& fix vingts vers ne font pas trop dans une occalion
de cette nature : Fauteur fait même voir que ce n’eft
pas affez. Librarius ne fauroit s’empêcher d’ajouter
quelques traits à l'image que l'on général vient de
tracer de fon propre mérite , il veut renchérir par-
deffus, en le comparant à Céfar, à qui même il le
préféré. Titus n’a garde de l’en défavouer;& le relie
de la fcene n’eft qu’un combat entre Titus 6c Librarius
, à qui élevera le mieux les allions héroïques de
Titus. Parmi les Juifs qu’on entend le plaindre ici,
la fille de Sion tient un rang confidérable ; c’eft une
grande princeffe efcortée d’un bon nombre de dames
d’honneur ; mais elle a beau pouffer des fanglots,
«lie ne fauroit amollir la dureté barbare de fon vainqueur.
C’eft envain qu’elle prétend fe cacher dans
les mafures, on découvre fa retraite, & on la force
de fuivre le général Romain, pour être le plus bel
ornement de fon triomphe.
Une tragédie de cette nature ne fauroit avoir un
dénouement ; mais il faut bien pourtant qu’elle ait
une fin dans le cinquième aéte ; il n’eft que d’une
feule fcene : Siméon, évêque de Jérufalem, qui s’en
étoit fui,revient pour voiries ruines du lieu de fa réfi-
dence, il eft pris pour un efpion par Terentius, un
centurion ; mais il dilîîpe les ombrages du Romaih ,
en faifant voir qu’il eft de la fefte pailible des chrétiens
: enfuite il déclame contre la barbarie des vainqueurs.
Tout cela eft compris environ dans une
quarantaine de vers ; là-deffus l’ange Gabriel arrive
pour confoler l’évêque, il fait voir que la ruine de
Jérufalem, fi bien méritée par les Juifs, avoit été
prédite par les prophètes, & il étale toutes les réflexions
qu’il faut tirer de cet événement funefte.
La harangue de cet ange n’eft tout au plus que de
neuf grandes pages in-quarto ; 6c ainfi la piece
finit.
Voyons un peu de près une autre piece de l’auteur,
pluseftimée encore que celle dont nous venons
de parler, 6c en effefplus digne d’èftime, intitulée
Gisbnchtvan Amfiel ; Vondel la publia en 163&, 6c
la dédia au célébré Grotius, qui en fut fort flatté ,
& trouva que le fujet en étoit noble, l’économie
"excellente, 6c l’expreffion belle, &'c-, on la joue encore
tous les ans à Amfterdam. Le fujet en eft la
Prife £ Amfterdam par ceux du parti de Florent V ,
comte de Hollande, tué par Gérard de Velfen : celui
ci étoit neveu de Gisbert.d’Amftel-, feigheur de
cette malheureufe ville ; & il âvoit entrepris cet
affalfinat, parce que le comte avoit violé fa femme :
c’eft par-là qu’Amfterdam fut enveloppée dans la
vengeance qu’on exerça contre le meurtrier. On prit
cette ville à-peu près de la même maniéré que
Troye ; les ennemis ayant fait femblant de fe retirer
, avoient abandonné un grand, vaiffeauqui, fous
des fagots,cachoit leurs meilleurs foldats; lesaffiégés
traînèrent ce bâtiment dans la ville : le relie du fujet
fe devine affèz. Cet événement, arrivé heureufe-
ment pour l’auteur, la nuit de Noël, lui donne beati
jeu pour répandre à fon ordinaire de l’onïlion fur lè
théâtre : on y voit dans cette occalion des évêques^
des abbés, des abbeffes , des moines & des religieu-
fes qui parlent tous d’une maniéré très-digne de leui:
profelfion.
L’époufe de Gisbert d’Amftel met fon habit de
dimanche pour aller à l’églife; belle particularité
pour une tragédie ! ce n’eft pas tout, on entend dans
cette piece chanter des hymnes fort propres à la
célébration d’une fête fi folemneile ; enfin , pour
mettre le dernier trait à cette peinturé , l’évêque
d’Utrecht entonné dévotement, ftir le théâtre , le
cantique de Siméon, mis en fort beaux vers hollandais.
