les légats répandus en Allemagne continuent leurs
brigues contre l’empereur. Ils renouvellent les anathèmes
lancés contre lui , & tiennent toutes les
confciences dans de continuelles allarmes. Henri eft
dépofé par les états dont il défend les droits , & le
perfide Rodolphe qu’il avoit fait duc de Suabe, monte
fur le trône. C’eft alors que Grégoire déploie toute
fa politique. Ailarmé des progrès de Henri qui le
tient bloqué, il ratifie fa dépofition ; mais il déclare
qu’il peut lui pardonner , & refufe d’approuver
l ’éleâion de Rodolphe. Il promet fa prote&ion à
celui qui montrera le plus d’égards pour fon fiege.
Henri qui voit les confciences un peu plus libres, fe
décharge du fiege de Canoffe fur les Lombards , 8c
■ vole en Allemagne oh il efpere trouver des fujets.
Tout eft en feu depuis le Tibre jufqu’à l’Oder ; tous
les ordres de l’état font en armes , les évêques eux-
mêmes font à la tête des troupes, 8c donnent le
lignai du meurtre Sc du pillage. Des conciles réitérés
leur avoient en vain défendu de faire la guerre
( c’étoit avec aufli peu de fuccès qu’on leur avoit
interdit le mariage.). Le pape, échappé aux Lombards
, fouleve la Bourgogne qui lui rênd hommage.
Il renouvelle fon alliance avec, les Normands
, excommunie de nouveau Henri, 8c envoie
à Rodolphe une couronne, qu’il lui annonce
par une penfée pitoyable exprimée dans un vers
latin plus pitoyable encore ; 8c pour relever fon
courage abattu par trois défaites confécutives, il
lui prédifoit la mort de Henri qui devoit arriver
dans l’année. Sa prédiétion fut fauffe 8c prouva qu’il
étoit aufli mauvais prophète que poète médiocre.
Henri IV fut vainqueur pour la quatrième fois à
Mersbourg, oit Rodolphe périt de la main de Gode-
froi de Bouillon , le même qui , fous ce régné, fit
la conquête de Jérufalem. Grégoire VII dépofé,
tremble à fon tour. L'empereur conduifit en Italie
un pape folemnellement élu , 8c confirmé fous le
nom de Clément III. Après deux ans de fiege, Rome
fut prife d’aflaut ; 8c l’empereur qui pardonna à
cette ville fi fouvent rébelle , inflalla le pape , Sc fut
couronné. Grégoire VII , affiégé dans le château
Saint-Ange, profite d’une diverfion de l’empereur
en Lombardie, pour fe faire enlever par Robert
Guifcard , qui l’emmene £ Salerne, oit fon ambition
trompée termine fa vie laborieufe 8c coupable. La
mort de ce turbulent pontife fembloit devoir permettre
à l’empereur de refpirer. La Saxe humiliée
de fes précédentes défaites, ne pouvoit fe réfoudre
à obéir : les états de cette féditieufe province
nomment Herman pour fuccéder à Rodolphe. L’empereur
qui craint les faites de cette nouvelle révolte,
pafle en Allemagne , remporte plufieurs viéloires
îur Herman qui demande grâce, & l’obtient. Jamais
prince ne pardonnaplus fouvent,& ne fut plus fouvent
outragé. Ecbert, qui fuccede à Herman , eft également
vaincu. L’un 8c l’autre périrent d’une mort
miférable,
Henri, au milieu de ces troubles, fonge à affurer
à fa famille une couronne qu’elle va bientôt lui disputer
elle-même, & fait proclamer roi des Romains,
Conrad fon fils , qu’il mene en Italie pour s’oppofer
à Vi&or III, fucceffeur de Grégoire VII, 8c héritier
de fes dangereufes maximes. Ce Vi&or meurt
& eft remplacé par Urbain II. La duchefle Malthide
toujours fidelle à fa haine contre l’empereur, appuie
de tout fon crédit ce nouveau pape qui corrompt
par argent les gardes de Clément I II, 8c l’oblige de
fortir de Rome : le roi des Romains lui-même cede
aux artifices du pontife qui lui donne le titre de roi
d Italie & lui fait époufer la fille de Robert Guifcard
de Calabre , le plus cruel ennemi de fon pere.
