne, levèrent contre
lui l’étendard de la révolte ; mais d’une voix unanime
le roi & les rébelles fournirent leurs différends au jugement
de Louis IX. Si la fentence qu’il porta ne
calma point cette, grande querelle, elle fervit du
moins à faire connoître quelle confiance infpiroit à
l’Europe la bonne-foi de ce monarque, puifque des
étrangers, fi long-tems nos ennemis, venoient chercher
aux pieds de fon trône , la juftice qu’ils ne
trouvoient point dans leur patrie. Cet amour de
l’équité lui diâa une fage ordonnance contre les
duels ufités alors dans toutes les conteftations; mais
s’il eut affez d’autorité pour profcrire de fes domaines
cet abus exécrable, il n’eut pas affez de crédit
fur l’efprit de fes barons pour l’interdire dans leurs
terres ; & après fa mort, cette licence confervée dans
les domaines des grands vaflaux, reflua bientôt dans
ceux du roi. Ennemi de tout ce qui fentoit l’impiété,
il avoit condamné les blafphémateurs à avoir la langue
percée avec un fer chaùd ; mais il fentit que le
délire de la fureur pouvoit quelquefois affoiblir la
noirceur de ce crime , &c il réduifit la peine à une
amende pécuniaire. La France étoit heureufe, on
avoit réparé les pertes qu’on avoit faites dans les
croifades ; le peuple payoit peu d’impôts, & les
payoit gaiement , parce qu’il en voyoit l’ufage.
Louis IX vivoit,comme un pere au fein de fa famille,
heureux-du bonheur de fes enfans ; une paix profonde
régnoit dans les provinces ; la fagefie du roi
étouffoit ces différends des feigneursqui allumoient
entr’eux de petites guerres, aufli faneftes en détail
que celles des rois l’étoient en grand. La fureur des
croifades troubla encore une fois le repos de l’état ;
Louis s’embarqua,en 1269 , il confia la régence du
royaume à Mathieu , abbé de Saint-Denis, & à Simon
de Clermont de Neflè ; il avoit fait fon tefta-
ment, afin que fi la mort i’attendoit fur les côtes
d’Afrique , les ‘fuites n’en fuffent point fatales à la
France ; il aborda près de Tunis, & fit le fiege de
cette ville : les Sarrafins oppoferent plus d’une fois
la perfidie au courage ; on amena au roi trois de ces
barbares , qu’on accufoit d’avoir trempé dans une
trahifon ; le fait étoit probable, mais il n’étoit pas
prouvé : « qu’on les délivre, dit Saint Louis, j’aime
» mieux m’expofer à fauver des coupables , qu’à
» faire périr des innocens ». Cependant la pefte fai-
foit dans le camp les plus affreux ravages, Louis en
fut atteint, & parut plus touché des maux qui affli-
geoient fes foldats, que de ceux qu’il fouffroit lui-
même ; lorfqu’il fentit les approches de la mort, il
fit venir Philippe III, fon fils , & lui donna les con-
feils les plus fublimes ; la bafe de cette morale étoit
qu’un roi e f t le premier citoyen du corps politique,
& qu’il doit toujours préférer le bonheur de fon
peuple à fon propre intérêt : ces difcours n’auroient
eu rien d’étonnant fi Louis I X ne les eût appuyés
par de grands exemples. La leçon la plus belle qu’il
laiffoit à Philippe III, étoit l’hiftoire d e fa vie : il
mourut le 25 août 1270, & fut canonifé l’an 1297
parle pape Boniface VIII.
Louis IX étoit brave, & même un peu téméraire ;
fils docile, époux fidele, pere tendre; né avec des
pallions vives, il fut les vaincre, & cette viâoire
l’honore plus que celles qu’il remporta fur les Sarrafins
: il étoit fimple dans fes moeurs comme dans fes
vêtemens ; fa vertu étoit fa plus riche parure ; l’amour
de fes fujets lui tenoit lieu de gardes : clément &
doux .lorsqu'on l’avoit offenfé, il étoit inexorable
lorfqu’on offenfoit Dieu ou l’état : ennemi de la flatterie
, il çherchoit moins à recevoir des éloges qu’à
les mériter ; on auroit déliré moins d’âpreté dans fa
dévotion , & c’eft avec regret que l’on voit*un fi
grand roi préférer pendant quelques années le plaifir
de faire le malheur'des Sarrafins , à celui de faire le
bonheur delà France. Joinville qui le fuivit dans fes
expéditions, a écrit fa vie avec ce ton ingénu qui
porte le caraâere de la vérité.
