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à donPedreleJufticier, qui, dit-on,riel’avoitpoint
encore v i l , & qui peut-être avoit déjà oublié qu’il
avoit eu fept ans auparavant un enfant d’une demoi-
felle de Galice. La nature, ou les grâces de cet enfant
firent une forte impreffion fur don Pedre : il parut
s'intérefl'er vivement au fort de fon fils , & l’adroit
d’Andrade profitant de cette occafion, demanda librement
au roi, pour Jean fon pupille, la grande-maîtrife
de l’ordre d’Avis j vacante depuis quelques jours.
Cette dignité étoit très-érainente; cependant le roi don
Pedre ne réfifta point au piaifir de faire du bien à fon
fils ; il lui accorda la grande maîrrife, l’arma chevalier
, quoiqu’enfant, & le fit partir pour Tomar, oh
étoit la principale maifon de cet ordre. Ce fut dans
cette ville que Jean fut élevé ; il y reçut une excellente
éducation, répondit, au-delà même de l’attente
de fes inftru&eurs, aux foins qu’ils fe dorinoient pouf
le former ; & fit des progrès fi rapides , qu’il étoit
déjà très-inftruit à 1 âge où la plupart des jeunes gens
commencent à peine à s’inftruire. Aufli parut-il de
bonne heure avec éclat, foit à la tête des armées ,
foit au timon des affaires, fous le régné de Ferdinand
fon frere ; & reçonnut-on en lui l’un des meilleurs
capitaines, & l’un des hommes les.plus habiles &
les plus éclairés du Portugal. On fait combien fut
malheureux le régné de don Ferdinand ; on fait dans
cjuelles fautes tomba cefouverain, léger, capricieux,
inconféquent : elles euffent été irréparables, & quelques
unes enflent caufé peut-être la ruine de l’état,
fi le grand-maître d’Avis , tantôt par fa prudence &
fes négociations, tantôt par fa valeur & fon activité,
n’eut arrêté les maux èc les défordres qui deÿoient
naturellement réfulter de l’inconftante & téméraire
conduite du roi fon frere. ( Voyeç F e r d in a n d , roi
de Portugal. Suppl. ) Quelque mépris qu’il eût pour
le çara&ere perfide & les moeurs, corrompues de la
reine Léonore , il lui relia fournis tant que le roi
vécut; & il la fervitmême, quelqu’injuftesquefuffent
les ordres qu’elle le chargea d’exécuter. Cependant
les fcandaleufes intrigues de la reine , qui ne gardoit
aucune bienféance , ayant éclaté , Jean , par intérêt
pour le ro i, blâma hautement l’indécence de fa conduite,
& fans craindre les fuites de fa liberté, l’avertit
elle-même avec fermeté de garder du moins plus
de retenue dans fes adultérés amours. Léonore irritée
obtint, ou fuppofa avoir obtenu de fon facile
époux un ordre d’arrêter le grand-maître, qui fut
mis en prifon. Sa captivité ne fuffifoit point à Léonore
, & quelques jours après elle envoya un nouvel
ordre de le faire mourir. Celui à qui cet ordre
fut remis, ne crut pas devoir obéir avant que d’avoir
parlé à Ferdinand qui parut très-étonné, & n’apprit
qu’avec indignation l’abus étrange que l’on avoit
fait de fon nom. Mais bientôt fa tendreffe pour Léonore
l’emporta , il laiffa même quelques jours le
grand-maître en prifon, lui rendit la liberté au nom
de la reine , & , comme fl ce n’eût été qu’à fa folli-
citation , Jean fe prêta à la foibleffe de Ferdinand ;
& feignant d’avoir la plus vive reconnoiffance pour
fa perfécutrice , dont il connoiffoit la noirceur &
qu’il abhorrait, il alla lui baifer la main auffitôt qu’il
lui fut permis de reparoître à la cour. Cependant la
paflion de Léonore pour Andeiro, comte d’Ourem
devint fi fcapdaleüfe, fi publique & fi déshonorante,
que Ferdinand ne pouvant plus l’ignorer, chargea le
grand-maître de le défaire de l’audacieux Andeiro à
la première occafion qu’il le pourrait. Mais le fou-
verain offenfé n’eut pas le tems de voir fa vengeance
remplie , & pour le bonheur dé l’état qu’il laiffoit
dans la plus grande confufion, & qu’il eût entièrement
écrafé s’il eût régné plus long-tems, il mourut.
