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les autres combattans, envoyoient par-deflus leurs 1
tètes une grêle de traits fur l’ennemi. On apper-
çoit dans l’année des Grecs, comme dans celle des
Troyens, une égale attention pour découvrir & pénétrer
les deffeins de l’ennemi, pour furprendre &
s’empêcher d’être furpris , en un mot, autant de fa*
gacité que de courage dans l ’attaque & dans la défenfe.
Xénophon, dans fon Traité de la république
de Lacédémone, nous a confervé les réglemens militaires
de Lycurgue: les évolutions particulières, les
manoeuvres générales , la forme des camps , les
exercices des foldats, &c. tout s’y trouve ordonné
avec foin.
L ’infanterie étoit divifée en fix corps égaux, & la
cavalerie dans le même nombre d’efeadrons. Ceux-
ci étoient de cinquante cavaliers qui fe formoient
en quarré. Chaque corps d’infanterie étoit commandé
par un polémarque, quatre locaques ou capitaines
, huit lieutenans & feize énomotarques ou chefs
d’efeouade. Ces efeouades fe partageoient encore en
trois ou lix pelotons ; chaque corps d’infanterie , à
ce que dit Xénophon, contenoit quatre cens oplites
armés de boucliers d’airain. Thucydide leur en donne
cinq cens douze , & dit que Vénomotie ou efeouade,
avoit ordinairement quatre hommes de front fur
huit de hauteur. Xénophon dit que l’on mettoit la
phalange en bataille fur plus ou moins de profondeur
, fuivant les occurrences , & que les comman-
demens étoient faits à la voix par chaque ènomotar-
qut , qui rempliffoit à cet égard les fondions ordinaires
des hérauts.
On plaçoit à la tête des files les meilleurs foldats
( ^oye{ F i l e dans ce Suppl.'). Les marches fe fai-
foient en colonne par énomotie. L’ennemi fe pré*
fentoit il, chaque fe&ion avançant, ou fur la droite,
ou fur la gauche de celle qui la précédoit, la troupe
fe trouvoit en bataille, alignée fur le front de la
première énomotie. Si l’on étoit attaqué par derrière,
on oppofoit, par une contre-marche, les chefs
de file à l’ennemi. Lorfque les conjonctures l’exi-
geoient, on portoit, avec la même facilité, la droite
à la place de la gauche , la gauche à la place de la
droite ; & s’il arrivoit qu’on fût enveloppé par des
forces fupérieures, on faifoit auflî-tôt front de tous
'côtés, on oppofoit par-tout une égale réfiftance.
On campoit en rond, à moins que la difpofition
du terrein ne contribuât elle-même à la fureté de
quelque côté du camp. On établiffoit dans l’intérieur
des retranchemens, des poftes d’infanterie pour la
police & le bon ordre , & au-dehors des gardes de
cavalerie pour découvrir au loin, & fe garantir des
furprifes.
On èxerçoit les foldats tous les jours ; on com-
mençoit dès le point du jour à les faire manoeuvrer,
marcher & courir, en obfervant que dans la courfe
comme dans la fimple marche , ils gardaffent exactement
leurs rangs. Les manoeuvres finies , le polémarque
faifoit fon infpe&ion particulière , après laquelle
il envoyoit la troupe faire le repas du matin.
Les mêmes exercices fe reprenoient dans l’après-
midi ; & lorfqu’ils étoient achevés, un héraut com-
mandoit aux foldats d’aller prendre le repas du foir,
d’offrir aux dieux un facrifice, & de fe coucher
enfuite auprès de leurs armes. L’efprit de querelle
& de diffenfion , & tous les vices que l’oifiveté
traîne après fo i, n’avoient pas le tems d’infefter
des foldats toujours affemblés, toujours occupés,
dont les a&ions les plus communes étoient affujet-
ties à un ordre invariable.
L’armée étant rangée en bataille, à lacyue de l’ennemi
, le roi facrifioit une chevre à la Diane des
champs en préfence de tous les foldats, dont les
armes étoient luifantes & polies , & qui avoient la
tête ornée de couronnes de fleurs. Après le facrifice,
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les joueurs de flûte, dont il y avoit plufieurs dans
les rangs , ayant commencé l’air de la chanfon de
Caftor, le roi fe mettoit en marche le premier :
l’armée le fuivoit, & s’avançant en cadence au fon
de ces inftrumens , & d’un pas égal, fans troubler
fon ordre , ni confondre fes rangs, elle alloit avec
joie affronter la mort.
