de jardin, & à ce que les grains étant éloignés les uns
des autres peuvent beaucoup etendre leurs racines ,
& raffembler une grande provifion de nourriture.
Mais de ce que ces infufions n’ont pas réulfi en
grand , il ne faut pas en conclure, comme M. Duhamel
& Vallerius, l’inutilité de toutes les préparations
des femences pour en augmenter la force
végétative , fur-tout après avoir montré par l’avantage
des femailles en tems fec , Sc par l’expérience
de M. de Sutieres, qu’il importe beaucoup que les
femences foient imprégnées de fucs forts Sc huileux
qui hâtent le développement des germes qu elles
contiennent. C ’eft ainfi que le favant M. Dodard ,
de l’académie des Sciences , raifonnant fur la multiplication
du bled par a r t , l’explique par le développement
des germes. « J’ai cru long-tems , dit-il,
>» qu’un grain de froment ne pouvoit pouffer qu’un
» tuyau ; mais j’ai entre mes mains deux troches de
» froment , dont Tune fembloit contenir plus de
» cent tuyaux , & l’autre plus de foixante. Celui
» qui m’avoit mis ces troches entre les mains, vou-
» loit prouver par-là qu’une liqueur dans laquelle
» il affuroit avoir mis tremper les deux grains de
» b led , d’oii il difoit que ces deux troches étoient
» iffues , augmentoit à l’infini la fécondité naturelle
» du froment. Je laiffe à partie fait de la préparation
» qui peut être vraie au moins en partie, puifque
» M. l’abbé Gallois en a vu quelques épreuves ,quoi-
» que moins fortes..... Si c’eft une vraie multiplica-
» tion du germe d’un feul grain en plufieurs tuyaux,
» Sc fi la préparation en eft la caufe, il y a beaucoup
» d’apparence que cette hume&ation d’une graine
» par une liqueur, ouvre les conduits du germe con-
» tenu dans la graine , de forte que, tombant dans
» une terre bien cultivée Sc fucculente, il y renc
o n t r e toute la feve néceffaire , pour metîre au
» jour tout ce qu’il y a de reffources naturelles. Mém.
» de L'académie tyoo. p. iSy ». Il ne manque à l’explication
de M. Dodard, que d’admettre en même
temps plufieurs germes dans une même graine. Il
de voit y être conduit par l’exemple qu’il cite enfuite.
J’ai v u , dit-il, chez M. le préfidentde Tambonneau,
deux pieds de ce froment, que G. B. appelle triti-
cumfpica muldplici , l’un de ces pieds avoit trente-
deux tuyaux ; il y avoit dix épis fur chaque tuyau ;
chaque épi avoit trente grains, & l’épi du milieu
du tuyau en avoit trente-fix. Si l’on multiplie tout
cela, on trouvera trois cent-vingt épis, Sc neuf mille
fept cens quatre-vingt-douze grains de bled venu
d’un feul grain. On lent qu’il eft impoflible que la
plantule contenue dans le grain ait pu contenir un fi
grand nombre d’épis , Sc cela ne peut s’expliquer
que par le développement fucceflîf des germes invi-
fibles contenus dans la graine aufli-bien que la plantule
, à moins qu’on ne fuppofe, comme je l’ai fait,
que les germes préexiftans étant répandus par-tout
fur la furface de la terre, la plantule en abforbe avec
la feve qu’elle tire par fes racines ; & il eft naturel
que cette plantule, fi elle eft plus vigoureufe au
moyen des fucs forts dont elle a été imprégnée , en
abforbe davantage qu’un autre plusfoibie ou femée
dans un terrein maigre Sc mal labouré, car rien ne
peut remplacer les labours Sc les engrais , comme
on le verra plus bas.
