Frédéric ne fut pas entendu; & cependant il Tut dé*
pofé, comme facrilege, héréfiarque& fauteur d’hé-
réfie. « Je déclare , dit le fier pontife, Frédéric déchu
» de l’empire: j’ordonne aux électeurs de nommer
» un autre empereur». Jamais Jefus-Chrift ne s’étoit
Fervi de ce ftyle , ni Pierre : ce dernier prêchoit l’o-
béiffanceà Néron. Le pape publie aufii-tôt une croi-
fade contre l’athée prétendu: les indulgences deviennent
le prix de la révolte, quileve un front hardi
Fous la bannière de la religion. Frédéric apprend cette
nouvelle, & gémit du zele indifcret des princes. Il
porte lui feul tout le poids d’une grande ame, & s’apprête
à foutenir les droits des fouverains contre l’Europe
qui femble les méconnoître. Il fe fait apporter
la couronne impériale; & la mettant fur fon front :
ils ne me l ’ont point encore ravie, dit - il. Conrad fon
fils retient les ducs dans le devoir, & les oppofe
aux évêques, qui couronnent des fantômes d’empereurs.
L’Italie & l’Allemagne ne contiennent pas une
bourgade que le pape n’anime de fon efprit. Ses par-
tifans, fous le nom de Guelpkes ; ceux de Frédéric,
Fous celui de Gibelins , fe livrent de continuels combats.
Frédéric montre un courage fupérieur à la haine
de fes ennemis, qui ne pouvant le vaincre, forment
l’odieux projet de Paflalfiner. Chaque jour on trouve
dans fon camp des religieux déguifés : des traîtres fe
.gliffent dans tous les coins de fon palais. Conrad même
eft follicité de s’armer contre fon pere, qui meurt
.au milieu de ces défordres ,du poifon que verfe fur
Fa vie le chagrin de fe voir abandonné de fes meilleurs
amis , & de ne pouvoir dégager Entius fon fils,
que le parti des Guelphes retenoit dans une cage de
Fer, après l’avoir fait prifonnier au fiege de Boulogne.
De l’aveu même de fes ennemis, Frédéric étoit le
plus grand génie de fon fiecle, courageux jufqu’à
l’intrépidité, généreux, magnifique, & l’un des plus
favans hommes de la terre. Il fut l’àmi & le protecteur
des artiftes célébrés, qu’il fit naître. Il fonda
plufieurs univerfités ; augmenta Naples & l’embellit ;
bâtit Alitea, Monte-Leone, Flagella, Dondona,
Aquila, & plufieurs autres villes. On croit que fon
deffein, & tout le prouve dans fa v ie , étoit de fixer
le fiege de fa domination en Italie, afin d’être plus à
portée de réprimer les brigues des papes, & que ce
fut la caufe des fanglantes tragédies qui forment le
tilfu de fon régné.
Ce prince eut fix femmes , Confiance d’Aragon ;
Yolande de Brienne; Agnès, fille d’Oton, duc de
Moravie, celle-ci fut répudiée ; Rutine , fille d’un
autre Oton , comte de Wolferzhaufen ; Ifabelle, fille
de Louis, duc de Bavière; & Mathilde, fille de Jean,
roi d’Angleterre. La première donna le jour à Henri
qui périt dans les prifons pour s’être révolté ; la fécondé
eut Conrad IV, & Jordan mort en bas âge ;
Mathilde lui donna un fils nommé Henri, qui fut dé-
figné roi de Jérufalem, & mourut empoifonné. On
ne fait de laquelle de fes femmes il eut Marguerite,
femme d’Albert le dénaturé, & Confiance, femme
du landgrave de Heffe: Blanche, marquife de Mon-
ferrat, lui donna trois fils naturels ;Mainfroy, prince
de Tarente ; Entius, roi de Sardaigne ; & Frédéric,
prince d’Antioche. ( M—r . )
FRÉDÉRIC III, dit Le Bel, (Hifioire<TAllemagne.')
n’eft point compté parmi les empereurs par les meilleurs
chronologifies. Il étoit fils de l’empereur
Albert I , & de l’impératrice Elifabeth, fille de May-
nard III, comte duTirol. II difputa le trône impérial
contre Louis de Bavière, qui le vainquit, & le fit
prifonnier à lafanglante journée de Mulhdorff, dans
le diocefe de Saltzbourg. Le vainqueur l’enferma
dans le château de Traunitz , d’où il fortit en 1325.