Louis X , furnommé le Hutin, étoit jeune encore
, lorfqu’il fuccéda à Philippe-le-Bel fon pere
l’an 1314: il avoit époufé Marguerite de Bourgogne
; mais cette princelfe mérita, par la plus noire
infidélité, l’arrêt rigoureux qui la condamna à être
étranglée dans fa prifon, l’an 1315. Louis époufa
depuis Clemence de Hongrie : lorfqu’il fe fit facrer,
on ne trouva point dans le tréfor royal d’argent
pour cette cérémonie. Charles de Valois, oncle du
ro i, avoit juré la perte d’Enguerrand de Marigny ,
il faifit cette occafion pour latisfaire fon reflenti-
ment. Le miniftre futaccufé de malverfation. Il étoit
aifé de rejetter fur lui toutes les fautes du feu roi :
il fut pendu au gibet de Montfaucon. qu’il avoit fait
dreffer. Louis rappella en France les Juifs qui en
avoient été bannis, il fit des loix pour favorifer
l’agriculture; mais bientôt il démentit les heureux
commencemens de fon régné, en accablant fon peuple
d’impôts , pour continuer la guerre de Flandre
qu’il fit fans fuccès. Ce prince mourut au château
de Vincennes le 5 juin 1316. Le furnom de lîutin
qu’on lui donna, fignifioit querelleur; ç’étoit fans-
doute chez ce prince un défaut domeflique; car il
ne parut querelleur ni dans la maniéré dont il gou-
vernoit fes fujets, ni dans celles dont il traitoit avec
les étrangers.
Louis X I , roi de France,commença dès fa jeu—
neffe à jouer un rôle important dans l’état ; il fignala
fa valeur contre les Anglois, aida Charles VII à
chaffer du royaume ces avides conquérans, & força
le célébré Talbot à lever le fiege de Dieppe; mais
à peine Charles VII fut-il tranquille fur le trône, que
l’indocile Louis raflembla près de lui les mécontens ,
donna le lignai de la révolte ; il lui en coûta plus
pour demander grâce, qu’à fon pere pour lui pardonner;
Charles l’envoya contre lesSuifies, dont il fit un
maflacre effroyable ; pénétré d’eftime pour ces braves
républicains-, il dit qu’il aimoit mieux déformais
les avoir pour alliés que pour ennemis. Revenu de
cette expédition, il caufa de nouveaux chagrins à
Charles V II, fe retira en Dauphiné, & pafla dans
le Brabant, où il apprit la mort de fon pere l’an
1461. Il accourut pour prendre poffeflion du trône;
ce ne fut qu’avec une répugnance marquée , & fous
des conditions très-dures, qu’il pardonna aux officiers
que Charles avoit envoyés pour réprimer fa
révolte; il dépouilla tous ceux que fon pere avoir
revêtus des premières dignités de l’état, il en décora
des hommes qu'il ne croyoit fideles que parce
qu’ils avoient intérêt de l’être. Cependant il s’occupa
de fçins politiques : il prêta une fomme confi-
dérable à Jean, roi d’Aragon, qui fe voyoit attaqué
par les Navarrois unis aux Caftillans, & reçut
pour gage de cette fomme les comtés de Cerdai-
gne & de Rouffillon. Pour fûreté d’une autre fomme
que Marguerite d’Anjou emprunta de lui, cette
princeffe promit de lui livrer la ville de Calais fitôt
que les fers de Henri VI fon époux feroient brifés ;
il racheta de même pour de l’argent les villes de
Picardie qui avoient été cédées à Philippe-le-Bon, Hue
de Bourgogne. Le peuple quoiqu’accablé d’impôts,
aimoit mieux que ces conquêtes fuflent payées
de fes richeffes que de fon fang. Louis X I , en 1462,
créa le parlement de Bordeaux. •
Cependant il fe formoit une ligue puiflante conr
tre le roi : les ducs de Berry, de Bretagne & de
Bourbon, les* comte de Charolois & de Dunois
étoient à la tête des faâieux; cette guerre qui fit
tant de mal au peuple, fut appellee guerre du bien
public. C’eft ainfi que la politique fe jouoit des hommes,
& les.infultoit en les opprimant. On en vint
aux mains , plus par point d’honneur que par néçef-
fité, près de Montlhéri le 16 juillet 1465. Les deux
partis s’attribuèrent la viâoire. Enfin le. traité de