Il feroit une autre maniéré de multiplier les germes
& les talles de la jeune plante par les arrofemens
- dans les faifons convenables. Si l’on poffédoit en
France l’art d’arrofer les terres, on feroit des prodiges
en fait de végétation , les terreins les plus arides
, les plus brûlans , Sc les plus ftériles ,.devien-
droient fertiles par lefecours des arrofemens amples
& fréquens ; les anciens ne l’ignoroient pas ; ils
n’eftimoient rienau-deffus d’un terrein arrofhyfolum
irriguum ; c’étoitpour eux le fonds le plus précieux,
comme on le voit dans Caton Sc dans Varron ; c’é-
toit aufli le grand fecret des habitans du Tigre Sc de
l’Euphrate, qui, en conduifant l’eau de ces fleuves
par des rigoles fur leurs terres labourées, en tiroient
deux à trois cens pour un. ( Vjyei Pline. )
Philoftrate, dans fes tableaux, reprefente Neptune
, le dieu des eaux , équipé en laboureur , qui
conduit une charrue , pour faire comprendre la
néceflité qu’a la terre d’être bien arrofée , fans quoi
on ne peut rien efpérer du labourage. Vigenere ,
fon commentateur, oblèrve fur cela qu'il faut que
Neptune intervienne dans [agriculture, comme l auteur
de toute fertilité & végétation. Perfonne n’ignore les
avantages que la Provence retire du canal de Cra-
pone, uniquement deftiné à l’arrofage des terres ;
Sc l’ufage où l’on eft dans le Rouflillon, le Languedoc
Sc le Dauphiné , de conduire lés eaux par des
rigoles fur les terres emblavées , démontre l’utilité
de cette méthode. Nos moiffons feroient en effet
bien plus abondantes, fi la chaleur Sc la féchereffe
n’arrêtoient les progrès des plantes céréales , dont
les racines fibreufes Sc traçantes n’emploient que
deux à trois pouces de terre fur une fuperficie bientôt
defféchée par les premiers rayons du foleil, Sc
dont le fol aride Sc jamais rafraîchi , a bientôt
brûlé l’efpérance de nos moiffons.
On objeélera fans doute qu’on ne trouve pas des
eaux par-tout, Sc qu’on en manque dans les campagnes
arides, oîi elles feroient le plus néceffaires. Mais
il eft aiféde répondre qu’on peut fe procurer des eaux
par-tout ; Sc qu’au lieu de laiffer couler en pure
perte dix-huit à vingt pouces d’eau qui tombent fur
la furface de la terre , & entraînent avec elles, par
leur écoulement dans les lieux bas, toute la graiffe de
nos terres , on pourroit les raffembler Sc les arrêter,
à i’exemple des Chinois, dans des réfervoirs ménagés
fur les hauteurs, d’où on les conduiroit par des
rigoles fur les terres emblavées , &c. Je parle fort au
long des avantages de cette méthode dans mon hif-
toire manufcrite du, canal de Bourgogne ; on peut
aufli confulter l’excellent ouvrage qui a pour titre :
La France Agricole & Marchande ; Sc le Traité de L'irrigation
des eaux, parM. Bertrand. Ilfuflit au but de
cet ouvrage de démontrer en peu de paroles lanécef-
fiié de l’eau pour le développement des germes.
L’expérience journalieré nous apprend que les végétaux
ne peuvent croître fans le fecours de l’eau,
parce que ces corps organifés, privés dii mouvement
local, ont befoind’un véhicule qui leur apporte
la nourriture toute préparée: c’eft l’eau qui eft ce véhicule
; on ne peut leur en donner trop , puifqu’on
fait croître tous les végétaux dans l’eau pure, Sc
qu’aucun ne fauroit s’en paffer. Mais comme les végétaux
ont également befoin de l’air & de là chaleur ,
il ne faut pas que ces eaux foient ftagnantes, parce
qu’elles priveroient alors les plantes du concours des
autres élémens, &,desdiverfes influences neceffaires
au progrès de leur végétation.