Le Portugal étoit dans la plus déplorable fituation,
& pour combler fes maux, le trône étoit l’objet de
l’ambition, ou même des prétentions fondées de
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plufieùrs princes qui, pour s’en exclure les uns les
autres , menaçoient le royaume de la plus cruelle
guerre. Le premier de ces prétendans étoit Jean I%
roi de Caftille , qui ayant époufé dona Béatrix, fille
de Ferdinand, fembloit avoir au feeptre les droits
les plus inconteftables du chef de fa femme ; mais
fes droits n’avoient point l’approbation de la nation
Portugaife, que l ’idée feule d’obéir au roi de Caftille
tranfportoit de colere. D ’ailleurs qnelqu’évidens
que paruffent les titres de Jean I , ils s’évanouif-
foient devant ceux de l’infant don Juan de Portugal,
fils de don Pedre & d’Inès de Caftro. Perforine ne
doutoit en Portugal de la validité du mariage de don
Pedre. Il eft vrai que l’infant don Juan «oit alors
prifonnier en Caftille , où le roi Jean / l’avoit fait
enfermer aufli-tôt qu’il avoit appris la mort de fon
beau-pere, afin de fe délivrer par ce moyen d’un
concurrent trop redoutable : mais don Juan étoit
adore par la nation Portugaife qui le nomirioit hautement
, & ne vouloit que lui pour foi. Les droits
de ces deux prétendans paroiffoient ne laiffer aucune
lueur d’efpérance au grand - maître qui d’ailleurs
n’a voit aucun titre qui lui permît d’afpirer à la couronne
: il y afpiroit cependant, & fes voeux ne
furent pas vains : fa prudence & la fortune applani-
rent tous les obftacles-; fon adreffe fut même telle,
qu’il parut forcément porté fur le trône, & non fe
frayer lui-même la route qui devoit l’y conduire.
Pénétré, en apparence , de refpeâ pour les dernières
volontés du roi Ferdinand, le grand-maître,
aufli-tôt que ce fouverain fut mort, invita le roi de
Caftille à venir prendre le feeptre , & lui demanda
la régence du royaume jufqu’à ce que dona Béatrix
eût accouché d’un prince. Le roi Jean refit fa fort
imprudemment, & , dit-on, avec mépris la demande
du grand - maître, qui dès ce moment fe croyant
dégagé envers cet impérieux fouverain, parut craindre
, dans la vue de connoître l’attachement de fes
partifans,pourfa propre fûreté,& feignit d’être alar-*
mé, lorfque fur la demande des ambaffadeurs du roi
de Caftille, fon époufe, dona Béatrix, futtumultuai-
rement proclamée à Lisbonne reine de Portugal. Cependant
il s’en falloit bien que cette proclamation eût
l’aveu de tous les citoyens, des grands les plus diftin*
gués fur-tout, ennemis déclarés ae la réunion des deux
couronnes, & perfuadés que fi elle avoit lieu, bientôt
le Portugal ne feroit plus qu’une province Caftil-
Ianne. Le chancelier étoit à la tête de cette puiflante
fattion ; ils fe réunirent tous au grand-maître, en qui
feuls ils fondoient leurs èfpérances ; mais leur plu9
grande crainte étoit de voir tous leurs projets déconcertés
par la docilité de la reine Léonore aux confeils
d’Andeiro fon amant, qui, Caftillan, travaillerait
de toute fa puiffance en faveur de l’époux de dona
Béatrix. Le grand-maître leur promit de prévenir
tous les efforts d’Andeiro : & en effet il alla au palais,
fit ligne à Andeiro qu’il avoit à lui parler , l’attira
dans une falle voifine de l’appartement de la reine ,
& là , fans lui dire un mot, il tira un poignard , le
lui plongea dans le fein , & laiffant aux grands qui
le fuivoient le foin d’achever de mettre à mort fa
viftime, il fit fermer les portes du palais ; après
avoir fait fortir un de fes pages & le chancelier, qui
allèrent répandre & crier par la v ille, que le grand-
maître étoit dans le plus grand danger, & que peut-
être en ce moment on le poignardoit au palais. A ces
cris, les habitans de Lisbonne prirent les armes, coururent
furieux au palais, enfoncèrent les portes, montèrent
à la tour où s’étoit réfugié don Martin, évêque
de Lisbonne, dont tout lecrime étoit d’être Caftillan,
& le précipitèrent du haut en-bas. Le grand-maître
jugeant par ces excès de ce qu’il avoit à attendre du
