avec raifon au roi Je an I I d’avoir rejette les propô*
‘Etions que vint lui faire le célébré Génois Chrifto-
he Colomb, qui n’ayant point trouvé à la cour de
ortugal les fecours qu’il de voit en attendre , s’a-
dreffa' à Ferdinand 8c Ifabelle, auxquels il procura
la conquête du Nouveau Monde , 6c l’un des plus
va lies empires de la terre. La puiflance de Ferdinand
8c d’Ifabelle les avoit refroidis fur le mariage
projetté il y avoit plusieurs années, entre don Al-
phonfe, prince de Portugal, 6c dona Ifabelle , infante
de Caftille. Je an I I defiroit beaucoup l’accom-
pliffement de ce mariage ; 6c pour y parvenir , ii
commença par faire fortifier toutes les places de fon
royaume, utuées fur les frontières de Caftille ; il y
fit bâtir auffi quelques nouvelles fortereffes. Ces précautions
allarmerent Ifabelle 6c Ferdinand , qui
avoient trop d’embarras alors pour foutenir une nouvelle
guerre ; Je a n les laiffa quelque tems dans l’incertitude;
6c illeur envoya enfuite des ambaflàdeurs
chargés de leur dire qu’il avoit embelli fon royaume
autant qu’il l’avoit pu ; qu’il l’avoit mis à l’abri de
toute incurfion ; qu’enfin, il avoit rendu fes états
floriffans, 6c qu’il croyoit devoir les informer du fuc-
cès de fes foins, parce que leur fille étantdeflinée à
partager le trône de Portugal, il aimoit à leur api
prendre qu’elle recueilleroit le fruit de fes travaux.
Ferdinand 6c Ifabelle ne voyant pas qu’ils euffent
d’autre parti à prendre, confentirent à ce mariage,
qui peu de tems après fut célébré à Ëvora avec la
plus grande magnificence. Mais les fêtes données à
cette occafion furent terminées par un accident bien
funefte, 6c qui les changèrent en un deuil bien amer.
Le jeune époux Alphonfe ayant voulu faire une
courfe , fon cheval s’abattit, 6c le jetta par terre fi
rudement, qu’il l’y laiffa bleffé à mort 6c fans fen-
timent ; il mourut le lendemain. Cette cataftrophe
cruelle pénétra le roi de douleur ; 6c il y eût fuccom-
bé, fi on ne lui eût amené don George fon fils naturel
, qu’il avoit eu de dona Anne de Mendoze. La
vue de cet enfant calma peu-à-peu fa triftefle ; Ôc fa
tendreffe paternelle fe portant toute entière fur ce
jeune prince , il s’occupa , mais vainement, des
moyens de lui affurer la fucceffion au trône, au préjudice
de don Emmanuel, duc deBéja, frere de la
reine, 6c qui parla mort d’Alphonfe, étoit devenu
l’héritier préfomptif dé la couronne. Dans la vue
d’accoutumer la nation à regarder ce jeune prince
comme deftiné à régner , il lui donna , quoique
dans l’enfance encore , les grandes - maitrifes
d’Avis 6c de Saint-Jacques. Bientôt il alla plus loin,
8c follicita du pape Alexandre une bulle par laquelle
George fut reconnu pour légitime : mais le confif-
toire affemblé à Rome rejetta unanimement cette
demande, qui lui parut trop contraire aux droits de
la reine dona. Ifabelle de Caftille, du duc de Béja,
8c du refie de la famille royale. Je a n I I ce ffa de faire
alors des tentatives, qu’il connut devoir être inutiles;
mais il dédommagea, autant qu’il fut en lui, fon fils
George, du rang où il ne pouvoit point l’élever ,
accumula fur fa tête les honneurs , les biens, les dignités
, 8c lui donna le riche prieuré de Crato, premier
prieuré Portugais de l’ordre de Malte. La ren-
drefle du roi pour George attira à celui-ci l’affiduité
de plufieurs courtifans, jufqu’alors empreffés auprès
du duc de Béja, qui de chagrin 6c de dépit s’éloigna
de la cour, 6c fe retira dans fes terres. Je a n parut
peu fenfible à fon eloignement, & continua de prodiguer
des bienfaits à fon fils, 6c à s’occuper des foins
du gouvernement, car rien ne pouvoit le diflrairç
des fonctions de la royauté, qu’il exerçoit avec l’attention
la plus affidue. Toujours prêt à défendre
l’honneur de fa couronne , les intérêts de fes fujets
& la gloire de la nation, il apprit qu’une caravelle
Portugaife richement chargée 8c revenant de Guinée,
avoit été prife par quelques corfaires François.
