çimens de Thibaut 6c des Navarrois pour ce généreux
facrifice, il ne s’occupa qu’à étendre fes con-r
quêtes & fa domination dans le royaume de Valence.
Cefutpendantle cours de cette expédition, que Grégoire
IX , rempli d’eftime & d’admiration pour
Jayme, auquel d’ailleurs il venoit d’être redevable
de l’établiffement de l’inquifition dans les états d’Aragon
, lui propofa d’époufer dona Yolande, fille
d’André, roi de Hongrie : Jayme y confentit, &:
quelques mois après, couvert de lauriers qu’il avoit
moiffonnés dans l’île d’Ivica, dont il avoit fait la conquête,
il fe rendit à Barcelone, où fon mariage avec
dona Yolande fut célébré. Sa nouvelle époufe ne put
le retenir auprès d’elle que peu de jours ; une paflion
plus impérieufe, le defir de la gloire, le ramena fous
les murs de Valence, qui malgré la réfiftance de Zaën
qui en étoit fouverain, fut contrainte de capituler 6c
de fe rendre aux conditions que Zaën & fes fujets
fortiroient librement de cette capitale avec tout ce
qu’ilspourroient emporter fur eux ,& qu’ilslui livre-
roient tous les châteaux 6c toutes les fortereffes qui
étoient au-delà de la riviere de Xucar. Cette condition
fut exaftement remplie ; les Maures, précédés
de leur roi, fortirent de Valence au nombre de cinquante
mille ; Jayme leur accorda une treve de fept
ans, & entra en triomphe dans Valence qui fut bientôt
repeuplée de chrétiens. De cette ville conquife,
Jayme partit pour Montpellier, oh fa préfence étoit
d’autant plus néceffaire, que les habitans foulevés
contre le gouverneur, menaçoient de ne plus recon-
noître le roi d’Aragon pour leur comte. Pendant fon
abfence, fes généraux, violant fans pudeur la treve
qu’il avoit accordée à Zaën, fe jetterent avec fureur
fur les Mahométans de Valence, & s’emparèrent de
plufieurs fortereffes. Jayme eut dû punir exemplairement
une infidélité aufli manifefte, & qui bleffoit
la foi publique avec tant d’indignité. Les Maures qui
coriiptoient fur fon intégrité, attendirent fon retour,
& aufli-tôt qu’il fut rentré clans fes états, ils lui demandèrent
jufiiee ; mais à leur grand étonnement,
Jayme au lieu de punir fes généraux, approuva la
violence de leur conduite, l’excita lui-même; 6c
fans refpecïer l’équité ni l’honneur, abufant de fa fu-
périorité, il s’empara de prefque tout le royaume de
Valence. L’ancien 6c criminel ufage oîi font les fou-
verains d’en agir comme Jayme, lorfqu’ils font les
plus forts, exeufe d’autant moins l’iniquité de cette
înfrà&ion, qu’il avoit paru jufqu’alors aufli jaloux
de l’eftime des peuples que de la gloire de fes armes ;
mais les faveurs trop éclatantes de la fortune l’éblouirent,
6c dès-lors il fe crut tout permis 6c il ne
fe conduisit que d’après les confeils de fon ambition.
Defpote dans fa famille, comme il l’étoit à l’égard
des Maures, il régla fa fucceflion & partageant fes
états , il âffura à don Alphonfe, qu’il avoit eu de fon
premier mariage avec Eléonore de Caftille, le royaume
d’Aragon; & à l’infant don Pedre, né de dona
Yolande,la principauté de Catalogne. Don Alphonfe
, encore plus ambitieux que fon pere, fe crut lézé
par cetté difpofition, & furieux de voir démembrer
des états qu’il croyoit devoir lui appartenir enêntier,
il prit lés armes, 6c voulutfoutenir fes droits par la
force, & s’empara de quelques places : Jayme prit
les armes aufli, obligea fon fils de fe foumettre, le
traita aveefévérité, & acheva de conquérir le royaume
de Valence. On rapporte que pendant cette conquête,
il donna une exemple de févéritë qui , à la
vérité, donne une grande idée de fon autorité, mais
qui n’eut pas dû , à môn avis, foulever contre lui
plufieurs hiftoriens aufli rigoureufement qu’ils l’ont
fait. Berenger, évêque de Girone 6c confeffeur de
Jayme, révéla au pape quelques fecrets importans,
que ce prince lui avoit déclarés en confeflion ; le
prince informé de la criminelle indiferétion de Bérenger
,1e fit faifir, lui fit couper la langue & le bannit
de les états. Le pape furieux de cet aéte de vengeance
, excommunia le roi, & ce ne fut que long-tems
après que deux légats vinrent l’abfoudre publiquement
, après lui avoir impofé une rude pénitence.