La douce harmonie de la flûte tempéroit le courage
bouillant des Lacédémoniens , empêchoit que
leur valeur impétueufe ne les emportât trop loin, &
les rendoit bien plus redoutables, en les retenant
unis & ferrés dans leurs rangs, malgré la célérité de
leur marche. L’ennemi rompu & mis en fuite, il ne
leur étoit permis de le pourfuivre, qu’autant qu’il le
falloit pour que la déroute fût entière & la victoire
affurée. Lycurgue fegardoit comme indigne d’une
nation libre & généreufe de maflacrer de fang-froid
des gens épars, débandés, hors d’état de fe rallier.
Cette maxime n’étoit pas moins avantageufe qu’honorable
aux Spartiates : ceux qui combattoient con-
tr’eux , allurés qu’en s’opiniâtrant à leur tenir tête,
ils avoient tout a redouter & rien en fuyant, pré-
féroient fouvent le parti de la fuite à une défenfe
trop obftinée.
Dans les beaux fiecles de la Grecè tout citoyen
étoit foldat : lorfqu’il s’agiffoit du falut de la patrie,
ou de la défenfe de fon propre pays, perfonne n’étoit
difpenfé de prendre les armes : les plus vigoureux
marchoient en campagne, les jeunes gens & les vieillards
demeuroient pour la garde des remparts.
Aufli-tôt que les jeunes gens avoient atteint leur
vingtième année , le nom en étoit inferit dans les
regiftres publics, &ils dévoient marcher à la guerre.
Chez les Athéniens, on les envoyoit dès l’âge de
dix-huit ans dans les forts ou châteaux, où ils étoient
drefles à tous les exercices militaires ; cependant on
ne les admettoit point dans les armées qu’ils n’euffent
vingt ans ; ce n’eft qu’à cet âge qu’on recevoitleur
ferment militaire. Tout Athénien étoit obligé de le
prêter, lorfqu’il étoit mis pour la première fois fur
la lifte de citoyens ; & pour le rendre plus inviolable
, la cérémonie s’en faifoit publiquement dans le
temple d’Agraule. « Je jure, difoit le candidat, que
» je ne déshonorerai point la profefliondes armes;
» que je ne fauverai jamais ma vie par une fuite hon-
» teufe , & que je combattrai jufqu’au dernier fou-
» pir pour la défenfe de ma patrie, de concert avec
» tous mes concitoyens , & feul même, s’il le faut:
» j’en prends à témoins Agraule, Mars & Jupiter ».
Il falloit à_ Sparte quarante ans de fervice pour
être exempt de marcher aux guerres étrangères : les
Athéniens jouiffoient communément de cette exemption
à l’âge de quarante-cinq ans. Cependant il dé-
pendoit quelquefois des généraux de leur faire prendre
les armes dans un âge beaucoup plus avancé.
La loi du fervice perfonnel dans les armées oblL
geoit indiftinCtement tous les citoyens, quels que fuf_
fent leur état & leur bien, & chacun s’acquittoit fuc_
ceflivement de ce devoir envers la patrie. Dans Athe.
nés, le peuple régloit la forme des levées fur les repré-*
fentations des généraux nommés pour commander
l’armée ; après quoi, l’un d’entr’eux étant monté fur
un tribunal élevé dans la place publique, ceux qui
fe trouvoient dans le cas de marcher, venoient fe
faire enregiftrer en fa préfence : on en faifoit enfuite
la revue dans le Licée, & l’on choiliffoit les plus
propres pour le combat. Quiconque ne fe fût pas
préfenté pour marcher à fon tour, eût été déclaré
infâme, & comme tel banni de la place publique &
des temples.
