toute efpece pour' la nourriture de l’homme & des
animaux. Ce tableau, qui tranfporte toute ame
fenfible & reconnoiffante, eft une véritable image
de la création. La terre réjouie femble ouvrir
fon fein pour la première fois : elle étale à nos-
yeux toutes les richefles de la nature , 6c fa fur-
face devient un riche tapis émaillé de fleurs & de
verdure. Mais reprenons la végétation des bleds au
printems. _
La chaleur, affezforte dans cette fanon , fait ele-
Ver , en forme de vapeurs , du lein de la terre l’hu-
midité qu’elle contient chargée de parties végétales
& imprégnée de l’air & du feu, principes des fels, des
huiles , 6c de toutes les particules folubles qu’elle a.
pu diflbudre & détacher. Cette humidité ^devenue
leve, s’attache-aux molécules terreufes qui font em-
bralfées parle chevelu des racines, 6c s’infinite par ce
moyen dans les pores du parenchime des racines.
Ce fuc nourricier s’élève par les fibres vafculeufes de
la plante ; foit que cette afcenfiorî foitl’eftet de la chaleur,
ou de la preffion de l’atmofphere, ou de quel-
qu’autre caufe inconnue, ou même , fi l’on veu t, de
l’attraâior. des tuyaux capillaires, comme lefoutien-
nent les Newtoniens ; les racines de l'âge viril, qui
pouflent dans cette faifon au-deffus des deux rangs ae
racines qui fe font développées en automne , étant
plus poreufes, plus nouvelles, plus tendres & plus
près de la fuperficie delà terre , attirent en plus grande
quantité l’humidité des vapeurs, 6c les influences
pour fournir au bled une feve fuffifante à fa prompte
croiflance. Cette feve fe perfeâionne en coulant 6c
fe filtrant dans toutes les parties de la plante par une
forte de circulation à l’inftar de celle qui fe fait dans
le corps des animaux : elle fe change en paffant dans
les dilférens couloirs , c’eft-à-dire , des fibres verticales
dans les appendices utriculaires, en un fuc qui
eft propre 6c particulier à chaque efpece. Il eft aifé
de diftinguer au goût le fuc propre du bled de la Jim-
phe pure. Les enfans favent qu’en arrachant le tuyau
intérieur du bled à chaque infertion près des noeuds
qui font le long de la tige, cette partie tendre & blanche
a une faveur douce & fucrée qu’on ne trouve
point dans les feuilles en les mâchant. Ce fuc propre
coule comme la limphe dans fes vaifleaux particuliers
: c’eft lui qui fournit la nourriture à la plante dont
les parties s’affimilent par la fermentation avec celles
qui leur font analogues, d’où procèdent l’accroif-
fement & la végétation de la plante ; alors les feuilles
fortent de leurs étuis, 6c fe développent peu-à-peu
pour faire l’office de poumons, eninfpirant & refpi-
rant, par des trachées invifibles qui viennent y aboutir
, l’air néceffaire pour entretenir, par l’élafticité des
lames de ces trachées, le jeu des vaifleaux propres
& Emphatiques 6c la fluidité de la feve, fans quoi il
ne pourroit y avoir ni végétation, ni circulation. C’eft
par ce méchanifme d’une fimplicité admirable, que
le continue l’oeuvre de la végétation, jufqu’à ce
qu’enfin le tuyau du bled ayant acquis fa grandeur
naturelle , l’épi fort de fes enveloppes, portant les
parties fexuelles 6c les jeunes embryons qui doivent
le reproduire après fa fécondation.
Comme le fuc nourricier de la plante du bled doit
s’élever à une certaine hauteur pour pouvoir être élaboré
6c dépuré fuffifamment, afin de fournir un aliment
convenable à l’épi 6c aux femences qu’il doit
nourrir, & que d’ailleurs fi l’épi rampoitfur la terre,
la boue, les vapeurs, l’humidité, le gâteroient 6c
Æorromproient les embryons qu’il contient, fur-tout
lors du développement des parties de la fruûifica-
tion ; il étoit indifpenfable que la tige qui porte
l’épi & fon fruit fût longue , élevée , 6c diftante de la
lerre à une certaine hauteur: c’eft par cette raifon
que là tige eft creufe en-dedans, de maniéré que les
fibres verticales & ligneufes qui portent la feve depuis
ia racine jufqu’à l’extrémité , imitent, dans leuf-
dilpofition, la forme d’un tube cylindrique, ou d’un
tuyau de plume. Par cette conformation la tige en
acquiert plus dfe force pour l’outenir le poids de l’épi
& des femences, 6c fert à leur tranfmettre la feveèc
la nourriture fans la confommer pour fon entretien.