Conflans aflbupit ces divifions. Louis X I avant dé
le ligner, protefta contre les engagemens qu’il alloit
prendre , comme .s’ils avoient pu être annullés par
cette démarche. Il ne tarda pas à violer la paix, en
s’emparant de la Normandie , qu’il avoit cédée au
duc de Berry fon frere ; les états aflemblés à Tours
en 1468, ratifièrent cette ufurpation, & déclarèrent
que la Normandie ne pourroit plus , fous aucun
prétexte, être démembrée du domaine de la
couronne’. Tout fembloit pacifié, lorfque Charles-
le-Téméraire, comte de Charolois, fuccéda à fon
pere Philippe-lé-Bon, duc de Bourgogne. Il avoit
encore des intérêts à démêler avec Louis X I , &
lui propofa .une entrevue à Peronne. Ce prince
.oublia la défiance naturelle & fe livra au plus grand
de fes ennemis ; celui-ci fe faifit de fa perfonne, & lui
fit ligner un traité ignominieux ; il le conduifit à Liege
pour être témoin de la vengeance qu’il alloit exercer
fur les habitans qui avoient pris le parti du roi.
L o u is après avoir joué ce rôle aufli affreux que ridicule,
reparut dans fes états, inftitua l’ordre de S. Michel,
& fit enfermer le cardinal Balue dans le château
de Loches. Toute la nation applaudit à ce coup d’état.
Balue étoit un homme vil par fa naiffance, plus vil
par fes moeurs , ennemi lecret de fon bienfaiteur, &
qui paya par la plus noire ingratitude, tous les honneurs
dont l’amitié politique du roi l’avoit comblé.
Charles toujours ambitieux, Louis X I toujours inquiet,
reprirent bientôt les armes; les treves ne leur
fervirent qu’à faire de nouveaux préparatifs de
guerre; ce fut au milieu de çes troubles que l’art
pacifique de l’impreflioh s’établit en France. Charles
le^Téméraire échoua devant Beauvais; les François
firent plus pour le roi que le roi lui-même. Ce
prince laiffoit tranquillement ravager une partie de
fes états, perfuadé que les conquérans difparoîtroient
quand ils ne trouveroient plus rien à détruire. Ses
démêlés avec Jean, roi d’Aragon ; fes intrigues pour
perdre le connétable de Saint-Paul, fes traités avec
Charles , tantôt éludés avec adrefie, tantôt violés
avec audace de part & d’autre ; fies menées fecre-
tes avec les miniftres d’Edouard IV , pour détacher
ce prince des intérêts du duc de Bourgogne ; le
traité d’Amiens conclu dans cette vue & confirmé
par celui de Pecquigny ; enfin la paix faite avec
Charles-le-Téméraire, toutes ces opérations développent
affez le caraâere de Louis X I . Par-tout
on le voit plutôt menteur que diferet, prévoyant
moins par fageflè que par crainte, fe défiant de tous
les hommes , parce qu’il les jugeoitfemblables à lui-
même; vindicatif, mais préférant les vengeances
cachées aux coups d’éclat.. Le comte de Saint-Paul
qui avoit trahi tour à tour & le roi de France &
le duc de Bourgogne, eut la tête tranchée le 19 décembre
1475 » f °n fang cimenta la réconciliation des
deux princes : Charles mourut deux ans après dans
un combat contre IesSuiffes. C’étoit le dernier de
cette màifon fi fatale à> la France. Il ne laiffoit
qu’une fille appellee Marie ; Louis X I pouvoit rentrer
dans tous les états de Charles, en confentant
au mariage de cette princeffe aveç le comte d’An-
797
gouleme. Mais il craignit d’augmenter la puiffance
d un prince de fon fang ; ce vafte héritage- pafla à
la maifon d’Autriche & fut un flambeau perpétuel
de difeorde. Maximilien, qui époufa Marie , fit la
guerre à la France ; on verfa beaucoup de fang de
part & d’autre fans fuccès.. Le teftament de Charles
d’Anjou aggrandit les états de Louis, X I , par la
ceflion de la Provence. Il lui çédoit aufli fes droits fur
les royaumes de Naples & de Sicile; mais Louis, plus
fage que fon fucçefleur, ne voulut conquérir que ce
qu’il pouvoit conferver , & fut fatisfait de la Provence.
