répétés dans des momens fi doux ,ifi enchanteurs ;
l’amante qui les donne paroît fi défintéreflee, animée
de tant de bonne f o i , infpirée elle-même par de fi
bons motifs, qu’on croiroit fe manquer à foi-même,
que de ne pas les fuivre ; 6c s’ils font écoutés 6c fui-
v is , que devient ce roi fage, courageux , bienfai-
fant , libéral, jufte, doux ? Que deviendra l’état lui-
même ? A quelle caufe le fouverain trop crédule 6c
trop confiant attribuera-t-il les revers qu’il éprouvera?
Et à quelle autre caufe qu’à fon aveugle complai-
fance pour la reine Jeanne, 6c pour fes maîtrefles
qui le trompoient ? Jean I I put-il rapporter les
malheurs de fon régné, les troubles qui agitèrent fes
états , les difgraces qu’il éprouva lui-inême , les in-
juftices qu’il f it , quoiqu’il fût par carattere ôc par
principe le plus jufie des hommes ? Il étoit courageux
, 6c en plus d’une occafion il fut furpris lui-
même de manquer de fermeté: il aimoit à verfer des
bienfaits , 6c, fans le vouloir , il refufa plus d’une
fois de récompenfer des fervices : il étoit g a i, 6c il
tomba fouvent dans la mélancolie. Il fuivit trop les
confeilS*de fes maîtrefles ; il écouta fes favoris , 6c
fut trop facile à prendre les impreflions qu’ils lui donnèrent.
Sans ces foibleffes, qui eurent des fuites
fâcheufes, il eût été un bon ro i, 6c digne à tous égards
de l’eftime , du refpeft 6c de l’amour de fes lujets.
Fils dé Ferdinand , infant de Caflille, roi d’Aragon,
Ôc de dona Léonore d'Albuquerque, il étoit fort
jeune encore, lorfque fon pere l’ayant promis en
mariage à Jeanne , reine de Naples , 6c figné même
le contrat, le fit paffer en Sicile : mais Jeanne, impatiente
d’attendre, avoit éppufé Jacques de Bourbon,
comte de la Marche, lorfque l’infant don Juan arriva
en Sicile. Mécontens de cette alliance , les Napolitains
offrirent à Ferdinand de prendre les armes en
faveur de fon fils ; mais ce roi fage lëür fit répondre
qu’il avoit affez de couronnes, 6c que fon fils étoit
trop heureux d’avoir manqué d’époufer une reine
aufli inconftante. L’infant, aufli peufenfible que fon
pere à la légéreté de Jeanne , refla en Sicile jufques
après la mort de Ferdinand : mais alors Alphonfe V ,
foq frere, roi d’Aragon, le rappella , dans la crainte
que les Siciliens, nation turbulente 6c avide de révolutions
, ne vouluffent le mettre fur le trône. Jean
revint à la cour de fon frere, 6c peu de tems après, en
1419, il époufa dona Blanche, reine douairière de
Sicile 6c héritière du royaume de Navarre. Elle ne
tarda que peu d’années à jouir de fes droits , 6c
don Carlos le noble étant mort, Jean monta fur le
trône de Navarre, oit il fe fit aimer de fes fujets,
autant que les puiflances étrangères l’eftimerent par
fa juftice & le craignirent par la valeur. Le premier
a£le de royauté qu’il exerça , fut de fe rendre médiateur
entre le roi d’Aragon, fon frere, 6c celui
de Caflille, prêts à fe faire une cruelle guerre. Dans
la fuite , 6c lorfque par fes foins il fut parvenu à
rendre fes états floriffans, il accompagna le roi Alphonfe
V , fon frere, dans l’entreprile de la conquête
du royaume de Naples, où il fe fignala par fa valeur
autant que par la prudence & l’utilité des confeils
qu’il donna, 6c qui furent fuivis. Ce fut encore lui
q u i, toujours rempli de zele pour les intérêts du
conquérant, vint de Naples en Efpagne, annoncer
aux états d’Aragon affemblés , les fuccès éclatans
des armes de leur fouverain. D ’Aragon il pafla en
Caflille , où d’importantes affaires le retinrent. Ce
fut pendant les troubles qui agitèrent ce royaume ,
6c auxquels le roi de Navarre prit peut-être trop de
part, contre les avis d’Alphonfe, que mourut la
reine Blanche , fon époufe , dont il avoit eu trois
enfans, don Carlos, prince de Viane ; Blanche, qui
fut mariée à Henri I V , roi de Caflille, 6c qui en fut
féparée par l’impuiffance de fon époux ; 6c Eléonore ,
qui dans la fuite fut appellée au trône de Navarre.