Irrité de cette entreprife, le roi fit arrêter tous les
vaiffeaux François qui étoient dans fes ports; 6c
Charles,roi de France, informé du fujetde cette fai-
fie, jugea la repréfaille jufle , 8c fit rendre la caravelle
avec toute fa charge. Cependant, la reine qui
n’ofoit repréfenter à fon époux la préférence qu’il
devoit au duc de Béja fur George, 8c qui n’avoit vu
qu’avec la plus vive douleur fon frere s’éloigner,
tomba malade, foit de chagrin, foit par l’inquiétude
que l’avenir lui caufoit, 6c refia quelques jours à
Setubal dans le plus grand danger, je a n I I 6c le duc
de Béja fe rendirent auprès d’elle, 6c ne la quittèrent
point qu’elle ne fût rétablie ; mais le roi s’étoit fi fort
excédé de fatigue , qu’il tomba lui-même très-dan-
gereufement malade, 6c fon corps s’étant couvert de
taches noires 6c livides, bien des gens imaginèrent
gu’il avoit été empoifonné ; ôc les médecins plus
éclairés, regardèrent fa maladie comme incurable;
Elle ne l’empêcha cependant point de s’appliquer aux
affaires, comme s’il eût encore joui de la plus ro-
bufle fanté: mais il s’en falîoit bien qu’il fût rétabli;
il lui furvint au contraire une complication de maux
qui dégénérèrent en hydropifie. Dans cette fituation
fâcheufe, il montra la plus grande aélivité, 6c ramena
l’abondance à Evora où la cour étoit alors, 6c où
l’avarice de quelques perionnes riches , qui ayant
acheté tout le bled, le tenoient à un prix exorbitant,
avoit mis la famine. Je a n I I inflruit de la caufe d©
ce défordre , crut y remédier en fixant le prix di*
bled;mais les perfides monopoleurs refuferent, pour
éluder la loi, de vendre leur grain : /^«irrité contre
ces mauvais citoyens, défendit, fous peine de
mort, à qui que ce fût d’acheter du bled des mar-»
chands Portugais, 8c affranchit les marchands étran-v
gers de tout droit d’entrée , quelque quantité de
bled qu’ils vouluffent amener. En peu de jours Evora
fut dans, l’abondance, 8c les monopoleurs reflerent
ruinés* Je a n I I étoit encore à Evora lorfqu’il apprit
que ChriflopheColomb,dont il avoit fi mal accueilli
la propofttion, il y avoit quelques années, étoit à
Lisbonne, où il avoit été contraint de relâcher. Le
roi le fit venir à fa cour, l’accueillit avec la pliis flat-
teufe diflinélion, en ufa envers lui avec une géné-
rofité vraiement royale, 8c le fervit de toute fa puiï-
fance contre quelques ennemis qui attentèrent à fa
vie. Cependant ce grand prince fe fentoitaffoiblir de
jour en jour, 6c fon efpritétoit dans la plus grande
inquiétude au fujet de la fucceffion, qu’il voyoit
bien devoir paffer fur la tête du duc deBéja, 6c qu’if
eût defiré d’affurer à fon fils. Comprenant qu’il ne
lui refloit que peu de tems à vivre, il fit fon tefta-
ment, expliqua fes dernieres volontés, parla de fa
fucceffion, ordonna de laiffer le nom de fon fuccef-
feur en blanc, héfita quelques momens, 6c à la fin,'
voulut que l’on y mît celui de George. Faria, qui
écrivoit ce teflament fous la diélée du roi, 8c qui
ayant jadis déconvert la confpiration du duc de Vi-
feu, avoit tout à craindre, fi le duc de Béja parvenait
au trône, fut néanmoins affez grand, affez généreux
, pour repréfenter à fon maître que cette dif-
pofition bleffoit évidemment les droits de la reine 8c
du duc de Béja ; qu’elle fouleveroit les grands 8c le
peuple ; enfin , qu’elle perdroit George lui-même ,
au lieu de le placer fur le trône. La grandeur d’ame
de Faria fit impreffion fur J e a n , qui confentit enfin
qu’on écrivît le nom du duc de Béja, fe contentant
de donner à George, par un codicille , le duché de
Conimbre, 6c tous les biens de don Pedre, jadis
poffeffeur de ce duché. La violence qu’il s’étoit faite
pourdiélerce teflament, qui coûtoit tant à fa ten-
dreffe paternelle , acheva d’épuifer fes forces, 6c il
mourut le 25 octobre 1495, dans la quarantième
année de fon âge ^ 8c dans la quatorzième de fon
régné
regne'. C’eft à lui que le Portugal fut redevable de fa
.grandeur, 6c delà découverte des Indes Orientales,
pour laquelle Vafco de Gama étoit prêt à mettre à
la voile lors de la mort de cet illuftre fouverain. Il
fut très-éclairé; mais il fut très-févere :il le fut trop,
8c fon exceffive rigueur fait tort, à mon avis, au
furnom de parfait que fa nation lui donna.