La tige ainfi formée, ne peut prendre d’accroiffe'-
ment ni de groffeur au-delà du terme qui lui eft pref-
crit : en ménageant la feve elle oblige les germes dit
bled à fe développer autour des noeuds des racines
vers le collet de la tige principale; ce qui fait taller
6c trocher les bleds : aufli voyons-nous que la plupart
des plantes annuelles font creufes intérieurement..
Comme la mobilité & la légèreté font aufli nécef-
faires à la tige des bleds que la force dont elle a be-
loin pour porter l’ép i, aucune antre forme n’étoit
plus propre à remplir ce double objet, comme on le
peut voir dans Lesj os des animaux, qui font creux ;
6c dans les groflès plumes des ailes des oifeaux, qui
quelque légères qu’elles foient, doivent avoir une
force prodigieufe pour battre l’air & y foutenir leur
corps malgré fa pefariteur 6c l’attraâion prétendue
du globe, ou plutôt la preffion de l’atmolphere du
fluide ambiant.
Le chaume, dis-je, chargé de fon fru it, a également
befoin de mobilité & de îégéreté , pour que
l’épi puifle être agité par les vents, 6c recevoir dans
toutes les faces les influences de l’air 6c des rayons
du foleil, 6c fur-tout afin que lés gouttes de pluie 6c
la rofée ne puiffent féjournerdaqs les balles ou capfu-
les qui renferment les embryons très-délicats, juf-
qu’à leur parfaite maturité, 6c fort fujets à fe corrompre
, parce qu’ils font nuds & à découvert ; au
lieu que la plupart des autres femences font enveloppées
par la chair de leur fruit, ou par des membranes
fortes & épaifles , comme dans les goufles 6c
fiiiques, ou par des boîtes ofleufes 6c ligneufes#
Mais afin que dans une fi grande élévation la tige
du bled ne foit point fatiguée de fon poids, & fur-tout
afin qu’elle ne puifle être brifée par les vents , elle
va toujours en diminuant de grôfleur jufqu’à fa fom-
mité, que fa fouplefle rend très-docile à fuivre les
agitations de l’a ir, & en même tems afin que la tige
puifle être garnie de feuilles, il s’y trouve des noeuds
d’intervalle en intervalle qui donnent naiflance à de
longues feuilles étroites, dont le pédicule membraneux
6c fort enveloppe chaque intervalle de la tige
6c lui fert de gaine. Les noeuds, ainfi que les four-'
reaux des feuilles, fervent à fortifier & à confier ver
la tige, qui fans ce fecours feroit trop foible , à caufe
delà mollefle des vaifleaux propresqui doivent porter
la feve à l’épi ; ils fervent également à dépurer lac
feve,qui en paflant, à fon retour des feuilles, par
cette efpece de criblé, parvient plus élaborée 6c tells
qu’il la faut pour fervir de nourriture aux grains de
l’épi. C’eft par cette raifon que le fuc propre de la
plante fe trouve en plus grande quantité près des
noeuds, & que cette partie eft plus douce & plus
fucrée que le refte , ainfi que je l’ai déjà remarqué.
Le froment a quatre noeuds femblables le long de fa
tige, lefquels y font l’office des glandes dans le corps
des animaux pour la dépuration des liqueurs circularités.
Lorfque les fromens ont commencé à montrer
leur épi, ils fleuriffent & défleuriflent en moins de
huit jours, pendant lefquels s’opère l’oeuvre de la
génération; enfuite les embryons féconds parviennent
à leur maturité dans le terme d’environ trente
ou quarante jours.