La mort de la.reine Blanche fut une fource de malheurs
pour fes enfans, 6c de chagrin pour Jean, qui
ayant époufé en fécondés noces Jeanne Henriquez,
fille de l’amirante de Caflille ; 6c ne fe conduïfant
plus que d’après les fuggeftions de cette femme ara-
bitieule , méchante 6c cruelle marâtre , écouta les
odieufes dénonciations ; & d’après fes calomnies,
traita don Carlos, fon fils, avec tant de rigueur, que
les Navarrois foulevés prirent les armes, 6c voulurent
le forcer à remettre le feeptre à dón Carlos, qui
a voit, à la vérité, les droits les plus inconteftables
à la couronne du chef de fa mere , 6c en qualité de
petit-fils de Charles I II, furnommé le noble. Jean ,
toujours animé par fa perfide époufe , en ufa plus
févérement encore ; 6c le prince de Viane , violemment
perfécuté, prit les armes , moins dans la vue
de détrôner fon pere , qu’il ne ceffa jamais de ref-
peéler, que pour fe fouflraire aux fureurs de fon implacable
marâtre. La Navarre étoit divifée entre le
pere 6c le fils ; chacun d’eux étoit, à la tête d’une
armée nombreufe, impatiente de combattre : la
guerre civile éclata, déchira le royaume, dura long-
tems , fut malheureufe pour don Carlos, qui tomba
au pouvoir de fon pere,& fut, à l’infligation de l’inflexible
Jeanne , renfermé dans une obfcure prifon
d’où, après avoir langui pendant quelques années, il
fe retira à Naples , dans l’efpérance de trouver auprès
d’Alphonfe V , fon oncle, un repos qu’il eût
en vain cherché à la cour de fon pere. Alphonfe V ,
touché des malheurs de fon neveu , agit fi puiflam-
ment 6c avec tant de zele , qu’il parvint à calmer le
reflentiment de Jean, qui rappella le prince de Viane ;
mais la reine Jeanne, qui avoit depuis long - tems
juré la perte de don Carlos, dans la vue de faire
monter fon fils don Ferdinand fur le trône , recommença
fes intrigues , fes calomnies, fes délations ,
& parvint à brouiller plus que jamais ce jeune prince
avec fon pere. Indignés d’une perfécution aufli fou-
tenue, les Navarrois proclamèrent tumultueufement
don Carlos roi. Jean prit les armesy déshérita fon
fils, 6c la guerre civile fe ralluma avec la plus atroce
violence. Le roi d’Aragon fe rendit encore médiateur
entre fon frere 6c fon neveu, 6c l’envoyé de ce
monarque arriva au moment où les Navarrois divifés
étoient fur le point de remettre à une bataille la dé-
cifion de la querelle. La médiation d’Alphonfe épargna
encore à la Navarre le dernier des malheurs s
mais il môurut lui-même à Naples, après avoir institué
fon frere Jean roi de Nayarre, héritier des
royaumes d’Aragon , de Valence , de Majorque,
de Sardaigne 6c de Sicile, ainfi que de la principauté
de Catalogne. La nouvelle de cette mort ne fut pas
plutôt parvenue en Aragon, que Jean I I fut proclamé
à Saragoffe, le 25 juillet 1458. Le feeptre Navarrois
âppartenoit évidemment à don Carlos ; mais trop
docile aux fuggeflions de Jeanne, le roi d’Aragon fe
hâta de nommer la comtefle de Foix , fa fille , vice-
reine de ce royaume ; il donna aufli un vice-roi à la
Sicile , où il craignoit que don Carlos qui y étoit,
ne fufeitât quelque Soulèvement. Mais bien loin de
Songer à remuer, le prince de Viane offrit à fon pere
de le retirer où il voudroit, 6c le roi lui défigna
Majorque. Don Carlos s’y rendit : fa prpmpte obéif-
fance défarma fon pere, qui lui permit d’aller réfider
par-tout où il voudroit, excepte en Navarre ou dans
la Sicile, lui promettant de lui rendre la principauté
de Viane, 6c de reftituer à l’infante dona Blanche,
Séparée de Henri IV , roi de Caflille., tout fon apanage.
