On fent bien cependant que cette théorie mal
entendue , détruiroit la réglé de l’imité des moeurs.:
il ne fuffiroit pas même de donner aux poètes ,
comme a fait Ariftote , l’alternative de peindre des
moeurs égales , ou également inégalés ; car a la faveur
de cette inégalité confiante, il n’eft point de
compofé moral fi monftrueux qu’on ne pût former.
Le précepte d’Horace de fuivre l’opinion, ou d’ob-
ferver les convenances, eft un guide beaucoup plus
fûr. Mais en fuivant le précepte d’Horace, il ne
faut point perdre de vue le précepte de Gravina.
Horace , dans la peinture des moeurs, donne le
choix de fuivre ou les convenances ou l’opinion ; ;
mais il eft aifé de voir quel eft fur l’opinion l’avantage
des convenances. Dans tous les temps les
convenances fuflifent à la perfuafion 8c à l’intérêt.
On n’a befoin de recourir ni aux moeurs ni aux
préjugés du fiecle d’Homere, pour fonder les caractères
d’Ulyffe 8c d’Achille. Le premier eft diffimulé :
le poëte lui donne pour vertu la prudence ; le fécond
eft colere, il lui donne la valeur. Ces convenances
font invariables , comme les effences des chofes ;
au lieu que l’autorité de l’opinion tombe avec elle :
tout ce qui eft faux eft paffager ; l’erreur elle-même
méprife l’erreur ; la vérité fëule, ou ce qui lui
reffemble, eft de tous les pays 8c de tous les fiecles.
Homere eft divin dans cette partie ; 8c fi l’on examine
bien pourquoi il deffine fi purement, on en
trouvera la raifon dans la fimplicité de fes cara&eres.
Que dans la tragédie un perfonnage foit agité de
divers fentimens; que dans foname l’habitude, le
naturel, la paflion a&uelle fe combattent ; ces
mouvemens tumultueux font favorables à une aftion
qui ne dure qu’un jour. Mais fi elle doit durer
une année, comme il faut plus de confiftance, il
faut auffi plus de fimplicité. Je confeillerois donc
aux poètes épiques de prendre des carafteres fimples,
des moeurs homogènes, une feule paflion, une feule
vertu, un naturel bien décidé, bien affermi par
Fhabitude 8c analogue au fentiment dont il fera le
plus affe&é.
Les convenances relatives au fexe, à l’â ge, à
l’état, à la qualité des perfonnes, ne font pas une
réglé invariable. Si l’on en croyoit certains critiques,
on ne peindroit les femmes qu’avec des vices; il
eft cependant injufte 8c ridicule de leur refufer
des vertus : la foibleffe même 8c la timidité qui font
comme naturelles à leur fexe, n’empêchent pas
qu’elles ne foient bien fouvent fortes 8c courageufes
dans le péril 8c dans le malheur. Ainfi lorfqu’on
peindra une Camille, une Clorinde, une Cornélie,
on fera dans la vérité comme lorfqu’on peindra
une Armide, une Didon, une Calypfo. J’obferverai
cependant qu’on a toujours fuppofé aux femmes
des paflîons plus vives qu’aux hommes ; foit que
plus retenues par les bienféances, les mouvemens
de leur ame en deviennent plus véhémens ; foit
que la nature leur ayant donné des organes plus
déliés, l’irritation en foit plus facile 8c plus prompte.
On peut voir à l’égard des pallions cruelles, que
toutes les divinités du Tartare nous font peintes
par les anciens fous les traits du fexe le plus
foible , mais qu’ils croyoient le plus paffionné.
Comme on lui attribue des paflîons plus violentes,
on lui attribue aufîi des fentimens plus délicats;
8c ce n’eft pas fans raifon qu’on a fait les grâces
8c la volupté du même fexe que les furies.