La guerre étoit le véritable élément des Grecs ; &
lorfqu’il falloit les contraindre de marcher,plufieurs
s’offroient volontairement. Les premières guerres
que les Grecs eurent les uns contre les autres , fe
fâifoient de proche en proche : les opérations en
étoient vives , promptes Si de peu de durée. Après
une bataille , ou gagnée ou perdue, après quelques
ineurfionsdansletems de la moifl’on, chacun fe reti-
roit chez foi jufqu’à l’année fuivante. Les armees
n’étoient alors compofées que de citoyens qui marchoient
à leurs dépens ; quelquefois‘il s’y joignoit
un petit nombre de troupes fournies par les peuples
voifins Si alliés. La pauvreté commune empêchoit
qu’on ne pût avoir des foldats mercénaires: l’ufage
d’en employer s’introejuifit néanmoins d’affez bonne
heure. 5
Les troupes des Grecs ne confifterent d’abord qu’en
infanterie ; foit pauvreté de leur part, foit que leur
pays ne pût nourrir beaucoup de chevaux, ils furent
long-tems fans cavalerie , ou n’en eurent qu’un fi
petit nombre, Si fi peu expérimentée, qu’elle n’étoit
d’aucune utilité dans les batailles. Les peuples du
Péloponnefe ignoroient encore l’art de manier un
cheval, lorfque la première guerre de Meffene commença.
A mefure qu’ils devinrent plus profonds dans
la taCtique , ils eurent aufîi plus de cavalerie.
Les Grecs avoient trois fortes de fantaflins : les
pefamment armés , connus fous la dénomination
générale d'oplites ; ceux qui avoient la pelte pour
bouclier, & les armés à la légère. Les armes des
peltes , quoique femblables à celles des oplites,
étoient beaucoup moins pefantes, rien ne nuifoit à
leur agilité.
Les armes défenfives de l’infanterie pefante étoient
le cafque, la cuiraffe, les grèves, un grand bouclier.
Les armes offenfives furent d’abord une épée allez
courte , une lance & des dards. Là pique vint en-
fuite ; mais l’ufage de celle-ci, quoique connu du
tems d’Homere, ôc la meilleure arme qui convînt
à un corps deftiné à faire des efforts extraordinaires;
ne s’introduifit que fort tard. Sa longueur, chez les
Grecs, étoit moindre que celle des lariffes Macédoniennes
; mais il n’y avoit rien là-deffus d’uniforme :
les uns les portoient plus longues , les autres plus
courtes. Epaminondas, qui fut le créateur de l’infanterie
Thébaine , ne put affujettir fes citoyens à une
réglé fixe & confiante. Plufieurs de fon tems portoient
encore des maffues ; les Arcadiens s’en fer-
voient aufli.
Iphicrate fit un changement général dans les armes
de l’infanterie pefante d’Athenes. Trouvant les boucliers
trop grands , les cuiraffes trop pefantes, les
piques & les épées trop courtes, il diminua la grandeur
des boucliers, augmenta la longueur des piques
& des épées ; enfin au-lieu de cuiraffes de fe.r, il en
donna de toile de lin à fes foldats. Philippe arma fes
phalangiftes de grands boucliers, de cafques, de cuiraffes
', de grèves , de piques qui avoient vingt pieds
de long, & d’épées courtes & tranchantes, dont ils
fe fervoient avec beaucoup de dextérité , lorfque
leurs piques venoient à te rompre , ou que joignant
l’ennemi, l’ufage de cette arme leur devenoit
inutile.
Les Lacédémoniens mieux exercés, mieux difcipli-
nés que les autres Grecs, eurent aufli la meilleure
infanterie pefante. :!ils ont pu fe glorifier long-tems
de n’avoir jamais eu le deffous en combattant à
pied.
Chez les Grecs, la même infanterie qui combat-
toit fur terre étoit encore employée fur mer. Egalement
exercée dans les deux genres de combats , elle
confervoit fur les vaiffeaux autant d’ordre, autant
de difeipline , autant d’intrépidité, qu’en pleine
campagne.
Les armés à la légère furent dès le commencement
une portion d’autant plus effentielle de l ’infanterie
des Grecs, qu’ils fuppléoient en quelque forte
au peu de cavalerie qu’il y avoit dans leurs armées.
