O r , je foutièns qu’au lieu de l'embellir, ils ont
gâté la tragédie, non-feulement par les facrifices^ que
leurs poëtes ont été obligés défaire à leurs muficiens,
niais parce qu’il eft impbffible à la mufique de com-
penfer le tort qu’elle fait à la vérité, à la rapidité, à la
chaleur de l’expreffion. Pour s’en convaincre on n’a
qu’à voir fi un opéra italien a caufé jamais cette émotion
continuelle, ce faififfement gradué,cette alternative
preffante d’efpérance & de crainte,de terreur 6c
de compaffion, cè trouble enfin qui nous agite du
commencement jufques à la fin de Mérope ou d’Iphigénie.
Non-feulement cela n’eft pas, mais cela n’eft
pas poffible, parce que la modulation altérée du récitatif,
quel qu’il foit, ne peut jamais avoir la véhémence
& l’énergie du langage paffionné; auffi voit-on
qu’en Italie l’opéra n’eft point écouté, que dans,les
loges on ne penfe à rien moins qu’à ce qui fe paffe
fur le théâtre, & que l ’attention n’y eft ramenée
que lorfqu’une ritournelle brillante annonce l’air
poftiche qui termine la fcene & qui en refroidit l’intérêt.
Voyez dans l’article même que je réfute , le
cas qu’on fait en Italie de l’adion théâtrale, & les
conditions qu’on impofe aux malheureux poëtes qui
fe condamnent à compofer des opéra.
Pourquoi donc avons-nous'auffi adopté un fpec-
tacle où la vérité de l’expreflion eft fans ceffe altérée
par l’accent mufical? Le poëten’y eft- il pas fournis
à la même contrainte ? Les gradations, les dévelop-
pemens, les nuances ne lui font-ils pas également
interdits? N’eft-il pas de même obligé d’efquiffer
plutôt que de peindre, & d’indiquer les mouvemens
de l’ame plutôt que de les exprimer? Ne s’impofe-t-il
pas encore d’autres gênes que le poëte italien ne
connoît pas ? O u i, fans doute ; mais le fpe&ateur
en eft dédommagé par des plaifirs d’un autre genre ;
& c’eft en quoi le fyftême françois eft plus confé-
quent que le fyftême italien.
Si Quinault n’avoit voùlu produire fur fon théâtre
que l’effet de la tragédie, il auroit tâché d’imiter Racine,
d’approfondir le coeur humain, de donner plus
de véhémence & plus d’énergie à fon ftyle, plus de
forceàfes cara&eres, plus de chaleur à fonaûion;
& fans employer, ni le charme du chant, nilepref-
tige du merveilleux, il auroit fait frémir, il auroit
fait verfer des larmes ; mais fon projet fut de réunir
dans un feul fpeâacle tous les plaifirs des yeux &
des oreilles, & d’en faire un enchantement. Il falloir
pour cela donner à fon a&ion non-feulement la couleur
fombre de la tragédie, mais toutes les couleurs
& toutes les nuances du fentiment qui plaît à l’ame
& qui eft fufceptible du chant.
L’irréconciliable ennemi de Quinault n’admet pour
l’expreffion muficale que les fituations violentes, les
mouvemens paflîonnés ; & ici on a de la peine encore
à l’accorder avec lui-même: « Imaginez, a-
» t-il dit, un peuple d’infpirés & d’enthoufiaftes dont
» la tête feroit toujours exaltée, dont l’ame feroit
» toujours dans l’ivreffe & dans l’extafe; un tel
>* peuple chanteroitau lieu de parler; fa langue na-
» turelle feroit la mufique ». Voilà fon hypothefe ;
on va voir comme il la dément : « On ne peut pas,
» dit-il, au fpeftacle toujours rire aux éclats, ni tou-
» jours fondre en larmes. Orefte n’eft pas toujours
- » tourmenté par les Euménides-; Andromaque au
>» milieu de fes alarmes apperçoit quelques rayons
» qui la calment ». Il deftine donc le moment tran?
quille au récitatif, & le moment où La paflion ejî dans
toute fa force, dans toute fa variété, dans tout fon dé-
fordre,\\ le réferve pour la déclamation qui porte le
nom d’aria.