Les bleds fur-tout ont befoin d’eau pour le développement
des germes Sc la produ&ion des talles :
c’eft une des principales raifons pour laquelle on les
feme en automne , afin qu’ils jouiffent des trois, faifons
pluvieufes, l’automne, l’hiver & le printems ;
les chaleurs de l’été ne devant contribuer qu’à la maturité
du grain. Cela ne contredit point çe que j’ai dit
plus haut fur les femailles hâtives en tems chaud Sc,
fec , parce qu’il ne.s’àgiffoit alors que de la germination
: mais lorfque les gra’ins font germés, & que les
racines de la plantule ont pris une certainé.yigueur,
l’eau devient alors néceffaire pouf la multiplication
des talles, qui profitent beaucoup dans les, hivers doux
& pluvieux. M. Bonnet voulant combattre l’opinion
de ceux qui croient que le bled dégénéré en ivraie
paf un èxcès d’humidité, fema du bled dans de grandes
caiffes ; il les fit arrofer tous les jours jufqii’à.la
moiffon, Sc fort fouvent plufieurs fois par jou r, de
maniéré qu’il a entretenu la térre de fes caiffes dans
un état qiii a différé peu de celui des terres maréca-
geufes. Le bled qui a crû dans un terrein fi abreuvé,
bien loin de dégénérer, a été conftamment d’un verd
beaucoup plus foncé que le bled non arrofé : il efl
devenu plus grand ; U a plus tallé, & fes épis ont étéplus
fournis de grains ( Voye^ fes Recherches, page31 y. ).
Ce qu’il y a de fingulier, c’eft que ce bled, fi fou vent
arrofé, n’a pas donné un l'eul épi attaqué de la nielle
ou du charbon , tandis qu’il y en a eu d^ans le bled qui
n’avoit été humeôé que par l’eau du ciel ; d’où M.
Bonnet conclut que cette maladie du bled ne paroît
donc pas provenir d’un excès d’humidité , comme le
penfent quelques auteurs , Sc en particulier M. Tull
& fon traducteur. Cette expérience répétée avec le
même fuccès , eft concluante pour prouver que les
arrofemens font utiles à la multiplication des germes
Sc au développement des talles du bled.
Enfin une derniere méthode pour favorifer l’éruption
des germes, feroit de les farder en automne Sc
au printems, & d’en arracher les mauvaifes herbes qui
les étouffent. Sarcler les bleds , c’eft remuer la terre
autour de leurs racines avec un farcloir. Golumelle
nous apprend, que dès que les bleds font affez forts
pour fouffrir cette opération, il faut avec l’outil accumuler
la terre autour du collet des racines ; Sc cela
ayant l’hiver dans les terres chaudes Sc feches, ce qui
leur fait pouffer beaucoup de nouvelles tiges ; mais
dans les terres froides & humides , le farclage ne doit
fe faire qu’après l’hiver, Sc doit être plein & uni, fans
qu’il foit néceffaire de bulter les tiges comme avant
l ’hiver. Le farclage du printems, dit Pline, liv. X V I I f
chap. a/, amollit la dureté du terreinoccafionnée par
les gelées Sc les frimats, & le relâche pour l’ouvrir
aux influences de cet aftre , dont le retour rend l’ame
Sc la vie à la nature engourdie. La terre, ampureufe
& réchauffée, ne demande qu’à produire lorfqu’on
lui facilite ce travail en rompant la croûte qui s’eft
formée pendant l’hiver, Sc qui lui ferme les influences.
On ne doit pas craindre dans çe farclage de bief-
fer les racines du froment, qui ont alors acquis affez
de force , Sc dont le retranchement n’eft qu’avantageux
à la multiplication des germes. Cette opération
étoit fi importante chez les Romains, qu’ils avoient
un dieu nommé Sarritor pour y préfider : c’étoit le
premier que les laboureurs invoquoient après que
les bleds étoient levés. On voit que la fignification
du mot farcler y eft ici bien différente de celle qu’on
lui donne dans le Dictionnaire raifonné des Sciences ,
& c . où l’on voit que ce mot fignifie arracher les méchantes
herbes.
Il eft vrai que nous ne pratiquons pas l’opération
du farclage telle que je viens de la définir , Sc que
nous la confondons avec celle de purger les champs
des mauvaifes herb'es qui les étouffent Sc leur ôtent
la nourriture. Mais aufli notre culture eft bien inférieure
à celle des Romains ; Sc trois arpens de terre
ne nous fuflifent plus, comme du tems de la république,
pour nourrir toute une famille. Ce farclage fréquent
, recommandé par les anciens , prouve qu’ils
ïeconnoiffoient la multiplication des germes par le
retranchement des. racines, en quoi confifte, comme
je l’ai dit, le principal fecret de la méthode Tullienne,
perfectionnée par M. de Chateauvieux.