La légéfeté de leurs manoeuvres , la célérité de leurs
mouvemens , leurs attaques brufques, vives, répétées
, & faites de loin, contraftoientavec la lenteur,
la fermeté , l’uniformité d’aCtion des pefamment armés.
Comme ils pouvoient, par leurs armes de fe r ,
leur nuire extrêmement, aufli leur rendoient-ils à-
peu-près autant de fervices que la cavalerie ; & cela
fit qu’on ne s’appèrçut pas fi-tôt de la néccflité de
celle-ci. L’infanterie légère éclairoit les marches ,
éventoit les embufeades, s’emparoit des poftes avancés
, des défilés, des gorges de montagnes, & des
hauteurs qui les dominoient : elle affuroit les retraites
, harceloit l’ennemi, & l’obligeoit de fe tenir continuellement
fur fes gardes ; dans le combat, elle
tomboit fur lui la première , & mettoit la confufion
dans fes rangs avant qu’il pût en venir aux mains.
S’il étoit vaincu, elles’abandonnoit fur lui, achevoit
de le rompre, & l’empêchoit de fe rallier.
Les Grecs avoient cru pouvoir remplacer leur
cavalerie par des troupes armées à la légère, mais
ils ne tardèrent pas à revenir de leur erreur. La ca.-
valerie ne faifoit auparavant que la dixième ou la
onzième partie des armées, mais fa proportion à l’infanterie
augmenta , Iorfqu’Alexandre eut forme le
projet de détruire l’empire des Perfes. Il paffa en
Afie, à la tête de trente-cinq mille hommes, dont
cinq mille étoient de cavalerie. Ce prince étoit fi
perfuadé de l’avantage que procure une bonne cavalerie,
& de fa néceflité pour foutenir même la meilleure
infanterie, qu’il s’attacha particuliérement à
en former une qui pût, dans fon genre de fervice,
égaler la phalange. Il la compofa de la jeunefle Ma-'
cédonienne la plus diftinguee par la naifîance & le
courage : il voulut qu’elle s’appellat par diftinCtion
la troupe des amis, & dans toutes les batailles il
combattit à la tête de ce corps.
Les Grecs regardoient l’infanterie , dans l’inftant
du choc, comme un grand corps mis en mouvement,
dont, en lui fuppofant toujours une égale vîteffe,
l’effort fur les obftacles qu’il rencontre, doit croître
en raifon de fâ maffe. Sur ce principe, pour imprimer
à leurs phalanges une force prodigieufe dans
l’attaque, ils leur donnoient beaucoup de front &C
d’épaiffeur, & tiroient étroitement les parties de
ce grand corps , en obfervant que les rangs & les
files fuffent extrêmement ferrés.
Il n’y eut jamais rien d’uniforme fur la longueur
dè chaque troupe ; elle dépendoit de fa force & de
fa hauteur : la force changeoit fuivant les conjonctures
; la hauteur , félon l’ufage des lieux ou la volonté
des généraux. Les Lacédémoniens fe mettoient ordinairement
en bataille fur huit, au plus fur douze de
hauteur ; les Athéniens, fur huit, fur feize , & quelquefois
fur trente. Philippe & Alexandre préférèrent
le nombre de feize; celui de trente ou de trente*
deux prévalut fur les princes Grecs d’Afie , à
mefure que la difeipline fe relâcha , que 1 art militaire
pencha vers fa décadence.
Les Grecs , dont les armées étoient prefque tou^
jours compofées de troupes fournies par divers
alliés , avoient accoutumé de ranger leur infanterie
par cantons ; & ils la formoient fur une feule ligne
droite continue , & fans avoir d’intervalles entre
fes différens corps. Le front de leur bataille fe diyi-
foit feulement en deux parties , l ’aile droite, l’aile
gauche, & chaque aile en deux feûions. Ils pla*
çoient toujours aux ailes tout ce qu’ils avoient de
meilleures troupes : c’étoient-là lesdeuxpoftes d honneur.
Ils favoient manoeuvrer avec tant d’ordre &
de précifion, qu’ils craignoient peu d’être enfoncés
par le centre, certains de rétablir ce défavantage par
la grande fupériorité de leurs ailes. Leur méthode
de partager en quatre feftions le front de leur