On défie les plus hardis partifans de la doftrine
abfurde duhazard, de nier que l’objet ou la caufe
Anale de l’organifation des femences dans le régné
végétal , &des oeufs dans le régné animal, ne foit la
reproduction d'individus femblables à ceux qui leur ont
donné Hêtre. Comme la nature , ou plutôt les loix félon
le (que lies elle agit, font le fruit d’une fuprême
intelligence , elle doit toujours agir uniformément :
ainfi l’analogie 6c la raifon, l’anatomie 6c l’expérience
, nous apprennent que les oeufs , comme les femences,
font infertiles & ne peuvent rien produire
li leur dé veloppement n’a pas été précédé^ de l’ünion
des fexes 6c du mélange des liqueurs prolifiques. Par
cette raifon tous les végétaux ont été pourvus, aufli
bien que les animaux , d’organes fexuels propres à
la fécondation : ce qui eft un paradoxe ou une âbfur-
dité dans ThéophrafteOudans Pline, eft aujourd’hui
Une vérité démontrée.
La fleur du froment eft hefrtiaphrodite , c’eft-à-
dire , qu’elle renferme les parties mâles & femelles
dans la même fleur, ou plutôt fous lès mêmes enveloppes
6c valvules du calice 6c de la corolle qu’on
appelle balles dans les plantes graminées. La fleur
confifte dans trois petits filamens capillaires, attachés
par leur pédicule aux valvules de la corolle , 6c qui
fupportent des anthères Verdâtres affez gros, longs
6c fillonnés dans leur milieu par une rainure qui les
partage en deux loges. Ces anthères font implantés
par leur milieu fur le filet qui les fupporte, & forment
avec lui un angle droit. La finelfe deces filets, qui
font fort louples, eft caufe que les anthères fontpen-
dans 6c facilement agités par îe vent. C ’eft toute cette
partie qu’on appelle étamine ou fieur mâle, parce
qu’elle renferme ta femence ou liqueur prolifique.
La fleur femelle confifte dans le pillil implanté fur
l ’ovaire, qui eft au fond du calice & de la corolle.
L’ovaire n’eft autre chofe que la capfule du grain de
froment qui n’_eft point encore fécondé : il eft couronné
d’un piftil en forme de double aigrette, propre à retenir
& à recevoir la poufliere fécondante des étamines
; entre ces aigrettes, fe trouve le ftigmate , qui
eft l’ouverture par où doit pafler le germe pour aller
féconder l’ovaire : après quoi l’embryon fécondé
devient un fruit farineux, que tout le monde connoît
fous le nom de froment, 6c dont j’ai donné plus haut
la description détaillée.
C ’eft la réunion de tous ces fruits fécondés à la
jfommité de la tige & des balles, qui leur fervent d’enveloppe
, qu’eft formé ce qu’on appelle épi ,fpica : il
eftfimple, 6c les petits faifeeaux ou paquets de fleurs
qui le compolent, font attachés alternativement 6c
fort près les uns des autres fur un axe dentelé , qui
leur lèrt de liipport à chaque dentelure. Varron dif-
tingue trois parties dans l’épi lorlqu’il eft entier, le
grain, la glume,ou balle qui l’enveloppe, 6c la barbe,
femblable à une longue aiguille qui termine l’extrémité
de la valvule extérieure de la corolle; il nomme
cette corolle gluma ,.à glubendo, parce que fes follicules
ou valvules fervent comme d’étui au grain ; il
appelle la barbe arifla, quod arefeat prima , parce
qu’elle fe defleche la première ; 6c le grain granum à
gerendo, parce qu’on ne le feme que dans l’elpérance
de lui faire porter plufieurs épis qui multiplient la
femence. Il ajoute que les anciens appelaient l’épi
Jpeca à fp e , à caufe de l’efpérance qu’il donne aux
laboureurs d’une moiflon prochaine.
En effet, dès que les étamines font dehors, les anthères
qu’ elles fupportent fe contra&ent par les
rayons du foleil, ou par quelqu’autre caufe provenant
de leur texture interne, qui les rend diadiques.
Cette contraûion brife les capfules de l’anthere , 6c
fait jaillir les pouffieres féminales dont elles font pleines.
Cette poufliere, compofée de petits grains inflammables
, eft remplie d’un efprit vital 6c prolifique
, tombe fur les ftigmates des piftils, 6c va féconder
les oyaires par l’intromiffion de cette poufliere
ôrgamfee ] que Needham regarde comme conteiiànt
les germes invifibles de la plante.