L’évêque Berenger eut à fouffrii‘ fans doute un châtiment
fort douloureux; mais enfin fa coupable révélation
ne méritoit-elle pas une punition exemplaire ?
Et fi les fecrets que Berènger révéla importoient à
l’état, quand même cet évêque eut été puni de mort,
ne l’eut - il pas mérité ? Dans le tems que le pape fe
plaignoit fi amèrement de l’injuffice de Jayme, ce
fouverain faifoit recueillir toutes les loix du royaume
en un même code qui ne formoit qu’un volume, 6c
faifoit ordonner pat les états, qu’on s’y conformeroit
par tout dans le jugement des procès. Pendant qu’excommunié
, il s’occupoit ainfi de l’adminiftration de
lajuftice, fon fils, don Alphonfe, quoique fournis
en apparence, ne ceffoit point de murmurer 6c d’envier
la Catalogne à don Pedre. Jayme fatigué de fes
plaintes, & fa famille étant accrue de deux fils,
crut devoir faire un nouveau partage de fes domaines
entre fes quatre fils : nul d’eux ne fur content, quelque
foin qu’il eût pris de les fatisfaire tous, ils fe
plaignirent, menacèrent; mais afin de leur ôter l’ef-
poir de trouver de l’appui chez l’étranger, il commença
par marier fa fille dona Yolande à don Alphonfe
, infant de Caftille ; enfuite, fuivant fa coutume
, il remit leurs plaintes à la décifion des arbitres
que les états nommeroient: cette modération fut
très - applaudie : les arbitres prononcèrent conformément
aux volontés du fouverain, 6c fes fils furent
contraints de les refpeèler. La fentence des arbitres
n’étoit point encore rendue, que la reine Yolande
mourut ; 6c le roi qui ne la regrettoit que médiocrement,
époufa en fecret dona Thérefe Bidaure, fon
ancienne maîtreffe, de laquelle il avoit eu déjà quelques
enfans. Après avoir terminé tousles différends
qu’il avoit, ou qu’il prévoyoit pouvoir s’élever entre
lui 6c les princes fes voifins ; après avoir aufli terminé
les anciens différends qu’il y avoit entre les couronnes
de France 6c d’Aragon, & en fe défiftant de
fes prétentions fur les comtés de Carcaffonne, de
Béziers, d’Albi, de Rhodez, de Foix, de Narbonne,
de Nifmes, obtenu que de fon côté S. Louis renon-
ceroit à fes droits fur les comtés de Barcelone, de
Gironne, d’Urgel, d’Ampurios, de Cerdagne 6c de
Rouflillon, Jayme crut avoir tout pacifié; mais il fe
trompoit : don Alphonfe fon fils, toujours mécontent,
lui fufeita de nouveaux embarras, & fe difpo-
■ foit à exciter des troubles dans l’état ; mais la mort
vint, heureufement pour l’Aragon, mettre fin à la
vie de ce prince inquiet 6c entreprenant, Jayme fit
auffitôt réconnoître don Pedre pour l’héritier de fa
couronne, & malgré les oppofitions & les menaces
du pape Alexandre IV , il le maria avec dona Confiance,
fille de Mainfroi, prince de Tarente. La gloire
du roi d’Aragon 6c fa célébrité s?étoient étendues fi
loin, qu’il reçut une magnifique ambaffade du fultan
d’Egypte, qui recherchoit fon amitié; & il eft vrai
qu’alors il n’y avoit point en Europe de prince qui
par l’éclat de fes entreprifes 6c le fuccès de fes expéditions,
fe fût fait un aufli grand nom. Ligué avçc
le roi de Caftille, il tenta la conquête du royaume
de Murcie, & dès la fécondé campagne il fe rendit
maître de la capitale de cette fouveraineté, rien ne
réfiftoit à fes armes; heureux à la guerre, & plus
Heureux encore; dans les négociations, toutfuccédoit
au gré de fes defirs. Mais le foin de conquérir ne l’oc-
cupoit point affez, qu’il ne trouvât encore bien des
momens à donnér à fon goût pour les plaifirs, qui
l’entraînoient impétueufement, & quelquefois au-
delà des bornes de la bienféance. La reine dona
Yolande étoit^ peine expirée, qu’il avoit époufé dona
Thérefe Bidaure; 6c il quitta celle-ci pour dona Bé-
rengere fa parente, & fille de don Alphonfe de Mo-
lina, oncle du roi de Caftille; il en avoit eu un enfant
, don Pedre Fernandez de Hijar : 6c fa paflion ne
faifoit que s’accroître. Il fit prier le pape de rompre