Les écrivains les plus dignes de foi difent qu’il n’ob-
tint fa liberté qu’en faifant le facrifice de fes droits ;
mais leshifioriens d’Autriche prétendent, fans doute
pour relever la gloire de leur maifon dücale,' que le'
traité portoit que les deux princes partageroient la
fuprême autorité : mais cette'opinion eft dépourvue
de vraifemblance. Un pareil traité ne peut fe fuppo-
fer entre le vainqueur & le vaincu: d’ailleurs le con-
fentement des états de l’empire devenoit abfolument
indifpenfable, & l’on n’en trouve aucun veftlge , ni
dans les hiftoriens, ni dans les acres publics. Louis ,
content de l’avoir dépouillé de toute autorité, lui
permit peut-être de porter le titre d’empereur, ce
qui n’eft pas fans exemple. On a vu plufieurs princes
dégradés conferver les titres pompeux qui conve-
noient à leur première fortune. Il mourut en 1330,
& on ignore quel fut le genre de fa maladie. Des écrivains
, dirigés par la haine, ont dit qu’il périt rongé
par les vers; d’autres qui fe plaifent à mettre partout
du merveilleux , qu’il fut empoifonné par un
philtre amoureux. (Af— r )
Frédéric IV , fuccefleur d’Albert I I , ( Hifioire
d'Allemagne.') XXIXe empereurdepuis ConradI. C e
prince, que fon infenfibilité aux affronts fit furnom-
mer le Pacifique, naquit l’an 1415, d’Erneft, coeur
de fer, duc d’Autriche, de la branche de Stirie & de
Zimbourg de Mazovie. Le nom d’Ernefi eft fort ancien
dans les annales de l’empire des ducs de ce nom ,
fous Louis le Débonnaire, élevés aux premiers emplois.
Frédéric n’obtint la couronne impériale qu’au
refus de Louis III, landgrave de Heffe. Ce tems étoit
fécond en aftions héroïques, & Louis ne fut pas le
feul qui réfifta aux attraits d’une couronne. Albert,
duc de Bavière , renvoya à Ladiflas, fils de l’empereur
Albert, né depuis la mort de ce prince, celle de
Bohême que lui offroient les états de. ce royaume.
Cet exemple de générofité fut fuivi par Frédéric IP ';
il refufalamême couronne, & fe chargea de la tutelle
du jeune prince qu’il fit élever à fa cour avec un foin
paternel. Les premières années de ce régné fe paffe-
rent en différentes intrigues, tant avec les cours de
Pologne , de Bohême & d’Hongrie, que l’enfance de
Ladiflas remplifloit de brigues , qu’avec celle de
Rome mécontente des décrets du concile de Bafle, êc
partagée entre Félix V & Eugene IV. On tint plufieurs
dietes & plufieurs conciles : les dietes remédièrent
à plufieurs abus ; mais les conciles furent
infructueux. Les électeurs favorifoient le parti de
Félix, & l’empereur celui d’Eugene. Ce pape, dont
l’hiftoire vante les talens fupérieurs , avoit dépofé
plufieurs prélats, & principalement les archevêques
de Cologne & de Treves, comme fauteurs dufehif-
me , & partifans de Félix qu’il traitoit d’antipape ,
qualification que l’on ne pouvoit donner à ce prince
fans bleffer le concile de Bafle qui l’avoit élu. Les
électeurs fe trouvant offenfés, s’affemblerent à Francfort,
& s’unirent pour obliger ce pape à caffer fa fen-
tence,&à fatisfaire les états d’Allemagne fur plufieurs
autres griefs. Cette union fut renouvellée quelque
tems après, & l’on ajouta qu’on ne décideroit rien
fur les affaires de l’empire , que du contentement
des électeurs qui s’engagèrent à fe donner des fecours
mutuels contre quiconque tendroit à les priver de
leurs droits. L’empereur fut invité d’accéder à cette
ligue ; mais comme il vouloit garder la neutralité,
il ufa de délais. Il fit avertir le pape de tout ce qui fe
paffoit, & lui confeilla de chercher les moyens de
parvenir à une réconciliation. Elle fefit en partie par
lès intrigues d’Enée Silvius Picolomini,fecrétaire de
, l’empereur. Il fut fi bien ménager l’efprit des électeurs,
qu’ils confentirent à reconnoîtreEugene pour
pape légitime, après cependant qu’il eut promis de
convoquer un nouveau concile, d’approuver les
décrets de celui de Cpnftance & de Bafle , de
rétablir les prélats dépofés , & de redreffer les griefs
des états d’Allemagne, conformément aux canons
du concile de Bafle. Eugene mourut couvert de glQire
Fannée d’après avoir figné ce traité. Il fut remplace
par Nicolas V. Ce nouveau pontife, dont le fou venir
fera toujours cher tant qu’on aura de l’eltime pour
les beaux-arts, ratifia ce traité, & confirma plufieurs
réglemens encore obfervés aujourd’hui. Ces regle-
mens connus fous le nom de Concordat de la nation
germanique , rétabliffoient i° . l’eleéhon canonique
dans tous les chapitres & communautés , mediate-
ment ou immédiatement fournis au S. Siégé ; 2 . der
fendoientau S. Siège Raccorder aucune? provifions
pour les expe&atives ; mais ils accordoient aux papes
la nomination aux bénéfices d’Allemagne varans en
cour de Rome, ou par la dépoiition.Stla tranflation
des poffeffeurs, faite par autorité apoftolique, ou
enfin quand réleâiflif ou la poftulation du nouveau
bénéfice auroit été annullée & càffée par le S. Siégé.