Mais dans l’opéra italien, on entend trois heures
de récitatif; où eft alors l’ivrejfe, Yextafe ? Mais la
déclamation plus chantée, Varia f i c elle toujours
paffionnée ? N’eft - elle jamais douéfSK tendre ? N’at
- elle jamais le charme d’une mélodie voluptueufé
& fenfible ? N’eft-ce pas même par fes variétés & par
le mélange de fes caraûeres, qu’elle enchante l’oreille
fans la raffafier jamais? De'quelque côté que
mon critique fe retourne, il verra que les faits lui
font auffi contraires que les raifons, & qu’il eft auffi
peu d’accord avec lui-même qu’avec moi.
L’air mefuré, cette efpece de chant dont les Italiens
ont des exemples fublimes & dont ils nous ont
donné l’idée, n’étoit pas connu du tems de Quinault;
mais par fentiment Quinault lui a ouvert une carrière
bien plus vafte que celle où par théorie on veut
ici le renfermer.
En effet les paffions violentes ne font pas les feules
dont le ton s’élève au deflùs de la fimple récitation.
La tendrefle, l’inquiétude, fefpéranèe, la joie , la
volupté s’animent ; & toutes les fois que l’ame eft en
mouvement, foit que ce mouvement ait plus Ou
moins de violence & de rapidité, il donne lieu à
une expreffion plus vive & plus marquée que le langage
tranquille & fimple : c’eft - là ce qui diftingue
l’air, ce qui le rend fufceptible d’une infinité de
nuances, & c’eft auffi ce qui rend l’opéra françois
fufceptible d’une variété inépuifable dans les ca-
ra&eres du chant. 11 eft tragique par intervalles
comme l’opéra italien, & la mufique du r>lus grand
genre y trouve à déployer fes forces ; rirais il préfente
auffi à la mufique douce, voluptueufe & tendre,
des fentimens à exprimer, & des tableaux graciéux à
peindre. x
Voilà les fources de fa richeffe, & ce qui fera
tout abandonner pour le fyftême de Quinault, l’idée
la plus grande & la plus magnifique qui foitfortie de
la tête d’un poëte depuis Homere & depuis*Efchy!e.
« Si vous choififlez deux compofiteurs de l’opéra
» françois, infifte encore mon adverfaire ; que vous
» donniez à l’un à exprimer le défefpoir d’Andro-
» maque lorfqu’on arrache Aftianax du tombeau où
» fa piété l’avoit caché, ou les adieux d’Iphigénie
» qui va fe foumettre au couteau de Calchas, où
» bien les fureurs de fa mere éperdue au moment
» de cet affreux facrifice; & que vous difiez à l’au-
» tre : faites moi une tempête, un tremblement dé
» terre, un choeur d’aquilons, un débordement dé
» Nil, une defeente de Mars, une conjuration ma-
» giqué, un fabbat infernal, n’eft-ce pas dire à ce-
» lui-ci : je vous choifis pour faire peur ou plaifir aux
» enfans ; & à l’autre, je vous choifis pour être l’ad-
» miration des nations & des fiecles » ?
Il y a , fi je ne me trompe, dans ce parallèle un
peu de déclamation ; d’abord l’ôn ne voit pas à quoi
bon ce partage: le même compofiteur à qui l’on don-.
neroit à exprimer le défefpoir d’Andromaque ne feroit
pas déshonoré fi on lui donnoit auffi à exprimer
les gémiffemensde l’ombre d’Heâôr, qui fe feroient
entendre du fond de fon tombeau; celui qui auroit
exprimé les adieux d’Iphigénie ou le défefpoir de fa
mere, pourroit fort bien annoncer la defeente de
Diane par une fymphonie augufte ; celui qui auroit
à exprimer la douleur d’Idoménée obligé d’immoler
fon fils, ne dédaigneroit pas d’imiter la tempête de
l’avant - fcene ; la chûte du Nil ne feroit pas un fpec-
tacle moins magnifique à peindre aux yeux & a l’oreille
que le triomphe de Séfoftris; & fans être un
peuple d’enfaris on pourroit être.ému de la beauté
de ces peintures. Un choeur infernal peut auffi n’être
pas un bruit de fabbat: les Greçs,ne l’appelloient pas
ainfi fur le théâtre d’Efchyle ; il n’y reffemble pas
davantage dans l’opéra de Caftor ; & quant à l’exécution
, il eft poffible & facile encore d’y mettre plus
de vraifemblance.
