impofa aux rebelles ; l’infant don Henri fe fournit ;
évacua toutes les places qu’il tenoit, 8c parut déterminé
à ne plus remuer. Pendant que Jean I I s'occup
â t à foumettre les rébelles , il fe paffoit à Grenade
une révolutionquirendoit inutile la glorieufe guerre
que les Caftillans avoient faite dans ce royaume ; Jo-
feph-Ben-Muley mourut, 8c Mahomet le Gaucher,
qui depuis li peu de tems avoit perdu la couronne,
fe préfenta, fut reconnu, remonta fur le trône, 8c
le roi de Caftille fut obligé de diffimuler, les cir-
conftances ne lui permettant point d’àller donner
aux Maures de Grenade un nouveau fouverain :
car alors il avoit à diffiper 8c à punir une conjuration
nouvelle. Bienfaiteur de don Frédéric, comte
de Luna, 8c fils naturel de don Martin, roi de Sicile ,
& qui avoit été l’un des prétendans à la couronne
d’Aragon , il ne s’attendoit point à trouver en don
Frédéric un ingrat 8c un traître. Mais Frédéric , fans
moeurs 8c fans principes, épuifé , appauvri par fes
prodigalités, forma, de concert avec quelques fcé-
lérats, le complot de s’emparer de Séville, d’y porter
le fer 8c la flamme, de piller pendant le tumulte
les richeffes des citoyens 8c des marchands, enfuite
d’équipper une flotte 8c d’aller infefter les mers.
Cette trame fut découverte peu de tems avant le
moment fixé pour fon exécution. Les complices de
Frédéric périrent fur l’échafaud, 8c Frédéric lui-
même eût expiré dans les fupplices, fi la haine que
Jean lui connoifloit pour le roi d’Aragon ne lui eût
fauve la vie: l’on fe contenta de l’enfermer à perpétuité.
Cette conjuration difïipée, le roi de Caftille
recommença la guerre contre les Maures de Grena ■
de; 8c afin de lui donner plus d’autorité 8c de pouvoir
y employer toutes fes forces, il conclut après
bien des difficultés 8c une longue négociation,un traité
de paix avec les-rois d’Aragon 8c de Navarre. L’une
des conditions de cette paix étoit que le prince des
.Afturies , don Henri , épouferoit l’infante dona
■ Blanche, fille du roi de Navarre ; cette claufe fut la
première remplie, & l’infante dona Blanche, la plus
belle perfonne d’Efpagne, fut unie au prince des Afturies,
qui ne pouvant également accomplir ce mariage,
fut obligé dans la fuite de confentir à fa diffolution.
( Voye^ Henri IV , Hijl. d'Efpagne. Suppl. ) Libre
de toute inquiétude, & croyant le calme rétabli.dans
fes états, Jean II ne fongea plus qu’à continuer la
guerte contre les Maures de Grenade ; mais au
moment d’entrer en campagne, fa furprife & l’étonnement
du connétable don Alva r, fon miniftre,
furent extrêmes , lorfqu’ils apprirent que la plus
grande partie des feigneurs étoient allés avec leurs
troupes joindre les mécontens qui s’étoient raffem-
blés 8c qui avoient à leur folde une armée formidable
, & à leur tête l’infant don Henri. Le roi de
-Caftille irrité de ce nouvel obftacle, fit les plus
grands efforts pour balancer les forces des rébelles;
mais le nombre de ceux-ci s’accroiffoit chaque jour.