zele des Portugais , fe montra & permit au peuple
de le defendre contre un péril qu’il n’avoit point
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couru. Il alla enfuite juftifier auprès de Léonore fa
rigueur envers Andeiro, & s’efforça d’e’n démontrer
la néceflïté. La reine l’écouta avec une froide &
filencieufe indignation, & lui demanda feulement
de lui permettre de fortir de Lisbonne. Il y confentit,
& elle fe fetira à Alanguer. Alors le grand-maîtrè
raflemblant les principaux d’entre fes partifans, parut
inquiet & très-chagrin d’avoir renoncé, polir la tranquillité
publique , à fa propre tranquillité , affeftà là
plus grande incertitude fur le parti qui lui réftoit à
prendre, laiffant même entrevoir qu’il préférerait
de bon coeur celui de la retraite. Le vieux chancelier
don Alvare Paez combattit de toutes fes forces cette
réfolution, & foutint que dans la fituation aôuellé
le grand-maître ayant pour lui le peuplé, devoit
tout entreprendre & tout ofer pour la fûreté de la
nation & pour la fienne. Le grand-maître affeûant
de fe faire à lui-même la plus grande violence, promit
de fe facrifier au bien général ; & tandis qu’il
jouoit cette feene, le peuple & la noblefle affemblés
par les foins de fes plus zélés adhérans , le procla-
moient protetteur de la nation & régent du royaume,
firent ferment de né l’abaridoriner jamais, & quelques
momens après vinrent en foule le conjurer de
ne rien négliger pour la défenfè des Portugais. Cependant
le roi de Caftille , à la tête d’une armée
confidérable, entra dans le royaume, dont il s’étoit
flatté de faire aifémêrit la conquête , & pénétra juf-
ques à Santaren, où il fit fon entrée publique avec la
reine dona Béatrix , fön époufe , & fe fit proclamer
roi de Portugal. Mais bientôt fes hauteurs mécontentèrent
le petit nombre de feignéurs qui s’écoient
attachés à lui. Peu occupé de leur maniéré de penfer
à|fon égard , & toujours perfuadé que le royaume
alloit tomber fous fa puiffance , il ne fongeoit qu’à
hâter fes préparatifs , & joindre à fön armée affez
de troupes pour former le fiêge de Lisbonne. Mais il
connoiffoit peu le rival redoutable qu’il avoit à combattre
, les reffources, la valeur & l’habileté du
régent qui, par fon affabilité , fes bienfaits répandus
à proposgrofliffoit fon parti, ne cherchant, en apparence
, qu’à défendre les intérêts & foutenir les droits
de l’infant don Juan, prifonnier en Caftille. L’armée
du régent étoit déjà prefque affez forte pour lutter
contre celle du roi don Juan qui forma vainement
le liege de Lisbonne, que le prote&eur l’obligea de
lever. Les Portugais étoient pourtant eux-mêmes
dans une violente fituation ; & les moiffons ravagées
par les Caftillans, les expofoient aux horreurs de la
famine qui commençoit déjà à fe faire fentir : mais
ce fléau fut détourné par les- foins aûifs du régent
qui lui-même, fuivi d’une foule de jeunes gens, alloit
de village en village apporter du fecours aux habitans
, & faifoit amaffer à Lisbonne d’abondantes
provifions. Le roi de Caftille reconnut alors combien
il lui feroit difficile d’abattre la puiffanCe du pro-
teûeur ; & défefpérant de le vaincre ou de fe l’attacher
, il eut la baffeffe de recourir, pour s’en défaire,
à la plusodieufe des voies ; il corrompit le comte
de Tranftamare, qu’il engagea à faire affaffiner le
régent ; mais ce complot avilifant pour fori auteur
fut découvert, & le régent n’en devenant que plus
cher à la nation, lés états s’affemblerent à Conim-
bre pour y délibérer en quelles mains on remettrait
le feeptre : plufieurs, croyant même faire leur cour
au régent, paroiffoient defirer que ce fût dans celles
de l’infant don Juan ; le chancelier prouva que le
trône étant vacant, & les Portugais étant lés maîtres
de fe choifir un r o i, perfonne ne méritoit plus, fur-
tout dans les circonftances préfentes , d’être chargé
du poids de la couronne que le grand-maître d’Avis,
q u i, pendant fa régence , avoit fait de fi grandes
chofes pour la nation & contre les efforts des Caftillans.