Ce traité paroiffoit fixer la bonne intelligence,
& elle fe feroit loutenue,fi la turbulente Jeanne eût
pu confentir à laifler vivre tranquillement le prince
de Viane. Elle commença par engager fon trop facile
époux à refufer aux états d’Aragon 6c aux états
de Catalogne, de déclarer don Carios fon fuccefl’eurj
& ce refus en effet très-injurieux, aigrit l’efprit de
don Carlos, qui, peu de tems après, fut promis en
mariage par fon pere à dona Catherine, infante de
Portugal : mais , tandis qii’on négocioit ce mariage
a la cour d’Aragon , les ambaffadeurs de Henri IV ,
roi dé Caflille, offrirent Secrètement au prince don
Carlos l’infante dona Ifabelle, foeur de Henri, 6c
héritière du trône de Caflille. Le prince de Viane
connoiffoit lés engagemèhs que fon pere avoit pris
avec le roi de Portugal, 6c il y avoit lui-même consenti
; mais l’alliance qu’on lui propofoit étoit pour
lui d’une plus grande importance , 6c d’ailleurs les
Caftillàris s^engageoient à le mettre , quoi qu’il arrivât
, fur le trône de Navarre. Quelqu’ébloüiffantes
pourtant que fuffent ces promeffes, le'prince de
Viane ne s’engagea point , 6c ne répondit qu’en
termes généraux. Jeanne, informée de cette négociation
, la fit Servir de prétexte à la plus atroce des
délations ; elle dit à fon époux que don Carlos avoit
conjuré fa perte, 6c que d’accord avec les Caftillans,
il voùfôit le'détrôner. Jean I I refufâ d’ajouter foi à
cette accufation. La reine eut recours aux larmes ;
6c Jean I I , fe laiffant perfuader, promit de faire arrêter
fon fils, qu’en effet il fit faifir, 6c transféra de
prifon en prifon ,’ comme s’il eût été coupable des
crimes les plus noirs , tandis que fa perfide époufe
faifoit courir le bruit que le prince avoit çonfpiré
contre la vie de fon pere. Ces délations ne s’accréditèrent
point, elles fouleverent au contraire tous les
citoyens, qui connoiflant 6c déteftant le carà&efe
delà reine, fe Soulevèrent en faVeur^dë l’innocent
opprimé. Les états d’Aragon 6c ceux de Catalogne,
indignés de tant d’injuftice , demandèrent hautement
à Jean I I que le prince fût mis en liberté, & qu’il eût
à le déclarer fon fucceffeur : Jean refùla; les états
affemblerent des troupes 6c équipperent une flotte
pour obtenir ce qu’ils demandoient. Irrité par là ré-
fiftance, le roi arma de fon côté , & la guerre civile
alloit boule verfer l’état, lorfque la reine, après avoir
pris les plus criminelles précautions, changeant de
ton , parut s’intéreffer au prince de Viane , conjura
fon époux de le mettre, en liberté , 6c mêmé de. le
déclarer fon fucceffeur. Jean II n’eût point haï fon
fils , s’il n’eût point eu la foibleffe d’époufer les paf-
fions de la reine. Il rendit la liberté à fon fils, qui
mourut, comme Jeanne l’avoit prévu, peu de jours
après fon élargiffement à Barcelone, après avoir inf-
titué par fon teftament dona Blanche, fa foeur ,
héritière du royaume de Navarre ; teftament qui
fut aufli fatal à Blanche , que les prétentions de don
Carlos avoient été funeftes à lui-même , 6c qui ex-
pofa dona Blanche à la haine 6c aux noirceurs de'la
reine d’Aragon. En- effet , le prince de Viane eut à
peine les yeux fermés, que fon impatiente marâtre
engagea les états de Catalogne à reconnoître fon fils
don Ferdinand pour légitime fucceffeur de Jean I I , 6c
à lui prêter ferment. Les peuples n’eurent point la facilité
des états ; ils fe fouleverent, & la révolte devint
générale par les tracafferies de Jeanne , qui irrita
contr’elle la nobleffe,en protégeant les vaffaux contre
les feigneurs. La révolte devint fi violente, 6c la haine
que l’on avoit pour Jeanne étoit fi forte , que. cette
reine craignant pour fa vie, prit la fuite, 6c elle s’enferma
avec don Ferdinand fon fils à Gironne, où
bientôt les mécontens allèrent l’afliéger. Jean I I ,
fecouru par la France , fit lever ce fiege, 6c délivra
fon époufe, qui, peu fatisfaite de la mort de don
Carlos , avoit agi avec tant d’art 6c de fuccès contre
la foeur & l’héritiere de ce prince , dona Blanche ,
que le roi d’Aragon , effrayé des complots dont fa
fille étoit accufée , l’avoit fait arrêter , & la faifant
conduire au-delà des Pyrénées, l’avoit livrée au
comte & à la comtefle de Foix, fes deux plus cruels
^ennemis. Accablée des maux que fes perfécutcurs
' Tome III.
