journaux, «un fimple catalogue ne peut guère mé-
» riter à un homme la glorieufe qualité d’inventer
» des journaux ; autrement les libraires qui ont con-
,, ftruit les catalogues informes desfoires de Franc-
» fort, avant que le P. Jacob -travaillât au lien, de-
„ vroient être regardés comme les premiers journa-
» liftes ». On ne lauroit donc s’empêcher de recon-
noîtr.e que M. de Sallo , confeiller au parlement de
Paris , eft le feul à qui la république des lettres foit
redevable d’une idée aulli neuve 6c auffi utile que
celle des journaux. Digné fils d’un pere doué des
qualités qui font les grands magiftrats, M. de Sallo
réuniffoit dans fa perfonne les divers talens qui concourent
à former 6c le magiftrat refpe&able 6c
l ’homme de lettres éclairé. Zélé pour le progrès des
fciences qu’il cultivoit avec une ardeur infatigable,
il efl’aya de leur rendre un fervice dont le fouvenir
ne périra jamais. Ce fut le lundi cinquième jour de
l ’année 1665 , que parut ce nouvel eflai, fous le
titre de journal des Javons. Il continua de paroître
dès-lors tous les lundis de chaque femaine, tant que
M. de Sallo en fut chargé ; 6c dans le volume de
janvier 1765 qui a paru cent ans après, on voit un
avis à l’occafion de l’année féculaire de fon inftitu-
tion. A peine cet ouvrage fut-il publié, qu’il s’attira
les regards 6c les fuffrages des favans ae tous les
pays ; on s’étonna qu’ on fe fût avifé fi tard d’un expédient
fi propre à hâter les progrès des fciences 6c
•des beaux-arts, & à en répandre le goût; l’Angleterre
en fentit fi bien l’importance, qu’elle n’attendit
pas la fin de cette même année 1665 pour publier
lin journal de Philofophie, fur le même plan, moins
général que celui qui venoit de naître en France,
mais qui eft devenu par la fuite un ouvrage précieux
d’un autre genre ; je veux dire les Tranfaciions philo*
fophiques delà Jociétcroyale de Londres. Voyez Birch,
Hijiory o f the royal Jociety of London , tome I I , p. iS,
o ù l’on voit que ce fut dans l’affemblée du premier
mars 166*» qu’on décida de l’impreftion du premier
cahier, compofé par M. Oldenburg. Voyez auffi
YHiJloire critique des journaux-, tome I , p. 5. Cet ouvrage
nous afervi dans cette notice hiftorique du
journal des favans, quoique nous nous en loyons
écarté quelquefois.
D e n i s d e S a l l o , l’inventeur 6c fondateur de ce
Journal ,êtoit fils de Jacques de Sallo, confeiller en
la grand’chambre du parlement de Paris. A la fin de
fon cours de philofophie , il foutint avec applaudif-
fement des thefes en grec & en latin :.il fut reçu
confeiller au parlement en 1652. On a de lui un ouvrage
intitulé: Traité de L'origine des cardinaux du
S. Siégé, & particulièrement des François , avec deux
traités curieux des légats à latere, 6* une collection
exacte de leur réception, & des vérifications de leurs fa cultés
au parlement de Paris. Cologne ( Paris ) , 1664,
in-12. Son ufage étoit d’extraire toujours des livres
qu’il lifoit ce qu’il y trouvoit de plus remarquable ;
plufieurs copiftes étoient occupés à ce travail : il
pouvoit, à l’aide de ces recueils , écrire fur une infinité
de matières. Camufat dit qu’il avoit vu neuf
volumes in-folio manufcrits des colleûions de M. de
Sallo, où les matières font rangées félon l’ordre
alphabétique. «Chaque volume contient, dit-il, au
» moins deux mille pages de grand papier, & l’on
» y voit avec étonnement des extraits de toutes
» fortes de livres grecs , latins, italiens, françois ,
» efpagnols 6c allemands. On y trouve, dit-il en-
>> core, fur chaque matière des mémoires prefque
» rédigés qu’il feroit facile de mettre en ordre ».
Une grande douceur, une profonde connoiffance
des loix, une probité à toute épreuve faifoient le
caractère de M. de Sallo: on peut voir un trait fin-
gulier de fa générofité & de fa bienfaifance, dans
une lettre de Bourfault à M . l’évêque de Langres.
