. fins grand de ces inconvéniens, & duquel découlent
tous les autres, eft qu’accoutumés h ne voir ,
à n’entendre que des hommes rampans, de vils flatteurs
, de lâches courtifans, ils regardent la baffefl'e 6c
l’adulation comme les véritables 6c feules exprefîions
du refped 6c du zele ; en forte que tout ce qui diffère
des maniérés 6c du langage de cette foule corrompue,
eft à leurs yeux licence, audace ou rébellion punif-
fable; 6c comme il eft de l’intérêt de cette vile
cohue d’écarter fans cefle d’auprès d’eux tout citoyen
allez honnête , tout fujet affez fidele 6c afl'ez ferme
pour leur montrer la vérité , ils relient perpétuellement
environnés de cette même efpece qui a gâté
leur enfance, qui a égaré leur jeuneffe 6c qui juf-
qu’aux derniers momens de leur régné, ne ceffera de
les pervertir, de les éblouir 6c de les aveugler. Cependant
les rois étant les fouverains difpenfateurs
des grâces, des bienfaits , des récompenfes , des
dignités, des charges, des emplois ; 6c tout chez les
rois foibles 6c ignorans fe vendant, s’achetant , fe
livrant à la vénalité , à Fintrigue, à la corruption,
tout fe proftituant au vice , au luxe, au fafte, à la
perverlité, le défordre 6c les abus s’introduifent,
le multiplient ; le peuple mal conduit, mal gouverné
, peut-être furchargé d’impôts , dévoré lui-même
par le luxe, fe plaint, murmure ; c’eft alors qu’au
nom du fouverain, dont ils fe font audacieufement
rendus les interprètes , ces mêmes adulateurs, fi bas
& fi rampans aux pieds du trône, déploient info-
lemmenr les chaînes du defpotifme*, 6ç ne ceffent de
répéter au crédule 6c foible monarque cette fauffe
6c monftrueufe m'axime , qu’une nation ne peut
être heureufe , paifible , 6c que les rois ne régnent
véritablement, qu’autant que le peuple eft
efclave. Mais tandis que d’après ce vicieux principe
, la püiffance arbitraire cherche à étendre les
fers de la fervitude , l’amour de la liberté qui s’accroît
en raifon des efforts que l’on fait pour la
gêner ou la détruire , fermente , fait naître 6c fortifie
la haine qu’infpire inévitablement l’oppreffion :
la nation , fans ceffer d’être fidelle , cefl'e d’être
aufîi zélée pour le fouverain ; ôc pendant que les
citoyens gémiffent ou murmurent, les auteurs du ■
défordre mal unis entr’eu x, parce qu’il ne peut y
avoir que des ligues paffageres entre les méchans ,
fe divifent ; leurs intérêts font oppofés, ils cherchent
à s’entre-détruire ; chacun d’eux ayant fes partifans ,
fes créatures, il fe forme des fa&ions ; la cour n’eft
plus occupée que d’intrigues , de cabales ; l’état
foufre;le fouverain trop peu éclairé , trop foible
pour connoître 6c punir également tous ceux qui le
trahiffent 6c foulent le royaume, prend lui-même
parti pour l’un d’éntr’eux ; 6c le refte dès fa&ieux irrités
de cette préférence, fe liguent 6c portent leur
audace jufqu’à faire craindre le monarque lui-même,
q u i, malgré fes grandes idées de püiffance , de defpotifme,
tombe dans la plus violente 6c quelquefois
dans la plus déplorable fituation. Telles furent
les caufes qui agitèrent prefque perpétuellement
le régné malheureux de Jean I I , qui n’eut ni affez
de lumières pour difcerner les traîtres qui l’entou-
rerent 6c abuferent de fa confiance, ni affez de fermeté
pour les réprimer., lorfqu’ils fe furent foule-
v é s , 6c qu’il dépendit de lui de les punir ou de les
éloigner. La nation fouffrit infiniment de la foibleffe
de Jean I I , 6c il fouffrit lui-même prefqu’autant de
la licence 6c des crimes de fes favoris qu’il avoit
enhardis, 6c en quelque forte autorifés lui-même
par fes imprudences 6c fa pufillanimité. Fils d’un
illuftre fouverain , de Henri III, roi refpeélable par
fa fageffe, redoutable par fa valeur , 6c de dona
Catherine de Lancaftre, Jean I I n’avoit que quatorze
moislôrfque la mort lui enleva le roifonpere :
don Ferdinand ion oncle, fut fon tuteur, 6c régent
du royaume ; mais don Ferdinand lui-même ayant
été appelle au trône d’Aragon , dona Catherine fa
mere refta feule chargée de fa tutelle 6c de la régence