Aux traits dont Horace a peint les moeurs des
différens âges, Scaliger en ajoute encore du côté
vicieux, 8c ce font de nouvelles études pour les
poètes comiques. La jeuneffe, dit-il, eft préfomp-
tueufe 8c crédule, facile à former des liaifons
& à s’y livrer ; pleine de fenûbiUté pour les malheurs
d’autrui, 8c indifférente fur les liens ; fiere,
violente, avide de gloire, colere, prompte à fe
venger, ne pardonnant jamais les mépris qu’elle
efi'uie , Sc méprifant elle-même tout ce qui ne lui
reffemble pas. La vieilleffe, dit-il encore, eft défiante
8c foupçonneufe, parcèqu’elle a fans ceffe
préfentes les perfidies 8c les noirceurs dont elle
a été tant de fois ou la viftime ou le témoin ;
8c comme les jeunes gens mefurent tout fur l’efpé-
rance de l’avenir, les vieillards jugent de tout fur
le fouvenir du paffé. Ils fe décident rarement fur
des chofes dont ils n’ont pas vu des exemples,
plus rarement encore ils fe détachent de leur fentiment
, 8c ne fouffrent prefque jamais qu’on préféré
celui des autres ; pufillanimes 8c opiniâtres, cruels
dans leurs haines, triftes dans leurs réflexions,
d’une curiofité importune, 8c prévoyant toujours
quelques défaftres près d’arriver.
Quant à l’état des perfonnes, le villageois, dit
le même critique, eft naturellement ftupide, crédule,
timide, opiniâtre, indocile, préfomptueux, enclin
à croire qu’on le méprife, 8c déteftant ce mépris.
L’habitant des villes eft lâche , craintif, plein d’orgueil
, indolent, plus prompt en parole^ qu’en
aâions, plongé dans le luxe ôc dans la molleffe,
fuperbe envers ceux qui lui cedent, bas avec
ceux qui lui impofent ; de la nature du crocodile.
L’homme de guerre, ajoute-t-il eft malfaifant, ami
du défordre , fe vantant de fes faits glorieux,
foupirant après le repos, 8c le quittant dès qu’il
l’a trouvé.
On voit dans tous ces états des exemples de tous
ces vices, peut-être même font-ils plus fréquens que
ceux des qualités contraires ; 8c la comédie qui peint
les hommes du côté vicieux 8c ridicule, a grand
foin de recueillir ces traits. Mais 8c les vices & les
vertus d’état peuvent fouffrir mille exceptions, comme
les vices 8c les vertus qui carattérifent les âges ;
8c en invitant les poètes à ne pas perdre de vue ces
câra&eres généraux, je crois devoir les encourager
à s’en éloigner au befoin, fur-tout dans la poéfie
héroïque, où l’on peint la nature, non telle qu’elle
eft communément, mais telle qu’elle eft quelquefois.
Achille 8c Télémaque font du même âge, 8c
rien ne fe reffemble moins. On aime fur-tout à voir
dans les vieillards les vertus oppofées aux défauts
qu’on leur attribue. Un vrai fage, comme Alvarès,
eft bien plus intéreffant 8c n’eft pas moins dans la
nature qu’un prétendu fage comme Neftor.
Cette variété dans les moeurs du même âge ou de
la même condition, tient au fonds du naturel, qui,
n’eft ni abfolument différent , ni abfolument le
même dans tous les hommes. Chacun de nous eft
en abrégé dans fon enfance ce qu’il fera dans tous
les âges de la vie, avec les modifications que les ans
doivent opérer. Or ces modifications different félon
la conftitution primitive ; en forte, par exemple, que
le feu de la jeuneffe développe en l ’un des vices,
8c en l’autre des vertus. Les forces augmentent, mais
la direûion refte, à moins que la contention de l’habitude
n’ait fait violence au naturel, ce qui fort
de la réglé commune.
11 y a auflides qualités naturelles 8c corrélatives,'
auxquelles il eft important d’avoir égard dans la
peinture des moeurs : je n’en citerai que quelques
exemples. De deux amis, le plus tendre eft naturellement
le plus âgé : en cela Virgile a bien faifi la
nature , lorfqu’il à peint Nifus fe dévouant à la mort
pour fauver le jeune Euriale. Par une raifon à-peu-
près femblable, la tendreffe d’un pere pour fon fils
eft plus vive que celle d’un fils pour fon pere. Ainfi
lorfque dans l’Odyffée Ulyffe 8c Télémaque fe retrouvent,
les larmes de Télémaque font effuyées
quand celles d’Ulyffe coulent encore. L’amour d’une
mere
■ ■
niere pour fes enfans eft plus paffionné que celui
d’un pere ; & le marquis Maffeï nous en a donné
“ n “ emple bien précieux 8c bien touchant. Dans
fa Merope, celte mere perfuâdée quelle ne reverra
plus.fon fil», s’abandonne à fa douleur. Un fuiei
ndele 8c zélé l’inviteà s’armer d’un courage égal aux
malheurs qui l’accablent ; & il lui mite l’exemple
d Agamemnon à-qui les dieux demandèrent fa fille
en facnfice, 8c qui eut le courage de la livrer à la
mort. A quoi Mérope répond :
O Carifo, non avriàn già mai gli dei
Cid comniendato ad una madré.