L ’impératrice Adélaïde que Henri venoit d’époufer,
f eçoit les funeftes préfens de Mathilde , & on la
Voit dans la lifte des rébelles. C ’eft: avec bien de la
vérité qu’on a dit que jamais empereur , ni pere, ni
mari ne fut plus malheureux : il étoit cependant
réfervéà de plus grandes infortunes. Henri, contraint
defe défendre contre fa propre famille, affemble
une diete dans Cologne , 8c met au ban impérial
ce fils ingrat qu’il venoit de couronner roi des Romains
, ôc qui fe liguoit avec fes ennemis. Henri,
fon fécond fils, monftre plus cruel que ceux que
nous venons de peindre, eft couronné dans Aix-la-
Chapelle , & reconnu pour fuccéder à fon pere. La
ville de Ratisbonne lui eft aflignée pour-;ténir fa
cour. Il fembloit que le calme alloit renaître en
Allemagne ; 8c.l’empereur ne s’occupoit que de la
guerre d’Italie ; mais avant que de s’y rendre , il
crut devoir détruire quelques abus introduits pen-,
dant la guerre civile, & punir les auteurs de certains
défordres qu’il ne pouvoit fe difîimuler. Il n’eut pas
plutôt fait fes premières recherches, qu’il s’en repentit.
L’archevêque de Mayence étoit au nombre des
coupables. Ce prélat s’enfuit auflï-tôt dans la Thu-
ringe, ranime l’incendie qui étoit prêt à s’éteindre.
Paîcal II, élu par la fa&ion de Mathilde, pour fuccef-
feur d’Urbain II , profite de ces mouvemens , 8c
renouvelle les anathèmes lancés par Hildebran.
L’empereur recevoit peu de fecours de Clément III.
Ce pape avoit des vertus , mais il'eût mieux vain
qu’il eût eu des talens. Ce pape étant mort pendant
ces nouveaux troubles , il nomma fucceflivement
trois papes , qui tous étoient plus dignes du faint
Siégé, que capables de s’y maintenir. Deux furent
enfermés dans h cloître , 8c le troifieme mourut
fubitement, genre de mortaffez ordinaire alors en
Italie. Conrad meurt ; 8c fon frere Henri fonge
aufli-tôt à l’imiter dans fa révolte. Il s’apprête à
s’emparer par le plus noir des crimes , un feeptre
qu’il eût bientôt tenu de la nature. En vain l’empereur
qui n’a plus que ce fils, lui fait les plus juftes
remontrances dans le ftyle le plus tendre, le tigre
luirépond qu’il ne peut reconnoître un excommunié,
ni pour fon ro i, ni pour fon pere. Il fe rend à Spire ,
& commence par fe faifir du tréfor. Enflé de fes
fuccès, il convoque à Mayence tous les feigneurs
& les prélats de fon parti. L’empereur met aufli-tôt
une armée fur pied , mais ce fils aufli lâche qu’impie,
oppofe la rufe à la valeur. Il va trouver ce pere ,
dont tant de fois il avoit éprouvé la tendrefle; il
condamne fa révolte, lui jure fidélité, 8c lui demande
pour grâce de le choifir pour médiateur, & de lui
permettre de le réconcilier avec fes ennemis. L’empereur
trompé par des larmes feintes , confent à le
luivre à Mayence , feulement avec cent cinquante
chevaux : mais comme il entroit dans Bingen ,
il eft arrêté prifonnier par ce fils qui va faire part à
la diete de fa perfidie. Les légats du pape renQu-
vellent aufli - tôt les anathèmes lancés contre ce
prince ; & les états corrompus par des vues d’intérêt
, déclarent Henri V légitime poflefleur du trône.
L’archevêque de Mayence court aufli-tôt à Bingen ,
oit il lit à l’empereur la fentence de dépofition prononcée
contre lu i, & le fomme de lui rendre fur le
champ les ornemens impériaux. Henri pafle fans rien
répondre dans un appartement voifin, & revenant
couvert de toutes les marques de fa dignité , « les
» voilà, dit-il, ces fatals ornemens, fi vous ne crai-
» gnez plus Dieu vengeur du parjure, vous pouvez
» les reprendre ». Comme on lui reprochoit la fimo-
nie, il demanda à l’archevêque de Mayence, ainft
qu’à celui de Cologne 8c de Worms qu’il avoit
inveftis, s’il avoit violé les canons dans leur élection
, & fur leur réponfe : « Mon crime, leur repli-
qua-t-il , n’eft donc pas d’avoir vendu des préla-
» tures, c’ëft de n’avoir appelle que des ingrats
» ôc des traîtres au gouvernement de l’état 8c de
» l’églife ».