Un autre moyen de multiplier les germes dans une
proportion bien fupérieure à tous les autres procèdes
, feroit de tranfplanter les plantes de bled au prin-
HPH j.ans des terres labourées à la beche. M. le comte
de Beligny a tiré de deux journaux, par cette opération
fi (impie, le produit de vingt-cinq : c’eft peut-
«ître par ce fecret que trois journaux de terre fuffi-
Tome III,
foient a nourrir une famille Romaine. Voye1 la note
au mot O r g e , dans ce Supplément.
Il eft donc une infinité de moyens de multiplier les
grains, que l’art peut effayer, en facilitant le développement
des germes. J’en ai rapporté quelques-uns ,
dont la reunion pourra faire quelque plaifir aux agriculteurs
phyficiens ; on verra, par la fuite, que les la
bours & les engrais , le repos des terres & le changement
fuçceflif des plantes, font des moyens également
certains de'favoriferla multiplication des bleds
lorfque ces travaux font dirigés par une théorie éclairée
des lumières de la phyfique.
Suite de la végétation du bled y defa fleur & de fa maturité.
Je dois fuivre les progrès de la végétation du
bled jufqu’à fa maturité pour rendre cet article
complet.
La végétation des bleds, endormie pendant l’hiver
& les frimats, reprend toute fa force au printems,
& commence par développer les troifiemes
racines que M. Bonnet appelle les racines de l'âge viril
en naît de nouvelles tiges qui porteront également
leur épi comme la première plantule qui eft for-
tie du grain , fur-tout fi on favorife l’éruption de
ces tiges par des fàrclages fréquens.
Il ne peut y avoir de végétation qu’à l’aide de l’hu -
midité & de la chaleur modérée. La température
moyenne , d’un air qui n’eft ni trop fec ni trop froid ,
eft la caufe & le principe de la germination & de la
végétation : les feves d’août & du printems , font
les feules qui y foient propres: en hiver ia feve
qui fert de nourriture aux plantes, eft fans mouvement
, la gelée & le froid s’oppofent à fa fluidité : en
été ia chaleur fait évaporer trop promptement les
parties volatiles de la feve. L’automne & le printems
font donc les feules faifons propres à femer & à faire
germer les grains. Mais c’eft au printems fur-tout que
le principe de fécondité , cette ame de la nature,
agit avec plus d’empire fur tous les êtres organifés
végétaux & animaux.
O Vénus ! ô mère de [amour ! >
Dés le premier beau jour que ton àflre ramene ,
Les qéphirs font fentir leur amoureufe haleine >
La terre orne fon fein de brillantes couleurs ,
E t l'air efl parfumé du doux efprit des fleurs, &c.
Les expériences deM. Home (Corol. I , pas. /ia )
prouvent que le printems a, par quelques caufes particulières
, un pouvoir végétatif propre que l’été n’a
point en un fi grand dégré. En effet, un été froid St
pluvieux, eft affez femblable au printems par fa température:
cependant la germination des bleds dans un
pareil été, ne fe fait pas avec alitant de fuccès , & la
végétation eft languiffante. Seroit-ce parce que les
parties nutritives qui forment la fe v e , Sc que les neiges
& les pluies de l’hiver ont dépofées dans le fein
de la terre, entrent en aâion tout-à-la-fois dès les
premières chaleurs du printems }
Quoi qu’il en foit, c’ eft dans cette belle faifon que
tout croît, tout végété, tout multiplie ; la nature en?
tierè paroît reflèntir les impreflions du feu vivifiant qui
la pénétré dans toutes fes parties, & qui cherche à fë
communiquer & à ferépandre par-tOut. On voit alors
nos bleds, languiffans pendant là trifte faifon des frimats',
reprendre les couleurs & la livrée du printems|
multiplier leurs tiges & fortir leurs épis du fouireau*
qui les avoit garantis jufques-là des rigueurs du froid.
On voit aufli dans cette même faifon les autres plantes
, les arbres & les àrbriffeaux fe couvrir de feuillage
& de verdure , fe parer de fleurs, donr l’odeur^
la forme & la couleur variées à l’infini, réjouiffent
nos fens, Sc promettent en même tems des fruits de
c a ::