les liqueurs prolifiques, dans lefquelles’on fait macérer
les .femences des grains. Voici celle de l’abbé
de •Vallemorit.
Il faut avoir trois poinçons défoncés pour y
mettre des os de toutes fortes d’animaux cafles &c
mis en pièces, des-plumes, des peaux, rognures
de cuirs vieu x, gants , fouliers, cornes, -Jabots 6c
dépouilles d’animaux, en un mot tout ce qui abonde
en lels. On met dans le premier poinçon les chofes
les plus molles , dans le deuxieme celles qui font
moins molles , 6c dans le troifieme les fcibftances
les plus dures ; on les remplit d’eau de pluie imprégnée
de l’efprit univerfel , 6c à fon défaut d’eau
de mare. On laifle infufer quatre jours ce qui
eft dans le premier poinçon , fix ce qui eft dans le
fécond, & huit jours ce qui eft dans le troifieme.
Après ce tems on fépare l’eau que l’on conferve.
On eft dédommagé du dégoût de cette opération
par fon utilité , lucri bonus odor ex quocumque fiat. Il
.faut enfuite ramaffer le plus dé plantés qu’on pourra
avec leurs fleurs 6c leurs graines, & fur-tout celles
où il y a le plus de fels , comme les écorces de
chene, la lavande , la fauge, la menthe , le millepertuis
, le tournefol, <S‘c. On les réduit en cendres,
defquelles on tire les fels en faifant évaporer
l’eau dans laquelle on les fait bouillir ; on prend
enfuite autant de livres de falpêtre qu’on a d’arpens
a femer; on fait difloudre pour un arpent une livre
de falpêtre dans douze pintes d’eau de baffe-cour;
quand le falpêtre fera bien fondu, on y jette les fels
des cendres de plantesà proportion de ce qu’on a
pu s’en procurer ; on nomme cette eau apres la diflo-
dution du nitre 6c des fels , matière univerfelle, 6c
l’eau des poinçons s’appelle eau préparée.
Pour enfemencer un arpent , on prend douze
pintes d’eau préparée que l’on mêle dans un cuveau
avec la matière univerfelle. On laiffe couler doucement
les grains dans cette' liqueur , afin doter avec
une écumoire le bled qui fumage , parce qu’il n’eft
pas bon pour femer. Semina qute in aqua fubfidunt
firmiorafunt & ad ferendurh fideliôra, quæ fiuitant 'lan-
guidiora & propagationi inapta. Ray. Hifl.plant. L.l.
On laifle tremper le bled durant douze heures ,
ou jufqu’à ce qu’il fe renfle en le remuant de deux
heures en deux heures , enfuite on le retire après
l’avoir fait égoutter, & on le laifle quelques heures
en tas afin qu’il s’échauffe un peu & qu’il fermente.
On feme ce bled encore un peu humide, il en faut un
tiers moins par arpent ; on y mêle fi l’on veut de la
paille hachee menu ou du fable pour pouvoir femer à
pleine main à l’ordinaire ; il faut femer de bonne
heure & dans les chaleurs, afin que le grain,par les
fels doiitil eft imprégné , attire le nitre ou l’efprit
univerfel répandu dans’ l’air ; il faut femer en tems
feefi l’on peut, afin que quand les* pluies arriyent
(pour employer le langage figuré de ces auteurs)
Le mariage du ciel & de La terre fioit déjà consommé pour
la. germination & la végétation du bled dèpôfii dans le
fein de la nitre univerfelle de toutes les générations végétales.
Je me tairai fur les prodiges & les effets merveilleux
attribués à cette préparation des grains,
& fur l’utilité de la matière univerfëlie pour les
vignerons j les fleuriftès , les jardiniers f&c. On n’a
qu’à lire les enthoufiaftes que j’ai cités , ou plutôt
on fufpendra -fon jugement jufqu’à l’expérience qui
en eft facile 6c peu eoûteùfe.