llmourut au Pleffis-lès-Tours le 30 août 1483
âgé dç foixante ans. A tous les défauts qu’on lui con-
noîr, il joignoit encore une fuperflition ridicule. Barbare
& recherché dans fa barbarie, il voulut que le
fang du malheureux Jacques d’Armagnac coulât fur.fes
enfans attachés au pied de l’éçhaffaud. Perfide & lâche
dans Ion reffentiment, on le foupçonna d’avoir fait
empoifonner le duc de Guyenne fon frere. Egoïfte
décide, s’il travailla quelquefois au bien-être de
fon peuple , c’étoit pour travailler au fien ; c’eft
ainfi que fa euriofiré produite par fon inquiétude,
créa l’établiflement fies poftes. Il ne careffoit les
petits que pour les oppofer aux grands. Il étoit
profond politique , fi l’on peut donner ce nom à un
fourbe qui ne figue les traités que pour les enfreindre
, & n’embraffe fes ennemis que pour les
étouffer.
Louis XII, furnommé le pere du peuple, roi de
France, etoit fils de Charles , duc d’Orléans , & fie
Marie de Cleves, & petit-fils de Louis, duc d’Or-
léafis & de Valentine de Milan. Louis X I , qui con-
noiffoit le dégoût de ce prince pour fa fille , le força
de l’époufer , fans autre raifon que le plaifir d’exercer
fon delpotifme. Il n’étoit alors que duc d’Orléans;
en qualité de premier prince du fang , il prétendit
à la régence pendant la minorité de Charlçs
VIII; mais la nation confirma le teftament de Louis
X I , qui remettoit le maniement des affaires à Madame
de Beaujeu. Le duc raflembla une faâion puif-
fante, & fe ligua aveç le duc de Bretagne ; on prit
les armes ; Louis de la Trimouille étoit à la tête des
royaliftes;les deuxarmées fe trouvèrent en préfence
près de Saint-^ubin ; la bravoure du duc d’Orléans fit
quelque tems pencher la viâoire de fon côté; mais
enfin affailli de toutes parts , il fe rendit; les rébelles
fe difliperent, le prince fut renfermé à la Tour
de Bourges ; d’Amboife qui ctoit dès-lors Ion ami,
& qui fut depuis fon miniftre, hazarda fa liberté
pour obtenir celle de fon maître. Dès que Charles
VIII commença à régner par lui-même en 1490, il
rendit la liberté à cet illuftre captif. Brantôme prétend
que fa longue captivité étoit un trait de vengeance
de la part de madame de Beaujeu , dont il
avoit dédaigné la paflïon. .Ce prince fuivit Charles
VIII en Italie & y donna de nouvelles preuves de
fon courage ; le prince de Tarente s’enfuit à fon
afpeâ avec fa flotte, le duc mit pied à terre , &
tailla fon armée en pièces: il fut long-tems afliégé
dans Novarre, & fe défendit avec tant de valeur
qu’ildonna aux François le tems de le fecourir. Enfin
Charles VIII n’ayant point laiffé d’héritier de la
couronne , elle pafla fur la .tête de Louis X I I , en
1498. Des courtifans, ennemis de la Trimouille,
lui rappellerent que ce feigneur I’avoi.t perfécuté
pendant les troubles de la régence , ils Pexciterent
à fe venger. « Un roi de France , répondit Louis,
».n’eft pas fait pour venger les injures du duc d’Or-
» léans ». Il fe repofa fur d’Amboife d’une partie du
fardeau des affaires ; une intelligence parfaite régnpit
entre ces amis : aucun des deux ne commandoit à
l’autre, l’équité feule commandoit à tous deux. Mais
la manie des, conquêtes s’empara de lame du roi ;
& d’Amboife, qui dès-lors peut-être jettoit fes yues
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