de fes états. Dona Catherine avoit d’excellentes
intentions; l’on dit même qu’elle avoit de grandes
qualités ; mais les foins du gouvernement l’occu-
poient tropg, pour veiller aufli aflidument qu’il eût
été néceffaire, à l’éducation de fon fils qui fut un
peu négligée : d’ailleurs, la reine Catherine ne vécut
point affez long-tems pour le bonheur du royaume
6c pour l’utilité de fon pupille, q u i, n’ayant que
treize ans, lorfque cette princefl'e mourut, fut pro^
clamé roi par les foins trop emprefl'és de l’archevêque
de Tolede , 6c de quelques autres feigneurs,
le zo ottobre 1418. Les premiers jours dû régné de
ce prince, trop jeune pour fe douter feulement de
l’étendue ôc des bornes de fon autorité, furent employés
aux fêtes de fes fiançailles avec dona Marie,
infante d’Aragon ; époux 6c roi dans un âge oit à
peine les hommes commencent à fe connoître ,
Jean 11 convoqua les états , 6c déclara qu’il alloit
gouverner par lui-même ; il eût dit plus vrai, s’il
eût déclaré que les autres alloient gouverner fous
fon nom. On lui fit renouveller la treve avec le roi
de Grenade : 6c la feule adion qu’il fit alors d’après
lui-même, fut de faire de dom Alvar de Luna, fei-
gneur ambitieux , éclairé, mais fort turbulent, fon
favori : ce choix déplut à don Juan 6c à don Henri fils
de don Ferdinand, 6c infans d’Aragon; ils vouloient
feuls ôc à l’exclufion i’un de l’autre , régner fur l’ef-
prit du ro i, 6c fous fon nom, régir, ou à leur gré I
bouleverfer l’état. Don Juan médita de fe rendre
maître de la perfonne du jeune fouverain ; mais fon
frere plus heureux, exécuta pour lui-même ce pro4-
jet pendant l’abfence de don Juan, qui étoit allé
en Navarre époufer l’infante dona Blanche. Don
Henri profita de ce voyage , 6c de concert avec le
connétable, l’évêque de Ségovie 6c quelqu’autres
feigneurs , il alla à Tordefillas oîi le roi étoit j
6c par le plus infolent des attentats, fe rendit maître
de fa perfonne ; fans doute dans la vue de lui faire
oublier ce crime, il lui fit époufer l ’infante dona
Marie fa foeur, 6c le roi parut avoir ffpeu de ref-
fentiment de cet ade de violence, que devant les
états affemblés par fon ordre à Avila, il juftifia tout
ce qu’avoit fait don Henri, ôc défavoua toutes
les démarches que l’infant don Juan faifoit pour le
tirer des mains de fon raviffeur. Toutefois , cette
complaifance ne fe foutint pas , 8t Jean I I plus ennuyé
qu’irrité de fa captivité ,* confia à don Alvar
de Luna fon favori, qu’il vit en fecret, combien il
defiroit d’être délivré de l’oppreflion de don Henri,
don Alvar fe ligua avec don Frédéric , comte de
Tranftamare 6c don Rodrigue Pimantel : ils prirent
fi bien leurs mefures, qu’ils délivrèrent le roi, qui,
paflànt; le Tage fùr une barque , gagna le château de
Montalban. A peine il y étoit arrivé , qu’il y fut
afliégé par le connétable 6c don Henri ; mais ces
deux hardis fadieux , informés que don Juan fuivi
de nombreufes troupes, venoit au fecours du roi ,
Iev-erent le fiege ôc fe retirèrent précipitamment
l’un 6c l’autre. Jean I I fentoit toute l’obligation qu’il
avoit à don Juan ; mais n’ayant pas plus d’envie de
tomber en fa püiffance, que de rentrer fous l’oppreffion
dont il venoit de s’affranchir, il accueillit avec
diftindion don Juan; mais ne voulut point lui permettre
de refter à fa cour, 6c le renvoya, après lui
avoir ordonné de licencier fes troupes. L’infant hors
d’état de réfifter, obéit ; mais Henri furieux leva le
mafque 6c excita des troubles ; afin de maintenir
fon crédit, il avoit époufé, pendant la détention du
roi, l’infante dona Catherine foeur de ce monarque »
6c il s’étoit fait accorder pour dot de fon époufe, fa
ville de Villena avec fes dépendances. fous le titre
de
'de duché. Cette ville n’ayant point encôré étécédéè^
henri voulut de force s’en mettre en poffeflion, fuite
de ce nouvel attentat ; Jean I I révoqua la donation
qu’il avoit faite de Villena, 6c défendit aux habitans
de reconnoître d’autre feigiïeùr que lui. Henri continua
d’ufer de force ; mais fes entreprises ne lui
réuflirent point ; la plupart des feigneurs l’abandon-