Malgré la prévention 6c même le ridicule que
Vallerius î, M. Duhamel & d’autres bons écrivaitTS
ont tâché de répandre fur lès inventeurs de ces liqueurs
prolifiques , on ne peut nier cependant que
cette préparation des femences ne foit conforme
aux réglés de la bonne phyfique. On n’à cjua lire
fur-cela l’excellent ouvrage de M. Home , on
y trouvera ( ‘p. /30. corollaire .2. ) que le-grain
paroît venir mieux quand il a été trempé dans la
fiente 6c le falpêtre , que c’eft un fait obfervé depuis
long-tems, que le grain devient plus fort, qu’il
poulie plus vite , qu’il eft moins fujet à la nielle 6c
aux brouines , quand il a été trempé dans des liqueurs
qui contiennent du fel 6c de l’huile, tels que
-l’eau de la mer, l’urine, &c. qu’il importe certainement
beaucoup de quels fucs les vaiffeaux des femences
ont été remplis d’abord ', fi ç’a été de fucs
humides 6c aqueux , ou de fucs forts 6c nourriffans ;
que c’eft une des principales faifons pour lefquelles
un tems fec eft plus propre pour les femailles ; car
quand la terre eft feche , les fucs qui imbibent alors
les femences font forts 6c nourriffans , au lieu que
dans un tems pluvieux ils font détrempés avec une
trop grande quantité d’eau, & la jeune plante en eft:
affoiblie , &c. Ray avoit déjà fait cette excellente
remarque , feminaomnia Jiccd tempefiate ferenda funt
tertio quartove die à pluvia largiore. En faifant tremper
les grains , continue M. Home, dans ces préparons
, on remplit leurs vaiffeaux d’huile 6c de fels
qui leur donnent de la vigueur, & leur font pouffer
beaucoup de racines, d’où dépend la nutrition des
plantes : le vrai moyen de rendre un homme fort
6c vigoureux , c’eft de lui donner dans l’enfance
de bonne nourriture , 6c il dit, corollaire que
l’acide de nitre a contribué confidérablement à faire
croître Jes plantes ; il parle ailleurs des bons effets
du falpêtre mêlé avec l’huile d’olive, 6c dans tout
fo.n ouvrage appuyé d’expériences chymiques , il
regarde le nitre comme le principe de la fécondité
des terres ; mais il faut bien fe garder de croire avec
les .auteurs des liqueurs prolifiques, que ces effences
merveilleufes puiffent fuppléer aux labours & aux
engrais, 6c qu’elles réuflifl'ent dans les plus mau vai-
fes terres : ce font ces promeffes outrées qui ont dû
les faire néceffairement tomber dans le diferédif.,
parce qu’elles font démenties par l’expérience qui
prouvera éternellement que rien ne peut remplacer
les labours & les, engrais.
La grande objeéiion de M. Duhamel contre toutes
les effences prolifiques, c’eft que chaque grain de
femence ne contient qu’une plante en raccourci
dans cette partie qu’on nomme le germe, que le refte
n’eft qu’une provifion d’alimens pour faire fubfifter
la'plantule, jufqu’à ce qu’elle ait produit affez de
racine.s pour tirer fa nourriture de la terre ; que fi-tôt
qu’elle ne fuhfiftera plus aux dépens des lobes, les liqueurs
prolifiques ne peuvent plus fervir de rien, &c.
mais M. Home a répondu d’avance à cette objeélion,
& j’ai fait voir plus haut que les graines étpient des
réfervoirs de germes, qu’ils peuvent tirer une plus
forte nourriture des liqueurs où on.lés fait tremper.
par çonféquent devenir plus propres à un prompt
développement qui augmente le nombre des tuyaux
6c des épis. M. Duhamel lui-même convient que
lès leflives alkalinés , les fortes faumures de fel
marin , 6c mieux encore une, partie de nitre fur neuf
parties d’eau font occefl'aires 6c indifpenfables au
mToins pour les grains mouchetés, afin dé les garantir
de la niellé, du charbon ou.boffé , 6c aiitres maladies
contagieufcs, par le feul contaêl des pôuffieres
noires qui font apres la broffe des grains cle femen-
<ces f'&c. Voye{ ce qu’il en dit liv. III. chap. 1. C ’efl:
déjà Un grand avantage en faveur de ces leflives de
pouvoir garantir les femences clés maladies qui attaquent
le bled en herbe , 6c en Cela M. Duhamel eft
plus judicieux que Vallerius qùi.blâriie toutes les
leflives1, 6c fur-tout Tes faumures : ex his defccunda-
'lione imtnerjîva. brevijfimè allatis luculenterpatet nullarn
iàimcrfionèmfeminum eff'e tutam J'cd ornncm vanisperi-
cutis expofuam , &c. 11 préféré une finiple lotion à
l’eau claire , à toutes les autres ; encore , dit-il, elle
eft dangereufe. Je me jetterois dans de trop grandi
détails
détails fl je voulois répondre à tout ce qu’objeâe
Vallerius contre les leflives ; d’ailleurs la foibleffe
de fes raifons ne mérite guere qu’on s’en occupe.