Au milieu de cet embarras, Jean I I reçut une lettre
lignée du roi de Navarre, de l’infant don Henri 8c
des principaux d’entre les rébelles , qui lui mar-
quoient que ce n’étoit point contre lui qu’ils avoient
pris les armes, mais contre don Alvar de Luna
qu’ils chargeoient des plus grands crimes , des plus
odieufes déprédations. Le roi de Caftille indigné,
& comptant mortifier les mécontens, nomma aux
charges de la maifon du prince des Afturies, & mit
le connétable à la tête : mais il étoit bien loin de fe
douter que le prince des Afturies lui-même alloit, par
les confeilsde don Juan Pacheco, fon favori, prendre
des liaifonsfecretes avec les mécontens, ainfi que
la reine fa mere. Il découvrit bien-tôt cette trame,
& il ne changea rien à la réfolution qu’il avoit prife
de furprendre les rébelles 8c de punir leur audace ;
mais il fut furpris lui-même par les confédérés à
Medina-del-Campo, 8c fe voyant en leur pouvoir,
il fut contraint d’accepter les conditions humiliantes
qu’ils lui impoferent 8c de jurer que le connétable
refleroit éloigné de la cour pendant fix ans ; après
avoir donné fon fils aîné en ôtage. Les rébelles dont
la' ligue s’étoit encore fortifiée par le füccès contraignirent
le roi à convoquer les états j bîi il ne fut
rien ftatué que par eux : il eut même la douleur de
voir fon fils, le prince des Afturies, venir dans le
confeil, 8c exiger impérieufement qu’on chaiïat de
la maifon du roi plufieurs des principaux officiers
& tous ceux que le connétable y avoit placés. Ces
aéles d’humiliation ne fatisfirent point encore les
rébelles , 8c le roi de.Caftille fut gardé à vue par
deux d’entr’eux , qui eurent ordre de ne le point
quitter: ce dernier trait le jetta dans la-plus profonde
mélancolie. Mais peu de tems après l’évêque d’À-
vila travailla avec tant de zele à lui faire rendre la
liberté , qu’il y parvint, 8c le prince des Afturies
gagné par les confeils de Pacheco, fon favori, que
l’évêque à force d’argent avoit mis dans fes intérêts,
fe détachant de la ligue avec autant de légéreté qu’il
y étoit entré , prit de fi fàges mefures avec don
AlVar, qu’au moment oîi les deux partis étoient
prêts à combattre , le roi trouva moyen de fe
fauver , 8c alla fe mettre à la tête de ceux qui
s’étoient déclarés pour lui ; dès ce moment,
la fortune abandonna la caufe des confédérés
qui néanmoins voulant terminer la querelle par une
aûion décifive, préfenterent la bataille à l’armée
royale. Ils furent vaincus,, mis en déroute : il en périt
une grande partie, 8c l’infant don Henri, le plus turbulent
8c le plus dangereux de tous, fut bleffé, 8c
mourut peu de tems après. Jean I I , vainqueur des
rébelles, envoya fur l’échaffaud les principaux
d’entre les prifonniers de guerre, 8c confifqua les
biens de tous ceux qui avoient été pris les armes à la
main. Cette viéloire 8c la févérité du roi eût pu rétablir
le bon ordre, fi le prince des Afturies, fous pré*
texte que fon pere ne lui avoit pas cédé quelques
places, qu’il prétendoit lui avoir été promifes ne fe
fûtretiré fort mécontent à Ségovie 8c n’eût fomenté de
nouvelles diffentions. Quelque tems avant la victoire
de Jean I I , la reine dona Marie fon époufe, étoit
morte, 8c les mécontens avoient accufé don Alvar
de l’avoir empoifonnëe. Don Alvar ne jugea pas
même à propos de repouffer cette imputation ; 8c
fon filence , ainfi que la méfîntelligence qu’il y avoit
entre lui 8c la reine, femblent donner du poids à
cette grave accufation. Quoi qu’il en foit, le connétable
, fans confulter fon maître , propofa à la cour
de Portugal de le marier avec dona Ifabelle, fille de
don Juan , infant de Portugal : cette propofition
fut acceptée, 8c ce ne fut qu’alors que don Alvar
en fit part à fon maître ; Jean en fut très-ôffenfé :
mais il n’ofa pourtant le contredire, ni le défavouer,
mais il commença dès cet inftant, à concevoir pour
lui une très-forte haine , 8c qui ne tarda guere à devenir