Le connétable balança les droits des préten-
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dans âu trôné, & fans fe décider pour aucun d’en-
tr’eux, il conclut que , fans perdre de tems, il étoit
de laderniere importance que les états nommaffent
un fôüverain. L’affémblee alloit procéder .à cette
éleftion, lorfque le régent prenant la parole d’un
ton tranquille & modefte , fit le tableau de la fitua-
tiôn où le royaume fe frôùvoit, expofa avec beaucoup
de force les fatigues, les foins & les dangers
auxquels fa régence l’avoit expofé ; ajouta que
n’ayant aucun droit, aucune prétention à' la couronne
que d’ailleurs il étoit très-éîoigné d’ambitionner
, il étoit, par cela même i d’autant plus impartial
dans le jugement qu’il portoit fur les deux
prétendans ; que le roi de Caftille & fon époufe
avoient perdu leurs droits en entrant à main armée
en Portugal, & que cette démarche devoir donner
aux citoyens les plus vives & les plus juftes appré-
henfioris d’avoir à obéir à un tel maître ; qu’à l’égard
de don Juan, il étoit prifonnier, & qu’il n’y avoit pas
d’apparence, fi on le nommoit, que le roi de Caftille
lui permît de venir' régner ; que du refte s’il réunif-
foit les fuffr'ages , il feroit le premier à le reconnoî-
tre & à lui prêter ferment ; que pour lui il ne fe
fentoit point toutes les qualités qu’exigeoit l’exercice
dés fondions de la royauté, mais qu’il feroit
toujours prêt, en zélé citoyen, à rifquer fés biens
& fà vie pour chaffer les ennemis 9j les combattre ,
défendre la liberté de la nation, & demeurer fidele
à celui qui feroit déclare fon légitime maître, Soit
que l’affemblée comprît à quoi tendoit ce difeours
adroit , foit qu’elle fût féduite par la fauffe modeftie
dû régent', la délibération fut courte , & il fut unanimement
élu & déclaré roi de Portugal. L’interrègne
finit, & le grand-maître fut couronné fous le
nom de Jean I. Son ambition étoit fatisfaite , &
cépendant il ne parut recevoir qu’avec peine le
feeptre. Sa conduite fur le trône fut la même que
celle qui l’avoit dîfti’ngué pendant la régence ; toujours
affable, accefiîbfe , prêt à obliger, & fur-tout
à fervir l’é tat, les Portugais lui eurent obligation
encore des vues ambitieufes qui l’avoient fait parvenir
à la royauté. Informé de cette éleélion , 1e roi
de Caftille furieux, entra en Portugal, dévafia , autant
qu’il fut en lui, tous les lieux par oîril paiTa, tant
i l étoit animé du defir de ruiner & de détruire ce
royaume. Moins entraîné par la colere , le nouveau
fouverain affeéla au contraire beaucoup d’incerti-
tùdé fur le fuccès , fe fit prier par fon armée , dont
il rie cherchoit qu’à irriter la valeur, de la conduire
à l’ennemi. Lorfque Jean ƒ la vit animée du defir
véhément de combattre , il prit un ton plus,affûté ,
la conduifit à l’ennemi, dont les forces étoient fi
fupérieures , que, fuivant la plupart des hiftoriens,
les Portugais n’étoient qu’au nombre de fix mille fix
cens contre trente mille combattans, Bientôt les
deux armées fe rencontrèrent, & fims faire attention
à l’inégalité , les Portugais attaquèrent avec
tarit de valeur les Caftillans , que ceux-ci ne pouvant
foutenir l’impétuofité du choc , s’abandonnèrent
à la fuite & furent mis en déroute , laiffant plus
de dix mille morts fur le champ de bataille. Le roi
de Caftille lui-même fe fauva précipitamment fur
une mule, & ne s’arrêta que la nuit fuivanre à Santaren
, à plus de trente milles de la plaine d’Aljuba-
rote , où ce combat s’étoit donné. Jean / profita
en général habile de fa viûoire : il s’empara
fucceflivement de toutes les places dont les ennemis
s’étoierit fendus maîtres dans le royaume ; & c e ne
fut qu’après avoir eu feul la gloire de délivrer fes
états, que le duc de Lancaftre, fon allié, étant arrivé
à la Corogne avec dona Confiance, fon époufe, &
fés filles , Jean 1 alla l’y trouver , & peu de jours:
après arrêta fon mariage avec l’aînée de ces prin-
ceffes, qu’il époufa bientôt après à Lisbonne. Ligué