lui faifoient fouffrir, Blanche écrivit au roi de Caf-
tille, implora fa protection, 6c lui offrit, s’il vouloit
la délivrer de fon affreufe prifon , de lui céder fes
droits fur le royaume de Navarre. Jeanne, informée
de cette offre, s’excita à de nouvelles atrocités. Elle
fi,t transférer dona Blanche au château de Béarn ,
ou , apres deux années de tourmens, cette infortunée
princeffe mourut de poifon. Jean I I , qui ne fe
doutoit point de ces horreurs, & qui regardoit fa
criminelle époufe comme la plus douce 6c la plus
vertueufe des femmes , ne concevoit pas les motifs
de la haine des Catalans, de leur foulévement, du
refus qu’ils faifoient de fe fou mettre , de la guerrè
qu’ils loutenoient pour fe rendre indépendans : ce
n’etoit cependant point à l’indépendance qu’ils afpi-
roient ; mais déterminés à ne jamais rentrer fous le
joug de la cruelle Jeanne , ils offrirent leur principauté
au roi de Caflille, qu’ils proclamèrent à Barcelone
; 6c q u i, de concert avec le roi d’Aragon ,
s en étant rapporté à la décifion du roi de France,
fe défifta de fes droits à cette principauté, d’après
l’arrêt du roi de France , qui prononça que celui de
Caflille renonceroit à cette fouveraineté. Alors les
Catalans appelèrent don Pedre, infant de Portugal,
6c la guerre fe ranima plus vivement que jamais. Don
Pedre mourut, inftitua don Juan héritier de la principauté
de Catalogne, 6c les troubles continuèrent
avec la plus grande violence. Jean I I fit les plus
grands efforts pour foumettre les. habitans de cette
fouveraineté , &,il y fut merveilleufement fécondé
par fon époufe , qui, s’étant embarquée avec fes
troupes , alla aflïéger Rocès, & commanda l’armée
avec toute l’intelligence & toute l’autorité d’un général
accoutumé au tumulte des armes, 6c exercé
dès l’enfance dans l’art meurtrier des combats. Epui-
fée cependant de fatigue , elle alla fe repofer à T ar-
ragon, où , après une longue maladie, elle mourut,
à là grande fatisfa&ion des peuples. On affure que
dévorée de remords pendant fa maladie, elle répétait
fans ceffe : Ah ! mon f ils Ferdinand, que tu coûtes cher
à ta mere ! Et en effet, l’ambition de placer fon fils fur
le trône , lui avoit coûté bien des crimes. Quelques
hiftoriens affurent que dans les premiers jours de fa
maladie, ayant avoué qu’elle avoit eu part à la mort
du prince de Viane, Jean I I , faifi d’horreur, &
connoiflant alors toutes les injuftices qu’il avoit faites
par fes confeils 6c fes délations , l’abhorra & ne voulut
plus la voir. II reconnut bientôt que c’étoit elle
que les peuples déteftoient ; car fa mort mit fin à
tous les troubles, à tous les mécontentemens qui
jufqu’alors avoient agité fon régné. Mais elle ne
mit pas fin à toutes les fautes du roi qui fe livra
dans la fuite aufli aveuglément à l’amour de fes
maîtrefles, qu’il s’étoit laifle dominer par la reine.
Les Catalans perfifterent dans leur révolte ; 6c ce
ne fut qu’après avoir perdu Gironne & prefque
toutes leurs troupes1, qui furent maffacrées dans une
bataille, où l’armée aragonoife remporta une éclatante
vi&oire, que la Catalogne entière fe fournit
, à l’exception de Barcelone, qui, aflîégée par
mer 6c par terre, 6c réduite aux dernieres extrémités
, refufoit encore de fe rendre. Jean I I , pénétré
lui - même de la fituation des habitans de cette
ville, leur écrivit une lettre remplie de douceur, de
tendreffe, 6c par laquelle il leur offroit non feulement
d’oublier le pafle,mais de confirmer tous leurs droits ,
leurs privilèges, 6c de conferver à chacun.des citoyens
fes biens & fes dignités. Défarmés par tant de
preuves de bonté, les BarcelonoiS fe rendirent par
capitulation; & le roi d’Aragon, pour étouffer toute
étincelle de mécontentement, voulut bien confentir
à reconnoître qu’ils avoient eu de juftes raifons d e
prendre les armes, 6c à pardonner à tous les
habitans. I l fit fon entrée dans l a ville , ôc dès le
— V v v ïj