fatale à l’ambitieux favori. Cependant le prince
des Afturies, auffi mauvais fils qu’il fut enfuite mé-'
chant ro i, ne ceffoit de cabaler contre fon pere,
blâmoit hautement fa conduite, 8c fe déchaînoit
contre lui avec tant de licence , qu’on difoit publiquement
qu’il ne fe propofoit pas moins que de le
détrôner , fous prétexte que le roi de Caftille fecon-
doit 8c protégeoit les déprédations du connétable
don Alvar. L’état fouffroitde cette méfîntelligence ,
8c pour comble de malheur, les puiffances étrangères
profitant de ces divifions, faifoient fur les frontières
de cruelles irruptions. Les Gafcons fufeités
par le roi de Navarre, entreront 8c portèrent la dé-
vaftation fur les terres de Caftille, tandis que le roi
de Grenade s’emparoit des meilleures places 8c fai-
foit un grand nombre d’efclaves, appuyé en fecrec
par le prince dès Afturies, qui, pour rendre fon pere
odieux par les progrès des Mahométans, défendoit
aux villes qui dépendoient de lui, de fecourir aucune
place de la frontière. Pendant cet orage, Jean I I ,
qui néanmoins fentoit vivement fa fituation, mais
qui craignoit encore une nouvelle guerre, époufa
dona Ifabelle , fille de l’infant don Juan de Portugal,
& cette nouvelle époufe qui- eut bientôt toute fa
confiance, travailla de toute fa puiffance à hâter la
ruine du connétable, quoique ce fût à lui feul qu’elle
fût redevable de fon mariage, tant il eft vrai que
l’ambition 8c la reconnoiffance font deux fentimens
incompatibles; car dona Ifabelle voulant feule régner
fur l’efprit du monarque , 8c ne pouvant y parvenir
qu’en perdant fon bienfaiteur, elle fe décida facilement
à facrifier le connétable à la paffion qu’elle
avoit de dominer. Tandis qu’elle cherchoit à aigrir
fon époux contre le favori, celui-ci négocioit la réconciliation
du prince des Afturies avec Ion pere ',
8c il parvint à ménager entr’eux une entrevue. Dans
cette conférencè, le roi de Caftille fe raccommoda
avec fon fils, & ils fe facrifierent l’un'à l’autre plu-
iieurs feigneurs qui furent auffi-tôt arrêtés ; mais
l ’un d’entr’eux, le comte de Benavente, s’évada, 8c
excita des troubles qui euffent eu les plus fâcheufes
fuites, fi le pape n’eût enfin interpofé :fbn autorité
plus refpeélée alors que la puiffance royale, 8c s’il
n’eût envoyé aux prélats de Caftille 8c de Léon une
bulle par laquelle il leur enjoignoit d’excommunier
tous les rébelles- Cqtte bulle produifit le plus grand
effet, les mécontens 8c le prince des Afturies même
fe fournirent fincéremenfc: l’infant Henri redoutoit
plus la force des foudres du pape , qu’il n ’avoit de
refpeèl pour l’autorité paternelle. Pendant queles rebelles
fè foumettoient-, le roi de plus en plus irrité
par fon époufe, contre don Alvar, ne cherchoit que
les moyens de s’affurer de fa perfonne, 8c don Alvar
lui-même lui en fournit plus d’une occafion dont on
.n’ofa cependant profiter, tant on craignoit de fou-
lever le peuple. Cependant après bien des tentatives
.qui firent enfin connoître à don Alvar le danger qui
le menaçoit, on invertit fa maifon ; il s’y défendit
avec la plus grande intrépidité, 8c eût continué à s’y
défendre jufqu’à la mort, h Jean II ne lui eût envoyé
dire qu’il fe rendît prifonnier, 8c qu’il ne craignît
rien. Don Alvar ne.fe contentant point de cette
promeffe, demanda un billet figné du roi, par lequel
le monarque l’affurât qu’on n’attenteroit ni à fa v ie ,
ni à fon honneur. Jean I I eut la perfidie d’écrire &
de figner cette promeffe, fur laquelle don Alvar ne
fe fut pas plutôt rendu, qu’il fut mis en prifon, 8c
livré à douze jurifconfultes affiliés des feigneurs du
confeil, qui, après avoir inftruit fon procès, le condamnèrent
unanimement à la mort. Il fut amené à Val-
ladolid, oit il fut exécuté fur un échafaud. Jean I I , le
matin même de l’exécution, vouloit lui faire grâce, 8c
lui eût pardonné fi l’ingrate reine ne l’en eût empêché.