nerent 6c s’attachèrent au roi qui, vivement indigné
de fes violences, l’obligea de fe retirer, ôc ne
voulut pas même le voir, lorfque forcément fournis,
Henri vint pour lui témoigner fon repentir 6c
ï ’affurer de fon obéiffance. Cette févérité qui ne fut
à la vérité que momentanée, ne rendit le calme ni à
la cour ni à l’état. L’infant Henri toujours inquiet,
fadieux, perfifta dans fes intrigues, fes Cabales 6c fes
complots ; le roi lui ordonna de venir fe juftifier;
6c l’infant après avoir demandé, avant que d’obéir,
des lûretés 6c des otages , apprenant qu’on fe difpo-
foit à marcher contre lui les armes à la main , fut à
Madrid fe préfenter au roi qui ne voulut lui donner
audience qu’au milieu de fon confeil. Henri ne pouvant
faire autrement , y parut; 6c fur les accufations
qui furent portées contre lui, prouvées par fes propres
lettres, il fut arrêté 8c étroitement renfermé.
Sa captivité ne fit que donner plus de violence aux
troubles : Henri avoit en Caftille un grand nombre
de partifans, 6c fon frere, don Alphonfe, roi d’Aragon
, paroiffoit difpofé à embraffer fa caufe. Car
Jean I I lui ayant fait demander tous les feigneurs
Caftillans qui s’étoient retirés à fa cour, ainfi que
la princeffe fa foeur, Alphonfe demanda à fon tour
la liberté de fon frere ; elle ne lui fut point accordée,
6c les deux rois également mécontens l’un de l’autre,
ïe préparèrent à la guerre. Ce fut au fein de ces agitations
que naquit l’infant don Henri, que le roi
fon pere fit reconnoître huit jours après pour prince
héréditaire, 6c qui en effet, régna pour le malheur
de fes fujets. Cependant le roi d’Aragon fe difpo-
fant à employer la force pour délivrer fon frere ,
les états de Caftille approuvèrent l’emprifonnement
de ce prince , 6c s’obligèrent à fournir aux dépenfes
de la guerre que Jean avoit à foutenir, fi don Al-
phonfe exécutoit fes menaces. Cet orage alloit éclater
lorfque don Juan , frere de don Henri, fut ap-
pellé au trône de Navarre après la mort du roi don
Carlos, 6c du chef de la reine Blanche, l’époufe de
don Juan , 6c héritière de don Carlos. La couronne
de Navarre flattoit beaucoup moins don
Juan que le crédit prefque fans bornes qu’il avoit
en Caftille ; il n’en méfufa point dans cette occa-
fion, 6c avant que d’aller prendre poflèflion du fcep-
tre , il ménagea un accommodement entre les rois
de Caftille 6c d’Aragon ; les conditions de ce traité
furent que don Henri feroit remis en liberté, ôc que
tous fes domaines lui feroient rendus ; qu’il prête-
roit un nouveau ferment de fidélité à Jean I I , Ôc
qu’Alphonfe n’auroit aucun reffentiment contre tous
ceux qui, foit pour fervir leur maître, foit pour
d’autres motifs , avoient eu part à l’emprifonnement
de don Henri. Quand les grands d’un état, fur-
tout fous un roi foible, fe font livrés une fois à l’ef-
iprit de difçorde , d’intrigue , de fadion , il eft
tien difficile de les engager à rentrer dans le devoir
6c fouslës loix de la dépendance & de la fubordina-
tion. Ce ne fut que pour quelques jours que les troubles
parurent lufpendus en Caftille , 6c ils recommencèrent
avec plus de violence, fufcités par la
haine de la plupart des feigneurs contre le connétable
don Alvar de Luna, qui, à la vérité, abufoit
quelquefois avec trop de licence de la grande-puif-
lance que lui donnoit fa dignité , 6c de la foibleffe
du roi dont il étoit le favori. Celui qui haïfloit le plus
fortement don A lva r, étoit l’infant don Juan, roi
de Navarre, que les grands 6c la nobleffe regardoient
Tome I II.
comme lèur pfôtedeur ôc leur appui. Les plaintes
& les accufations portées contre don Alvar furent
fi graves , fi multipliées, 6c ces accufations répétées
a grands cris par le peuple , paroiffoient préfa-
ger un foulévement fi prochain, que Jean II effrayé,
crut devoir, quelque pénible que fût le facrifice,
confentir à l’éloignement de fon favori; 6c dès ce
moment, il parut s’attacher à don Henri par cela
meme que dans cette occafion, il n’avoit pris , du
moins en apparence, aucune part à cette intrigue.