» l’églife >>. L’archevêque de Mayence qui, dans cettè
commifîion, fatisfaifoit.fon propre reflentiment, ne
montra aucune fen&bilité. : il s’approche du prince ,
, 8c lui ôte la couronne;;, enfuite le tirant de fa chaife,
il.aide à le dépouiller de fes vêtemens royaux. Jamais
patience ne fut mife à une plus dure épreuve : l’empereur
voit un inftant après arriver fon. fils qui le
preffe de figner l’acfe de fa dépofition.; ce fut alors
que Henri fe regardant comme mourant , fe jetta
aux pieds d’un légat , le conjurant de l’abfoudre.
Ce . fecours qui s’accorde même aux plus criminels
1 lui eft refûfé. ' Ce prince infortuné , abandonné
à lui-même ^manquant de tout, ne pouvant
fournira fes premiers befoins,,forcé de fupporter
Je poids de fa vie que lui impofe fa religion,de mande
un bénéfice laïque à l’évêque de Spire qui le lui
refufe. L’empereur fuccombant à cet excès d’ingratitude
, fe tourne vers fes. amis, 8c fait un cri de
douleur. Les ancêtres de Henri avoient fondé l’églife
cathédrale de Spire , & lui-même l’avoit enrichie.
L ’inflexible 8c hypocrite dureté du fils rènd quelques
partifans au pere malheureux. Henri IV en profite ,
ôc trompant la vigilance de fes gardes, il defeend Je
Rhin jufqu’à Cologne , dont les. habitans lui jurent
fidélité. 11 fe rend enfuite à Liege , d’oii il envoie
des lettres circulaires à tous les princes de la chrétienté.
Il écrit aufli au pape, lui offre de fe réconcilier
avec lui , pourvu cependant qu’il n’exige
aucune condition contraire aux intérêts de fon trône.
Ses amis affembloient .une armée dans les Pays-Bas,
mais il n’eut pas la confolation de la voir. Il ne put
xéfifter à tant d’épreuves, ôc fur-tout à l’idée d’avoir
pour ennemi un fils qu’il avoit couronné lui-même.
Il mourut à Liege le 7 août 1106, dans.la cinquante-
fixieme année de fon âge, ôc la cinquantième de fon
regne.
Dans Henri IV les dons du héros étoient relevés
par toutes les grâces extérieures ; fon port étoit
noble, fa marche grave 8c affurée ; il avoit le vifage
beau, la taille haute , les années 8c les malheurs ne
lu i firent rien perdre de fa majefté. Il avoit l’efprit
"vif ; la converfatiônagréable, beaucoup d’élévation
dans l’ame ; peut-être un peu trop de roidéur ;■ fa
libéralité cherchoit tous ’les malheureux ; fa clémence
ne fe laffa jamais de pardonner. Plufieurs fois
il fe contenta de déformer des fcélérats furpris dans
l ’inftant même qu’ils s’approchoient pour l’aflaflîner :
fa valeur fut éprouvée dans foixante-deux batailles,
'd’où il fortit toujours vainqueur. Prefque toutes
furent livrées le mardi ; les païens auroient dit qiie
c ’étoit une efpece d’hommage qu’il rendoit au dieu de
la guerre. On peut lui reprocher de n’avoir pas toujours
fu placer fa confiance dans le choix de fes
créatures. Henri I V céda plus fouvent au penchant
d’un coeur généreux, qu’aux confeils d’une politique
fagement intéreffée ; au refte on ne réfutera point
des fables groflieres, inventées par des moines efela-
vesou mercenaires : dans tous les faftes diftés par
l ’amour de la vérité , ce prince fera toujours placé
au rang des plus grands rois.
Il eut de fon mariage avec Berthe , deux fils ,
Conrad 8c Henri dont nous avons déjà parlé ; 8c
trois filles , Agnès , Berthe 8c Sophie. Ses cendres
xepofent à Spire, où fon corps refta fept ans. Le
pape qui le perfécuta pendant fa v ie , défendit de lui
rendre les honneurs de la fépulture après fa mort.
Henri V , dit/e jeune, ( Hiß. £ Allemagne, ) X I roi
ou empereur de Germanie depuis Conrad I , roi des
Romains, XV* empereur d’Occidenf depuis Chaf-
Üemagne, fils du précédent, 8c de l’impératrice Ber-
*he , ne l’an 1181 : ôri ne tarda pas à connoîtré le*s
■ véritables motifs qui l’a voient porté à détrôner fon
$>ere ; cette crainte de déplaire aux pontifes 8c d’en-
Tomt III,
courir leurs cenfures, n’étqit qu’une pure hypocrifie*
Elevé fur le trône par. les-intrigues de Rome , ce
prince artificieux,céfla de la,ménager, quand il l’eut
pour rivale de ,fon pouvoir ; fâché d’avoir nourri
l’orgueil de, cette cour par de feintes foumiflïons, il
fqngea à tpuSr les moyens de l’a bai fier ; airifi.l’inyefii-
ture clés bénéfices qui, quand il étoit fujet,.fembloit
.devoir appartenir au S. Siégé., devint un droit in-
- çqnteftable de l’empire j-lorfqu’il y fut parvenu.