Le marquis Maffeï a eu la modeftie dè dire à ce'
iu)et ; : u C e beau fentiment n’eft pas forti de l’ame
» du poete, m emprunté d’aucun écrfvaintkl l’a
» pntfé dans le grand livre de la nature Sc de la
» venté, celui de tous qu’il a étudié avec le plus
’’ . . 11 raconte donc qu’une mere fe montrant
inconfolable de la perte de fon fils unique enlève
à la fleur de fon âge, un faim homme pour l’en
conioler, lut rappella l’exemple d’Abraham qui s’é-
toit fournis avec tant de.conftance à la volonté de
Dieu, quotque le facrifice qu’il lui demandent fut
celui de fon fils^unique. Ah ! monfieur, lui répondit
cette mere defolée : Dieu n’auroit jamais demandé
celacrihce à une mere. Cette différence eft merveil-
leufement obfervée dans VOrphdini.l* Chin.,,m -
trb Zamti 8c Idamé. Toutefois la nature même fe
bulle vaincre quelquefois par la paflion ou par le
fanatifme; Sc une Médée, une Léontine, quoique
puis rare dans la nature, n’eft pas hors de la vérité.
Un peut voir dans les an. C o n v e n a n c e & V ér
i t é r e l a t i v e , Suppl..l’art de rapprocher de nos
moeurs les moeurs qui nous font étrangères^ J’obferve-
rai leulement ici que les moeurs les plus favorables à
la poelie lont celles qui s’éloignent le moins de la na-
W P V . * Parcf qu’elles font plus fortement prononcées,
foit dans les v ices, foit dans les vertus ; que les
pallions s y montrent toutes nues & dans leur plus
grande vigueur : i ° . parce que ces moeurs affranchies
de 1 efclavage des préjugés , ont dans leur fimplicité
noble quelque chofe de rare & de merveilleux qui
nous lailit oc nous enleve. Ecoutez ce que difoit à Cortès
l’un des envoyés du peuple du Mexique : « Si tu
» es un Dieu cruel, voilà fix efclaves, mange7le s,
» nous t’en amènerons d’autres ; fi tu es un dieu
» bienfaifant, voilà de l’encens; fi tu es un homme
» voilages fruits ». On raconte que le chef d’une
nation fauvage, amie des anglois, ayant été amené
à Londres & prefenté à la cour, le roi lui demanda
fi fes fujets etoient libres. « S’ils font libres ! oui fans
| d°ute> répondit.le fauvage: je le fuis bien, moi
» qui luis leur chef ». Voilà de ces traits qu’on cher-
cheroit en vain parmi les nations civilifées de l’Europe
: leurs vertus, ainfi que leurs vices, ont une
couleur artificielle qu’il faut obferver avec foin pour
les peindre avec vérité. r
Une qualité eflèntielle des moeurs, c’eft l’intérêt.
On en a fait avec raifon le grand objet de la tragédie
, mais dans l’épopée on l’a trop négligé. Or
il ffy a de moeurs bien intéreffantes que les moeurs
pafîionnees ; &c que ce foit l’amour, la colere l’ambition,
la tendreflè filiale, le zele pour la religion ou
pour la patrie qui foit l’ame de l’épopée , plus ce
iemiment aura de chaleur, plus l ’aéHon fera inté*
reliante. On a diftingué affez mal-à-propos, ce me
lemple, le poème épique moral du poème épique
paffionné ; car le poème moral n’eft intéreffant qu’au-
tant qu il eft paffionnélui-même. Suppofons, par
exemple, qu Homere eût donné à Ulyffe l’inquié-*
tude & 1 impatience naturelles à un bon pere, à un
bon epoux, à un bon ro i, qui loin de fes états & de
la famille , a fans ceffe préfens les maux que fon ab-
. T om e l l l e
fehee à pu caùfer ; fuppofons dans lê poëme de T é lémaque,
ce jeune prince plus Occupé de-l’état d’op.
preffion Sc de douleur oh il a laiffé ih mere Sc fa na
m e ; leurs carafteres plus paflionnés n’en feroient
que plus touchans ; 8c lorfque Télémaque s’arrache
au plaihr, on anneroit encore mieux qu’il cédât aux
mouvemens de la nature qu’aux froids êonfeils dé
hrfiageffe. Si ce poeme divin du côté de la morale
laiffe defirer quelque chofe, e*eft plus dé chaleur Sc
de pathétique ; Sc c’eft auffi ce qui manque à l’O-
dyllee oc à la plupart des poèmes connus.
