aigri du fuccès des alliés, ramaffe Tes troupes pour
livrer bataille à Guillaume, qui l’attend de pied ferme.
Tout ce que les combats ont de plus horrible fe
rencontre ici : l’attaque & la défenfe fe font avec la
même valeur & avec le même acharnement. Le roi
s’y furpaffe lui-même , &défarme de fa propre main
le duc de Berwick. La nuit feule eft capable de ralentir
la fureur des combattans. Mars apoftrophe
Bellonè, & la félicite des horreurs de la guerre ,
qui non feulement fe répandent dans la. Flandre,
mais inondent prefque toute l’Europe. La prife de
Charleroi par les François, met fin à la campagne,
& le roi retourne dans fes états, qui, fous fon heu*
reux empire & fous celui de fon augufte époufe ,
voient renaître un fiecle d’o r , & perdent le fouve-
nir de leurs anciens malheurs. La fage & tendre reine
fait tout le bonheur de fon héros ; fa tendreffe le
dédommage des travaux de la guerre , elle fait fon
devoir & fon plaifir de l’aimer ; &c non-feulement
fes fujets, mais encore les malheureufes viâimes
d’une perfécution étrangère fe réjouiffent à l’ombre
de fa piété.
Cette merveilleufe princeffe, dont la terre eft indigne
, eft ravie par la mort dans la fleur de fon âge.
L’Europe en gémit, fes fujets n’aiment plus leur
propre vie : pour avoir une idée de la douleur de
fon époux, il en faut voir le portrait dans l’ouvrage
même ; il n’y a que l’intérêt de la caufe commune
qui puifle ranimer ce malheureux prince. Ayant
parte la mer, il forme l’entreprife la plus difficile
& la plus digne par-cela même de fa valeur : c’eft à
Namur qu’il en veut, cette ville fituéeli avantageusement,
fortifiée avec tant d’art depuis que Louis-
le-Grand en eft le maître, défendue par une armée
entière, & pour dire quelque chofe de plus, défendue
par Bouflers lui' même. Dans le tems qu’on
pouffe le fiege avec ardeur , Villeroi marche au fe-
cours des afliégés avec une armée formidable. Le
prince de Vaudemont, qui commande un camp volant
, fe dérobe au nombre des troupes Françoifes
par une retraite qui vaut la plus belle viftoire. Le
général François , voyant la perte de Namur prochaine
, met en cendres les édifices de Bruxelles : tel
un loup évite les griffes d’un lion pour fe jetter fur
une foible bergerie. Bientôt après la ville de Namur
fe rend, & le château eft contraint auffi de fe fou-
mettre au vainqueur. La réfiftance inexprimable des
affiégés ne fert qu’à augmenter l’éclat de la viétoire
de Guillaume. A peine le héros revoit-il fa capitale ,
que fes jours font mehacés par une nouvelle trahi-
fon. Pluton lui-même excite les Furies à répandre
leur fureur dans l’ame des traîtres : elles partent, &
les ennemis de la vertu fentent bientôt les fatales im-
preffions de leur venin.
La providence , qui veille fur une tête auffi pré-
cieufe , diflipe encore l’orage qui la menace. Après
tant de traverfes , la paix rend le repos à ce grand
monarque & à toute l’Europe.
C’eft ici que finit ce poëme. Ceux qui fe font occupés
à la leâure des Romans, trouveront peut-être
étrange que notre poète commence par le mariage
du prince. Mais il ne faut pas douter, que fi Rotgans
en eût été le maître, il n’e û t , pour les contenter,
fait arriver toutes les grandes adions de fon héros
avant fonhymenée.
On peut craindre encore , que les admirateurs1
outrés de l’antiquité ,. ne refufent à cet ouvrage le
non de poème épique , qui demande l’unité du fujet.
G’eftainfiquela colere d’Achille fait la matière de
VIliade) & que dansXEnéide , tout aboutit à l’arrivée
d’Enée en Italie. Il eft vrai qu’Homere & Virgile
en ont agi ainfi. Mais pourquoi n’auroit-il pas
été permis à Rotgans de prendre un plan plus étendu
} U n’y a point de principe dans la raifon qui
puifle empêcher un poëte de prendre pour fujet la
vie entière d’un héros. Suppofé que les deux premiers
hiftoriens n’euffent décrit chacun qu’une feule
guerre, eft-ce que les écrits de ceux qui ont pris
pour matière toutes les guerres d’un peuple, ne fe-
roient plus appellés des hijloires ? Si cependant on
ne daigne pas traiter de poème épique un ouvrage où
les plus grands exploits militaires font exprimés avec
grandeur , dans la penfée &c dans l’expreflion , &c
avec un défordre intéreffant ; qu’on l’appelle comme
on le voudra ; le poëme fera, toujours excellent
, quelque nom qu’on lui donne. Ce qui nous y.
paroît le plus digne de critique , c’eft qu’on n’y
obferve pas l’unité de fyftême : Vulcain , Neptune ,
Mars , Bellone , divinités du fyftême fabuleux , ne
permettent pas qu’on introduife dans un même poëme
, ni Dieu , ni l’ange Michel envoyé par le roi des
creux pour appaifer les vents. Venons au recueil de
pièces dont nous avons parlé au commencement de
cet article.