M, de Sallo ayant entrepris le journal des favans*
6c fentant tout le poids d’un fi pefant fardeau , crut
devoir s’affocier dans ce pénible travail quelques favans
de fes amis , gens de goût & de mérite, dont il
fut faire choix. MM. l’abbé de Bourzeys, de Gom-
berville , Chapelain 6c l’abbé Gallois, furent de ce
nombre. Les lumières de ces habiles gens n’auroient
pas peu fervi à M. de Sallo pour le projet de réforme
qu’il méditoit, 6c pour donner à les journaux
le nouveau dégré de perfeftion qu’il avoit en vue,
lorfque des ordres fiipérieurs arrêtèrent le cours
d’un ouvrage qui ne voyoit le jour que depuis quelques
mois, 6c rompirent les mefures que prenoit
l’auteur pour le perfectionner { Camufat, p. 20. ).
Les intrigues des auteurs qui étoient mécontens de
fes jugement, la maniéré dont il avoit parlé d’un
décret de l’inquifition contre Baluze 6c M. de Lau-
noy, furent les caufes de" cette fuppreflion.
Charles Perrault parle dans les mémoires d’un
petit confeil de favans que le grand Colbert, ce mi-
niftre immorralifé dansnos annales littéraires 6c politiques
, avoit toujours auprès de lui pour le con-
fulter dans les chofes qui regardoient les lettres.
Perrault dit qu’il y étoit admis avec Chapelain,
Charpentier, les abbés de Bourzeys & de la Caf-
fagne ; d’autres mémoires y ajoutent M. de Sallo,
qui n’étoit pas confulté fur les feuls objets de littérature
, mais encore fur la marine, fur les droits de la
couronne, fur nos loix, &c. Ainfi, il ne faut pas être
furpris que M. de Colbert, convaincu de l’utilité du
journal littéraire, dont le projet avoit été propofé
6c agréé fans doute dans Ion petit confeil, l’ait favorite
6c protégé. Pour en affurer le fuccès & la durée,
il le fit munir du fceau de l’autorité royale, avantage
dont le journal des favans jouit feul en France,
à l’exclufion de tous les autres journaux littéraires ,
fous quelques titres ou dénominations qu’ils puiffent
paroître , 6c qui font encore dépendans pour la plupart
du privilège du journal des favans.
M. Colbert comprenoit trop combien le journal
étoit utile aux progrès des lettres qu’il protégeoir,
pour fouffrir qu’il fût interrompu & difcontinué bien
long-tems. Mais il s’agiffoit de trouver un homme
qui, affez docile pour fe foumettre aux conditions
qu’on exigeroit de lui, n’eût pas moins de talens que
M. de Sallo pour pouvoir le remplacer. M. l’abbé
G a l l o i s qui avoit déjà travaillé aux premiers jour-
.naux, fut celui fur qui on jetta les yeux : il étoit
grammairien, philofophe, mathématicien, théologien:
il avoit acquis des lumières en tout genre. L’étude
des langues orientales ne lui avoit pas fait négliger
celles de l’italien, de i’efpagnol, de l’anglois 6c de
l’allemand. Les, belles-lettres, la phyfique, la théologie
6c l’hiftoire faifoient fes délices 6c toute fon
occupation ; l’étendue de fon érudition ne nuifoit
point à la jufteffe de fon efprit, ni à la pureté de fon
ilyle. Avec tant de qualités, M. Gallois n’héfita
point à reprendre le journal, quoiqu’il connût la
difficulté de remplir la place d’un homme tel que
M. de Sallo. Celui-ci avoit difcontinué fon ouvrage
depuis le 30 mars 1665 , qui eft l’époque du troifieme
6c dernier journal qu’il ait donné au public; cependant
M. Gallois n’a commencé de publier la continuation
que le 4 janvier 1666. Il s’engagea à parler
de la plupart des ouvrages qui étoient fortis de def-
fous la preffe depuis le mois d’avril de l’année précédente
: il promit auffi de fe conduire avec tant de
modération, qu’on n’auroit pas lieu de fe plaindre,
6c il ajouta qu’il s’attacheroit à bien lire les livres
qui paroîtroient, pour en pouvoir rendre un compte
plus exaâ qu’on n’avoit fait jufqu’alors, fans s’attribuer
le droit d’en juger. L’auteur confacra ce
nouveau travail à Louis XIV, 6c le mit fous fa protection
par uneépître qu’il lui adreffa à la tête de fon
premier journal. On s’apperçut aifément de l’ardeur
6c de l’application avec lefquelles il y travailloit:
on ne fut pas moins étonné de la variété prodigieufe
qu’il y répandit, que des favantes 6c judicieules remarques
dont il enrichit fes extraits. 11 eut fur-tout
une attention particulière à recueillir les découvertes
quife faifoient dans l’aftronomie, la phyfique,
Jes méchaniques 6c dans les autres fciences. L’abbé
Gallois trouva bon que fon journal fervît comme de
champ de bataille aux auteurs qui avoient entr’eux
des difcuffions critiques qui pouvoient intéreffer le
public 6c les lettres. Le pere Labbe profita de cette
liberté, 6c écrivit contre M. Petit, intendant des
fortifications, qui répliqua à fon tour: il étoit que-
Hion d’un paffage de Pline. On voit auffi dans le
ieptieme journal de 1668, une lettre de M. Pec-
quet, où il foutint que M. Mariotte avoit tort de conclure
d’une nouvelle découverte qu’il avoit faite fur
la vue, que la vifion fe fait dans la choroïde, 6c non
pas dans la rétirçe, comme on l’avoit cru. M. Pec-
quet y prend parti pour la rétine, 6c répond aux
objections dç M. Mariotte.