On convint encore que les papes nommeroient aux
canonicats qui vaqueroient dans les mois de janvier,
mars , mai., juillet, feptembre & novembre : l’élection
appartenoit aux chapitres pendant les fix autres
mois. Les annates furent abolies, mais on y fubftitua
une taxe que le nouveau bénéficier devoit au Saint
1 deux termes égaux, chacun d’Une annee
entfere. Les états voulurent engager Frédéric à réclamer
contre ces articles , mais l’indolent monarque
recherchoit moins le bonheur de fes peuples que le
fien propre. Il fut infenfible à leurs remontrances.
On avoit d’autant plus lieu de fe plaindre , qu’il eût
pu fanss’expofer, flipuler des conditions pareilles à
celles que Charles VII avoit acceptées. Les peres du
concile de Bafle fe voyant abandonnés par l’empereur
qui eût dû embraffer leur défenfe , le retirèrent
à Laufanne , & Nicolas V , pour achever de ruiner
le parti de fon antagonifte , fit préfent de la Savoie
au roi de France. Le peu d’ambition de Félix le fervit
encore mieux que cette politique. Il avoit déjà préféré
fa retraite de Ripaille à une couronne ; il facri-
fia encore le trône pontifical à ce délicieux afyle.
Frédéric , après l’extinftion du fchifme , envoya des
ambafladeurs en Portugal, demander en mariage la
princeffe Eléonore, fille d’Edouard, & niece d’A||
phonfe, roi de Naples & d’Aragon. Il fit en même
tems tous fes préparatifs pour entrer en Italie. Ce
voyage étoit entrepris non pour rétablir au-delà des
Alpes, l’autorité impériale , mais pour s’unir plus
étroitement avec le pape. Il reçut à Sienne la princeffe
Eléonore, & promit de l’époufer. Il refufa de
confommer ce mariage , dans la crainte , difoit-il,
que l ’enfant qui naîtroit, ne prît dans la fuite du
goût pour les moeurs italiennes. Avant de lui permettre
d’entrer dans Rome, Nicolas V lui fit jurer
qu’il feroit le défenfeur des papes & de l’églife Romaine
, & qu’il n’exerceroit dans Rome'aucun droit
de fouveraineté. Ce fut à ces conditions que Nicolas
lui fit ouvrir les portes, & le couronna roi d’Italie
& empereur. Eléonore fut aufli couronnée impératrice
, quoiqu’elle ne fût encore que fiancée. On doit
obferver que le couronnement de Frédéric fut le dernier
qui fe foit fait à Rome. Ses fucceffeurs durent
renoncer fans effort à une cérémonie aufli vaine que
ridicule. Elle ne confiftoit plus qu’à baifer les pieds
du S. Pere, & à conduire fa mule. Tant que Frédéric
refta à Rome , Nicolas V ne le quitta point un feul
inftant. Des écrivains ont penfé que c’étoit un effet
de la crainte que les Romains, mécontens du gouvernement
papal, ne fiffent des tentatives pour rétablir
les anciens droits des empereurs ; mais ce foup-
çon nous paroît peu fondé : au refte , il eft certain
que Frédéric ne fit rien pour les faire revivre.