Jean III, roi de Portugal, ( Hiß. de Portugal. ) Il y
a auffi quelquefois du hazard 6c fouvent du caprice
dans le choix des furnoms que les peuples donnent
aux rois : je viens de m’arrêter au regne de Jean I I ,
que l’on trouva parfait, parce qu’il eut une rigueur
outrée ; 8c Jean I I I , qui fans être févere, fit aimer la
juflice ôcrefpeôer lés loix ; Jean I I I , qui philofophe
fur le trône, fut l’ami, le bienfaiteur, le pere de fesfu-
jets, 6c qui confacra tous les momens. de fon regne 6c
de fa vie aux foins du gouvernement, ne fut décoré
par les Portugais d’aucun furnom honorable , lui qui
réuniffoit à un degré fi éminent tant d’excellentes
qualités, tant de rares 6c utiles vertus. C’efl à lui
que je donnerois volontiers le furnom de parfait,
parce que , fuivantmoi, le plus parfait des rois efl
celui qui contribue le plus à la félicité publique. Il
naquit à Lisbonne, le 6 juin 1502 , du mariage du
roi Emmanuel-le-fortuné ; avec dona Marie, infante
de Caftille : le jour de fa naiflance fut marqué parla
terreur des habitans de Lisbonne, qui éprouvèrent
une horrible tempête, 6c qui, fuivant la maniéré
de penfer de leur tems, ne manquèrent pas de croire
que, fi jamais ce prince venoit à monter fur le trône,
fon regne feroit très-orageux : ce terrible préfage
reçut une nouvelle force quelques jours après ; car
pendant qu’on baptifoit le nouveau n é , le feu prit
au palais, f i t des progrès , & allarma prodigieufe-
ment l’imagination déjà frappée des Portugais. Dans
la fuite le regne de ce prince déconcerta totalement
les tireurs d’horofcope, 6c démontra la puérilité de
cette forte de préfage ; cependant fi les mêmes acci-
dens arrivoient dans ce fiecle, fi fort illuminé par
le flambeau de la philofophie , je ne ferois point du
tout étonné que chez la nation la plus éclairée de
l’Europe, le peuple pensât tout de même.' Quoi
qu’il en foit, un an après la naiflance de Jean , Emmanuel
, fon pere , le fit reconnoître pour fön
fucceffeur. Sa première enfance fut confiée aux foins
de Gonçale Figueyra ; 6c la reine dona Marie, fa
ïnere, princeffe au-deffus de fon fexe par fes lumières,
fon mérite 6c la fermeté de fon ame, veilla fur
fon éducation , fécondée par Emmanuel lui-même,
qui délirant que fon fils fe diftinguât, autant par fes
talens que par fa naiflance ôc fon rang, ne fouffrit
auprès de lui que des perfonnes illunres par leur
inérite ; dans cette vue, il voulut que don Diegue
Ortiz, évêque de Tanger, lui enfeignât les belles-
lettres, que Louis Texeira lui expliquât le droit
public, tandis que Thomas de Torrès, médecin 6c
aftrologue le formeroit dans les autres fciences. Ce
plan parut trop étendu pour la capacité du jeune
éleve qui ne répondit point du tout aux foins de
fes maîtres, 8c rendit leurs leçons inutiles. Il étoit
parvenu, fort ignorant, à fa dixième année, lorfqu’il
fit une chûte fi rude, que l’on défefpéra de fa
vie ; cependant, à force de remedes il fe rétablit,
& il ne lui refta de cet accident, qu’une légère cicatrice
au front. Emmanuel voyant que fon fils man-
quoit totalement de goût pour l’étude, 6c qu’il
n etoit capable d’aucune application férieufe, cher-
cha par quels moyens il feroit poffible de fixer fa
legérete naturelle : il crut enfin que l’expédient le
plus fage feroit de n’admettre auprès de lui que de
jeunes feigneurs, à-peu-près de fon âge, mais diftin-
gués par leur efprit 8c leurs talens : ce moyen réuffit,
8c/eö« trouva tant d’agrémens dans leur fociété ,
les écouta avec tant d’attention , fit de fi heureux
Tome I I I ,
efforts pour les imiter, que peu de tems après Emmanuel
ne balança point à l’admettre lui-même dans
fes confeils , où il prit de bonne heure la cOnnoif-