Ainfi périt un homme qui pendant quarante-cinq années
avoit fervi fon maître avec le zele le plus rare, 8c
qui pendant trente années avoit gouverné le royaume
avec un pouvoir abfolu à la vérité, mais auffi
avec l’intégrité la plus inébranlable 8c la plus défin-
téreffée. On convient qu’il étoit ambitieux , jaloux
de dominer; mais lui feul étoit capable de tenir, au
nom de fon maître, les rênes de l’état : il étoit très-
habile miniftre, 8c pendant la longue durée de ce
régné orageux, jamais on ne vit don Alvar entrer
dans aucune fa&ion ; il étoit au contraire l’épouvantail
des faétieux. Jean I I le regretta, mais il n’étoit
plus tems; il fe forma des faûions nouvelles, 8c le
feul homme en état de les réprimer avoit été lâchement
facrifiéà la haine jaloufe de la reine. Quelques
jours après cette exécution -, le mariage du prince
des Afturies avec l’infante.dona Blanche, fût déclaré
Tome I I I y
nul pour caufe d’impuiffance. Le roi de Caftille qui
s’étoit privé du feul homme fur la fidélité duquel il
pût compter, 8c qui fe voyoit perpétuellement environné
de feigneurs faétieux, prit auprès de fa perfonne
huit mille lances, 8c cette formidable efeorte
produifit le plus grand effet ; les cabales cefferent,
& il n’eut plus à craindre les complots. Informé des
grandes découvertes 8c des conquêtes faites' par le
roi de Portugal dans les Indes, il en fut profondément
affligé, 8c croyant arrêter le cours de’ ces
conquêtes, il prétendit que fes prédéceffeurs ayant
obtenu du pape les îles Canaries avec tout ce qui
en dépendoit, les découvertes des Portugais étoient
contraires à la ceffiôn du pape, 8c qu’il déclareroit
la guerre à la nation Portugaife, fi elle ne fe défiftoit
point de ces découvertes, Le roi de Portugal, fans
infifter fur l’abfurdité de ces prétentions, fe contenta
de répondre que les Indes orientales étoient infiniment
étendues, & point du tout une dépendance des
îles Canaries; qu’au refte, il n’èmpiéteroit point fur
les droits du roi d’Efpagoe, ni fur les poffeffions
qu’il tenoit de la libéralité du pape. A-peû-prèà dans
ce tems, la reine d’Aragon dona Marie, foe u r de
Jean I I , étant venue en Caftille pour voir fon frère,
ce prince fe mit en route dans le deffein d’aller à
Medina-del-Campo joindre fa foeur ; mais dès la
fécondé journée de fon voyage, il tomba dans une
fi grande foibleffe- qu’on crut qu’il alloit expirer ; il
revint cependant^ lui, 8c fe fit tranfporter à Valla-
dolidjoii fa maladie devint fi violente 8c fit tant de
progrès, qu’il expira, fort dégoûté, dit-on, du trône
8c de la v ie , le î1 juillet 1454. Il ne fur regretté ni
de fes fujets, ni de fa famille, & il faut avouer qu’il
ne mérita les regrets de perfonne. (L . C.)
J ean I , roi de Portugal, ( Hifi. de Portugal.') Ce ne
fut point à la fortune feule que Jean 1 fut redevable
du trône ; ce ne fut pas non plus à la naiffance, qui
donne fouvent aux nations des fouverains fi peu
capables de gouverner : ce fut à fes talens1, à fes
vertus , o u , ce qui eft la même chofe relativement
aux effets, à l’art qu’il eut d’affe&er les vertus les
plus néceffaires au fuccès de fes vues & à fon élévation.
Jean fut, fans contredit, le plus ambitieux dès
hommes ; mais il eut foin de couvrir fes deflëins du
voile toujours impofant de l’amour du bien publie^
Il fut l’un des plus grands politiques de fon fieclè ;■
mais lui feul le favoir, tant il étoit attentif à cacher
fes projets fous les apparences de la plus ingénue
franchife, de la plus rare candeur. Il connoifloit les
hommes , les aimoit peu, les eftimoit moins encore ;
mais il favoit les employer, 8c fur-tout gagnér leur
affeftion. Par fon aménité , fa douceur, fa bienfai-
fance , il s’attacha le peuple autant qu’il lui paroif-
foit attaché lui-même : par fa valeur il captiva-la:
confiance des militaires : fon refpeél pour TEglife,
8c fur-tout pour les privilèges' & lçs immunités des
eccléfiaftiques, lui valut leur fuffrage& leurcondef-'
cendance. Ce fut par ces moyens, par ces -qualités
extérieures qu’il parvint enfin à s’affeoir fur un trône
d’oü l’illégitimité de fa naiffance fembloit devoir
l’exclure. En effet, fils naturel de don Pedre le Jufti-
cier& de donaThéreze Lorenzo, Galicienne, d’une
maifon peu illuftre , il naquit à Lisbonne le 2 avril
1357, & il fit dans la fuite bien valoir cette circon-
ftance ; car le peuple imbécile , fur lequel les plus
frivoles minuties font impreffion, montra rattachement
le plus zélé, le plus inaltérable au parti dè
Jean I , par cela feul qu’il étoit ;rié à Lisbonne. Son
enfance fut confiée aux foins de Laurent de Leiria,
citoyen de Lisbonne , qui pria don Nugno-Freiras
d’Andrade , grand-maître de Tordre de Chrift, de fe
charger de fa première éducation. D ’Andrade remplit
cette tâche avec zele ; & lorfque fon élève eut
atteint l’âge de fept aps, il alla le préfenter lui-même
X x x ij