Henri A'joignoit à la dureté d’ui>, tyran, tous-ies vices
qui rendent leur régné fameux ; fombre,. diffimulé ,
il alloit à fon but par tp.utes.les routes qui fembloient
l’en éloigner. La maniéré dont il ’s’y prit pour enoa-
■ ger Pafcal II à renoncer aux inveftitures, fert à faire
connoîtré fa dextérité & la fauffeté de fon carattere»
Tant qu’il eut fur les bras la Pologne & la Hongrie,
dont il exigeoit les anciens tributs , il eut pour ce
pape les plus, grands égards ; lprfqu’il eut, terminé
.cette guerre, dont le fuccès lui fut contraire , il fe
.rendit à RpméiOÙ il conclu J avec Pafçal, un traité
; q»i devoit armer tous les.'évêques dé l’empire.contre
. ce pontife il çpnfentoit à;rte faire jouir - du.droit
cl’inveftiture, mais à cqnditipp qu’il déclareroit tous
les eccléfiaftiques inhabiles à pofteder des fiefs , lef-
quels feroient aufli-tôtjtëndjus’; à; la ç,purpnpe.- Paf-
cal II qui ne co.nfidéroit qu.e fes intérêts, & ne vpÿoit
point le piege qu’on lui tendoit, figna cet accord
avec des tranfports de jo ie , & confentit à.couronner
l’empereur à-cette condition. #e/;ri , plus modéré ,
déclara expreflementque çe traité feroit nul, fi les
évêques, refufoient de l’approuver .; en. vain Pafcal
entreprit de les perfuader, en vain il les y exhorta
, par cette maxime , qu’il faut rendre à Céfar .ce qui
appartient à Céfar , ils lui répondirent par le même
argument, 8c l’invitererit à donner l’exemple , 8c à
remettre tous les biens qu’il tenoit de la libéralité des
empereurs. Cette conteftation-éclata dansTéglife de
faint Pierre ; comme on procédoit aux cérémonies
du façre, l’empereur prenant le parti des évêques ,
caffé le traité, déclare qu’il retient les inyeftitures ;
8c fur le refus que fait le pape de le facrer, il ordonne
aufli-tôt de le conduire en prifon. L’empereur
avoit une armée de quatre-vingts mille hommes ;
ceux qui voulurent s’oppofer à fes ordres furent
maffacrés ou chargés de chaînes , fuivant la barbare
coutume d’alors de traiter ainfi les prifonniers de
guerre. Pafcal fut traité-d’abord avec affez de déférence
, mais Henri voyant qu’il s’obftinoit à vouloir
retenir le droit d’inveftiture , fit conduire devant lui
les prifonniers, du nombre defquels étoient plufieurs
cardinaux, avec ordre de leur trancher la tête en fa
préfence ; Pafcal, pour empêcher cette, exécution
fanglante, confentit à tout ce que l’on voulut exiger
de fon miniftere. L’empereur le reconduifit à la tête
de fes troupes, 8c reçut de lui la couronne impériale
avec la bulle qui lui confirmoit le droit des inveftitures
par la croffe 8c par l’anneau. Les papes pour
juftifier leurs prétentions, tâchoient de faire regarder
cette croffe comme un objet facré , mais ce n’eft
qu’une marque de diftinftion purement humaine
qui n’eft rien aux yeux de la religion. Le pape,
en confirmant cette bulle , jura fur l’Evangile avec
feize cardinaux, de ne jamais excommunier l’empereur
qui, de fon côté, confirma toutes les donations
8c les préfens que fes prédéceffeurs avoient faits au
S. Siégé ; il y en ajouta même de nouveaux , moins
par politique que par genérofité. Henri V fut admis
à la communion ; que celui ( dit le pape , en rompant
une partie de l’hoftie avant de la confacrer ) qui
rompra la paix, foit féparé, du royaume de Jefus-
Chrift, ainfi que cette partie de l’hoftie eft féparée
de l’autre. Si des fermens enflent pu lier ce pontife
, cette fameufe querelle concernant les inveftitures
étoit terminée ; mais Henri ne fut pas plutôt
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