fon mariage avec dona Thérefe, fous prétexte qu’elle
avoit une lepre contagieufe. Le pape informé des
véritables, motifs de Jayme, 6c de fon amour incef-
tueux, l’avertit d’abord, de renoncer à fa paflion 6c
de fe féparer de fa maîtreffe ; il le menaça enfuite de
l ’excommunier : cette menace fit vraifemblablement
impreflîon fur le roi d’Aragon; on ignore s’il quitta
dona Bérengere , mais on fait que pour appaifer le
pape, il fe croifa, s’embarqua pour la T erre - Sainte,
6c fut contraint, par une violente tempête, de revenir
dans fes états. On fait aufli qu’il fe trouva au concile
de Lyon , &C qu’ayant prié Grégoire IX de le
couronner folemnellement, le pontitè exigea qu’avant
cette cérémonie le roi d’Aragon fe fournît à
payer au faint liege le tribut auquel fon pere, don
Pedre , s’étoit engagé ; condition humiliante , que
Jaymerejetta avec indignation.Il fortit de Lyon,&alla
en Catalogne éteindre, par la force des armes, une rébellion
fuïcitée par quelques mécontens, qu’il rédui-
fit 6c qu’il punit. Il ne fut pas aufli heureux avec les
Mahométans de Valence qui, fécondés par Te roi de
Grenade, prirent les armes 6c fe révoltèrent ouvertement.
Jayme envoya contr’eux un détachement
fous les ordres de don Pedre Fernandez de Hijar, &
un autre corps commandé-par deux de fes généraux ;
don Pedre eut du fuccès, mais les deux généraux
furent complètement battus. Le roi d’Aragon accoutumé
à vaincre, fut plus fenfible à la défaite de
fes deux généraux, que flatté de la vièfoire de don
Pedre Fernandez, 6c ce revers lui caufa tant de chagrin
, qu’il en tomba malade; il avoit encore d’autres
lujets d’inquiétude : il y avoit quelque tems qu’ayant
enlevé de force une femme mariée, il s’étoit attiré des
cenfures ameres delà part du pape. Jayme irrité de
l’oppofition perpétuelle que le fouverain pontife met-
toit à fes plaifirs, avoit pris le parti de n’avoir aucun
égard à cesmenaces, 6c de s’abandonner fans retenue à
fespenchans ; 6c ils’y étoit livré aveefi peu de ménagement
, quefa conduite étoit devenue fort odieufe à fes
fujets. La connoiffance qu’il avoit de ce mécontentement
général, 6c peut-être les remords aggravèrent
fa maladie : il changea d’air, fe fit tranfporter à Aleira ;
mais au lieu de trouver quelque foulagement , il
fentit qu’il touchoit à fes derniers momens. Alors il
témoigna un v if regret du fcandaleux exemple qu’il
avoit donné à fes enfans 6c à fes peuples, il fe fit vêtir
du froc de l’ordre de Citeaux ; & mourut avec toutes
les marques extérieures d’un homme repentant, le
2.5 juillet 1276, âgé de 69 ans, 6c dans la foixante-
troifieme année de fon regne. Il fut grand conquérant
, illuftre fouverain, mais injufte dans fes conquêtes,
6c fort corrompu dans fes moeurs.
J a y m e o u J a c q u e s I I , roi d’Aragon , ( Hiß.
d’Efpagne.') Ce n’eft pas toujours l’obéiffance des
peuples , l’apparente tranquillité des nations, la
foumiflion des citoyens, la prompte exécution des
ordres fupérieurs,qui font l’éloge des vertus & de la
fageffe des rois ;■ c’eft fouven't par contrainte que les
peuples obéiffent ; 6c le calme qui femble régner
dans un état, eft fouvent aufli le ligne de la confter-
nation publique, 6c non la preuve &c l’exprefîionde
la fidélité ; enchaîné par la terreur, un peuple qui
n ofe , ni fe plaindre, ni remuer, n’obéit, ni par
zele, ni par amour pour le defpote qui l’opprime ;
il fe tait feulement, fait des voeux en fecret, 6c
attend^avec impatience le moment de la révolution
qui, tôt ou tard viendra brifer fes fers. Le maître de
ce peuple fe croit aimé peut-être ; quelques lâches
adulateurs lç lui répètent même, mais il fe trompe
6c on le trompe ; on le plaint tout ait plus d’ignorer
combien l’avide ambition de quelques mauvais
citoyens abufe de fon nom 6c de fa confiance; mais,
très-certainement il n’eft point chéri, peut-il l’être ?