Son ouvrage eft excellent 6c plein de bonnes vues :
mais ce n’eft pas dans la partie qui tient à fon fyf-
tême., favoir que la végétation des plantes n’eft due
qu’à l’eau pure, que les fels n’y entrent pour rien,
ainfi que la terre qu’il ne confidere que comme une
fimple matrice.
Les bons effets des leflives 6c de la préparation
des femences font confirmés par l’ufage univerfel
où l’on eft: de chauler ou enchauffer les grains qu’on
veut femer. M. Duhamel obferve qu’anciennement
on paffoit les grains à la chaux autrement qu’on ne
le fait aujourd’hui ; qu’on les mettoit dans des corbeilles
que l’on plongeoit dans de l’eau de chaux
bien chaude , & qu’on a eu tort de s’écarter de cet
ufage de les paffer à la chaux par immerfion, &c.
Voilà un grand préjugé en faveur des.leflives , mais
toutes celles où il n’entre aucune efpece de fau-
mure, font plus propres à affoiblir le grain qu’à accélérer
la végétation , parce qu’elles rempliffent les
vaiffeaux du grain de trop d’humidité , comme le dit
M. Home. AufliM.Sarcey deSutieres, connu par fon
expérience dans la culture , 6c que fes lumières ont
fait mettre à la tête de l’école royale d’agriculture,
blame-t-il toutes lotions & lavages,comme nuifiblesà
la femence, parce que l’eau ôte au b(pd la bonne qualité
qu’il pourroit avoir pour une bonne production ;
c’eft peut-être ce qui a engagé les laboureurs à abandonner
l’enchaulement par immerfion , pour préfé-
rer la chaux en pouffiere, quoiqu’en cet état elle
ne foit d’aucune utilité, comme le prouve très-bien
Vallerius.
1 _ ----------- . . . USJ ICUIUIÜCS
leur tienne heu d’engrais ; il prétend que fa façon
de mettre le bled en chaux eft feule capable de garantir
fa femence des mulots 6c des infeCtes, de préfer-
ver fes grains de toutes fortes de maladies, d’em-
pecher les inauvaifes graines d’y croître, 6c de procurer
enfin aux femences une force de multiplication
qui rend fes récoltes toujours plus abondantes
que celles des autres , foit en grains, foit en fourrage
, tant par la groffeur 6c la qualité fupérieure
du grain que par la quantité de gerbes ; il en appelle
a tous fes voifins, 6c à une expérience annuelle &
confiante. Foye^ fon A ëric' ex périment, imprimée
en 1765 : fa maniéré de préparer les femences fe
rapporte affez à celle de l’abbé de Vallemont : la
voici.
Il prend un tonneau défoncé ou un cuvier capable
de tenir à-peu-près un muid d’eau, après l’en avoir
fait remplir, il fait jetter dedans un boiffeau de crottes
de mouton, une pareille quantité de celles de pigeon
ce de poule, un boiffeau de bouze de vaches, autant
de fiente de chevaux, 6c un boiffeau de cendres
ou de genièvre , ou de genêt, ou de chêne. On remue
de tems à autre tous ces ingrédiens avec une
rourche pendant cinq ou fix jours. Ces différens fumiers
fermentent comme du vin qui eft dans la cuve.
Ce tems expiré, le mélange fe calme 6c fe convertit
en une graine qu’on garde pour l’ufage. Lorfqu’on
veu.t/r®nc^lau^er ^es femences, on met cette eau en-
graiffée dans une chaudière de fer , on y fait fondre
deux livres de fel de nitre , & on la fait bouillir
cinq ou fix minutes avec une poignée de genêt j
cnluite on y fait éteindre la quantité de chaux nécef-
aire, 6c après l’avoir bien remuée avec Un bâton ,
i|C uT j 6 tOUt ce ^ll‘ ^ans chaudière fur le
tas cle bled qu on veut femer, & l’on fait remuer le
grain avec des pelles trois ou quatre fois, jufqu’à
SèXl T C taS foit bien mouillé. On peut femer
è Tome7nT CCSrdinChaulé > £ {lh Iems
n’y «Stoît pas propre , il fuffit de remuer le tas tous
les jours. L’engrais, dit cet auteur, que le bled
r ‘nâ.ehaulé porte avec lui I le rend 6 propre à
tructiner, qu’une terre maigre privée de la moitié de
ion engrais ordinaire, produira davantage & de plus
beau bled, & de meilleure qualité , que celle qui
aurait eu tous les engrais néceffaires , mais qui
auroit ete femée avec du bled chaulé de toute autre
mamere. L auteur a fini par fupprimer le nitre, parce
que fes terres deviennent aflez nitreufes par fa maniéré
de les fumer & de les préparer : mais il n’en a
pas moins éprouvé pendant Vingt ans les bons effets
du nitre.