Des leçons de morale, tirées de quelques fables
anciennes, en compofent la première partie: une
noble fimplicité eft le caraftere de ces pièces, dont
quelques-unes font aflez étendues. Pour qu’on ait
une idée de la maniéré dont le poëte traite ces fujets,
nous en donnerons une traduite en vers irréguliers.
L a p ie t é d e B a u c is e t d e Ph il em o n .
Chaffés de tout un bourg, Jupiter & Mercure
Trouvent dans une hutte obfcure ,
Chc^ Philemon & che{ Baucis ,
Par tHymen , par les ans , par leurs vertus unis ,
Des tendres coeurs une retraite fure ;
Dans leur cabane avec la pauvreté
Demeure l'hojpit alité.
D'herbages & de choux , le vieillard plein de foins ,
Dépouille fon jardin ; Baucis officieufe
Les apprête , elle-fert fur la table boiteufe
Ces mets quelle dérobe à Jés propres befainsi
Une oye, ancienne fentinelle
Depuis dix ans garde'fidelle
D t la pauvre maifon ,
Echappe aux mains dé Philemon ;
I l veut faijir Voifeau pour faire bonne chere
A la compagnie étrangère.
L'animal fugitif a fon recours aux dieux :
Je fuis , dit Jupiter, le fouverain des deux ;
Honorant la vertu , je fais punir le vice :
P ocre bonté me touche, époux officieux ,
Mais vos cruels voifins fentirorif/na jufiiez.
Le village a P infant s'abîme fous les eaux ,
Mais la hutte refée éleve fes portaux ,
'Elle devient un temple auguficy
Et l'on voit fur ce couple jufie ,
Les ornemens facerdotaux.
Quiconque à P étranger, facile, charitable ,
Pour remplir les befoins fait de nobles efforts ,
Par fa dépenfe augmente fes trtfors ,
Et s'accumule au ciel un bien impèrifjable.
Ces fables morales font fuivies des oeuvres mêlées
de notre poete , parmi lefquelles fe trouvent
des poëmes héroïques d’affez grande étendue : tels
font Y Expédition <PAngleterre , les Exploits du Gêné
ral Ginkel en Irlande , la Prife de Namur, ôte.
On trouve auffi dans la même partie du livre, une
belle piece, intitulée : l'Affaffinat du Roi échoué.
Nousne faurions nous empêcher d’en rapporter
quelques ftances traduites dans notre langue.
Trônes majefueux, dont la hauteur brillante
Semble approcher du ciel vos nobles poffeffeurs ;
Trônes qui, par P éclat d'une, gloire inconfiantè ,
Eblouiffe£ nos yeux, & èaviffe^ nos coeurs.
Vous ave{ pour appui la fragilité meme,
La difeorde en fureur fappe votre pouvoir ;
En vain la garde veille autour du diadème ,
Quand le fujet n'efi pltis fidèle a fin devoir.
Le feeptre ef te jouet de P aveugle déeffe;
U ouragan fait crouler les palais orgueilleux ±
Et la hutte à P abri par fa propre bajfeffe ,
Elude les efforts des vents tumultueux.
Sous les lambris dorés loge la perfidie,
Jamais Pàrgille b Peau ne cachent le venin ;
Mais une main barbare , aux crimes enhardie ,
Cele fouvent la mort dans P or & dans le vin.
Pardon , Princes, pardon, f i la viciffitude
Où l'arrêt du Defiïn a fournis la grandeur,
Méfait bénir des jours libres d'inquiétude ,
Dont la modicité fait fixer le bonheur.
Je ne niéprîfepoint la puiffancefuprême,
Monarques révérés , âmes de vos états ;
‘ ' Non, je refpecle en vous la Divinité même ,
Mais je crains les dangers qui naiffent fous vospàSi
On trouve des beautés d’une autre nature dans
une lettre de l’auteur à M. Vollen-Ho*ve, miniftre
de la Haye, & poëte fort" eftimé en Hollande : il y
invite ce compagnon de fa' gloire, à venir paffer
quelque tems avec lui dans fa terre , dont il décrit
les agrémens champêtres avec tant de dignité , avec
une fimplicité fi noble , qu’on peut douter fi les français
feroient capables d’attraper fi bien ce véritable
goût de l’antiqüité.Un’y a que les efpritsdu premier
ordre, qui foient fufceptibles de l’art d’énoncer des
chofés communes d’une maniéré élégante & convenable.
11 eft vrai que la majefté naturelle de la langue
y contribue , & que la hollandoife furpaffe peut-
être la françoife de ce côté-là.
- Sur les épithalames de Rotgans, qui font la partie
fuivante de ce recueil, on peut faire la même remarque
que nous avons faite fur celle d’Antonides.
Il y a beaucoup de fixions ; & par-là , elles ne
plairoient pas tant aux beaux-efprits françois, que
les autres ouvrages de notre auteur. Dans ce genre
de pôéfie, ils aiment mieux le délicat que je fu-
blime : nous ne déciderons pas ici s’ils ont raifon.