à quels Agnes connoît-on donc qu’un roi eft véritablement
aimé , à ces expreflions non équivoques
de douleur, à ce iaififfement fubit 6c général qui
s’empare de la nation entieré, au plus léger accident
qui arrive à fon fouverain, à ces voeux em-
preffés que lui diète la crainte de le perdre, auflitôt
qu’elle apprend qu’une indifpofnion paffagere
altéré fa fanté, 6c fur-tout à ces pleurs, à ces fan-
glots, à ces torrens de larmes qui l’accompagnent
au tombeau : ce fut aufli par ces expreflions que les
Aragonnois témoignèrent l’étendue 6c la force de
leur tendreffe , de leur attachement, 6c de leur re-
connoiffance pour leur roi Jayme ou Jacques II. Ce
n’étoit point l’ufage alors de prendre des vêtemens
lugubres à la mort des fouverains ; mais les nations
étoient dans l’ufage plus raifonnable , de gémir, de
fe livrer à leur profonde trifteffe, lorfqu’elles per-
doient en eux , les protedeurs , les peres, les bienfaiteurs
de leurs fujets. Les hiftoriens contemporains
de Jacques l/.affurent que par leurs larmes 6c leur
douleur les Aragonnois confirmèrent , après fa
mort, le beau lurnofn de Julie qu’ils lui avoient
donné pendant fa vie , 6c qu’il avoit mérité, même
avant que de régner fur eux ; 6c il eft vrai que toutes
les a&ions de ce prince’marquent en lui l’équité la
plus pure 6c la plus inaltérable. Avant que de mour
ir, don Pedre I II, fon pere., roi d’Aragon, lui
laiffa la couronne de Sicile, qui lui appartenoit du
chef de fon époufe dona Confiance, fille de Mainfroi
, prince de Tarente , 6c qui lui appartenoit bien
plus inconteftablement encore par la conquête qu’il
en avoit faite, de l’aveu même des Siciliens, 6c
malgré tous les efforts du pape, djui vouloit qu’il y
renonçât. A peine les Siciliens eurent reçu la nouvelle
de la mort de don Pedre , qu’ils fe hâtèrent de
proclamer Jayme, fon fils, qui gouverna avec autant
de bonheur que de fageffe ces infulaires fi difficiles à
gouverner, jufqu’à la mort d’Alphonfe IV , fon fre-
re. Alphonfe, après cinq années de régné, mourut
fans poftérité , 6c tranfmit au roi de Sicile le feeptre
d’Aragon. Jayme I I fe hâta de venir en Efpagne,
6c fut couronné à Sarragoffe , le 6 feptembre 1291;
il fe ligua avec Sanche, roi de Caftille, dont Alphonfe
, fon frere, avoit abandonné les intérêts pour
foutenir les prétentions de l’infant (de la Cerda , 6c
confentit à l’accepter pour médiateur dans les différends
qu’il avoit avec les rois de France & de Naples.
Afin même de prouver à Sanche combien il
defiroit que cette nouvelle alliance fût folide 6c durable
, il demanda en mariage dona Ifabelle, fille de
ce monarque, 6c s’engagea par fon confeil à renoncer
au trône de Sicile , fur lequel Charles de Valois
ne ceffoit de faire valoir fes prétentions ; ceffion,
au refte , d’autant plus inutile, que la reine dona
Confiance, mere du roi d’Aragon, ni Frédéric, fon
frere, auquel il avoit remis le gouvernement de la
Sicile , n’étoient rien moins que.difpofés à abdiquer
cette couronne. Chez la plupart des hommes les liens
dé l’amitié font faciles à rompre ; ces liens pour les
rois font encore plus fragiles; & malgré les protef-
tations mutuelles des fouverains de Caftille 6c d’Aragon,
leummion fut de très-courte dürée. Jayme
me prévoyant que des défavantages dans l’alliance
qu’il avoit contra&ée avec ce roi foible 6c timide ,
y renonça, fe déclara le défenfeur des droits de
d’infant don Alphonfe de la Cerda, le reconnut pour
•roi de Caftille, emporta d’affaut Alicante , 6c fe
rendit maître d’une partie du royaume de Murcie.
Jacques I I eût bien voulu fe délivrer des importunités
du pape Boniface, aufli facilement qu’il s’étoit