Les bontés dont M. Colbert avoit comblé
M. Gallois, les diverfes occupations dont il l’avoit
chargé , ne lui permirent pas de s’occuper avec la
même affiduité, de ce travail; le nombre de journaux
alla toujours en diminuant, pendant les neuf
années qu’il en fut chargé. Dans l’année 1666, on
en vit paroître quarante-deux ; en 1667, dix ; en
3668 , treize ; en 1669, quatre ; en 1670, un feul ;
en .1671, trois ; en 1672, huit, 6c l’année fuivante
le journal manqua entièrement ; & en 1674, M. Gal-
loisen donna deux qui furent les derniers. M. l’abbé
d e la R o q u e lui fuccéda dans cette partie, & pour
perfectionner le plan fur lequel fes prédéceffeurs
avoient travaillé, il imagina de placer à la fin du
journal de décembre un catalogue des livres imprimés
chaque année. M. de la Roque fit le journal
l’eipace de treize ans, pendant lefquels il donna au
public 342 journaux. On voit par l’a ver tiffe ment
qui eft en tête de l’année 1680, qu’ils dévoient être
le feul dépôt de la littérature, tant nationale qu’étran-
gere; auffi voyons-nous que les découvertes les plus
curieufes de l’académie des fciences y furent annoncées
dans un tems où cette compagnie ne publioit
. point de mémoires.
La plume de M. C o u s in , préfident en la cour
des monnoies, qui fuccéda à M. de la Roque, ne
fut pas moins féconde ; mais elle fut plus eftimée,
& elle devoit l’être. Lz journal ^ auquel M. de la
Roque avoit ceffé de travailler dès la nn de l’année
1686, fouffrit une interruption durant les dix premiers
mois de l’année fuivante. M. le chancelier
Ëoucherat eut befoin de ce tems-là pour chercher
une perfonne douée dés qualités néceffaires à un
journalifte qui pût faire renaître les beaux jours du
journal, 6c rendre à cet ouvrage l’eftime générale
dont il avoit joui fous la direction de MM. de Sallo
& Gallois. Le choix qu’il fit de M. Coufin fit honneur
à fon jugement, 6c répondit à fes vues. Célébré
par la traduction fidelle & élégante des anciens
hiftoriens ecdéfiaftiques 6c des meilleurs écrivains
de Phiftoire Byzantine, M. Coufin jouiffoit déjà de
la réputation que tant d’ouvrages lui avoient ac-
quife. Ecrivain éclairé, judicieux , délicat, éloquent
, très-verfé dans la connoiffance de l’hiftoire
ancienne 6c moderne, 6c extrêmement laborieux ,
il poffédoit dans un dégré éminent toutes les qualités
qui pouvoient rendre au journal fon premier
éclat. Un ouvrage de cette nature ne pouvoit tomber
en de meilleures mains. On peut conjecturer auffi
par l’avertiffement qui eft à la tête du journal que
M. Coufin fit paroître en 1687, qu’il profita dans ce
nouvel emploi du fecoursdequelques-uns de fes amis.
Tome I II.