Quoi qu’il en foit, nous croyons qu’ils approuveront
davantage les éloges funèbres en vers, qu’on trouve
ici fur plufieurs perfonnes d’un mérite diftingué. M.
de Dykvelt, qui s’eft acquitté avec gloire de plufieurs
ambaffades; la reine Marie & le roi Guillaume
font de ce nombre. Ces fujets font traités
avec toute l’élévation qui leur convient.
On trouve enfifite dans ce recueil deux tragédies,
oü l’auteur a exactement obfervé toutes les regies
du théâtre, en prenant pour modèle les tragiques
françois, que, félon fon propre aveu , il préferoit à
tous les autres. '
Les fujets font tout-à-fait nouveaux : le premier,
pris du XII liv. de l'Enéide, eft le combat d’Enée
&>de Turnus pour Lavinie.
Il y a peu de tragédies oii les circonftances qui
doivent mettre le fpeûateur au fait, fe déploient
plus naturellement. On voit en différens récits d’Enée
& de Latinus,l’arrivée desTroyens en -Italie, l’oracle
Tome I II.
de Dauiius qui défendoit à Latinus de donner fa
fille à un prince Italien ; l’engagement où ce roi
étoit entré de donner la princeffe à Enéë ;la rupture
de cette alliance , caufée par Turnus & par Amate ;
les batailles où le roi des Rutuliens avoit été battu
par les troupes de fon rival ; le fiege. mis devant
la ville royale. Tout cela fe développe fans le
moindre embarras.
La feene eft dans le palais de Latinus, où le
prince Troyen vient pendant une treve , pour chercher
avec Latinus, les moyens de terminer la guerre.
C’eft un changement que l’auteur a fait à l’hiftoire ,
pour ménager l’unité du lieu. Turnus s’obftine, malgré
les exhortations & les promeffes de Latinus, à
ne point céder Lavinie à cet étranger. Ces con-
currens ont différens entretiens enfemble, où il nefe
pafle rien d’indigne du caraftere d’un héros. Turnus
n’y appelle pas fon rival comme dans Virgile,
Phrygien efféminé, demi - homme , &c. Enée fur-
tout y parle à Turnus avec une modération & des
marques d’eftime dignes de fa fageffe. Une fédition
eft excitée cependant dans la ville, où le peuple,
las de la guerre, prétend que le roi des Rutuliens
vuide .la querelle avec fon ennemi, dans un combat
fingulier. 11 reçoit cette propofition avec joie ,
& malgré Latinus, malgré Amate, craintive pour
cet illuftre parent, il propofe ce combat à Enée qui
eft charmé d’un expédient pareil.
La princeffe, qui n’a déclaré fon penchant pour
Enée qu’à fa confidente, allarmée d’un côté par le
fang, & de l’autre par la tendreffe, fait de vains efforts
pour1 détourner leurs defleins. La feene, où
elle le conjure de ne le pas exécuter, eft une des
plus belles de toute la piece. En voici la traduéfion
qui ne conferve qu’une foible partie de fa beauté.
L a v i n i e .
Princes, où courez-vous ? Voye^ une princeffe,
Qui, pour fauver vos jours, à vos genoux s'dbaiffe ;
D'un amour malheureux modère{ le tranfport :
Fous vole{ au combat, ou plutôt à la mort.
Que votre fangverfé me va coûter de larmes l
Cruels, èpargnezm°i de f i vives allarmes.
Par quelle aveugle rage êtes-vous agités ?
Oui, ces dards dont vos mains menacent votre vie r
Font paffer, par vos coeurs, au coeur de Lavinie.
Avant qu ils'foient lancés tPune cruelle main,
T en fens déjà les coups qui me percent le fein.,
Princes y vous me voye£ fans voix & fans haleine :
Ah ! fouffre^ que mes pleurs éteignent votre haine.
Et toi, parent illufre, intrépide Turnus .
Toi, le plus ferme appui du trône de Daunus,
Qui menas mille fois aux villes de tes peres,
D'ennemis enchaînés des cohortes entières ;
Par un dernier effort, couronne ta valeur,
Combats tes paffions, triomphe de ton caur.
T u r n u s .
Non y princeffe, mon bras a fait peu pour ma gloire,
S'ilne joint à mes faits la plus noble victoire ;
Si du héros Troyen, ce fer réouvre le fa n e ,
Et ne lui fait vomir fon ame avec fon fang.
Mais y f i par mon trépas thon ennemi t'acheté ,
La gloire de Turnus croîtra par fa défaite ;
Princeffe, il périra pour un fort des plus beaux,
P ourles plus grands appas, par le plus grand héros.
L a v i n i .e.
Puifqu'à mes vaux ardens Turnus efiinfienfible ,
Je n'ai recours qu'à toi , Phrigien invincible ;
Toi y qui traînas long-tems par les flots courroucés ,
Des forces de Priant, le-s débris ramaffés ;
Toi y qui pendant dix ans y fur les'rives du Xante ,
Fis redouter tes coups à la Grèce tremblante ;
K k k i j