Toute la ville étant prefque dans la poffeffion
de l’ennemi, qui imite parfaitement bien la barbarie
que Pyrrhus exerça dans le palais de Priam ,
Gisbert fe retire dans une maifon forte, 6c veut faire
embarquer fa femme & fes enfans, pour les dérober
aux infultes du vainqueur : cette fidelle époufe ne
fauroit fe réfoudre à prendre la fuite ; toutes les rai-
fons imaginables ne fauroient la détourner du deffein
de fubir le même fort que fon époux. Cette contef-
tation, oii leurs enfans fe mêlent aufli,eft pathétique ;
& elle n’auroit pas fini fi-tôt, fi Raphaël, un des/
fept anges, n’avoit terminé cette tendre difpute.
II exhorte toute cette famille défolée à fe foumet-
tre à la providence, 6c à quitter la ville, pour chercher
une retraite dans la Pruffe, oit il leur promet
une tranquille félicité : il leur prognoftique encore la
future grandeur d’Amfterdam, êc le changement de
culte qui devoit y arriver, après qu’elle auroit fe-
coué la tyrannie Efpagnole. Enfin il difparoît, après
avoir confeillé à fes auditeurs de ne pas abandonner
la foi de leurs ancêtres.
Il faut remarquer que Vondel, né anabaptifte ,
avoit embraffé dans la fuite, avec ardeur, le parti
des Arminiens ; mais que, fur fes vieux jours, il s’étoit
rangé du côté .de l’églife Romaine , dont il faifoit
venir à propos le culte le plus fouvent qu’il pou voit
dans fes pièces de théâtre. Cette conduite fcandalifa
fes plus tendres admirateurs, fur-tout lorfqu’ils virent
une tragédie de fa façon, fur la reine Marie
d’Ecoffe, dont il fait une fainte, quoique l’illuftre de
Thou, né dans l’églife Romaine, n’en dife guere
moins de mal que les proteftans. Vondel avoit eu toujours
beaucoup de ferveur pour la religion qui étoit
en vogue chez lui ; il étoit .fort ignorant en matière
de religion, 6c par conféquent fort paflionné.
Dans le tems que la mufe de Vondel étoit encore
Arminienne, le prince Maurice lui fournit un beau
fujet, en faifant mourir fur l’échafaud le grand pen-
fionnaire Olden-Barnevelt. Pour expofer cette aélion
à l’horreur du public, l’auteur fit une tragédie allégorique
, dont le fujet étoit la mort de Palamede,
fauffement accufé par Ulyffe , à .qui Vondel trouve
bon de donner Agamemnon pour complice. L’allégorie
eft bien obfervée en général dans cet ouvrage,
hormis qu’au lieu d’y dépeindre les habits des prêtres
Grecs, on y trace une image fidelle des habille-
mens des miniftres Hollandois ; & que Palame.de ,
quoiqu’il mourut jeune, y eft introduit comme
vieillard, afin d’avoir plus de conformité avec Olden-
Barnevelt.
On peut comparer l’allégorie à un vafe de cryftal %
au travers duquel on voit un objet de tous côtés ,
fans que la moindre partie en paroiffe à découvert :
tout le premier a£le ne contient qu’un foliloque de
Palamede, 6c un choeur de foldats d’Eiibée & d’Ithaque.
Dans cette longue fcene, le héros étale-toiis les
chefs d’accufation , dont les Grecs le chargeôient,
& il fait voir fon innocence d’une maniéré fort éten*
due. Ne peut-on pas dire que 'c’eft faire un trop
grand pas dès le premier a&e ; 6c que pour tenir le
fpeélateur toujours également animé, il faut que le
fujet fe déploie peu à peu, fans affeéiation, ce qui
fe fait mieux dans un dialogue que dans un folilo-
aue ? Nous paffons fousfilence un fonge* que Palamede
raconte, 6c dont il augure fa chûte prochaine :
les fonges font fort du goût de notre auteur. La ruine
d’Amfterdam avoit été prédite aulîi de la même maniéré
à la femme de Gisbert d’Amftel. Le peuple
n’eft que tfop porté à être vifionnaire ; il n’eft pas
befoin que les fpe&acles l’entretiennent daiîs fes foi-
bleffés. - • !;
Dans la première fcene de l’a£le fuivant, Mégere
ayant fait fortir de l’enfer Syfiphe, un des aïeux
d’Ulyffe, le mene dans le camp des Grecs, lui explique
le fujet de la guerre j & le porte à augmenter
la malice 6c la rufe dans le fein de fon petit-mls.