Cependant l’abfénce du connétable ne ramena point
le calme ; au contraire , les feigneurs qui s’étoient fi
étroitement ligués contre lui, fe brouillèrent bien-tôt
entr eux ; 6c comme jufqu’alors ils n’avoient craint
que la vigilance ôc les confeils féveres de don Alvar,
ÔC que fon éloignement fembloit leur affurer l’impu-
ntté, ils fe livrèrent fans ménagement aux excès les
plus répréhenfibles, 6c fe portèrent à de fi grandes
violences, que le peuple irrité de leurs vexations 6c
des fuites cruelles de léurs. haines particulières , qui
retomboient fur lui, éclata , fe plaignit hautement,
6c menaça de repouffer l’oppreflion par la fprce.
La confufion 6c le défordre furent portés fi loin ,
que les ennemis même les plus irréconciliables de
don Alvar, prièrent le roi de Caftille de le rappel-
ler à fa cour ; 8c quand il y revint, ce furent don
Juan, roi de Navarre, 6c don Henri qui le préfen-
terent au roi. Par cette démarche , les deux freres
efpérerent de s’attacher le connétable, 6c il fe trompèrent
; don Alvar, qui ne voyo.it en eux que lés
protecteurs & l’appui des feigneurs les pius turbu-
lens ,les éloigna touis deux de la cour fous des prétexte
honorables, 6c jouiffant bien-tôt lui-même
d’une plus grande autorité qu’il n’en avoit eu juf-
qu’alors, il fufcita l’envie ôc la jaloufie des grands qui
ne tardèrent point à fe déchaîner contre lui. Quoi-
qu’abfens de la cour , les infans don Juan 6c don
Henri etoient l’ame ôc les auteurs des intrigues 6c
des cabales formées contre le connétable ; 6c le roi
d’Aragon qui, pour fes propres intérêts , agiffoit de
concert avec fes freres , affembia des troupes, tandis
que don Alvar en affembloit de fon côté au nom
du roi ; enforte que la guerre fembloit inévitable,
6c quelques efforts que pût faire la reine douairière
d’Aragon, fécondée par le cardinal de Foix , légat
du pape, elle ne put empêcher les fuites de cette
querelle, qui dés deux côtés fit répandre beaucoup
de fang. Il eft vrai que par les foins , la valeur ôc le
zele du connétable , Jean //eut enfin du füccès fur
les mécontens, 6c qu'il dépofféda fuccelfivement les
infans des places qui leur appartenoient. Après beaucoup
de fieges ôc de combats, Jean conclut une
treve avec les rois d’Aragon ôc de Navarre , 6c les
conditions de cette treve furent que les exilés 6c les
mécontens refteroient dans les lieux où ils étoient,
ôc que don Henri évacueroit le château d’Albuquer-
que, feule place qui lui reftoit encore. C ’étoit-là
fufpendre feulement les troubles 6c ne rien terminer;
mais le roi de Caftille qui depuis long-tems médi-
toit de tourner fes armes contre les Maures, crut
gagner beaucoup en fe procurant le tems 6c la liberté
de remplir fon projet. Il réuflit au gré de fcm attente,
6c après avoir remporté une victoire fignalée fur
les Maures de Grenade, il détrôna Mahomet le Gaucher,
6c fit paffer le fceptre à Joieph-Ben-Muley ,
petit-fils de ce roi de Grenade que Pierre le Crue!
avoit poignardé à Séville : le nouveau fouverain
Maure,’ plein de reconnoiffance, fe reconnut vaffal
de Caftille, 6c par cette foumiflion vraiement glo-
rieufe pour Jean I I , les hoftilités ceflerent. Mais
tandis que le roi de Caftille difpofoit à fon gré d’un
royaume étranger, le fien étoit violemment agité
parles troubles, l’ambition 6c la licence des fadieux.
Le roi y vint, 6c Farmée qui l’accompagnoit en