Cepèndant le journal, depuis fa naiffance jufqu’à
ce tems-là, c’eft-à-dire jufqu’à la fin de 1701 que
M. Coufin ceffa d’y travailler, n’avoit été que fous
la direûion d’un feul écrivain. Si quelques perfonnes
s’etoient jointes aux premiers journaliftes, c’étoit
fans aucun engagement de leur part ; & elles ne ren-
doient en cela qu un office d’ami. On comprit enfin
que le foin d un ouvrage de ce genre devoit être
confié à une compagnie de gens de lettres choifis &
verfés dans les différens genres de la littérature. M. le
chancelier de Pontchartrain voulut bien fe charger
du foin de former cette compagnie ; & M. l’abbé
Bignon , dont le zele pour le progrès des arts 6c des
fciences a éclaté en une infinité d’occafions, confentit
que les affemblées fe tinffent chez lui une fois chaque
femaine, & que cet ouvrage fût exécuté fous fes
yeux. M. Dupin, ce fécond 6c laborieux écrivain, fi
connu dans la république des lettres , fut choifipour
la Théologie : il eft vrai qu’il ne fut pas long-tems
affocié à ce travail ; car il fut relégué à Châtelleraulr,
en Poitou, en 1703 ; 6c on lui fubftitua M. Bigres ,
dofteur de Sorbonne. On choifit M. Rafficod pour
la Jurisprudence; M.Andry, pour la Phyfique & la
Médecine ; M. de Fontenelles, pour les Mathématiques
6c les matières d’érudition ( M. l’abbé de Vertot,
pour l’Hiftoire ; &M. Pouchart, pour les Langues 6c
la Littérature. Ce dernier étant mort fur la fin de
1705 , on lui fubftitua M. l’abbé Raguet, qui fut
fecrétaire du journal jufqu’à la fin de 1721 , qu’il
jugea à-propos de fe retirer.
M. l’abbé Bignon continua de préfider au journal
depuis l’année 1702 jufqu’en 1714, 6c M. de la Ro-
chepot lui fuccéda dans cette fon&ion. En 1717,
M. l’abbé d’Agueffeau voulut bien le remplacer juf-
qu’en 1718. Ce dernier eut pour fucceffeurs Mts
d’Argenfon, l’aîné 6c le cadet, fous les yeux defquels
le journal fut continué jufqu’en 1720. Depuis ce
tems-là , la préfidence du journal revint à M. l’abbé
d’Aguefleau , qui la remplit jufqu’en 1722 : elle
paffia enfuite à M. l’abbé de Vienne, confeiller de la
grand’chambre , qui la quitta au mois dé mai 1723.
Après une interruption de fept mois que le journal
fouffrit alors, M. l’abbé Bignon en voulut bien reprendre
la direûion en 1724, 6c y préfida jufqu’au
mois de juin 1739. On commença en 1724 à le publier
tous les mois, au lieu qu’il paroiffoit tous les
lundis. Pendant tout ce tems-là, diverfes perfonnes,
outre celles que nous avons nommées, travaillèrent
au journal. Le premier qui fut donné par la compagnie
dont nous avons parlé , parut le 2 janvier
1702, précédé d’une préface , dans laquelle les
journaliftes expofoient les vues de M. le chancelier,
6c le zele de M. l’abbé Bignon , pour la perfeôion
des arts 6c des fciences. Le journal fut très-bien reçu
du public, 6c mérita les éloges des critiques judicieux.
Bayle ne put refufer des louanges à fes auteurs
qu’il compara à lafameufe Médée, pour avoir rajeuni
du premier coup le journal qui tomboit dans les langueurs
de l’âge caduc ; & pour lui avoir redonné
d’abord toute la force , toute la vivacité qu’il avoit
eues dans fon état le plus floriffant. 11 n’oublia pas de
faire honneur à M. l’abbé Bignon de cet heureux
changement.
M. Coufin étant mort au commencement de 1707,
M. le marquis de Mimeure, qui fut choifipour remplir
fa place dans l’académie françoife, fit, félon
l’ufage , l’éloge de fon prédéceffeur. M. Sacy, avocat
au parlement, répondit au difcours à la place
de M. le marquis de Creffy, qui étoit pour lors
directeur de l’académie, mais qu’une indifpofition
empêcha de s’acquitter de cette fonction dans l’éloge
de feu M. Coufin. Voici de quelle maniéré M. dé
Sacy toucha l’article qui regardoit la continuation
des journaux ; « C’eft à M. Coufin, dit-il, que le
O O o o