Enfin il n’eft pas plus effentiel à l’opéra françois
qu’à l’opéra italien dç jouer fur le mot, de badiner
lur des fyllabes; mais dans l’un & l’autre on peut
L Y S
peindre; c’eft -a- dire, imiter des fons avec des fons
reffemblans, mais harmonieux ; c’e ft-là ce qu’on
appelle embellir la nature; & pourquoi fi une fim-
phonie plaît, lÜ'rs même qu’elle n’exprime rien, déplaira
- 1 - elle en; difant quelque chpfe ? Pourquoi les
prodiges de la nature qui font fenfibles à L’oreille né
feroient - ils pas;rVetracés à l’oreille ? La mufique n’a-
t-elle pas fes cô'ulèurs comme la peinture ? L’ame ne
jouit-elle pas de;l’ùne & de l’autre imitation ? Sans
doute, le compofiteur qui aura vivement exprimé
les paffions fera^admiré de tous les fiecles ; mais fi
ce même homm;e Ajoute à.ce talent celui de peindre
en fons harmonieux .les grands phénomènes de la
nature, il n’en ^fira que plus de gloire; & c’eft la
double carrière que préfente au génie le fpeélacle
du merveilleux j, car fon avantage eft d’entremêler
continuellementfïes fçën,e$ pathétiques de prodiges
qui les amenent^d’incidens qui les interrompent ,&
de tableaux qui JeS.yarient: tel eft le plamd’Armide,
d’Amadis dé Roland, de Proferpine, de Théfée &
d’Àtis , dé Dafdanus &c de Caftor.
. Quant auj^details fur lefquèls le critique a fait des
obfervations très - judicieules, voye^ A jr , C h a n t ,
C h oe u r , D v p y R é c i t a t i f , D é c o r a t i o n &
T héâtre.*&'c. Quant au vrai ftyle de l’opéra fran-
ço is , ôp'S la forme de ce poëme la plus analogue à
ion caraâeré, je né ferai que répéter ce que j’en ai
dit dans là poétique frànçoife. Voye^ O p é r a , Supplément.
Ç Ml M^rmontel. )
LYRODIE* *( Mufiq. des anc. \ air pour la lyre.
(F .D .C .) , : . J m m è à m m m — i m anc.)
Mulomus dans fon .traite De Luxu grcecor. , parle
d un infiniment de mufique des anciens appellé ly 'ro-
phoenicion. (F: D . C.~)
_ LYS , lilium, (Géogr. eccléff abbaye de Berna-
dmes,, dans je Gâtinois, diocefë de .Sens, éleûion
de Melun , près de la Seine : elle doit fa fondation
à la reine Blanche & à faint Louis, fon fils, qui, par
l ’a fte , donnèrent à ce monaftére , le pain, lefel
Çf le chauffage : l’enclos de 120 arpens fournit
le vin. L églife, le choeur & les dortoirs fe ref-
fentent de la 'magnificence royale des fondateurs.
On y conferve le coeur dé la reine Blanche avec
beaucoup de piété ; l’oftenfoir eft des plus piagni-
ficju.es ; c’eft un don de là reine., mere de Louis
.XtV. La réforme y fut introduite par M. de la
Trimouille , fous la minorité (jé Louis XIV. Quand
I3 ;.fô2ür du miniftre Colbert en fut bénie abbeffe
én 16 7 7 , toute la cour affifta à cette cérémonie.
Chriftine , reine de Suede-, vifita cette abbaye il y
a plus d’un fieçle , & demanda aux dames , « avec
» des voeu x, pourquoi des grilles ? & avec des gril-
» les , pourquoi des voeux » ?
Alix de Bourgogne, derniere comteffe dé Mâcon,
après qvoir vendu fon comté à. faint Louis , en 1248,
ce avoir perdu fon mari, Jean de.Dreux, mort en
la Terre-Sainte, en 1249 > religreufe à Mau-
buiffon , & fut abbefle du Lys, où elle fut inhumée
en 1232. (C.)'
I LYSANDRE , (Hijf. de Lacédémone.’) Lacédémo-
nien , rendit à fa patrie la fupériorité qu’elle a voit
cedee aux Athéniens. Les Spartiates affoiblis par les
victoires d’Alcibiade,élurent pour généralLyfandre,
geme audacieux & fécond en Teffources. Son éloquence
militaire lui fit beaucoup d’alliés : il leva
une armée dans le Péloponefe, & en profitant dés
alarmes des Ephefiens, qui cràignoient de tomber
tous la domination des Perfes ou des Athéniens , '
il les engagea à, lui confier le gouvernement de
Jair viUe ; ayant appris que Cyru s, fils de Darius,
etoif à Sardes ; il s’y trànfporta pour lui expofer
combien il étoit intéreffé à humilier la fierté des
Lomé JUi 1
L Y S 8 2 ?