Cette méthode d’enchauffer les bleds épargne la
femence ; les grains germent plus vite, tallentdavantage,
la paille éft plus forte & l’ épi plus gros ; les
bleds ne verfent pas, font exempts de maladies, &c>
« On demandera fans doute, dit M. de Sutieres j
•»comment il fe peut faire que cette maniéré
y> if *e b*ec^ en. chaux, puiffe occafionner
» a aulü belles produftions , 6c empêcher qu’il ne
» foit atteint de la brouine , de la rouille , de la
» nielle , &c. Je ne puis répondre, ajoute cet au-
» teuf , que par une comparail'on ; il eft certain
» qu’une nourrice qui alaite un enfant, lui com-
» mimique les bonnes & mauvaifes qualités qu’elle
» renferme en elle - même. Si elle eft faine , 6c
»qu elle ne prenne que de bonne nourriture, fon
» nourriffon ne fera fujet à aucune des maladies qui
» attaquent ceux^qui fucent un lait vicié par quelque
» maladie j de meme l ’engrais qu’on fournit au grain
>} Par. P r e Pa r a fiori , 6c la terre également en-
» graiffee d’alimens analogues à ce qu’elle doit pro-
» duire ( l ’auteur avoit déjà parlé de fa méthode
» particulière de fumer les terres ) , font paffer
» dans les femences une feve qui les fait fruftifier
» avec abondance , 6c qui leur donne une qualité
» propre à mettre leurs produûionsà l’abri de toutes
» fortes de maladies ; n’ayant aucune partie plus
» foible que l’autre , aucun vice ne pourra les affec-
» ter : j’en attefte une expérience confiante depuis
» 1 7 4 Z , 6c principalement celle de 1 7 6 4 , année où
» toutes les récoltes de mes voifins étoient plus de la
»moitié gâtées , tandis que je n’en a vois pas un
» leul epi dans plus de foixante-cinq arpens. Un
» autre avantage de ma méthode, dit ailleurs cet
» auteur, c’eft que mes bleds ainfi préparés germent
» plutôt que ceux qui n’ont pas reçu cet engrais ; 6c
» pouffant enfuite plus vite , en font plutôt murs 6c
» moins expofés, par çonféquent à être gâtés par
>* les pluies qui tombent communément vers la fin
» des moiffons. Quoique mes bleds foienr toujours
» plus grands & plus garnis que ceux de mes voi-
»flns, néanmoins ils ne verfent jamais, parce que
» les pailles ayant plus de fucs 6c plus de nerf, font
» plus fortes ; elles réfiftent aux orages comme aux
» féchereffes , 6c elles font meilleures pour les bel-
» tiaux, &c. &c. ».
Ce que j’ai dit en faveur des leflives, ou plutôt de
la maniéré de préparer les femences pour les rendre
plus vigoureufes 6c plus végétatives , ne me fera
pas confondre avec ces charlatans qui annoncent des
fecretis pour trouver des dupes. Tel eft l’ouvrage
qui a pour titre la vraie pierre philofiophale du fleur de
la Jutais. J’en dis autant de la ferre végétale qu’on
vend dans des bureaux, de la liqueur prolifique du
fieur Robineau, 6c de routes ces infufions vantéeâ
dans le Di&ionnaire économique ,& dans la maifon
ruftique. ()n a pris, dit avec raifon M. Duhamel
une certaine quantité de grains, on les a imprégnés
de ces liqueurs prétendues prolifiques, on a femé
ces grains un à un dans un potager , & on a vu des
prodiges de végétation dont on s’eft cru redevable à
la liqueur, au lieu de les attribuer à la nature de la terr «
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