Alphonfe ayant reçu Fa vifite , le détermina à confommer
fon mariage avec Eléonore : il fe décida
avec peine , & eut grand foin auparavant de faire
ecarter toute efpece d’enchantemens. C ’étoit alors
le tems des fortileges, & l’efprit de cet empereur
etoit imbu de tous les préjugés vulgaires. Cependant
les droits de l’empire n’étoient pas entièrement méconnus
en Italie. En effet, Frédéric tira quatre mille
florins d’or , en forme de cens , pour le duché de
Rhegio & de Modene, dont il donna l'inveftiture à
Bortius d’Eft. Il vendit la principauté de Piombono
aux Urfins , Sc refufa l’inveftiture du Milanois à
François Sforce , qui ne voulut point s’engager à
payer un cens annuel, ni rendre Parme à l’empire.
A fon retour en Autriche , il trouva Neuftat aflîégé
par les Hongrois & les Bohèmes qui lui redeman-
doient le jeune Ladiflas , qu’il gardoit toujours fous
fa tutelle. Il fut obligé de le leur rendre après avoir
fait plufieurs tentatives pour le retenir. Il s’étoit
meme fait aider des foudres de Rome. Cependant la
chrétienté étoit dans la plus grande agitation. LesTurcs
qui ne vouloiënt reconnoitre aucune borne à leur
puiffance , la preffoient à l’Orient. L’empereur Constantin
XIII voyant aux portes de fa capitale fes con-
querans que rien ne pouvoit arrêter , demanda inutilement
des fecours à Frédéric. Ce prince , abandonné
, mit toute fa reffource dans un noble défef-
poir : il périt fur la breche , & laiffa fôn trône à
Mahomet II , fon vainqueur. En lui finit l’empire
Grec , après avoir fleuri plus de douze ficelés. La
divifion des chrétiens occidentaux , la foibleffe &
l’avarice de Frédéric , ainfi que la défunion entre les
églifes grecques & latines , furent les principales
caufes de cette révolution. La conquête de cet empire
ne remplifloit point encore les defirs ambitieux
de l’invincible Mahomet, & par une fatalité inconcevable
, prefque tous les princes chrétiens, au lieu
de fe réunir dans ces triftes conjeâures , s’épuifoient
par de petites guerres les uns contre les autres. La
maifon deBrunfwickétoit en armes pour des falines;
la maifon Palatine pour le titre d’élefteur qu’un
adminiftrateur vouloit prendre. Le duché de Luxembourg
étoit envahi par le duc dé Saxe , & réclamé
par Ladiflas , roi de Bohême & d’Hongrie. Cependant
on indiqua une diete à Ratisbonne pour délibérer
fur les moyens d’arrêter les progrès des Turcs.
Les nonces de Nicolas y propoferent une croifade ;
elle étoit néceffaire, & Philippe-le-Bon offrit à l’empereur
fes biens , fes troupes & fon bras. Frédéric le
refufa, dans la crainte que cette guerre n’augmentât
la puiffance de ce généreux duc qui réitéra inutilement
fes offres dans une fécondé diete à Francfort.
Les Hongrois menacés des malheurs que venoient
d’éprouver les Grecs , fôllicitoient de prompts fecours
; mais l’empereur & le pape calculoient fans
ceffe les fommes qu’exigeoit une telle expédition.
Les états d’Allemagne qui connoiffoient la cupidité
de l’un & de l’autre, refuferent leur contingent,
s’offrirent de conduire eux-mêmes leurs troupes
parce qu’ils voyoient que leur principal deffein étoit
de s’attribuer l’argent des levées. Dans une troifieme
diete à Neuftat, au lieu de difeuter les plus grands
intérêts , on s’occupa à difputer fur la préféance , &c
l’on fe quitta fans rien terminer. L’empereur prépa-
roit fourdement la grandeur que fa maifon fit éclater
peu de tems après fa m ort, & il lui paroiffoit néceffaire
pour parvenir à fon but, de fe tenir uni au
pape. Il fe hâta de prêter l’obédience à Califte III,
fuccefleur de Nicolas. Les états vouloiënt qu’il tem-
porifât, & que l’on mît le pape en danger, afin de
l’engager à diminuer les chaînes du clergé germanique
; mais cette politique n’entroit pas dans fes def-
feins. Les états mécontens s’affemblerent à Nuremberg
& à Francfort, & le fommerent de s’appliquer
aux affaires du gouvernement, & d’avoir foin de
l’adminiftration de la juftice. Ils le menacèrent de
le dépofer , & de lui donner un fuccefleur , lui
vivant; Frédéric reçut avec indifférence cette inju-
rieufe fommation; &c pour les empêcher d’exécuter