Quoique Syfiphe parle à cette déeffe infernale
avec peu dérefpeâ, en lui donnant les noms burlef-
ques,de Cochemar 6t de vieille forciere, il lui obéit
pourtant pon£luellement; il entre dans la tente d U-
lifle, & lui infpire ia fraudé qui dévoit câufer la perte
de Palamede.
Cela s’appelle vouloir fair'ê aller tôut par reffort:
pour rendre Ulyffe odieux , il valölt mieux le faire
agir parla propre malignité, que de 1 animer à la
perte de fon ennemi par Un moyen furnâturel ; d ailleurs,
cet incident choque direaement le fyftême
de la fable : on neVpit jamais dans lés vers des anciens
, un criminel fortir du Târtare pour répandre
Je défordre fur la tèrre.
Sed revocare gradum, fuperafque evadere ad auras , .
' Hoc opus, hic labor efi.
Dans le relie de cet aQe, & dans les trois fuivans,
on inftruit le procès de Palamede ; on le condamne
enfin fur la foi d’une fauffe lettre de Priam, & fur
celle d’un cafque rempli d’or, enterré par Ulyffe
dans.là lente de ce prince innocent.
Dans l’aéle cinquième enfin , Un Courier vient
annoncer fa mort à fon frere Oate ; il en décrit toutes
les particularités d’une maniéré fort étendue, en
dépeignant le lieu du fupplice : il le place fur une
colline, où , avant l’arrivée des Grecs, un temple
dédié à Phébus fervoit de .fanal aux vaiffeaux par
le moyen de la ftatue dudieu , qui tenoit en fa main
une torche d’or, imitant fort naturellement l’éclat
d’un flambeau, véritable : voilà ce qu’on appelle pen-
fer avec jufteffe. Après que la mort de Palamede a
été décrite en plus de cent vingt v ers, la piece de-
.vroit naturellement finir.
Il en arrive autrement, Oatè qui n’a interrompu \
que par deux lignes ce long récit, s’adreffé à Neptune
, foh grand-pere,pour en obtenir la vengeance de
cet horrible attentat Neptune paroît; 6c pour côn-
folerfon petit-fils , il lui prognoftique en huit pages
les malheurs qui dévoient arriver, à Agâmemnôri, à
Ulyffe , ôc à tous ceux qui avoient cônfpiré^Contre
Palamede. Un difcours fi long auroit peut-être été
pardonnable à une divinité feitiininè, mais il choque
certainement le décorum de là gravite de Nèptune.
Jupiter hcec paucis , à i non Venus aurea contra,
Pauca rèférû
Ce n’eft pas. affez, avant que de voir la fin de la
piece,, le fpeélateur doit encore fe transporter à
T ro y e , pour être témoin de la joie de Priam &
d’Hëcühe, qui veulent célébrer ee-jour fortune pour
eux par Une fête folemneile ; c’eft apparemment
par tin èfpïôft qu’ils avaient appris k ^ o r t de Pak-
medé. L’auteur ne donne aucun.eckirauemeot -la-
deflus ; il aime mieux nous régaler encore d’un
choeur lié filles Troyennes , qui ne contient qpe
vingt-'dèiïx ftrophes de quatre vers. j®
Nous manquerions certainement d équité , li nons
ne convenions 'paVqite dans ees ouvrages , ou nous
avons remarqué des fautes fi effentieUes , .Ke trouve
des expreffions 8c des penfées dignes de la réputation
de Vondel: il y a des traits de gerne, comme
nous l’avons dit , dé la force, du fubhme ; mais
Enhius , irigcnio mdximus , arte radis.