Après l’éjaculation des pouffieres fécondantes *,
qui porte le germe & la vie dans les ovaires j la fleur
du froment paffe, les filets des étamines fe defle-
chent, les anthères noirci lient 6c tombent ; alors tous
les foins de la nature le réunifient pour la confèrva-
tion du fruit fécondé. Les valvules de la corolle
que les aigrettes du piftil a voient entr’ouvertes pour
faciliter l’intromiflïôri de la poufliere fécondante, fe
reflerrent ; la plante porte aux germes de nouveaux
fucs élaborés dans les vaifleaux propres; chaque
grain eft rempli d’un fuc laiteux qui fe coagule 6c fe
recuit par la chaleur du foleil, 6c l’évaporation du
phlegme, 6c fe perfectionne parla fermentation * 6c en
fe filtrant par les vaifleaux & couloirs de l’ovaire $
pour fournir l’aliment au germe qui y eft renfermé*
Ç’eft ainfi que le germé, d’abord invifiblè , & qui eft
dû à la fécondation de la poufliere génitale , devient
une véritable plantule, qui poufle fa racine féminalô
dans le lobe de la femence, ainfi que je l’ai expliqué
dans l’anatomie du grain; plantule douée de tous fes
organes , 6c entièrement femblable à la mere qui l’a
produite, & qui continue de l’alaiter pendant trente
ou quarante jours , jufqu’à ce qu’ayant pris,fon entier
accroiffement elle fe trouve en état d’être fevrée*
Alors'les cordons ombilicaux 6c le placenta, qui fer-
voient d’attache au grain fur l’ép i, 6c qui lui appor-
toient la nourriture, fe deflechent 6ç fe détachent de
la mere-plarite , qui ne Iaifle tomber fa femence que
lorfque celle-ci èft en état de végéter par elle-même,
de chercher fa nourriture dans le fein de la terre, 6c
enfin de fie reproduire comme celle qui l’a engendrée-'
C ’eft par ces merveilles que la nature, foumife aux
loix que lui a impofées fon divin maître, perpétue
les efpeces des plantes dont il lui a confié la confer-
vation pour l’ufage 6c l’entretien des créatures for-,
mées de fes mains.
De ce que les étamines du bled font en dehors#
6c qu’elles ne font point garanties par le calice oui»
corolle, ni par aucune enveloppe, comme les fleurs
légumineufes,il s’enfuitque le froid & les pluies qui
arrivent dans le tems de la fleur des Bleds, doivent
beaucoup leur nuire. Le froid & les gelées reflerrent
les anthères, & étranglent les filets délicats qui les
fupportent ; ce qui empêche le jeu de ces organes 6c
les jaculations de la poufliere génitale ; l’humidité
des brouillards pénétré la corolle , diffoutla liqueur
vifqueufe 6c gluante du ftigmate; l’eau des pluies lave
les étamines, délaie la poufliere génitale , qui n’eft
plus propre à féconder les étamines, & l’entraîne
avec elle : alors les germes fe flétriflent; les ovaires fe
deflechent, reftent vuides; 6c c’eft ce qu’on exprime
en dilant que lesbledsfont coulés. La même chofe arrive
lorfque le fouffle des vents impétueux fatigue &
agite lesbleds en fleur, & enleve la poufliere fécondante
avant qu’elle ait pu produire fon effet ; enforte
qu’il fe trouve une infinité de faux épis, qui ont une
belle apparence à l’extérieiir, mais dont les cellules
ne renferment que peu ou point de grains : c’eft ce
que Pline défigne^par ces mots eventari frumenta , 6c
que nous appelions bleds ventés ou avortés.
Un inconvénient à peu-près femblable eft encore
dû aux coups de foleil, lorfque fes rayons trop ar-
dens., cachés par des nuages interpofés entr’eux 6c
les épis du bled en fleur , reparoiffent fubitemerit >
faififlent 6c furprennent trop vîte ces parties tendres
& délicates , les brûlent & détruifent leur organifa*
tion intérieure ; alors les grains attaqués , 6c dont
l’organifation eft dérangée , fe convertiffent en charbon,
ou s’alongent en forme d’ergot, comme je la
dirai ailleurs, en traitant des maladies du grain
en herbe : le fuc de la plante en féjournant dans
ces grains yiciés , fe corrompt au point de devenir