fance ôc le goût des affaires. Je a n fe forma de jour
en jour, 6c il ne tarda point à ftlrpaffer , en prudence
6c en fagacité, les jeunes gens qu’on lui avoit donnés
pour inftruéleurs 6c pour modèles ; mais nialheureu-
lement féduit par la déférence dé ces jeunes feigneurs
, ou gâté par les confeils de quelques-uns
d’entr’eux, à mefure qu’il s’éclairoit, il devenoit
auffi fort vain , préfomptùeux 6c très-opiniâtre. Les
peres, 6c fur-tout les rois, font communément les
derniers à s’appercevoir des défauts de leurs enfans :
Emmanuel, qui ne voyoit que les excellentes qualités
de fon fils , fe dégoûta de la fouveraine puiflance ;
6c accablé par quelques revers inattendus, il forma,
trois ans avant fa mort, le projet d’abdiquer la couronne
en faveur de J e a n , de ne fe réferver que
PAlgarve, 6c de paffer en Afrique , à la tête d’une
puiffante armée ( P oye^Em m a n u e l . Suppl. ) ; mais
quelques précautions qu’il eût prifes pour tenir ce
projet caché', jufqu’au jour de l’abdication, fon
fecret tranfpira; 6c les grands, fuivant l’ufage , fë
rendirent fort affidus auprès du jeune prince ; plufieurs
même d’entr’eux furent affez lâches pour lui
faire leur cour aux dépens d’Emmanuel, dont ils
traitoient la bienfaifance de prodigalité ; l’aménité,
de timide 6c baffe condefcendance pour lé peuple ;
l’indulgence 6c l’affabilité, d’ignorance dans l’art de
gouverver les hommes. Je an n’avoit que dix-fept
ans ; on lui peignoit fous des traits fi brillans le$
avantages du pouvoir arbitraire, qu’ilpenfa, comme
fes féduéleurs, que fon pere ne favoit pas régner ;
6c il marqua la plus vive impatience de monter fur
le trône, afin d’y déployer toute la puiflance de
l’autorité royale. Emmanuel s’apperçut des defirs
de fon fils ; il découvrit par quels confeils fon ambition
s’enflammoit, & d’apres quelles maximes il
s’étoit propofé de gouverner. Cette découverte le
fit changer de réfolution,il abandonna fon projetd’ab-
dic'ation ; 6c, dans la vue de s’affermir lui-même fur
le trône, ÔC de détruire les efpérances de ces lâches
courtifans, il déclara hautement qu’il prétendoit
garder le fceptre, 6c fe maria avec dona Léonore,
ioeur de Charles-Quint. Je a n parut fort inquiet, les
grands, qui lui avoient donné des confeils, le furent
plus que lui ; 8c craignant, avec raifon, l’indignation
du roi, la plupart, fous divers prétextes, fe bannirent
eux-mêmes de la cour, 6c allèrent cacher leur
honte dans leurs terres. Le plus dangereux de ces
adulateurs étoit don Louis de Silveira favori de
J e a n , 6c celui qui, ligué avec les autres flatteurs ,
lui avoit infpiré de l’éloignement pour fon pere , 6c
les plus fauffès maximes fur l’autorité royale. Ce fut
auffi celui contre lequel Emmanuel févit avec le
plus de rigueur ; Silveira fut exilé, 8t Je a n n’étant
plus infeélé de fes mauvais confeils, fentit fa faute
6c comprit combien il étoit de fon intérêt de fe
conformer aux volontés de fon pere. Cette aventure
fut pour lui une excellente leçon fur le choix des
perfonnes qu’il devoit déformais honorer de fa confiance
; 6c bien loin de defirer la puiflance fuprêmet
il ne chercha plus qu’à fe former, fous les yeux de
fon pere , dans l’art de gouverner; il y fit des progrès
fi heureux , qu’âgé de vingt ans feulement,
lorfqu’à la mort du roi Emmanuel, il monta fur le
trône, en 1521 , on le regardoit déjà en Portugal
comme l’un des fouverains les plus habiles 6c les plus
éclairés de fon fiecle. II ne démentit point cette idée
avantageufe ; il eft vrai que dès les premiers jours
de fon régné , fachant que Silveira s’étoit lui-même
corrigé , il le rappella , 8c partagea fon entière
confiance entre lui 6c don Antoine d’Ataïde. Silveira
méritoit cette faveur, il avoit de l’efprit, étoit fort
Yy y