Nous ne nous étendons pas fur fes autres poéfles,
quoiqu’il y ait une affez ample matïere pour la crm-
que ; fes fatyres, qui regardent pour la plupart res
miniftres de la religion dominante , ne font qii un tas
d’injures tgroffieres 6c triviales, infpirèe.s par_ùnè
mufe harangere. À l’égard de fa trad.uôion ae l Enéide
, nous nous contenterons de citer Popinion qii en
âvoit Barlæus, célèbre poete latin du même téms :
voici ce*qu’il en d it, dans une lettre à Zuylichem,
Tome III»
Vous ave? lu , ou du moins vu, le Virgile de Von-
d e l, mais fans vie, fans mdélle , & les reins rompus :
fiAugujle le lifoit, Un auroit garde de le. délivrer du
Nous obferverons', enfiniffant, que le génie poc*
tique de Vondel j lui attira autant de chagrins que
de gloire ; fans parler de la haine des théologiens
proteftans qù’-il mérita, 6c dont iL fe vengea par les
fatyres ; fans parler de la petite mortification qu’il
eut, dé voir qu’ils empêchèrent qu’on ne jouât fa
Chute des mauvais anges: fon Palamede pénfalui coûter
la vie, ou au rrioins la liberté. Cetfe piece irrita
le prince Maurice , inftigateur du meurtre de Bar-
névelt : il voulut faire faire lé procès à l’auteur
qui pourtant en fut quitte pour une amende de trois
cens florî'ns,
Jean Antonides Van-der-Does , poete Zélandois,
naquit de parens anabaptiftes , honnêtes gens, mais
d’une affez baffe extraflion : ils en font d’autant plus
eftimables, de n’avoir rien négligé pour ^éducation
de leur fils, & de s’être efforcés de remplacer en
lui les qualités chimériques de la naiffaiice , par les
talens réels de l’efprit.
Après aypir été inllruit dans la langue latine & même
dans les mathématiques, il voulut effayer fa veine
en latin ; & ce que fa mufe produifit ne déplut pas
aux gens du meilleur goût : cependant la gloire de
Vondel,6c de quelques autres poètes, qui par leurs
vers hollandois, s’attiroientdans ce tems lesapplau-
diffemens du public, excita en notre auteur une
noble émulation pour s’exercer dans cette carrière ;
& pour enrichir fa veine, il commença par traduire
quelques endroits des meilleurs auteurs Latins.
Ayant ainfi formé fon goût fur cës excellens modèles
, les révolutions de ia Chine lui fournirent le
fujet d’une tragédie, intitulée Traçil'ôu la Conquête
de la Chine par les Tdnar.es; c’eft la première piece
de longue haleine, par laquelle fâ mufe s’éll diftin-
gnée. Cette pieée n’eft pas à l’abri de fa cenfure ;
aulîi fon auteur n’a jamais fongé à la donner au public
: il faut .convenir pourtant qii’ii y a des endroits
merveilleux, des fendra eus élèves, une imagination
tr.ès-vive, &. des vers bien faits.
Cet effai fut fuivi bientôt après d’un ppëme, intitulé
Btllone aux fers : les connôiffeurs furent furpris
de cette piece ; & Vondel même avoua qu’il la trou-
voit fi belle, qu’il y mettroit fon nom de tout fon
coeur. Anime par cës louanges , notre auteur conçut
& digéra le demn de fon chef-d’oeuvre, qui parut
enfuite fous le titre d’Yfiroom , ou la. riviere a Y ;
nous en parlerons plus bas.
Il s’attira par-là , non - feulement l’admiration
mais encore l’amitié dç plufieurs perfonnes de difir
tinélion, & entr’autres de M. de Burcroj député alors
dans le college de ramiratité,,qui, voyant ce beau
génie enfèyéli fous les dnqgitès cruneboutique d’apothicaire
, l’excita à aelreVè r fes études à Utrecht,
6ç l’y fomint par fa générofité, jufqu’à ce qu’il fe fût
fait recevoir doâeur en- ihédecine : ce digne Mécene
lui procura même une charge de fecrétaire de l’ami-»
rauté.
Peu de tems après, notre poëte joignit, le- mÿrthe
à fes lauriers, en époufant la fille d’un miniftre:
elle avoit aiilfi quelque talent pour la poefie ; 6c
plufieùrs habiles' gens honorèrent cette union des
produflions de leurs m-ufes.
La petite piece latine de M. F-ranciüs, profeffeur
en éloquence , eft fi originale, 6c approche fi fort
des ouvrages des anciens- , que nous croyons faire
plaifir aux leèleurs en la plaçant ici.
Çalliapen Batavam , Batavia cqnjungere Phoebo,
Et vatem vati jungere , gaudet hymen.
Bottera connubio quid nonfperabid db ifiof
IH ij