Athéniens ; ce jeune prince dont il cafeffa la fierté
lui accorda une augmentation pour fes foldats *
cette libéralité lui fournit une armée de déferfeurà
q u i, en affoibliffant les Athéniens, le mit en état de
tout exécuter ; tandis qu’il enrichiffoit fes foldats
1 confervoit fous fa tente toute l ’auftérité Spartiate *
.1 profita de I’abfence d’Alcibiade , pour attirer'aiî
combat le-general imprudent à qui il avoit confié
le commandement. Lyfandre coula à fond vingt
vaiffeaux Athéniens ; le retour d’Alcibiade releva
le courage des vaincus , qui brûloient d’effacer la
honte de leur défaite dans' un • fécond combat •
Lyfandre craigmt de compromettre fa gloire contre
un général qui n’avoit pointiencore éprouvé
de revers. L’année de fôn commandement étant
expiree , il ne put voir fans jaloufie qu’on lui fub-
ltituoit Callicratidas qui l’égaloit en talens militaires
oc qui lui etoit bien fupérieur en fentimens : il
s en vengea baffement, en renvoyant à Cyrus le
trefor deftine à la paye du foldat ; Call icratidas
prive de cette reffource fut dans l’impuiffance da
foutepir le poids de la guerre ; là flotte fut battue
1 dilperfee a la journée des Argineufes. Les alliés
de Sparte folliciterent le rétabliffement de Lyfandre '
& fon retour à 1 armee releva tous les courages**
il juftifia cette confiance par la viftoire d’Egoà
Potamos , où toute .la flotte des Athéniens fut difi-
fipéè ; trois mille prifonniers furent égorgés impitoyablement
par les Péléponéfiens. 1
Lyfandre parcourut en vainqueur toutes les villes
maritimes, dont il changea la forme du gouver-'
nement ; il ordonna à tous les Athéniens de fe
retirer dans leur ville dont il médifoit le fiege ; fa
politique étoit de l’affamer; les Athéniens, autre-
, fois arbitres de la Grece, fe virent réduits à men-»
dier la paix , aux- conditions qu’on; voulut leur
fouferire ; Lyfandre entra dans leur ville, dont il
fit rafer les murs; la forme du gouvernement fut
changée ; l’oligarchie fut abolie, & on y fubftitua
trente archontes, q u i, dans la fuite, furent appelles
tyrans ; toutes les. villes alliées ou fujettes
d’Athenes, ouvrirent leurs portes à Lyfandre &c
lui érigèrent des ftatues ; les poëtes naturellement
adorateurs des heureux qui peuvent les récompen-
fe r , chantèrent fes louanges , & le mirent au rang
def premiers héros de la Grece : il ne crut pas
fon ouvrage affermi tant qu’Alcibiade auroit les
yeux ouverts ; il follicita Pharnabafe de le lui livrer
mort .ou yif : ce fatrape violant les droits facrés
de l’hofpitalité, envoya des faillites qui le tuèrent
à coup de dards, les profpérités de Lyfandre
corrompirent fon coeur , il deyint avare &c cruel :
huit cens des principaux habitans de Milet furent
égorgés par fon ordre ; quiconque lui déplaifoit
etoit traite, en coupable ; les provinces devenues
la proie de fes exaûions, portèrent leurs plaintes
à Aparté , qui rappella fon général pour entendre
fij juftification ; quoiqu’il ne fut point puni, il eft
à prefumer qu’il fut trouvé coupable , puifqu’il y
vécut fans confidération, jufqu’à l’expédition d’A-
géfilas, contre la Perfe , où il fut nommé chef des -
trente capitaines fubordonnés à ce roi Spartiate
dont il traverfa tous les deffeins par une baffe rivalité
; il retourna à Sparte où fon ambition lui fit
jetter les yeux fur le trône ; fa defeendançe d’Her-
cule lui en frayoit le chemin ; mais comme il n’y
avoit que deûx branches de la poftérité de ce héros
qui euffent droit de prétendre au pouvoir fouverain,
iî rélolut de s’affocier à leur privilège : il corrompit
la prêtreffe de Delphes ; mais, malgré toute fa dextérité
, il ne put fe faire affez de partifans pour arriver
à fon but.
t Tou te la Gre.ce alarmée des progrès rapides d ’A -
g éfda s, réfolut d’oppofer une digue à ce torrent qui
M M m m m ij
I -É S