Je ne prétends pas comparer en tous points lê
mérite dunbean roman avec celui d’un beau poëme •
mais qu il me foit permis de demander pourquoi certains
romans nous-touchent, nous rédment, nous attachent
Sc nous entraînent jufqu’à nous faire Oublier
( je nexagere pas) la nourriture Sc le lomiiieil s
tandis que nous lilbn's d’un oeil fec je dis plus
tandis que nous lifons à peine fans une efpèee dé
langueur, les plus beaux poëmes épiques ?’ c’eft que
dans ces romans-le pathétique régné d’un bout à
l’autre ; au lieu que dans ces poëmës il n’occupe que
des intervalles , & qu’il y eft fouvent négligé Les
romanciers en ont fait l ’ame de leurintrigüe ; les poë-
tes epiques ne l’ont prefqüè; jamais employé qu’en
epifodes. Il «table qu’ils réfèrent toutêsles forces
de leurgenrepour lés'tableâux Sc lés deferiptionsequi
cependant ne font à l’épopée que ce qu’eft à la tragé-
die le fpeSacle de l’aflfon. Or le plus beau
ele , fans le fecours du pathétique , feroit bien-tôt
froid Sc ianguiflant ; Sc c’eft ce qui arrive à l ’ériobéé
quand la paflion ne l’anime-pasëfÂf. Ma rm oh t e l .I
, Ç I R H anciimh partie’ con1
liderable de la mufique dés-Grecs, appellée par eux
hiracfmehon, laquelle conilftoit à condoître 8c choi-
fir le brenféant en chaque genre, Sc ne leur per-
mettoit pas de donner à chaque fentiment, à chaque
objet ; à chaquécaradere toutes les formes dont il
etoit fufceptible ; mais les obligeoit de fe donner à
iüe qui étoiLeonyenable aufujet, J î’occafidn aux
perfonnes, aux eirconftanees. Les mceuis confiftoient
encore à tellement accorder Sc pfopdriionner dans
une piece toutes les parties de la mufique, le modèle
tems, le rhythme,. Kfifléfodie, Sc mimé les chan-
gemensy-qu’on fentit dans le fout une cert’âirië con-
bfprtmte qui n y lalïïât point de dïfparate , 8c le rendit
parfaitement un. Cette feule partie, dont l'idée
n elt pas même connue dans notre mufique , mbritre
à qoel point de^perfeâion devoir être porté’ un art
ou l.ènavôit même;réduit en regies ce qui eft hori‘
note, convenable & bienfeant. ( V )
MCEUSSEBERG, ( 6V«qr.) montagne de Suede,
dans la Weftro-Gothie, Elle étoit fameufe dans le
tems du jiaganifme , par un précipice du haut duquel
aflqient fé jetter certains dévots, qa'aveuglcitTôr-
guëïl de fàvô'if , que, tombés nforti aiCpied du
rocher , leurs corps feroient lavés fur la place Sc
inhumés enfuire dans la montagne, f ’
MOHRUNGEN, ( Giogr. ) ville Sc bailliage dit
royaume de Prude , danfîl’Oberland. Le baillîàgé
comprend fept pâroiffes luthériennes Sc une réfor- •
mée. La ville eft traficante, Sc profite .agréablement
du voifinage de-deux lacs. ( D . (f.)
MOINDRE, ( Mujiq.) Foye^ M i n im é , ( Mu& )
Dict. raif. des Sciences. - '
M.?K .R? MA" ! S’ (■D r!‘ tPÙU:‘i ,Mi,ààk>!e.) On
appelle ainfi en Allemagne une taxe que les empereurs
lèvent dans les néeeffités préffantes ; SC qui eft
une fuite de l’ancien ufàge qu’ils avoient de faire
payer la dépenfe de leur voyage aux fujets de l’Em*
pire, lorfqu ils alloient fe faire couronner à Rome.
Un mois romain pour toiis les cercles enfemblê
monfe en argent à la fomme de quatre-vinat-trôiJ
mille neuf cens foixante-quatre florins d’Alleinagne î
E E E e ç e